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recteurs. Cependant Lucien crut encore devoir les soutenir au moins par ses paroles et par ses actes publics ; mais, en même temps, de concert avec son frère Joseph, il faisait parvenir à Napoléon l’ordre de revenir au plus tôt. Salué avec enthousiasme par la France, fatiguée de luttes stériles, le jeune général prépara immédiatement le coup d’État du 18 brumaire, puissamment secondé par Lucien, qui fut le trait d’union entre lui et Sieyès. Le moment venu, le Conseil des Cinq-Cents, dont Lucien avait été nommé président, devient le théâtre d’une vive agitation, au milieu de laquelle il renouvelle, à la tête de son bureau, le serment à la constitution. Tout semblait perdu, lorsque Bonaparte se vit admis aux honneurs de la séance par les Anciens ; mais il n’en devait pas être ainsi dans la salle des Cinq-Cents : il y fut accueilli par de telles menaces, que ses grenadiers furent obligés de l’enlever pour l’arracher au péril. L’orage se tourne alors contre Lucien, qu’on veut forcer de proclamer la mise hors la loi de son frère. « Misérables ! s’écrie-t-il, vous voulez que je mette hors la loi mon propre frère ! » et il se dirige vers la barre pour y prendre la défense du général, lorsqu’il est entraîné, lui aussi, par des grenadiers envoyés par Bonaparte. Alors il monte à cheval, parcourt le front des troupes, leur déclare que le Conseil des Cinq-Cents est dissous, que des assassins ont envahi la salle des séances, et il somme l’armée de marcher pour délivrer la représentation nationale, jurant que lui et son frère seront toujours les défenseurs de la liberté. À la voix de Lucien, les soldats envahissent le sanctuaire des lois, et la révolution est consommée. C’est à la fermeté et surtout à la décision de Lucien, qui montra une énergie supérieure à celle de Napoléon, que cet attentat contre la représentation nationale dut sa réussite. Il reçut en récompense le ministère de l’intérieur, qu’il préféra au tribunat, et où il se signala par l’établissement de la centralisation administrative et par une protection éclairée accordée aux arts, aux sciences et aux lettres. Mais son goût pour les plaisirs et son esprit d’indépendance indisposèrent bientôt contre lui le premier consul, qui lui retira le ministère et déguisa cette disgrâce en le chargeant d’une ambassade en Espagne. Par le traité d’alliance du 21 mars 1801, Lucien détacha la monarchie espagnole de la politique anglaise, et fit accélérer les préparatifs de l’envahissement du Portugal. Bien que ce traité fût avantageux pour la France, Napoléon, qui voyait toujours plus loin que ceux qui agissaient en son nom, blâma énergiquement son frère, qui, selon lui, avait compromis des négociations entamées à Londres. Blessé de ces reproches auxquels il ne s’attendait pas, Lucien envoya sa démission à Paris ; mais le premier consul refusa de l’accepter, et il autorisa même son frère à signer le traité de Badajoz. De retour en France vers 1802, et appelé au Tribunat, Lucien fut chargé de deux missions délicates : faire approuver le concordat et l’institution de la Légion d’honneur, qui n’étaient nullement en harmonie avec les principes républicains. Il s’en acquitta habilement. Choisi pour représentant du Tribunat dans le grand conseil de la Légion d’honneur, Lucien, sénateur de droit, reçut, avec la sénatorerie de Trêves, la terre de Soppelsdorff, et fut admis en même temps à l’Institut dans la section de langue et littérature françaises, titre auquel il tenait beaucoup. Enfin tout annonçait une réconciliation durable entre lui et son frère, lorsque, en avril 1802, il se maria avec Alexandrine de Bleschamp, épouse divorcée d’un agent de change nommé