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poléon II et appuyer ses prétentions au trône de France. « Le peuple est seul maître, répondit-il ; or il a reconnu un nouveau souverain. Irais-je porter la guerre civile dans ma patrie, lorsque je voudrais la servir au prix de tout mon sang ? » Ces sentiments étaient d’autant plus louables qu’une tentative pouvait avoir quelque chance de succès sous un gouvernement qui n’était pas issu du suffrage populaire, au moment de la mise en accusation du ministère. La Corse lui adressa aussi des propositions avantageuses, qu’il repoussa également, et là aussi peut-être le moment était propice. Pie VII venait de mourir, et l’Italie espérait secouer le joug de la papauté. La Romagne, Plaisance et Modène s’étaient soulevées, et la révolte gagnait chaque jour du terrain. Napoléon-Louis quitta alors son père et sa femme pour aller, de concert avec son frère Charles-Louis, organiser la défense de Foligno. Bien secondés, ils étaient sur le point d’occuper Civita-Castellana, lorsque leur mère leur fit abandonner cette entreprise en disant que leur nom servirait de prétexte au gouvernement français pour refuser son appui. Les deux frères gagnèrent Bologne, et, lorsque l’Autriche pénétra dans les États de l’Église, ils se retirèrent à Forli. À peine arrivé dans cette ville, le prince fut attaqué de la rougeole. Il succomba le 17 mars 1831, quelques heures avant l’arrivée de sa mère, qui accourait près de son lit de douleur. Il mourut sans enfants. Sa veuve lui survécut pendant huit ans.

Le prince Napoléon-Louis était philosophe par caractère. Doué d’un grand et généreux courage, IL était toujours prêt à marcher à la défense des opprimés. Passionné pour l’indépendance, et, par suite des événements politiques, ne pouvant en jouir comme il l’eût désiré, il se consolait dans le commerce des sciences et des lettres. On lui doit la traduction française de la Vie d’Agricola, de Tacite, publiée à Avignon en 1828 ; celle de l’Histoire du sac de Rome en 1527, raconté en italien par un de ses ancêtres supposés, Jacopo Buonaparte (Florence, 1829), et, enfin, une bonne Histoire de Florence, imprimée à Paris en 1833.


BONAPARTE (Charles-Louis-Napoléon), troisième fils de Louis, roi de Hollande, et d’Hortense de Beauharnais, né à Paris, au château des Tuileries, le 20 avril 1808. Après la révolution de 1848, il fut successivement élu représentant du peuple et président de la République ; il a été proclamé empereur le 1er décembre 1852 au palais de Saint-Cloud. Il a épousé, le 29 janvier 1853, Eugénie-Marie de Guzman, comtesse de Téba, née le 5 mai 1826, qui, le 16 mars 1856, a donné le jour à un fils. Le prince impérial a reçu les noms de Napoléon-Eugène-Louis-Jean-Joseph. V. Napoléon III.


BONAPARTE (Jérôme-Napoléon), fils aîné de Jérôme Bonaparte et de la princesse Catherine de Wurtemberg, né le 24 août 1814. Après avoir suivi son père dans l’exil à Goppingen, au château d’Ellwangen, à Haimbourg, à Trieste, à Rome, à Florence et à Lausanne, il entra dans l’armée de son oncle, le roi de Wurtemberg, et obtint le brevet de colonel du 8° régiment de ligne. Il remplit les devoirs de son grade jusqu’en 1840, où sa santé l’obligea de donner sa démission. Il vécut alors tranquillement dans la retraite auprès de son père, qu’il avait été retrouver à Florence. C’est là qu’il mourut le 12 mai 1847. Il portait le titre de prince de Montfort, que le roi de Wurtemberg avait conféré à son père en 1816.


