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le plus tôt possible, comme un bien légitime qui leur appartenait… Louis XVI avait laissé un frère, Louis-Stanislas-Xavier, destiné aujourd’hui à lui succéder sous le nom de Louis XVIII, lequel était un savant, un lettré et un sage ; il avait laissé un autre frère, le comte d’Artois, modèle de bonté et de grâce françaises ; enfin, deux neveux, le duc d’Angoulême, le duc de Berry, types de l’antique honneur chevaleresque. Sous ces princes, doux, justes, ayant conservé les vertus qu’une affreuse révolution avait presque emportées de la terre, la France, aimée, estimée de l’Europe, trouverait le repos et le laisserait au monde. »

Buonaparte et de Washington (PARALLÈLE de), par Chateaubriand. Page 22 de son Voyage en Amérique, Chateaubriand ajoute quelques traits, restés célèbres, à son portrait de celui qu’il appelle « l’usurpateur du trône de saint Louis et des droits de la nation. » Moins dur envers la mémoire de Napoléon, il a cru, dit-il dans sa préface des Mélanges politiques, pouvoir parler désormais, puisque 1814 est déjà loin, « d’un sceptre perdu, d’une épée brisée, en historien consciencieux, en citoyen qui voit l’indépendance de son pays assurée. La liberté, ajoute-t-il, m’a permis d’admirer la gloire : assise désormais sur un tombeau solitaire, cette gloire ne se lèvera point pour enchaîner ma patrie. » Nous sommes loin, on le voit, du factum dont l’analyse précède. Le parallèle de Buonaparte et de Washington occupe quelques pages vraiment remarquables, et notre article serait incomplet si nous ne le rappelions pas ici, au moins pour mémoire. En 1828, Chateaubriand disait, à propos de son pamphlet de 1814 et du parallèle inséré dans le Voyage en Amérique : « En 1814, j’ai peint Buonaparte et les Bourbons ; en 1827, j’ai tracé le parallèle de Washington et de Buonaparte ; mes deux plâtres de Napoléon se ressemblent ; mais l’un a été moulé sur la vie, l’autre modelé sur la mort, et la mort est plus vraie que la vie. » Et plus loin il dit encore : « Quoi qu’il en soit, en rapprochant l’écrit de Buonaparte et des Bourbons du parallèle de Buonaparte et de Washington et de quelques pages de ma Polémique (art. du 17 novembre 1818, — 5 juillet 1824 inclusivement), on saura à peu près tout ce qu’il y a à dire en bien ou en mal de celui que les peuples appelèrent un fléau : les fléaux de Dieu conservent quelque chose de l’éternité et de la grandeur de ce courroux divin dont ils émanent. Ossa arida… dabo vobis spiritum, et vixeris. (Ezéchiel.)