Jouberthon, l’une des plus charmantes femmes de l’époque. Le premier consul s’étant vivement emporté à la nouvelle de ce mariage, Lucien préféra quitter la France plutôt que de laisser porter atteinte à sa dignité et à son indépendance. Réfugié à Rome, il se consola dans le commerce des lettres d’une rupture avec un frère qui, quelques mois plus tard, distribuait des couronnes comme des hochets. Napoléon, dans le cœur duquel les affections de famille étaient toujours vivaces, se rappelant les services que Lucien lui avait rendus au 18 brumaire, et comptant sur ceux qu’il pouvait attendre encore de sa haute intelligence, lui fit faire plusieurs fois des ouvertures magnifiques, à condition qu’il se séparerait de sa femme. En compensation, il lui offrait un trône, le mariage de sa fille aînée avec le prince des Asturies, et pour sa femme qu’il répudierait un duché en Italie. Fasciné par cette éblouissante perspective, Lucien aurait peut-être cédé ; mais quand il eut acquis la conviction que, sur le trône de Florence, il ne serait qu’un préfet de son frère, il refusa, et se retira dans un domaine près de Viterbe, que le pape érigea en principauté de Canino. Il voulut même passer aux États-Unis, mais il fut pris le 1er août 1810 par un croiseur anglais, conduit provisoirement à Malte et de là en Angleterre, puis confiné à Ludlow, pays de Galles. Il acquit alors le domaine de Thorngrove, à cinq lieues de Londres, et y séjourna jusqu’aux traités de 1814, qui lui permirent de retourner à Rome, où il dédia au pape son poème de Charlemagne ou l’Église sauvée. Après la prise de Paris, consulté par Louis XVIII, il lui répondit : « Point de système mixte : effacer jusqu’à la dernière trace de la Révolution et réorganiser la monarchie de Louis XV, ou arborer le drapeau tricolore et épouser la Révolution… » Lorsque l’empereur fut relégué à l’île d’Elbe, Lucien, qui avait refusé d’être le courtisan de la prospérité, devint celui du malheur. Il offrit à son frère de se consacrer au service de sa personne, et lui adressa une lettre par laquelle il lui déclarait qu’il était aussi dévoué à son infortune qu’il avait été ennemi de son despotisme. Lors des Cent-Jours il accourut à ses côtés, obtint l’évacuation des États du pape, envahis par Murat, fixa sa résidence au Palais-Royal, et accompagna Napoléon à la cérémonie du champ de mai, avec le titre et le rang de prince français. Membre de la chambre des pairs, il fit partie de la commission de gouvernement que l’empereur institua au moment de se rendre à l’armée. Après le désastre de Waterloo, Lucien, homme de décision, conseillait à l’empereur la dissolution de la chambre, et, ne pouvant le décider à cette mesure de rigueur, alla plaider sa cause devant les représentants et les empêcha de réclamer l’abdication de l’empereur. Néanmoins, ne se faisant pas d’illusion sur l’hostilité des chambres, il révéla à son frère la situation, qui ne lui laissait d’option qu’entre une dissolution immédiate de la chambre, ou l’abdication en faveur de son fils. Ses conseils ne furent pas suivis ; il ne quitta la France qu’avec Napoléon, et, arrêté en route, ne dut sa liberté, au bout de trois mois de détention, qu’aux instances du pape, auprès duquel il se fixa. L’empereur n’ayant pas voulu accepter le sacrifice qu’il lui offrit par deux fois de partager sa captivité, Lucien ne s’occupa plus que de littérature dans sa villa Russinella, aux environs de Frascati. C’est à sa campagne que le surprit la révolution de 1830, qui lui fit concevoir un moment l’espoir de rentrer en France. Le 29 juin 1840, Lucien Bonaparte mourut, à Viterbe, d’un cancer à l’estomac, n’ayant eu le temps que de publier le premier volume de ses Mémoires.

