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en chef de la première expédition en Italie, et qui, presque toutes, portent le nom de Bonaparte orthographié à l’italienne. Les grands tableaux de Gros, de Guérin, de David, etc., inspirés par la campagne d’Égypte et de Syrie (1798-1799) et par la deuxième expédition en Italie (1800) ont été fréquemment et diversement reproduits par la gravure et la lithographie. Indépendamment de ces reproductions et des compositions de Raffet sur le même sujet qui sont décrites plus loin, nous pouvons citer : le Portrait en pied du général Bonaparte, debout au premier plan d’un paysage au fond duquel s’élèvent des pyramides, composition de J. Boilly, gravée par A. Boilly ; un autre Portrait en pied avec fond d’architecture égyptienne, lithographie par Villain, d’après Dulong ; Bonaparte, général de l’armée d’Égypte, monté sur un dromadaire, lithographie en couleur, publiée par Gihaut frères ; Bonaparte en Syrie (1799), lithographie de Lemercier, d’après Trolli ; Bonaparte et Berthier à la bataille de Marengo, méchante gravure de grandes dimensions, exécutée par A. Cardon, d’après une peinture de J. Boze ; Bonaparte à Marengo apprenant la mort de Desaix, gravé par F.-A. David, d’après Monnet (1804) ; un portrait avec une vue de la bataille de Marengo, composition de P. Bouillon, gravée par Audouin (1802) ; un autre portrait, entouré d’attributs guerriers et de petits cadres de batailles, gravé par Châtaignier, etc.

Les pièces consacrées à Bonaparte premier consul sont extrêmement nombreuses. Une gravure en manière noire, exécutée par W. Dickinson, d’après un tableau original de Gros donné à Cambacérès par Bonaparte, représente ce dernier debout, vêtu du costume consulaire, la tête nue, le doigt posé sur des papiers déployés, où se lisent les noms de ses victoires et des traités qu’il a conclus. Cette estampe est remarquable, mais elle ne vaut pas une autre gravure en manière noire, exécutée par Leney d’après Isabey, et qui nous montre Bonaparte à la Malmaison : l’homme de vendémiaire a disparu ; au costume, à l’attitude, à la rondeur du visage, nous reconnaissons Napoléon. Il existe plusieurs gravures de ce beau portrait, une entre autres exécutée par l’Anglais Robinson, dans des dimensions moindres que celles de l’estampe de Leney. Le type napoléonien se retrouve aussi dans un portrait du premier consul, peint par Gérard en 1803, et gravé en 1855 par M. Ch. Bazin. Ce type s’accuse davantage encore dans un portrait dessiné et gravé par Jéhotte, au-dessus d’une vue du Faubourg d’Amercœur, visité et relevé par le premier consul, à la suite d’un incendie. En revanche, la figure maigre, énergique et soucieuse de Bonaparte se montre de nouveau dans deux bustes, l’un de profil, l’autre de face, peints par l’Anglais Northcote et gravés en manière noire par W. Reynolds, en 1800. Parmi les autres portraits gravés ou lithographies du premier consul, nous nous bornerons à citer ceux d’Auguste Desnoyers, d’après Rob. Lefèvre ; de Couché et de Joubert, d’après Isabey ; de Turner, d’après T. Phillips et d’après Masquerier ; de Coqueret, d’après Dévouge et d’après Fragonard fils ; de J.-B. Bourgois, d’Amiens, d’après une médaille de Henri Auguste ; de Moreau, d’après David ; de Cazenave, d’après Le Barbier l’aîné ; de Rinaldi, d’après Lambert ; de Massard, d’après Joseph Point ; de C. Muller d’après Chrétien (Weimar, 1801) ; de Gentot, d’après Mellini ; de Charon, d’après Poisson ; de Bonneville, d’après Hoffmann ; de Mercoli, d’après Bacler d’Albe ; de Levachez, Salanches, Saw, Plumet, Vérité, Mussard fils, etc. Les portraits que le Milanais Appiani a faits du premier consul ont été souvent gravés, notamment par Compagni, Alix Bartolozzi, Moret, etc. A. Legrand et l’Anglais Smith ont reproduit un tableau du même artiste représentant Bonaparte debout, la tête nue, la main droite appuyée sur son sabre, parlant à un génie (celui de l’Histoire) qui écrit ses hauts faits sur un Bouclier suspendu à un palmier.