Bonaparte, OU les Premières pages d’une grande histoire, pièce militaire en cinq actes et vingt et un tableaux, de MM. Fabrice Labrousse et A.-T. Albert, représentée sur le Théâtre-National (Cirque), le 2 février 1850. Les drames du Cirque-Olympique, les vers et les chansons du parti libéral sous la Restauration, n’ont pas peu contribué à répandre parmi le peuple des villes et des campagnes cette opinion encore discutée, mais à laquelle le Grand Dictionnaire n’est pas éloigné de se rendre, que le convive du Souper de Beaucaire et même le César du 18 brumaire fut, en notre France prompte à s’enflammer pour les choses guerrières, le représentant de la liberté, le continuateur de la Révolution. Le mimodrame dont nous allons nous occuper se garderait bien de risquer la plus légère critique touchant cette opinion. Au contraire, il crie vive la République à plein gosier et assaisonne des plus superbes maximes sa prose saugrenue, sans oublier les immortels principes de 89. Sa logique n’est pas irréprochable ; mais le public est loin d’être difficile au boulevard du Temple, et pourvu que lauriers et guerriers, France et vaillance, gloire et victoire enrichissent le couplet de facture, le succès (une rime à français), le succès est emporté d’assaut. Un académicien dirait sans doute que les discours et proclamations placés dans la bouche de César pêchent parfois par la forme ; mais le spectateur en trouve les termes suffisamment ronflants, et tout le monde est satisfait. Puisqu’il en est ainsi, silence dans les rangs, et emboîtons le pas sur les Premières pages d’une grande histoire, qu’il ne faut pas déchirer même pour faire des cartouches. Dieu sait pourtant combien on en brûle dans cette tapageuse épopée, qui a, comme ses pareilles, pour principal interprète la poudre. — L’action s’ouvre au bruit du canon de vendémiaire ; des marches de Saint-Roch, elle nous conduira tout à l’heure, pour peu que nous nous y prêtions, au sommet des pyramides… ces pyramides fameuses du haut desquelles quarante siècles, ou, suivant le Tintamarre, quatre milans nous contemplent. L’émeute apaisée. Bonaparte ordonne que les sections soient désarmées. Parmi les armes enlevées aux sections, se trouve l’épée du général Beauharnais, et le petit Beauharnais vient demander au triomphateur l’épée de son père. Le tableau qui suit nous convie aux noces de Bonaparte et de Joséphine. (Ici rien du notaire, du prophète Raguideau, que, sans doute, M. Labrousse avait le malheur de ne pas connaître.) Après cette scène un peu bourgeoise, que le mariage de l’empereur aux autels de Notre-Dame fera plus tard oublier, le spectateur assiste au départ de l’armée d’Italie, et déjà son oreille croit entendre les hennissements de la victoire. Nous voici donc à Arcole… ; puis, quand on s’est bien battu, que les belles filles des pays conquis ont bien dansé avec les conquérants, qu’elles leur ont donné leurs plus doux sourires et versé leurs meilleurs vins ; que les bataillons ont bien défilé, que les escadrons ont piaffé, que les canons ont grondé, que les tambours ont usé leur peau d’âne et que les trompettes ont sonné quatorze batailles et soixante-dix combats, Bonaparte revient à Paris, où les ovations de toute sorte l’attendent. La toile baisse au seuil du Consulat, et fait sagement. Le dernier tableau représente les fêtes du Luxembourg, et nous montre le jeune général rentrant dans la capitale, précédé par le bruit de ses conquêtes. Comment va-t-il porter sa gloire ? Songe-t-il déjà au trône que la popularité de son nom lui permettra de saisir ? Question que ne se faisaient point assurément les spectateurs du Cirque-Olympique de février 1850, lesquels applaudissaient à cette époque dans Bonaparte le capitaine de la République. Chaque soir, le rideau parfumé de poudre tombait aux cris mille fois répétés de « vive la République ! » Alors on avait encore cette permission… de dix heures.

Bonaparte (Portraits et représentations diverses de). Bonaparte, le héros des armées républicaines, le vainqueur de Rivoli, d’Arcole et des Pyramides, a eu ses peintres et ses sculpteurs, de par la royauté du génie, qui vaut certes bien la royauté du sang. Les plus grands artistes, David, Gros, Gérard, Greuze Isabey, C. Vernet, briguèrent l’honneur de transmettre à la postérité les traits du jeune général. Nous décrivons ci-après les œuvres que nous ont laissées ces maîtres, et, comme pour la biographie, nous renvoyons au mot Napoléon la description des tableaux et des statues consacrés à l’empereur.

Nous nous étonnons que la jeunesse de Bonaparte n’ait point encore inspiré quelque œuvre d’art remarquable. Le Grand Dictionnaire, qui a été frappé de ce qu’il y a eu d’extraordinaire, nous allions dire de fatidique, dans l’enfance du futur grand homme, a voulu illustrer sa biographie d’une gravure représentant le jeune Corse méditant dans la Grotte de Milleli. Il a pensé aussi qu’on verrait avec intérêt une composition retraçant ce Souper de Beaucaire, où Bonaparte, simple officier d’artillerie, fit l’apologie du gouvernement républicain. Un concours a été ouvert entre les artistes, et un prix de 500 francs a été promis pour chacun des deux meilleurs dessins sur les sujets dont il s’agit. Les lauréats ont été : M. Jules Laurens, bien connu par des vues d’Orient peintes avec une grande vérité, et par d’excellentes lithographies, et M. Lecomte-Dunouy, jeune artiste de beaucoup d’avenir, dont on a remarqué, au Salon de 1866, une Invocation à Neptune.

