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la citoyenne Bonaparte avait embrassé le brave grenadier et lui avait mis au doigt un diamant de la valeur de 2, 000 écus.

Ce qu’il y a de remarquable, c’est que, même parmi ceux des adhérents du coup d’État qui ont admis le fait comme vrai, pas un seul ne dit l’avoir vu de ses yeux. D’un autre côté, tous les autres témoins oculaires ou historiens du temps, depuis le sénateur Thibaudeau jusqu’à Dupont (de l’Eure), l’ont nié énergiquement. « Je n’ai point vu de poignards levés sur lui, » dit le prince Eugène lui-même dans ses Mémoires. Lombard (de Langres), témoin oculaire et qui a publié une notice sur le 18 brumaire, discute cette question dans ses Mémoires, et affirme que ce fut là une fable imaginée pour appeler l’intérêt sur Bonaparte et rendre les vaincus odieux. Enfin il ajoute : « Dans cette bagarre, un poignard a-t-il été dirigé contre lui ? Cela est possible ; mais je dis non, et je dis non parce que mes yeux ne l’ont pas quitté ; parce qu’après cette journée, ayant demandé, non à ses ennemis, mais à plusieurs députés des Cinq-Cents qui étaient entièrement de son bord, s’il était vrai qu’on eût tenté de le frapper, tous m’ont répondu qu’il n’en était rien. » Lombard produit en outre le témoignage conforme de M. Sibuel, son collègue à la cour de cassation, également témoin oculaire.

On avait accusé de ce coup de poignard légendaire le député Arena, mais il ne s’est jamais trouvé un témoin pour affirmer cette accusation, et il paraît qu’Arena se trouvait précisément, au moment de cette scène, à une extrémité opposée de la salle. Le député Savary, dans la brochure Mon examen de conscience sur le 18 brumaire, a prouvé que le grenadier Thomé n’avait point été frappé par un coup de poignard, mais qu’il avait eu simplement sa manche déchirée par un clou ou une ferrure en passant près d’une porte. Quoi qu’il en soit, l’heureux grenadier se laissa donner un brevet d’officier et une pension de 600 fr. Cette pension ayant été supprimée par la Restauration, il réclama par une pétition adressée à la Chambre en 1818. Dupont (de l’Eure) fit passer à l’ordre du jour, en affirmant, lui, témoin de la journée de Saint-Cloud, que le coup de poignard était une pure invention. L’éternel grenadier ne se tint pas pour battu, et plaida, dans une lettre adressée aux journaux, la réalité de ce bienheureux coup de stylet dont il avait si longtemps vécu, et que sans doute il avait fini par prendre lui-même au sérieux. Cette lettre existe encore dans une collection d’autographes, et elle est signée Pomiès ; ainsi le nom réel de ce célèbre personnage serait Thomas Pomiès,

Ou Pomiès Thomas ; car il n’importe guère
Que Thomas soit devant ou Thomas soit derrière.

On trouvera encore la réfutation de la prétendue tentative d’assassinat de Saint-Cloud dans une curieuse brochure émanée probablement des papiers de Roederer, et qui parut sous ce titre : La petite maison de la rue Chantereine (Paulin, 1840).

Cependant, après l’évacuation de la salle de l’Orangerie, plusieurs députés des Cinq-Cents coururent aux Anciens dénoncer l’outrage fait à la représentation nationale. L’impression fut extrêmement pénible ; les Anciens se montrèrent affligés d’un pareil attentat ; mais Lucien accourut à leur barre, leur expliqua que tout s’était fait dans l’intérêt de la République, et n’eut pas trop de peine à obtenir leur concours pour réorganiser le gouvernement.

Le soir, à neuf heures, à force de courir de tous les côtés, on parvint à réunir une trentaine de membres des Cinq-Cents (c’est le chiffre indiqué par Cornet lui-même, un des coopérateurs du coup d’État) ; on les constitua en assemblée, on les déclara et ils se déclarèrent eux-mêmes la partie saine, la majorité du conseil, tandis que les quatre cent soixante-dix autres membres n’étaient que la minorité, les factieux. Ce conciliabule décréta que Bonaparte et ses lieutenants avaient bien mérité de la patrie. Puis Boulay (de la Meurthe) vint présenter tous les projets concertés : l’institution d’un consulat provisoire composé de Bonaparte, Sieyès et Roger-Ducos ; l’ajournement du Corps législatif au 1er ventôse suivant, la nomination de deux commissions législatives chargées d’aider les consuls dans leur travail de réorganisation ; enfin l’exclusion de cinquante-sept représentants, mesure à laquelle une liste de proscription vint peu de jours après donner son complément. Les consuls et les commissions étaient en outre chargés de rédiger une constitution nouvelle. (V. Constitution de l’an VIII.)