Lucien Bonaparte est demeuré célèbre surtout par cette indépendance de caractère qui lui fit sacrifier les liens du sang et les intérêts de sa fortune à sa dignité et à ses devoirs. Il avait quelques tendances républicaines, mais on ne doit pas en exagérer la portée, et il faut reconnaître qu’il ne s’en souvenait et qu’il ne les invoquait guère que dans les moments où il se sentait personnellement atteint par les volontés supérieures de son frère. C’était d’ailleurs un homme d’un caractère noble et d’un esprit distingué. On sait qu’il abandonna son traitement d’académicien à Béranger, qui l’en remercia dans la préface de son recueil de chansons publié en 1833.

Lucien avait épousé, en 1794, Christine-Éléonore Boyer, morte le 14 mai 1800, dont il eut deux filles : 1° Charlotte, née le 13 mai 1796 à Saint-Maximin, mariée à Rome, le 27 décembre 1815, au prince Mario Gabrielli, dont elle eut un fils et trois filles, et qu’elle perdit le 18 septembre 1841 ; 2" Christine Égypta, née à Paris le 19 octobre 1798, mariée en 1818 au comte suédois Arved Posse, et en 1824 à lord Dudley-Coutls, morte à Rome le 19 mai 1847. Son fils, lord Dudley, sert dans l’armée anglaise.

En 1802, Lucien se remaria, comme nous l’avons dit, avec Marie-Alexandrine-Charlotte-Louise-Laurence de Bleschamp, née à Calais en 1778, morte à Sinigaglia le 12 juillet 1855. De ce mariage naquirent Charles-Lucien-Jules-Laurent, né à Paris le 24 mai 1803, décédé le 29 juillet 1857 ; — Lætitia, née à Milan le 1er décembre 1804, mariée à Thomas Wyse, membre catholique du parlement d’Angleterre, ministre plénipotentiaire de la Grande-Bretagne à Athènes, où il est mort le 15 avril 1862. Sa fille Marie, née le 7 juillet 1833, épousa en premières noces M. de Solms, et, le 5 février 1863, M. Urbano Rattazzi, ancien ministre du roi d Italie Victor-Emmanuel. Une de ses sœurs s’est mariée en 1862 au général hongrois Türr, le fidèle compagnon de Garibaldi ; — Paul, né en 1808 et mort en Grèce au mois de décembre 1826 ; — Jeanne, née à Rome en 1806, — épouse du marquis Honorati, morte en 1828 ; — Louis-Lucien, né le 4 janvier 1813 à Thorngrove ; — Pierre-Napoléon, né à Rome le 12 septembre 1815 ; — Antoine, né à Frascati le 31 octobre 1816 ; — Marie, née le 12 octobre 1818, mariée au comte Vincenzo Valentini, député à la Constituante romaine, ministre des finances en 1849, mort en 1858 ; — Constance, née à Bologne le 30 janvier 1823, aujourd’hui religieuse à Rome au couvent du Sacré-Cœur.

Lucien Bonaparte a laissé plusieurs ouvrages: la Tribu indienne ou Édouard et Stellina, roman (1799) ; Charlemagne ou l'Église sauvée, poème épique en 24 chants (1814) ; Ode contre les détracteurs d’Homère (1815) ; la Cyrnéide ou la Corse sauvée, poème épique en 12 chants ; Aux citoyens français membres des collèges électoraux (1834) ; la Vérité sur les Cent-Jours, suivie de documents historiques sur 1815 ; Mémoires sur les vases étrusques (1836). Un premier volume de Mémoires parut en 1836 ; sa veuve publia le second volume sous ce titre : le Dix-huit brumaire. Quoique ces écrits n’aient pas obtenu un brillant succès, ils révèlent une vive imagination, du goût, de la littérature et de la philosophie.