Il y a quelques années, M. Louis Rochet a été chargé de faire une statue représentant Bonaparte, écolier à Brienne (1784) ; il s’est inspiré pour cet ouvrage de ces mots du Mémorial de Sainte-Hélène ; « Pour ma pensée, Brienne est ma patrie ; c’est là que j’ai ressenti les premières impressions de l’homme. » Le modèle en plâtre de cette statue a paru au Salon de 1853 ; le marbre, destiné à la ville de Brienne-Napoléon, a figuré à l’Exposition universelle de 1855. Une reproduction en bronze et argent a été exposée en 1859, et a été placée depuis au musée des Souverains, au Louvre. — Parmi les tableaux du musée de Versailles qui sont relatifs aux premières actions d’éclat de Bonaparte, nous citerons : Bonaparte, lieutenant-colonel au 1er bataillon de la Corse (1792), pur Philippoteaux ; Bonaparte recevant à Millesimo les drapeaux pris sur l’ennemi (5 avril 1796), tableau de Roehn, gravé par Delannoy ; Bonaparte à Arcole (v. ci-après) ; Bonaparte à la bataille de Rivoli (14 janvier 1797), par Carle Vernet (v. Rivoli) ; Bonaparte faisant son entrée à Alexandrie (3 juillet 1798), par Colson ; Bonaparte donnant un sabre au chef militaire d’Alexandrie (juillet 1798), par Mulard ; Bonaparte à la bataille des Pyramides (21 juillet 1798), par Gros (v. Pyramides) ; Bonaparte faisant grâce aux révoltés du Caire (v. ci-après) ; Bonaparte visitant les fontaines de Moïse (28 décembre 1798), tableau de Berthélemy gravé par Saint-Evre ; Bonaparte visitant les pestiférés de Jaffa (12 mars 1799), par Gros (v. Pestiférés) ; Bonaparte au conseil des Cinq-Cents, le 18 brumaire (v. ci-après), etc. Ces divers tableaux, à l’exception des Pestiférés de Jaffa, ornent les galeries historiques de Versailles.

La riche collection de portraits gravés et lithographies que possède le cabinet des estampes, à la Bibliothèque impériale, ne compte pas moins de sept à huit volumes énormes, composés de pièces relatives au grand homme. On pourrait écrire une bien piquante histoire de Bonaparte, à l’aide de ces seuls documents, contemporains pour la plupart des faits qu’ils rappellent et exécutés par conséquent dans toute la fièvre d’enthousiasme produite par les succès militaires et politiques du héros. Sauf quelques morceaux plus ou moins remarquables sous le rapport de l’art, les pièces dont nous parlons rentrent dans l’imagerie populaire ; elles n’en sont que plus intéressantes, car elles reflètent fidèlement, naïvement, l’admiration publique pour le vainqueur d’Arcole, et il en est plusieurs où la timidité du burin est suffisamment rachetée par l’audace toute martiale des légendes. Nous nous bornerons à signaler ici celles des estampes dont la description pourra servir à compléter l’iconographie de Bonaparte ; on trouvera à la lettre N l’indication des pièces qui sont relatives à Napoléon empereur.

Comme nous l’avons dit déjà, la jeunesse de Bonaparte a inspiré fort peu d’artistes ; sauf quelques lithographies de Charlet et de Raffet, auxquelles nous consacrons plus loin un article spécial, nous ne voyons absolument à citer dans le recueil de la Bibliothèque impériale qu’une vignette anonyme, détachée sans doute de quelque biographie pour laquelle elle aura été gravée, et représentant Bonaparte âgé de sept à huit ans, costumé en baby de cour, debout dans l’allée d’un beau jardin et récitant une leçon à sa mère, qui est assise à droite et qui tient un livre. Personne ne voudra reconnaître là le petit Corse, bruni par le soleil et quelque peu ébouriffé, qui aimait à escalader les rochers et à aller méditer dans la grotte de Milleli. L’un des plus précieux portraits que nous ayons de Bonaparte est celui qu’un de ses camarades a fait en 1785. Ce portrait, qui a été donné au musée des Souverains par M. Prosper de Baudicourt, est exécuté aux deux crayons sur papier bleu : Bonaparte, en buste, de profil, regarde vers la droite ; ses traits sont accentués et expriment à la fois la bienveillance et l’énergie. Au bas de ce dessin, on lit : Al mio caro amico Buonaparte.Pontormini del 1785, Turoni. Il est assez singulier que ce portrait, dont nous ne voulons pas, d’ailleurs, contester l’authenticité, soit presque l’exacte reproduction d’un dessin fait d’après nature, à Milan, en 1796, et gravé presque simultanément, à Paris par Canu, à Neuchâtel par A.-L. Girardet, à Augsbourg par G.-F. Riedel. À dire vrai, le beau profil de Bonaparte s’est quelque peu affadi sous le burin des trois artistes que nous venons de citer ; il reparaît avec toute son énergie dans une gravure exécutée à Milan même, en 1796, par Agnelli : ici la tête de Bonaparte est tournée vers la gauche ; les cheveux couvrent presque entièrement le front et tombent sur le cou ; le visage amaigri a une expression méditative et un peu hautaine qu’on ne saurait oublier. Au bas de l’estampe se lisent ces vers qu’Horace adresse à Asinius Pollion (Odes.liv. II, ode Ire, v. 15) :