À une heure du matin, tout était voté, sans vaines discussions. Les décrets sont aussitôt portés aux Anciens, qui se hâtent de les ratifier. Bonaparte et les deux autres consuls viennent prêter serment à la légalité, à la liberté, au système représentatif ; et enfin Lucien, avec un étonnant sang-froid, prend la parole pour féliciter cette Assemblée nationale de son œuvre nocturne :

« Représentants du peuple, la liberté française est née dans le Jeu de paume de Versailles. Depuis l’immortelle scène du Jeu de paume, elle s’est traînée jusqu’à vous, en proie tour à tour à l’inconséquence, à la faiblesse, aux maladies convulsives de l’enfance. Elle vient aujourd’hui de prendre la robe virile ! À peine venez-vous de l’asseoir sur la confiance et l’amour des Français, et déjà le sourire de la paix et de l’abondance brille sur ses lèvres ! Représentants du peuple, entendez le cri sublime de la postérité : « Si la liberté naquit dans le Jeu de paume de Versailles, elle fut consolidée dans l’Orangerie de Saint-Cloud ! »

L’histoire, croyons-nous, ne présente pas un second exemple d’une mystification de cette force. Les trente et les Anciens avalèrent en silence la harangue de l’ex-président et s’évanouirent ensuite dans les ombres de la nuit. On les retrouvera dans la domesticité consulaire et impériale, parmi ces générations de dignitaires vraiment inamovibles qui sont restés pendant un demi-siècle debout sur les ruines de tous les gouvernements qu’ils avaient exploités et trahis, plus impassibles que l’homme d’Horace, éternels, inévitables, indestructibles, et faisant en quelque sorte partie du mobilier de tous les pouvoirs.

Les trois consuls allèrent s’installer au Luxembourg. Il n’y avait aucune distinction légale entre les nouveaux dictateurs, et les actes du consulat provisoire ne font même pas mention d’un président ; mais, dès la première séance, Roger-Ducos, entraîné par le sentiment du moment, dit à Bonaparte : « Prenez le fauteuil et délibérons. »

Il est probable qu’il l’eût pris sans invitation.

Une période nouvelle s’ouvrait. La France avait un maître.

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Voilà une page à travers laquelle passe le souffle républicain, et Brutus lui-même en serait content. Donnons donc pour un moment la parole à Jacques Bonhomme, car la question menace de s’embrouiller ; les mêmes figures reviennent sur la scène et pourtant le spectateur a bien de la peine à les reconnaître. Nous voilà à mille lieues du Souper de Beaucaire. Il est donc temps que Jacques prenne à son tour la parole, et comme nous naviguons à pleines voiles dans l’obscur, Jacques Bonhomme, qui est Normand aussi, et qui, en cette qualité, sait que le meilleur moyen de gagner une mauvaise cause, consiste à l’embrouiller le plus possible, c’est en Angleterre, c’est chez son ennemie, chez la perfide Albion qu’il va chercher un avocat.