Parmi les compositions allégoriques dont Bonaparte est le héros, une des plus ingénieuses est celle que d’honnêtes industriels du Dauphiné ont eu l’idée de faire exécuter en vignette pour décorer un de leurs produits : l'Eau de la paix de Cl. Brun et compagnie, distillateurs et chimistes à Saint-Marcellin {Isère). Un génie, debout sur la gauche et tenant à la main une torche renversée, s’apprête à couronner le portrait de Bonaparte ; un autre génie, assis à droite, tenant un caducée et une poignée d’épis, et ayant devant lui une corne d’abondance, regarde le premier consul, lui sourit et semble le remercier d’avoir donné la paix au monde. Cette jolie composition a été très-finement gravée par L.-L. Choffard, en 1801, quelques mois après la conclusion du traité de paix entre la France et l’Autriche. Cette paix, tant désirée et qui devait, hélas ! durer si peu, fut accueillie par des démonstrations de joie extraordinaire. Les poètes et les artistes la célébrèrent à l’envi. Massard fils grava, d’après Point, la Renommée annonçant le retour du Héros dont la Victoire ramène la Paix. Une allégorie plus compliquée, gravée et publiée chez Dépouille, représente le médaillon de Bonaparte soutenu par deux génies, au-dessous d’une esquisse de la bataille de Marengo dominée elle-même par une pyramide sur laquelle est inscrite la date de la conclusion de la paix. Une autre composition, dessinée et gravée par J.-B. Louvion, nous offre l’apothéose du vainqueur ; à droite, le portrait de Bonaparte, entouré d’attributs divers et soutenu par une Victoire ; à gauche, au premier plan, l’Histoire assise et écrivant sur des tablettes les hauts faits du premier consul ; dans le fond, le temple de l’Immortalité, où de petits génies viennent déposer un héros. Nous retrouvons la même emphase classique dans une gravure, exécutée par Dorgez, d’après Lemonnier, sous ce titre : la Paix fait dételer les chevaux de Mars du char de la Victoire et conduit Bonaparte à l’immortalité. Les flatteurs n’avaient pas attendu la bataille de Marengo pour décerner au grand homme les honneurs de l’apothéose ; une Allégorie relative à Bonaparte, général en chef des armées françaises, gravée par V.-M. Picot et dédiée au Directoire, représente deux petits génies emportant au ciel le médaillon du vainqueur de Rivoli, qu’une Renommée montre à l’Envie qui se tord sur la terre dans les convulsions d’une rage impuissante, tandis que le Temps, déconcerté, s’enfuit à tire-d’aile, sa faux à la main. L’amour de la paix, si fortement enraciné qu’il fût, faisait place à l’ardeur patriotique et aux sentiments belliqueux, dès qu’il s’agissait de défendre le drapeau de la France. Le projet de descente en Angleterre fut accueilli par d’unanimes hourras. Une médaille gravée par Berthet nous montre Bonaparte prêtant serment d’abaisser l’orgueil britannique ; sur cette médaille sont écrits les vers suivants :

Je jure sur ce fer de venger la patrie
Et du perfide Anglais punir la perfidie.

Les postes du consulat, comme un peu plus tard ceux de l’empire, n’oubliaient jamais que gloire rimait avec victoire. Une estampe, gravée par Le Roy fils, d’après un dessin de Viguier, représente Bonaparte debout près d’un canOn et tenant à la main un papier sur lequel on lit : Plan de descente en Angleterre ; une Renommée plane au-dessus du premier consul Au bas de cette estampe on lit :

Poursuis, jeune héros, l’ange de la victoire
T’ouvre encore aujourd’hui les sentiers de la gloire.

Pour compléter cet article déjà bien long, nous mentionnerons : une gravure de Mlle Dien représentant les portraits réunis de Bonaparte et de Joséphine ; Buonaparte, le Cid, Annibal et Alexandre, les quatre plus célèbres capitaines, associés dans une composition gravée par Berthet ; Bonaparte et Turenne, pièce exécutée à l’occasion de la translation des cendres de Turenne au temple de Mars ; un portrait équestre de Bonaparte, au-dessus duquel plane un génie tenant une palme et une couronne, gravé par Simon, d’après Carle Vernet ; la même sujet, traité à l’eau-forte d’une façon très-originale, par Copia ; Bonaparte, premier consul, remettant l’épée dans le fourreau, composition des plus burlesques, dessinée et gravée par Châtaignier, etc. Citons encore des fantaisies calligraphiques, gravées d’après les sieurs Bernard, Jarrin, Gandu, professeurs de belle écriture, et, pour bien finir, le chef-d’œuvre grotesque composé et gravé par le sieur Deschamps : le profil de Bonaparte, sa bouche, ses yeux, sa chevelure, sont tracés au moyen de lettres qui forment des mots, et ces mots constituent la litanie des vertus du premier consul : le mot bon, par exemple, remplace la narine ; courageux est écrit sur le menton… Autour du portrait se déroule une ligne capricieuse qui dit : « Grands dieux, bénissez les jours du premier consul, sauveur et pacificateur de la République française une, indivisible et impérissable ! »