BONAPARTE (Marie-Anne-Élisa), sœur de Napoléon Ier, naquit à Ajaccio le 3 janvier 1777. Son père, dans un voyage qu’il fit la même année comme député de la noblesse corse à la cour, obtint pour elle une bourse à la maison royale de Saint-Cyr, qu’elle ne quitta qu’après l’achèvement de son éducation pour retourner en Corse, à l’âge de quinze ans. Lorsque son pays natal fut tombé au pouvoir des Anglais, elle l’abandonna avec le reste de sa famille, et alla se fixer à Marseille. Elle y fit la connaissance d’un compatriote dénué de toute fortune, mais de famille noble, le capitaine d’infanterie Félix Bacciochi, avec lequel elle se maria le 5 mai 1797. Napoléon, qui se vengeait sur les Vénitiens de leur conduite équivoque après le traité de Leoben, n’apprit ce mariage qu’après sa conclusion ; moins puissant à cette époque qu’en 1805, lorsqu’il fit annuler celui de Jérôme avec Mlle Paterson, il laissa seulement deviner son mécontentement. L’année suivante, Mme Bacciochi vint à Paris, et se déclara la protectrice des lettres et des arts, qu’elle aimait avec passion. Son salon devint un terrain neutre où les hommes marquants de tous les partis se donnaient rendez-vous : Chateaubriand et Lemercier s’y rencontraient avec Legouvé, La Harpe, Boufflers et Fontanes. Lorsque, en 1805, Napoléon fit sa distribution de couronnes dans sa famille, il érigea en principauté, pour sa sœur Élisa, Lucques et Piombino. La nouvelle princesse se montra digne sœur de Napoléon, et déploya des talents et une dignité en rapport avec sa haute position. Bacciochi, couronné en même temps qu’elle, régna, mais ne gouverna pas. Éclipsé par l’esprit supérieur de sa femme, il eut le bon esprit de lui laisser la direction des affaires, et ne fut pour ainsi dire que le premier de ses sujets. Élisa, se sentant à la hauteur de sa tâche, gouverna par elle-même, présida le conseil de ses ministres, simplifiant les rouages administratifs avec un tact, une fermeté et un esprit d’organisation rares, même chez un homme. Elle porta surtout son attention sur la réparation des routes, les travaux d’utilité publique et l’établissement de nouvelles fortifications. L’empereur, en récompense du talent dont elle avait fait preuve, lui conféra, le 5 mars 1809, le titre de grande-duchesse de Toscane, avec le gouvernement général de cette province. Son mérite sembla grandir avec son pouvoir, et elle continua de marcher hardiment dans la voie du progrès. La princesse Élisa, tout en protégeant les arts et les lettres, imprima une nouvelle impulsion à l’agriculture en lui accordant habilement des primes, développa l’instruction populaire et fit construire des établissements utiles. Un des plus grands services qu’elle rendit à la Toscane fut de la purger des bandes de brigands qui infestaient les routes. Aussi le surnom de Sémiramis de Lucques, qui lui fut donné par les adulateurs de l’empire, ne parut-il pas une épigramme. Ses connaissances politiques, administratives et militaires lui avaient assuré un certain crédit auprès de l’empereur, qui se montrait flatté de trouver dans une femme de sa famille un caractère assez énergique pour s’identifier pleinement avec sa politique ambitieuse. Quant à son mari, excellent homme d’ailleurs, ce n’était guère que son aide de camp, même quand elle passait les troupes en revue.

Lorsque, en 1814, l’empereur fut accablé sous les coups de l’Europe coalisée contre nous, la princesse Élisa se retira à Bologne, d’où elle partit en 1815 pour se rendre à Trieste, puis près de sa sœur Caroline, la veuve de Murat, au château de Haimbourg. Elle quitta ce château pour celui de Brunn, et enfin résida près de Trieste, au château de Santo-Andrea, où elle mourut à quarante-trois ans d’une fièvre nerveuse, sous le nom de comtesse de Campignano, le 7 août 1820.BONAPARTE (Lucien), prince de Canino, frère puîné de Napoléon Ier

Mme Bacciochi laissa deux enfants : 1° Charles-Jérôme, né le 3 juillet 1810, mort à Rome, d’une chute de cheval, à l’âge de vingt ans ; 2° Napoleone-Elisa, née le 3 juin 1806, mariée au comte Camerata. L’empereur Napoléon III lui a donné rang à la cour avec les titres de princesse et d’altesse. Elle partage le goût de sa mère pour l’agriculture, à laquelle, dans un magnifique château qu’elle possède en Bretagne, elle se plaît à consacrer ses loisirs.