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Sans doute, en voyant le héros s’élever du rang de général au rang de chef d’État, les âmes républicaines ont dû souffrir ; elles en souffrent encore, quand elles n’écoutent que leurs généreux sentiments ; mais, en y réfléchissant, en constatant l’état des esprits et la force qu’avaient reprise par toutes sortes de moyens, plus condamnables les uns que les autres, les contre-révolutionnaires de tout bord, royalistes et autres, on sent qu’il eût été difficile, sinon impossible, de sauver la République par les moyens ordinaires. Il nous semble, après tout, à considérer les choses de haut et selon la philosophie de l’histoire, que c’est un grand préjugé démocratique de considérer d’une manière absolue — nous pourrions même dire brutale — sans aucune restriction, le grand dictateur de la Révolution française comme l’ennemi de cette révolution. Le colonel Napier, dans l’introduction à son beau livre sur la guerre de la Péninsule (History of peninsular war, from 1807 to 1814), publié à Londres pendant que la Restauration, c’est-à-dire la contre-révolution, triomphait de ce côté-ci du détroit, a dit de ce rôle, à notre avis, ce qu’il en faut dire : « Les hostilités de l’aristocratie européenne firent prendre une direction toute militaire à l’enthousiasme de la France républicaine, et entraînèrent cette puissante nation dans une politique qui, quelque outrageante qu’elle ait pu paraître, était réellement imposée par la nécessité. Jusqu’au traité de Tilsitt, la France ne fit qu’une guerre essentiellement défensive ; car la sanglante lutte qui ravagea le continent pendant tant d’années n’avait pas pour objet la prééminence entre des puissances ambitieuses. Ce n’était pas une dispute pour un agrandissement de territoire ou pour l’élévation politique d’une nation, mais bien un combat à mort qui devait décider lequel des deux partis, l'aristocratie ou la démocratie, dominerait l’autre, et si l’égalité ou le privilège serait dorénavant le principe fondamental des gouvernements européens.

« La Révolution française avait acquis une existence prématurée avant l’époque naturelle de sa naissance. » (On comprend que le Grand Dictionnaire ne saurait partager cette opinion du savant historien. Le fruit était mûr, archimûr : le despotisme et l’arbitraire avaient comblé la mesure, et quand sonna le glas suprême de 89, le vieux monde n’était plus qu’un cadavre rongé de vers qui réclamait depuis longtemps les honneurs de la sépulture). « Le pouvoir du principe aristocratique était trop vigoureux et trop identifié encore avec celui du principe monarchique pour qu’un vertueux effort démocratique pût lui résister avec succès. Bien moins encore pouvait-il être renversé par une démocratie qui, dans ses excès, se plongeait dans un sang innocent, menaçant de destruction les institutions politiques et religieuses, ouvrage de plusieurs siècles, dont quelques parties, il est vrai, avaient vieilli, mais dont la vétusté se laissait à peine apercevoir. Les premiers événements militaires de la Révolution, les troubles, les insurrections de Toulon et de Lyon, la guerre civile de la Vendée, la faible quoique heureuse résistance opposée à l’invasion du duc de Brunswick, les fréquents et violents changements de dominateurs dont personne ne regrettait la chute, sont autant de preuves que la Révolution française, intrinsèquement trop faible pour repousser cette force physique et morale qui pesait fortement sur elle, avançait précipitamment vers sa ruine, lorsque l’étonnant génie de Bonaparte, déjouant tout calcul humain, l’éleva et la fixa par la victoire, seule capable de soutenir cette œuvre incohérente.

« Sachant bien toutefois que la cause qu’il soutenait n’était pas suffisamment en harmonie avec les sentiments du siècle, Napoléon eut pour premier besoin de désarmer, ou du moins de neutraliser l’inimitié monarchique et sacerdotale, en rétablissant le culte religieux, et en devenant lui-même un monarque. Une fois souverain, la fermeté de son caractère, le but qu’il se proposait d’atteindre, ses talents, la nature critique des temps, le rendirent inévitablement despote ; toutefois, tandis qu’il sacrifiait la liberté politique, qui, pour la plus forte masse de l’espèce humaine, n’a jamais été rien de plus qu’un son flatteur, il mit le plus grand soin à rétablir l’égalité politique, bien réel et qui produit une satisfaction croissante au fur et à mesure qu’il descend dans toutes les classes de la société ; mais cette égalité politique, principe vital de son gouvernement, secret de sa popularité, le rendit le monarque du peuple, et non pas le souverain de l’aristocratie. C’est pourquoi Pitt l’appelait l’enfant et le champion de la démocratie : vérité aussi évidente que si l’on disait de Pitt et de ses successeurs qu’ils furent les enfants et les champions de l’aristocratie. C’est pourquoi aussi, conformément à cette opinion, les classes privilégiées de l’Europe firent retomber sur Napoléon la haine implacable et toute naturelle qu’elles avaient pour la Révolution française, lorsqu’elles virent que les innovations avaient trouvé en lui un protecteur ; que lui seul avait donné la prééminence à un système si odieux pour elles, et qu’il était réellement ce que lui-même disait être : « la Révolution organisée. »