Bonaparte à Brienne, lithographies de Charlet. Dans les deux compositions que le célèbre artiste a faites sur le même sujet, le jeune Napoléon porte l’uniforme de l’école : tricorne galonné, habit à parements, culotte noire, cheveux bouclés et la queue. Il est en faction, mais il s’occupe beaucoup plus de stratégie que de faire sentinelle. Dans l’une des lithographies, il dessine sur une muraille des plans de fortifications avec la pointe de sa baïonnette ; l’autre planche nous le fait voir méditant devant le plan qu’il a tracé.

Bonaparte aux Tuileries, le 10 août 1792 ; lithographie de Charlet. Le jeune officier d’artillerie, adossé à un piédestal, la main droite posée sur le dossier d’une chaise, contemple avec tristesse la foule des émeutiers qui s’agite dans le jardin et court au massacre des suisses. Cette composition, comme les deux précédentes, est traitée d’une façon très-spirituelle, large et fine à la fois.

Bonaparte à Arcole (15 novembre 1796), tableau de Gros, gravé par Longhi (1798). Gros, jeune et n’ayant encore aucune réputation, avait été recommandé à Joséphine et présenté par elle à Bonaparte, qui venait d’établir son quartier général à Milan, après la victoire d’Arcole. L’artiste exprima le désir de faire le portrait du héros. Bonaparte y consentit ; mais son humeur bouillante s’accommodait mal du repos auquel le condamnait la nécessité de poser. Dans une lettre datée du 16 frimaire an V (1797), et qui nous a été conservée. Gros écrivait à sa mère : « Je viens de commencer le portrait du général ; mais l’on ne peut même donner le nom de séance au peu de temps qu’il me donne. Je ne puis avoir le temps de choisir mes couleurs ; il faut que je me résigne à ne prendre que le caractère de sa physionomie, et, après cela, à y donner la tournure du portrait. Mais on me fait avoir du courage, étant déjà satisfait du petit peu qu’il y a sur la toile. Je suis bien inquiet de voir la tête à peu près faite. » Deux semaines après, Gros avait terminé ce portrait si connu, qui représente Bonaparte s’élançant sur le pont d’Arcole, son sacre dégainé dans la main droite, un drapeau dans la gauche. Le jeune héros, vu jusqu’aux genoux, a des gantelets de peau et porte l’habit de général en chef, serré à la taille par une écharpe. L’œil brillant, la tête nue et la chevelure légèrement soulevée par le vent, il se retourne à demi, comme pour regarder les troupes qui le suivent et pour aiguillonner leur ardeur. Sa physionomie, ordinairement si calme et si pensive, paraît illuminée par l’exaltation guerrière, Quelle énergie expressive n’avait-elle pas, cette figure imberbe, maigre et basanée du Corse à cheveux plats ! Et comme elle nous semble plus belle, plus poétique, que le visage de l’empereur Napoléon dans la plénitude de ses contours ! — Bonaparte fut si satisfait de l’œuvre de Gros, qu’il consacra 250 louis à la faire graver par le Milanais Longhi, et qu’il fit présent de la planche au peintre. Nous ignorons où se trouve le portrait original reproduit par la gravure ; un amateur de Paris, M. Hauguet, en possède une fort belle esquisse, qui a figuré à l’Exposition rétrospective, au palais de l’Industrie, en 1866. M. Delestre, qui a consacré à Gros, son maître, un volume très-intéressant, auquel nous empruntons quelques-uns des détails précédents, a en sa possession un précieux profil de Bonaparte, fait à la plume et d’après nature. L’exactitude et la naïveté de la ressemblance donnent une grande valeur à ce dessin. On y retrouve l’œil vif et scrutateur du modèle lançant un long regard. Les lèvres serrées témoignent une résolution inébranlable. Le nez est fin dans sa forme aquiline. Le menton fortement prononcé montre une ténacité peu commune. Le front est beau par son extension ; il est couvert en partie par des masses de cheveux ramassés en avant et séparés de ceux de la moitié postérieure par une ligne courbe, allant de l’une à l’autre oreille. Un ruban étroit réunit en queue le prolongement des mèches descendant de l’occiput jusque sur les épaules. On lit tout l’homme et le héros dans ces simples contours, au bas desquels Gros a écrit au crayon : Bonaparte en Italie.