BONAPARTE (Mathilde-Laetitia-Wilhelmine), connue sous le nom de Princesse Mathilde, fille de Jérôme Bonaparte et de la princesse Catherine de Wurtemberg, est née le 27 mai 1820 à Trieste, où son père avait été appelé par une maladie cruelle de son fils aîné, le prince de Montfort. Trois ans après, elle fut emmenée à Rome et mise entre les mains d’une gouvernante, la baronne de Reding, sous la surveillance de sa tante, la femme de Joseph Bonaparte, comtesse de Survilliers. Lorsque ses parents se fixèrent à Florence en 1831, elle les accompagna et demeura avec eux jusqu’à la mort de sa mère en 1835. À cette époque, elle se rendit à la cour de Wurtemberg, où elle fut présentée sous le nom de comtesse de Montfort. En 1839, la princesse rejoignît sa famille à Florence, où elle s’abandonna à son goût pour la peinture, tandis que se préparait son union avec son cousin germain Louis-Napoléon. La tentative avortée de Boulogne rompit ce projet par suite de l’emprisonnement du prince au fort de Ham. Le comte russe Anatole Demidoff ayant alors demandé la main de la princesse Mathilde, elle lui fut accordée, et, après le mariage, célébré le 1er novembre 1840, il emmena sa jeune femme dans son pays. L’empereur Nicolas accueillit avec une bienveillance marquée la nouvelle comtesse, qui se trouvait être fille de sa cousine germaine. Il força même le comte Demidoff à servir à la princesse Mathilde une pension de 200,000 fr., lorsque les deux époux se séparèrent de corps et de biens en 1845. La guerre de Crimée mit seule fin au commerce épistolaire entretenu entre la princesse et le czar, qui, dans une dernière lettre, lui assura que les événements politiques ne modifieraient en rien ses sentiments affectueux.

La princesse Mathilde, qui, depuis son mariage, avait un pied-à-terre à Paris, s’y fixa définitivement lorsqu’elle fut redevenue libre, et s’y créa une petite cour d’artistes et de littérateurs. Louis-Napoléon, nommé président de la République le 10 décembre 1848, chargea, jusqu’à son mariage, sa cousine de faire les honneurs du palais de la présidence. Depuis le rétablissement de l’Empire, la princesse Mathilde passe l’hiver à Paris, la belle saison près du lac d’Enghien, à Saint-Gratien, et la fin de l’automne sur les bords du lac Majeur, en Italie. Elle s’occupe sérieusement de peinture et de sculpture, et n’a pas dédaigné de prendre part aux diverses expositions qui ont eu lieu depuis quelques années. Elle s’y est fait remarquer par des aquarelles de grande dimension, traitées avec une franchise et une largeur rares, et pouvant lutter avec la peinture à l’huile pour la chaleur du ton et la fermeté du modelé. Parmi les ouvrages qu’elle a exposés, nous citerons : deux charmants portraits de femmes, et une copie d’après Rembrandt, en 1859 ; une Fellah, le Portrait du baron de Vicq, d’après Rubens, et un Portrait d’infant, d’après Murillo, en 1861 ; le Portrait du duc de Lesdiguière, d’après Rigaud, et une Étude, d’après nature, qui ont valu à la princesse une mention honorable, en 1863 ; une Tête d’Orientale et le Portrait de Mme  Lenoir, d’après Chardin, en 1864 ; une Intrigue à Venise, d’après M. Vannutelli, et une Tête de jeune fille, en 1865 ; une Juive d’Alger, figure mélancolique, d’un caractère charmant, et le Profil perdu d’une délicieuse tête blonde en 1866. Douée d’une intelligence vive et positive, la princesse Mathilde se distingue par beaucoup de bon sens ; quant à son caractère, il se ressent un peu de ses goûts d’artiste : il est prompt et passionné, et, si la princesse ne connaît pas la rancune, elle n’est pas toujours exempte de vivacité. On lui doit un établissement pour les jeunes filles incurables, qui porte son nom, et un tombeau de Catinat élevé dans l’église du village de Saint-Gratien. L’empereur Napoléon III et sa cousine ont toujours conservé l’un pour l’autre un tendre attachement et un dévouement inaltérable.


BONAPARTE (Napoléon-Joseph-Charles-Paul), généralement connu, sous le nom de Prince Napoléon, né à Trieste le 9 septembre 1822 ; second fils de Jérôme, ex-roi de Westphalie, et de la princesse Catherine de Wurtemberg. De tous les membres de la famille Bonaparte, c’est celui qui, par le galbe de la figure et la forte accentuation des traits, comme aussi par la fougue du tempérament, rappelle le plus le glorieux fondateur de la dynastie : « Vraie médaille napoléonienne trempée dans de la graisse allemande, » disait de lui familièrement un grand poëte qui lui portait beaucoup d’intérêt, Béranger.

Jusqu’ici, la vie de ce personnage peut se diviser en trois périodes : sa première jeunesse, écoulée loin des affaires publiques, dans l’étude et les voyages ; son passage dans les Assemblées républicaines de 1848 et 1849, et son rôle politique depuis l’établissement de l’Empire, Cette dernière phase est la seule où il nous offre une physionomie nettement caractérisée.