Cui laurus œternos honores
Italico peperit triumpho.

dans lesquels on a substitué Italico à Dalmatico, et qui, ainsi modifiés, conviennent si bien au vainqueur de Lodi. Cette inscription se retrouve sur une eau-forte exécutée à Genève par Jaquet, en 1797, et qui diffère peu de la gravure précitée d’A.-L. Girardet ; seulement, au-dessous du médaillon du général Buonaparte, Jaquet a placé la vue d’une bataille. Un autre profil, dessiné à Milan, d’après nature, par G. Alessi, a été gravé par J.-J.-F. Tassaert, citoyen français ; le nom de Buonaparte est écrit sur l’estampe, avec cette courte, mais éloquente notice : « Ajaccio le vit naître ; l’univers est rempli de sa gloire. » Un portrait d’une belle exécution, mais où il est assez difficile de retrouver la physionomie de Bonaparte, est celui qui a été peint à Vérone par F. Cossin, en 1797, et gravé la même année, à Londres, par Schiavonetti : le général, vu à mi-corps, la tête de trois quarts, découverte, et légèrement penchée en avant, a un costume moitié civil, moitié militaire, un habit ouvert sur la poitrine, un jabot, une cravate noire, des épaulettes. Landseer a publié à Londres, en 1798, une nouvelle gravure de ce portrait, avec des accessoires et des attributs assez singuliers, d’après W.-M. Craig : la figure de Bonaparte est dessinée dans un médaillon hexagone, devant lequel est posé un hibou, oiseau de la sagesse, et au-dessus duquel plane un aigle tenant dans ses serres la foudre, dont les éclats vont frapper la tiare pontificale et les clefs de saint Pierre, placées à gauche sur un rocher ; dans le fond, derrière des pics sourcilleux, se lève le soleil qui bientôt va remplir le monde de sa lumière. J.-T. Rusca n’a pas plus réussi que Cossia a saisir la physionomie de Bonaparte ; il a peint une figure aimable, distinguée, aristocratique, comme on peut le voir par la grande gravure en manière noire exécutée d’après lui, à Amsterdam, par Hudges, en 1797.

De tous les artistes italiens qui ont eu l’honneur de peindre le général en chef de l’armée républicaine, Appiani est celui dont les portraits, généralement ressemblants, mais peu expressifs, ont été le plus fréquemment reproduits par la gravure. Un de ces portraits représente Bonaparte à cheval, coiffé d’un chapeau à panache, tenant un sabre de la main droite et galopant à travers un site sauvage, au fond duquel s’élèvent d’énormes rochers. Ce portrait de Bonaparte « partant en guerre » qui avait été peint pour Visconti, ambassadeur de la République cisalpine à Paris, a été gravé par Tassaert, en l’an VI (1798) et par R. Pollard, en 1799. Un autre portrait en buste, par Appiani, a été reproduit par divers artistes, notamment par Alix, qui en a publié une gravure coloriée. Aucun des ouvrages que nous avons cités jusqu’ici ne saurait être comparé à l’admirable portrait que Gros a fait de Bonaparte à Arcole, en 1797. Ce chef-d’œuvre, auquel nous consacrons un article spécial, a été gravé par Longhi, à Milan, en 1797, et par Clar, en 1800 ; il a été reproduit plus ou moins librement par M. Neidl, à Vienne, en 1798, par Maurin (lithographie) ; par Belliard (lithographie) ; par Delpech (lithographie) ; par Giroux (lithographie), etc. Le superbe portrait, gravé par Fiesinger, d’après le miniaturiste Jean Guérin, et déposé à la Bibliothèque nationale l’an VII (1799) de la République française, se rapproche beaucoup, par l’expression du visage et l’attitude du corps, de l’œuvre de Gros : Buonaparte, en buste et de trois quarts, tourné vers la droite a le visage amaigri, les pommettes saillantes, le nez long et légèrement busqué au milieu, le regard impérieux, la chevelure plate, couvrant une partie du front et tombant sur le cou. Ce portrait, le plus beau que nous connaissions après celui de Gros, a été gravé, dès l’an VI, par Elisabeth G. Herhan, mais dans des proportions plus petites que celles de l’estampe de Fiesinger ; il a été reproduit aussi par Couché.