On le sent, on le voit par ces lignes : l’historien anglais n’était pas seulement un écrivain militaire, c’était un politique. Il a indiqué, dans ce remarquable passage, la vraie cause de la guerre européenne qu’eut à soutenir, dès ses débuts et dans ses diverses phases jusqu’à la chute de son représentant couronné, la Révolution française, cette révolution qui avait remué le sol à de si grandes profondeurs, ébranlé tous les vieux trônes, effrayé l’aristocratie européenne et soulevé ses colères. Le parti qui se trouvait au pouvoir en Angleterre quand elle éclata, avait engagé, tout d’abord aussi, la nation britannique dans la voie où la portaient et ses tendances et ses frayeurs, et il y entraîna avec lui, bon gré mal gré, la nation tout entière.

Voilà le fait constaté par le colonel Napier.

C’est donc parce que l’Angleterre s’était rangée de ce mauvais côté, du côté de l’aristocratie européenne, contre le courant du siècle, que Napoléon l’a combattue. Napoléon avait senti cependant, dès 1800, tout ce que l’alliance anglo-française pouvait avoir de fécond pour le monde. À peine nommé premier consul, Bonaparte avait écrit au roi d’Angleterre la lettre suivante :

« Paris, 5 nivôse an VIII (26 décembre 1799).

« Appelé, Sire, par le vœu de la nation française à occuper la première magistrature de la République, je crois convenable, en entrant en charge, d’en faire directement part à Votre Majesté.

« La guerre qui, depuis huit ans, ravage les quatre parties du monde, doit-elle être éternelle ? N’est-il donc aucun moyen de s’entendre ?

« Comment les deux nations les plus éclairées de l’Europe, puissantes et fortes plus que ne l’exigent leur sûreté et leur indépendance, peuvent-elles sacrifier à des idées de vaine grandeur le bien du commerce, la prospérité intérieure, le bonheur des familles ? Comment ne sentent-elles pas que la paix est le premier des besoins, comme la première des gloires ?

« Ces sentiments ne peuvent pas être étrangers au cœur de Votre Majesté, qui gouverne une nation libre, et dans le seul but de la rendre heureuse.

« Votre Majesté ne verra, dans cette ouverture, que mon désir sincère de contribuer efficacement, pour la seconde fois, à la pacification générale, par une démarche prompte, toute de confiance, et dégagée de ces formes qui, nécessaires peut-être pour déguiser la dépendance des États faibles, ne décèlent, dans les États forts, que le désir mutuel de se tromper.

« La France, l’Angleterre, par l’abus de leurs forces, peuvent longtemps encore, pour le malheur des peuples, en retarder l’apaisement ; mais, j’ose le dire, le sort de toutes les nations civilisées est attaché à la fin d’une guerre qui embrase le monde entier.

« Bonaparte,

« Premier consul de la République française. »

Le premier consul avait donc spontanément et loyalement recherché dès lors la paix, et mieux que la paix, l’alliance avec l’Angleterre, alliance dont il sentait les heureux avantages pour le monde. Malheureusement, un concours de causes qui tenaient à l’état des esprits à cette époque et aux engagements contre-révolutionnaires du cabinet britannique empêchèrent cette paix et cette alliance. Le roi, ses ministres, une partie de la nation elle-même, par on ne sait quel esprit de rivalité mal entendue, voyaient avec peine les Français remettre les rênes de leur gouvernement aux mains habiles et glorieuses du grand général que jusque-là la victoire avait suivi sur tant de champs de bataille, et qui avait conçu et exécuté contre eux l’expédition d’Égypte. On le haïssait et on le calomniait avec acharnement dans les feuilles anglaises.

Ce sont là des faits historiques. Depuis, la lumière s’est faite sur les causes qui ont amené ces événements, et l’Angleterre elle-même s’est empressée de le reconnaître par l’organe d’un de ses meilleurs officiers.