BONAPARTE (Louis), troisième frère de Napoléon, né à Ajaccio le 4 septembre 1778. Après avoir suivi à Marseille sa famille expulsée par Paoli, il fut envoyé à l’école de Châlons pour y subir l’examen nécessaire pour entrer dans l’artillerie. Sur la fausse nouvelle du licenciement de cette école, il retourna près de sa mère ; mais son frère, qui venait d’être nommé général, l’attacha à sa personne avec le grade de sous-lieutenant, et lui fit faire ses premières armes à la prise d’Oneille et au combat de Cairo. Placé comme lieutenant dans une compagnie de canonniers volontaires, il fut détaché à l’école de Châlons, et presque aussitôt rappelé par son frère, qui l’emmena en Italie. Là, il se distingua au passage du Pô et au pont d’Arcole. Ce fut lui qui porta la nouvelle de la paix de Campo-Formio à Paris, d’où, afin de l’arracher à une passion naissante pour la fille d’un émigré, Napoléon l’emmena en Égypte. Renvoyé en France pour demander des renforts, il n’avait encore rien pu obtenir, lorsque son frère débarqua à Fréjus. L’ayant secondé au 18 brumaire, il reçut les épaulettes de colonel ; toutefois, il se rendit en Prusse, afin de ne pas être contraint à épouser Hortense de Beauharnais. Une seconde fois il évita cette union en partant pour l’expédition de Portugal ; mais, cédant enfin aux sollicitations de Mme Bonaparte, il se maria le 4 janvier 1802, malgré lui, pour obtenir la tranquillité. Parvenu, en 1804, au grade de général de division, nommé conseiller d’État à la section de législation, il reçut, après l’établissement de l’empire, le titre de prince et celui de connétable, enterré dans un oubli de deux siècles ; puis remplaça Murat dans le commandement de la garnison de Paris, à la condition de ne s’occuper que des affaires militaires. Son activité à organiser une armée destinée à protéger le nord de la France lui valut de l’empereur des témoignages publics de satisfaction. Une autre distinction onéreuse l’attendait : il fut placé, malgré lui, par son frère, sur le trône de Hollande le 5 juin 1806. Aimé du peuple, quoique au début il eût trop favorisé les Français, il s’attacha aux Hollandais et manda à l’empereur qu’il abdiquerait si la France ne rendait à la Hollande ce qu’elle lui devait, si on laissait à sa charge l’entretien des troupes françaises, et si on ne lui permettait pas de diminuer les armements. Napoléon céda, et Louis, faisant habilement revenir sa flottille de Boulogne, prit ses précautions pour se suffire à lui-même au besoin. À la tête d’un corps de 15, 000 hommes, il marcha contre les Prussiens et leur prit Munster, Osnabruck et Paderborn, bloqua les places fortes de Hameln et de Nieubourg, et occupa Rinteln. Blessé d’un ordre de l’empereur, qui lui enjoignait de s’emparer du Hanovre, il refusa d’obéir et rentra à La Haye. Le décret du 21 novembre 1806 relatif au blocus des îles Britanniques étant un arrêt de ruine pour ses sujets, il l’éluda d’abord, puis ferma ses ports à tous les vaisseaux sans exception. Louis se consacra alors au bonheur de ses peuples ; il fit rédiger un code civil et criminel, régularisa les contributions que les exigences de la France l’avaient obligé d’établir, le cadastre, les finances, créa une direction des beaux-arts et un institut des sciences et des arts, et ouvrit une grande exposition des produits de l’industrie nationale. Il créa en même temps l’ordre de l’Union et du Mérite. Accablé de la perte de son fils aîné Louis, enlevé par le croup, il alla passer deux mois dans les Pyrénées, puis, après être resté quelque temps à Utrecht, il choisit en 1808 pour capitale de la Hollande la ville d’Amsterdam.