Bonaparte à Arcole a encore été représenté dans une belle aquarelle de Bagetti, qui est au musée de Versailles, et qui a été gravée par Portier et Lepic. La même collection possède les deux tableaux suivants : Bonaparte, général en chef de l’armée d’Italie, par Rouillard ; le même sujet, par Amédée Faure, d’après Gros. Dans cette dernière composition, Bonaparte est à cheval et accompagné d’un aide de camp ; dans le fond a lieu une bataille.

Bonaparte faisant grâce aux révoltés du Caire (octobre 1798), tableau de Pierre Guérin ; musée de Versailles. La scène se passe sur la place d’El-Békir. Debout à gauche, sous un arbre au feuillage touffu, et ayant derrière lui son état-major, Bonaparte regarde avec bienveillance les révoltés groupés sur la droite du tableau, dans des poses suppliantes. Un interprète, coiffé d’une sorte de bonnet arménien et revêtu d’une longue robe, se tient près du général en chef, le dos tourné au spectateur, et transmet aux habitants du Caire les paroles de pardon du vainqueur. Des soldats délient les captifs, qui témoignent leur reconnaissance par leurs gestes. Au premier plan, un vieillard, à la physionomie quelque peu rébarbative, drapé dans des haillons pittoresques et accroupi sur le Sol, soutient sur sa poitrine un jeune homme, sans doute son fils, qui semble défaillir et sur le point d’expirer. À gauche, parmi les personnages de la suite de Bonaparte, on distingue, tout à fait en avant, Murât, en uniforme de hussard, appuyé sur un canon, et, dans le fond, Denon, membre de l’Institut d’Égypte. Cette composition, l’une des plus importantes qu’ait exécutées Pierre Guérin, a été gravée par Blanchard dans les Galeries historiques de Gavard.