Le jeune rejeton d’une race proscrite fut d’abord élevé à Rome. La ville qui avait été le grand lieu d’asile au moyen âge, la ville sainte, offrait alors un refuge aux débris de la famille impériale, poursuivie depuis 1815 par la réaction de l’Europe absolutiste. Mais, en 1831, par suite de l’insurrection des Romagnes, à laquelle avaient pris part deux des membres de la famille Bonaparte, le roi Jérôme dut quitter le territoire pontifical et se retirer à Florence. De là, il mit son fils en pension à Genève, afin qu’il y fût élevé selon la méthode française et dans des principes libéraux. C’était en 1835. Le jeune écolier passa ensuite deux ans à Arenenberg, chez sa tante la reine Hortense, où il reçut les leçons de son cousin Louis, actuellement empereur des Français, plus âgé que lui de quatorze ans. Là, entre l’élève et le professeur bienveillant, naquit cette affection qui depuis, malgré quelques nuages passagers, ne s’est jamais démentie. Dans cette même année 1835, le prince Napoléon perdit sa mère, cette vertueuse et courageuse Catherine, à qui l’empereur Napoléon avait rendu un hommage public en disant.que, par son dévouement, elle s’était de sa propre main inscrite dans l’histoire.

L’adolescent touchait à sa quinzième année lorsqu’il fut admis par son oncle maternel, le roi de Wurtemberg, à l’école militaire de Ludwisbourg, où il resta quatre ans. Ici se termine pour lui la période des études purement scolaires, et commence celle des études plus fortes et plus fructueuses auxquelles donnent lieu les voyages et l’observation. À dater de 1840, il se mit à parcourir les diverses capitales de l’Europe, où, à la faveur d’un grand nom et d’une parenté nombreuse et de premier ordre, il reçut partout un bon accueil. Mais en raison du bannissement qui pesait sur sa famille, et peut-être aussi à cause de quelques tentatives avortées auxquelles il n’avait pourtant pris aucune part, il ne fut admis à visiter la France qu’en 1845. Encore n’y résida-t-il que quatre mois. On prétend que le gouvernement d’alors prit ombrage des allures indépendantes du jeune prince, de son esprit critique, qui gardait trop peu de mesure, et surtout de ses accointances secrètes avec le parti démocratique. Il dut reprendre le chemin de l’exil et poursuivit par le monde ses pérégrinations instructives. De cette espèce de vie nomade, comme aussi de son ardent désir de tout voir, de tout pénétrer et de tout connaître, est sans doute né chez lui ce goût passionné des voyages, qui ne l’a jamais abandonné.

Cependant, en 1847, le roi Jérôme présenta aux Chambres une pétition pour être réintégré, avec son fils, dans ses droits de citoyen français. La Chambre des pairs rejeta sa demande ; mais le roi Louis-Philippe (nous nous plaisons à rendre cet hommage à sa mémoire) prit sur lui de fermer les yeux sur leur séjour en France. Les deux princes résidaient donc à Paris lors des événements de 1848. Qu’ils aient pressenti tout d’abord les hautes destinées préparées à leur famille par la révolution de Février, il est permis d’en douter ; mais, ce qui est certain, c’est que le prince Napoléon saisit habilement les chances de bonne fortune que lui offrait la déchéance définitive des derniers Bourbons. Dès le 24 février, il se présenta à l’Hôtel de ville, où il ne fut pas reçu. Le 26, il adressa aux membres du gouvernement provisoire cette lettre significative, que l’histoire a enregistrée : « Au moment de la victoire du peuple, je me suis rendu à l’Hôtel de ville. Le devoir de tout bon citoyen est de se réunir autour du gouvernement provisoire de la République. » Rapprochée, disons mieux, combinée avec celle qu’écrivait le même jour son cousin Louis, jusqu’alors prétendant malheureux au trône de France, cette lettre contenait un enseignement des plus clairs. Il fallait tout le tumulte de ces temps troublés, pour ne pas soupçonner les espérances illimitées qui se voilaient à peine sous le langage modeste de ces manifestations.