La Révolution, qui avait enfanté Bonaparte, vivait en Napoléon malgré tout : il en était le représentant couronné, et on le sentait, on ne s’y trompait pas en Europe. Tandis que l’aristocratie se courbait devant lui, il était, dans l’éblouissante sphère où l’avait porté la fortune, l’objet de son implacable haine, et elle travailla en secret à le perdre dès que les événements lui en eurent fait concevoir l’espérance. Le peuple l’aimait, quoique, par les splendeurs royales dont il avait cru devoir s’entourer pour marcher l’égal des rois, il choquât ses instincts naturels d’égalité ; le peuple l’aimait, parce qu’il sentait toujours que l’élu de la grande nation, le glorieux général de la République, était et restait malgré tout l’enfant de la Révolution, dont il représentait les principes immortels et les généreuses aspirations.

Ici, bien entendu, nous parlons du système, de l’ensemble des principes, et non des moyens propres à les faire triompher. Ces principes sont immuables, mais les moyens varient suivant les époques et les circonstances. Ceux que, au sortir de la tourmente révolutionnaire et au milieu des guerres incessantes et générales, Napoléon dut employer pour amener au port le vaisseau de l’État ne seraient certainement plus aujourd’hui ceux que lui-même choisirait dans nos temps plus calmes et après la marche des idées que soixante années de progrès ont fait entrer dans toutes les intelligences.

Dans la destinée des peuples, pour que ces grands changements s’effectuent, deux conditions sont nécessaires : une immense désorganisation d’un côté ; de l’autre, un immense génie au service d’une immense ambition. C’est en raison de cette loi que, chez nous comme à Rome, l’Empire devait fatalement succéder à la République. Peut-être encore cette nécessité était-elle chez nous plus dans l’ordre des choses, car là-bas Brutus et Caton restaient debout, tandis qu’ici, sans manquer au respect que nous devons à la mémoire des Carnot et d’un petit nombre d’autres, on peut dire que Saturne avait dévoré ses enfants : Robespierre, Danton, Saint-Just, Marat lui-même, n’étaient plus. La conséquence à tirer de tout ceci, c’est qu’en dernière analyse les peuples n’ont jamais que les gouvernements qu’ils méritent. Si l’un des deux éléments dont nous avons supposé le concours fait défaut, la démocratie, n’a rien à redouter. C’est ce qui se produisit en Grèce avec Périclès, en Amérique avec Washington ; dans l’un comme dans l’autre monde, les deux conditions faisaient défaut : Athènes était plus légère que corrompue, et la jeune Amérique était non moins vierge que ses forêts. Quant à Périclès et à Washington, un sentiment plus noble que l’ambition remplissait leur grande âme.

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Ici se termine notre tâche ; passons le dé aux littérateurs purs et aux artistes ; car drames, vaudevilles, tableaux, statues, on a tout tenté sur la grande figure de Bonaparte. Quand nous en serons à Napoléon, nous reprendrons la plume avec le même courage ; seulement comme d’ici là il aura passé de l’eau sous le pont d’Austerlitz, notre barbe sera sans doute moins noire et nos cheveux plus rares.

Bonaparte à l’école de Brienne, comédie-vaudeville en 3 actes, de MM. Gabriel, de Villeneuve et Michel Masson, représentée à Paris, sur le théâtre des Nouveautés, en 1830. Sous ce titre, c’est moins le compte rendu d’une pièce que nous voulons faire qu’une époque que nous voulons rappeler. Après juillet, le bonapartisme dramatique fut à l’ordre du jour. La figure de Napoléon, poétisée par tant de publications et de chants consacrés à la louange du héros beaucoup plus qu’à son histoire, effaçait tous les types guerriers du temps passé, toutes les fictions romanesques. « Elle offrait, dit Théodore Muret, une exploitation sur laquelle les théâtres s’étaient précipités avec une émulation inouïe dans les annales de la scène. » Toute la gênération qui atteignait l’âge mûr avait connu l’empereur ; toute la jeunesse avait été nourrie de ces récits légendaires où les splendeurs seules apparaissaient, en sorte que le nom magique de Napoléon, rayonnant sur l’affiche, était comme un irrésistible talisman. Le Cirque, dès le 31 août, exploitant tout ensemble le champ de la Révolution et celui des souvenirs guerriers, donna du même coup le