Bonaparte an conseil des Cinq-Cents, le 18 brumaire, tableau de François Bouchot ; musée de Versailles. Bonaparte, debout, la tête découverte, le bras droit ramené sur la poitrine, occupe le centre de la composition. Deux grenadiers le suivent et écartent les membres du conseil qui l’entourent et le menacent. Trois de ces derniers, placés à gauche et vus de profil, l’interpellent énergiquement ; la noblesse de leur physionomie contraste avec la violence de leurs gestes ; l’un d’eux lève la main et semble sommer le général de quitter la salle des séances. D’autres membres des Cinq-Cents, vêtus de grands manteaux rouges, viennent de droite et se dirigent vers Bonaparte, en tournant le dos au spectateur. Dans l’ombre, à droite, du haut de l’estrade où se trouve le fauteuil de la présidence, Lucien paraît adresser des ordres aux grenadiers ; plusieurs membres du conseil l’entourent. Dans le fond, des soldats armés de fusils dispersent l’assemblée. Cette composition, qu’on désigne souvent sous ce titre : le Dix-huit brumaire, a été exposée pour la première fois au Salon de 1840, où elle a obtenu un grand succès de curiosité. Moins heureuse toutefois que la belle page historique, les Funérailles de Marceau, qui avait fonde la réputation de Bouchot, elle souleva d’assez vives critiques. Voici en quels termes elle fut appréciée dans le compte rendu du Salon publié par le Moniteur : « M. Bouchot n’a consulté qu’avec défiance les relations officielles de ce drame politique. On cherche en vain dans son tableau le poignard qu’un républicain farouche avait dirigé, dit-on, contre la poitrine du héros ; et par conséquent le beau dévouement du grenadier Thomé, qui passait pour avoir reçu le coup destiné à son maître, a été volontairement supprimé. Plusieurs historiens traitent d’imaginaire cet épisode de la séance ; d’autres le regardent comme certain, parce qu’ils en ont lu le récit, le lendemain même de l’événement, dans le Journal de Paris. M. Bouchot a fait comme le sage, il s’est abstenu. Cette circonspection a un côté louable ; il ne faut pas tromper la postérité. Cependant, avec un peu moins de réserve, M. Bouchot aurait pu ajouter au fait principal un grand intérêt dramatique… Dans l’état de rigoureuse unité où il s’est renfermé avec tant de scrupule, sa composition me paraît exiguë. Les discours se traduisent sur la toile beaucoup moins bien que les actions. Je vois là des hommes en colère qui ont l’air de parler tous à la fois ; mais je ne comprends rien ni à ce qu’ils disent ni à ce qu’on leur répond, et cela, parce qu’aucune particularité significative ne me met sur la voie, parce que le moment n’est pas bien marqué. J’ignore si Bonaparte entre dans la salle ou s’il en est retiré par ses grenadiers. J’observe, en outre, que le peintre a répandu sur la face de son héros une pâleur extrême. Ceci est, dit-on, historique et je n’en suis pas plus étonné que de la suppression des poignards. Mais la pâleur du visage ne saurait en exclure le modelé ; elle ne saurait non plus éteindre l’expression des yeux (des yeux de Bonaparte surtout, dont le regard avait tant de puissance !) Or cette tête gypseuse manque de relief et de caractère, et c’est seulement au geste de l’homme que je reconnais son indignation. Enfin je cherche de l’œil Lucien Bonaparte, qui doit occuper le fauteuil de la présidence, et c’est à peine si je puis le découvrir dans un coin obscur où l’artiste, je ne sais pourquoi, semble avoir voulu le cacher. Il est pourtant reconnu qu’au 18 brumaire, le frère de Bonaparte joua un rôle de la plus haute importance, et qu’il déploya même une fermeté dont peu d’autres, à sa place, eussent été capables. Il résulte de ces diverses remarques que, sous le rapport de la composition, le tableau dé M. Bouchot ne me satisfait qu’imparfaitement ; mais je dois dire aussi que dans plusieurs parties l’on y reconnaît l’empreinte d’un talent extrêmement distingué. Il y a sur le premier plan, sous une grande lumière, deux représentants dont les figures paraissent vivantes et qui sont peintes avec autant de vigueur que d éclat… » Tout en critiquant certains détails de la composition, M. Théophile Gautier a fait ressortir, dans la Presse, les difficultés nombreuses que le sujet présentait à l’artiste : « L’action de l’homme de brumaire, comme les poètes l’ont appelé depuis, n’était pas facile à caractériser. Bonaparte hésita pour la première fois de sa vie ; ce cœur de bronze, inflexible comme la fatalité et prêt à tout comme le hasard, éprouva un moment d’incertitude… Le Bonaparte de M. Bouchot, copié sur les miniatures et les portraits du temps, ressemble peu au type épique et déjà divinisé du Napoléon empereur et César romain ; il a le teint fauve comme un revers de botte (ceci a été écrit dans le beau temps des audaces romantiques), injecté de toute la bile d’un rêve non réalisé ; l’œil inquiet, fiévreux, cherchant à plonger dans les ténèbres de l’avenir son regard d’un bleu clair ; la bouche longue, plate et comprimant sous son pli mince un monde de résolutions inouïes et mystérieuses ; il porte encore les oreilles de chien et les revers d’habit à la Robespierre. Cette physionomie de l’empereur n’est pas, à beaucoup près, aussi populaire que le petit chapeau et la redingote grise, immortalisés par les chansons de Béranger et les croquis de Charlet, et peut-être M. Bouchot, en voulant donner de la fidélité et de l’intimité à son masque, s’est un peu trop éloigné de la ressemblance traditionnelle. Les membres du conseil des Cinq-Cents avaient un costume troubadour et danseur de corde, beaucoup plus propre à revêtir des chiens instruits et des singes à talent que de graves législateurs chargés du sort d’une grande nation, et ce n’était pas assurément une tâche aisée que de reproduire ces accoutrements grotesques sur une toile sérieuse, où la dignité historique doit être conservée. M. Bouchot s’en est tiré avec assez de bonheur. Seulement les manteaux dont il a affublé les personnages du groupe de droite sont d’un rouge transparent et laqueux, qui semble plutôt pris dans une confiserie que sur une palette. On dirait d’immenses tartines de gelée de groseille. » L’éclat de ce rouge malencontreux a déjà été bien amorti par la patine du temps, et nous devons reconnaître qu’à côté de quelques imperfections, le tableau de Bouchot offre des beautés d’un ordre supérieur, des expressions énergiques, des attitudes vraies, du mouvement et du désordre sans confusion, un dessin toujours savant et distingué. Il a été gravé par Frilley, dans les Galeries historiques publiées par Gavard.

Bonaparte, premier consul (PORTRAIT DE), par Greuze ; musée de Versailles. Debout, la