Le profil dessiné à Milan et gravé par Canu, la figure peinte par Gros et celle que Fiesinger nous a donnée, d’après. J. Guérin, nous font connaître le vrai Bonaparte, l’homme de vendémiaire, le brillant héros de la première campagne d’Italie. Nous ne le retrouvons ni dans le portrait à mi-corps, poétisé, idéalisé, qu’Engelmann a lithographié d’après une étude peinte par David et achetée par le duc de Bassano à la vente Denon ; ni dans le portrait en pied, aristocratique et emphatique, gravé par Alix, d’après un dessin de Fragonard fils ; ni dans le buste, distingué et tout à fait aimable, gravé en 1798 par Momal, d’après le sculpteur L. Corbet ; ni, enfin, dans les portraits gravés par Coqueret, d’après Hilaire Ledru ; par Rhuotte, d’après Desrais ; par Schweyer, à Munich (1797) ; par Chapman (1797) ; par Fietta, à Munich encore ; par Klauber, à Augsbourg ; par Mackenzie, à Londres ; par C. Josi ; par Bonneville ; par Breitenstein, d’après Boissot, etc. À ces divers portraits de Buonaparte (c’est le nom qu’ils portent presque tous), nous préférons de beaucoup la naïve image imprimée à Nantes, par Baras, rue du Moulin, n° 3, avec des Couplets sur les victoires du général. Au milieu de la feuille se dresse un géant, un ogre, une sorte de Croquemitaine, un descendant des quatre frères Aymon : grande taille, grand sabre, grandes bottes, grand chapeau, grand panache ; voilà bien celui que l’imagination populaire devait entrevoir franchissant les Alpes d’un seul bond et exterminant à lui seul des armées entières. Près du colosse se tiennent, véritables Lilliputiens, des officiers, des généraux ; dans le fond, un petit génie s’envole, les mains levées vers le ciel, tout saisi d’admiration sans doute. Les couplets valent la gravure : ils en ont la rudesse, la bonhomie, la crânerie triviale. Il y en a deux séries ; nous détachons de la première les deux couplets suivants :

Général, c’est un peu trop
Grossir ton histoire.
Et tu vas, au grand galop.
Bien vite à la gloire.
Nous allons nous enrouer
En chantant pour te louer :
J’aime la victoire, moi,
J’aime la victoire ! (bis.)

Il est des infortunés
Que ton bonheur ronge :
À chaque succès leur nez
D’un bon pied s’allonge.
Ah ! juge de sa longueur.
Tandis que l’on chante en chœur :
J’aime la victoire, moi.
J’aime la victoire, (bis.)

Les autres couplets sont sur l’air : Adieu donc pour jamais ; il en est un qui traduit, dans un langage très-énergique, sinon très-poétique, l’admiration excitée par les victoires du général :

Six armées de renom
À grands coups de canon
Ont été dispersées,
Terrassées, renversées,
Par nos guerriers français
Qui les cernaient de près.
Bonaparte, en avant,
Criait à chaque instant :
Allons, mes compagnons,
Serrons-leur les talons.

En ce temps-là, la poésie n’était pas brillante en France ; les soucis causés par Mars ne laissaient guère le temps d’adorer les Muses. Les patriotes ne se Faisaient même pas faute d’estropier leur langue maternelle, mais ils rachetaient leurs erreurs de syntaxe et leur orthographe fantaisiste par de beaux élans d’enthousiasme et de dévouement. C’est ainsi que le poète qui a été chargé d’écrire les couplets pour un portrait équestre de Buonaparte, gravé par Bonvalet, a trouvé de véritables accents du cœur pour louer le héros. Voici un de ces couplets, dont nous respectons l’orthographe et la versification :

Buonaparte, reçois nos vœux,
Notre amitié et notre homage ;
Nos cœurs te réserve des nœuds
Qui se transmettrons d’âge en âge.
Repose toi sur tes lauriers
Dans les bras d’une épouse chérie.
Nous bénirons les oliviers
Pour lesquels tu risquat ta vie. (bis.)

Cela se chantait sur l’air : Ah ! rendez grâce à la nature. Le portrait gravé par Bonvalet n’est pas absolument mauvais, mais il est bien inférieur à un autre petit portrait équestre du même temps gravé par Durcis, d’après Carle Vernet.

Nous ne nous sommes occupé jusqu’ici que des estampes qui sont relatives au général