Bien qu’aucun décret régulier n’eût encore mis à néant la loi de bannissement qui les avait privés de leurs droits civils et politiques, les Bonaparte se présentèrent hardiment et en masse aux élections de l’Assemblée constituante. Plus populaires dans l’île de Corse, berceau de leur famille, que partout ailleurs, ils y établirent leur quartier général. Le prince Napoléon y fut élu à l’unanimité des suffrages. Du 4 mai 1848 date sa carrière politique, à peine interrompue par un retour à la vie privée en 1852, et poursuivie depuis sur une scène plus élevée, où ses qualités comme ses défauts éclatent en pleine lumière. Ceci n’étant ni un éloge ni une satire, nous nous en tiendrons aux faits, qui, du reste, suffiront à nous éclairer sur le caractère d’un homme encore aujourd’hui si étrangement et si diversement apprécié par tous les partis.

Le prince Napoléon prit place, à l’Assemblée constituante, dans les rangs de cette nuance nombreuse et indécise qui s’intitulait la République modérée, mais où se cachaient déjà des tendances royalistes de diverses natures, qui n’attendaient pour se révéler qu’une occasion favorable. Était-il sincèrement attaché à la forme républicaine ? Rien à cet égard n’autorise à suspecter sa bonne foi. Mais dès le début, les prétentions de son cousin et l’inéluctable solidarité qui unissait tous les membres de la famille lui créaient un rôle difficile ; car chacun de ses votes ou de ses actes devait prêter à la malignité des interprétations. Ainsi il vota pour l’impôt proportionnel contre l’impôt progressif, pour les deux Chambres contre une assemblée unique, pour le principe de la présidence contre le principe d’une assemblée souveraine, etc. Mais dans toutes les mesures purement économiques, la démocratie retrouve en lui un champion convaincu et passionné. Il appuie la réforme postale, la réduction de l’impôt du sel et les subventions aux associations ouvrières. Par un sentiment des convenances qu’il n’a pas toujours eu au même degré, il se refusa, lui, ancien banni, à bannir une famille déchue, et vota contre la loi du 26 mai, qui exilait les princes d’Orléans. Ajoutons enfin qu’il s’opposa énergiquement à la déportation en masse des insurgés de Juin. Du reste, sa vie entière en fait foi, qu’il s’agisse de Français, de Polonais ou d’Italiens, la générosité de sa nature l’a toujours entraîné du côté des proscrits.

Le 13 mai 1849, le département de la Sarthe envoya le prince Napoléon à l’Assemblée législative. D’une année à l’autre, la situation avait singulièrement changé. Les républicains n’étaient plus qu’en minorité dans la seconde Assemblée de la République. La majorité se composait d’une coalition où s’étaient groupés pêle-mêle les drapeaux de tous les partis monarchiques, chacun de ces partis marchant distinctement à son but, à l’ombre d’une entente précaire et mensongère, qui se traduisait par une réaction violente contre les principes solennellement proclamés par l’Assemblée précédente. Les vœux du prince étaient d’un côté, les intérêts de sa famille, bien ou mal compris, se trouvaient de l’autre. Pour se soustraire aux embarras d’une situation que chaque jour rendait pour lui de plus en plus délicate, il accepta l’ambassade de Madrid ; mais, des rives du Mançanarès, sa pensée se reportait constamment aux bords de la Seine, et le prince démocrate ne voyait qu’avec dépit le gouvernement de la République glisser sur la pente de la contre-révolution. Aussi ne fit-il que poser le pied en Espagne. Ce qui contribua le plus à y abréger son séjour, ce fut la fameuse loi d’enseignement, dite loi Falloux, qui tendait à replonger la France dans les ténèbres du moyen âge. Il quitta subitement Madrid et reparut tout à coup au sein de la Chambre étonnés ; mais, cette fois, pour dessiner clairement son attitude, il s’installa carrément au beau milieu de l’extrême gauche, qui seule alors, à part quelques rares exceptions, représentait ses idées et ses sentiments. Là, plus qu’aucun autre, il se vit le point de mire de ses auxiliaires de la veille, devenus ses implacables adversaires. Ils l’appelèrent le Prince de la Montagne, qualification qu’il ne répudia point. Dès le 2 octobre 1849, pour marquer sa rupture, il demanda le rappel des déportés de Juin, et sa motion souleva des orages. L’année suivante, dans une occasion plus grave, puisque le principe même des institutions républicaines se trouvait en question, un mot malheureux de M. Thiers le précipita de nouveau dans l’arène. Il s’agissait d’exclure du droit de suffrage, par un indigne subterfuge, la moitié des Français, et, pour motiver cette injustice, M. Thiers s’était avisé de flétrir les exclus du nom de vile multitude. À ce mot, avec toute l’impétuosité de son caractère et l’ardeur du sang qui coule dans ses veines, le prince s’élança à la tribune comme à l’assaut ; et il n’y eut peut-être jamais de spectacle plus étrange que celui des classes inférieures défendues contre un enfant du peuple, d’origine assez obscure, par un prince qui, après tout, pouvait se dire d’assez bonne maison. À travers des tonnerres d’imprécations, que dominait sa voix stridente, le prince rappela que cette vile multitude avait prodigué son sang pour la liberté d’abord, pour la gloire ensuite, et que, même après Waterloo, frémissante d’indignation à l’aspect des défaillances de l’époque, elle eût encore sauvé la France des hontes de la seconde invasion si les chefs de la bourgeoisie le lui eussent permis. Cette violente apostrophe du prince lui valut, de la part de nos aristocrates, de glorieuses injures. Jusqu’alors il n’avait peut-être eu que des adversaires : à dater de ce jour, il eut des ennemis acharnés. Il les a encore.