Pendant ce temps, les relations entre les deux frères s’aigrirent par suite des exigences de l’empereur, qui ne ménageait pas l’amour-propre de Louis, et le forçait même à rapporter ses lois. Néanmoins Louis, dont le fils Napoléon-Louis venait d’être investi du titre de grand-duc de Clèves et de Berg, à la première nouvelle du débarquement des Anglais dans l’île de Valcheren, marcha contre eux afin de protéger Anvers, lorsque Bernadotte arriva pour lui ravir le commandement. Comprenant que Napoléon avait l’intention d’envahir la Hollande, Louis ne se rendit qu’avec peine au congrès des rois alliés formé par l’empereur en décembre 1809. Ayant soutenu avec force les intérêts de son pays contre son frère, qui ne prenait plus la peine de dissimuler ses projets, il se vit l’objet d’une surveillance active. L’empereur, apprenant qu’en dépit de sa police Louis avait réussi à faire passer en Hollande l’ordre de défendre les lignes à l’aide de la marine et des inondations, entra en fureur et lui donna le choix entre décommander les travaux ou renoncer au trône. Louis céda, espérant s’échapper nuitamment ; mais il était gardé à vue par la gendarmerie. Après quatre mois de luttes, il fut obligé de signer un traité qui lui interdisait tout commerce avec l’Angleterre, lui imposait des troupes et des douanes françaises pour veiller à l’exécution de ce traité, et lui arrachait la cession, en faveur de l’empereur, du Brabant hollandais, de la Zélande, y compris l’île de Schourren, et de plusieurs autres lieux importants. Alors seulement il put retourner dans ses États.

Une querelle futile entre un bourgeois d’Amsterdam et le cocher de l’ambassadeur français servit de prétexte à une si violente missive de l’empereur que Louis, voyant ses ministres reculer devant le projet d’inonder la capitale plutôt que de se rendre, abdiqua le 1er juillet 1810 en faveur de son fils, sous la régence de sa mère, assistée d’un conseil de régence. L’armée française entra le 4 à Amsterdam, mais Louis s’était déjà réfugié en Bohême, aux bains de Tœplitz, sous le titre de comte de Saint-Leu, qu’il conserva depuis. À la nouvelle de la réunion de la Hollande à l’Empire français, Louis protesta entre les mains des empereurs d’Autriche et de Russie, puis il partit pour Grœtz, d’où il offrit ses services à l’empereur lors du désastre de Russie. Espérant recouvrer son trône, il essaya d’intéresser l’Autriche en sa faveur, et passa en Suisse pour mieux suivre les événements. Après la bataille de Leipzig, au lieu d’écouter Murat, qui lui conseillait de solliciter l’appui des alliés, il réclama son trône à Napoléon par une lettre, qui ne le précédait que de quelques heures. Il fut averti en route que l’empereur refusait de le recevoir, et il trouva sa réponse en Suisse. À aucun prix Napoléon ne consentait à sa restauration ; il lui permettait de l’essayer par les armes. Se retournant alors du côté de ses anciens sujets, il apprit qu’ils traitaient avec la maison d’Orange, sans avoir même prononcé son nom.

Retiré à Soleure, d’où il dut sortir en décembre 1813, il se rendit à Paris, où il eut deux entrevues très-froides avec l’empereur : Ce dernier ne suivit pas ses conseils réitérés de faire la paix, et fut obligé d’abdiquer. Louis accompagna Marie-Louise à Blois, et