Après le coup d’État du 2 décembre 1851, qu’il n’avait ni conseillé ni prévu, le prince Napoléon se tint à l’écart jusqu’au rétablissement de l’Empire, où il reçut le rang de prince français de la famille impériale, et la charge de sénateur. À ce double titre, il n’a cessé de prendre aux affaires publiques une part active, dans la mesure que permettait un régime où il n’y a de champ vraiment libre que pour une seule volonté.

Lorsque la guerre d’Orient devint imminente, le prince Napoléon, qui avait été nommé général de division, demanda un emploi dans l’armée expéditionnaire. « En temps de guerre, dit-il, la place d’un Bonaparte est au feu devant l’ennemi .» L’empereur lui confia le commandement de la 3e division. Les autres étaient commandées par les généraux Canrobert, Bosquet et Forey. Le prince partit des premiers avec sa division ; il couvrit Constantinople, que menaçait la gauche de l’armée russe ; puis il vint rejoindre le gros de l’armée anglo-française concentrée sur le bas Danube. Il assista au conseil de guerre tenu à Varna, où fut résolue, contre son avis, l’expédition de Crimée. Dans cette importante délibération se révéla le premier germe d’une dissension, dont nous sommes obligé de dire quelques mots ; car elle explique ce qui, par la suite, a pu paraître obscur ou inconsidéré dans la conduite d’un prince et d’un général français. Selon lui, il fallait faire à la Russie une guerre révolutionnaire, et tendre la main à la Pologne à travers les provinces danubiennes et la Bessarabie : on le voit, sur les champs de bataille comme à la tribune, c’est toujours une pensée révolutionnaire qui l’anime. L’avis contraire, venu de plus haut et sans réplique, prévalut dans le conseil, et l’invasion de la Crimée, qui souriait davantage aux Anglais, parce qu’ils y entrevoyaient avant tout la destruction de Sébastopol et de la marine russe, devint le seul objectif d’une guerre qui aurait pu donner de plus heureux résultats. Le prince se rangea à cet avis ; mais de cette divergence de vues résultèrent des froissements qui ne furent pas sans influence sur ses déterminations ultérieures.

Il fit avec sa division l’expédition de la Dobrutscha, où sévissait le choléra, tomba malade et dut se retirer à Constantinople pour y rétablir sa santé ; mais il se hâta de rejoindre, quoique souffrant encore, sa division débarquée en Crimée, et il en reprit le commandement. À la bataille de l’Alma (20 septembre 1854), il formait le centre de la ligne française, et il mérita d’être cité à l’ordre du jour pour sa belle conduite. Six semaines après, sa division se distingua encore à la bataille d’Inkermann ; mais la maladie du prince s’aggravait. L’empereur le rappela en France, et il y revint la veille même du jour où, de son côté, le duc de Cambridge retournait en Angleterre.

Le repos ne convenait pas à l’un des esprits les plus actifs de notre temps. À peine rentré en France, le général dépouilla son uniforme et présida la commission de l’Exposition universelle de 1855 ; et ce ne fut certes pas pour lui une sinécure honorifique. Les prodiges de travail qu’il accomplit dans un espace de temps restreint, pour s’élever à la hauteur de l’industrie dans toutes ses branches, étonnèrent les savants et les industriels de profession. Il apporta là, comme partout, sa fougue et sa rare pénétration. Son rapport (1857, 1 vol. in-4o) est une véritable encyclopédie des arts et métiers.