Page:Larousse - Grand dictionnaire universel du XIXe siècle - Tome 2, part. 3, Bj-Bo.djvu/163

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

celui-ci ne fut pas sans influence sur Bonaparte.

L’ambition que lui avaient fait concevoir les grands succès de cette miraculeuse campagne d’Italie perçait dès lors aux yeux des clairvoyants, et n’échappa point à ceux qui, par instinct ou par expérience, se connaissaient en hommes. De ce nombre était l’ordonnateur en chef de l’armée d’Italie, Sucy (Simon-Antoine-François de Sucy de Clisson, né à Valence en 1764), que Bonaparte avait connu en 1788. Plus âgé de cinq ans que Bonaparte, homme aimable et instruit, M. de Sucy, qui s’était lié dès ce temps avec le jeune Corse, l’avait présenté à M. de Josselin, lieutenant-colonel du régiment d’infanterie d’Artois, lequel avait épousé à Valence Mlle de Tardivon. Lors du premier séjour de Bonaparte dans cette ville, Sucy lui avait fait souvent les honneurs de la maison de son beau-frère, l’abbé de Saint-Ruf, qui était Tardivon et frère de Mme de Josselin, et lui avait prêté plusieurs fois des livres. Pressé par M. de Josselin, alors retiré à Valence, de lui dire son opinion sur le général Bonaparte, mais surtout sur l’homme, après cette étonnante campagne d’Italie qui l’avait révélé au monde avec tant d’éclat, Sucy écrivait à M. de Josselin, sous la date du 17 thermidor an V (4 août 1797), une lettre présentement possédée par les petits-fils de celui à qui elle était adressée, et dont voici un très-remarquable fragment ; on y sent combien Sucy avait pénétré l’homme dans le jeune et brillant général :

« Mon respectable mentor et ami,

« Ce ne peut être le lieu de traiter le chapitre de l’homme ; d’ailleurs, il faudrait beaucoup trop de détails. Je pourrais avoir une opinion sur lui ; peut-être détruirait-elle une partie de celle que vous avez conçue. Au reste, nous tomberons d’accord si vous ne l’envisagez que comme ayant fait de grandes choses. Je puis même ajouter que je ne lui connais pas de point d’arrêt autre que le trône ou l’échafaud. D’après cela, vous ne devez pas le considérer comme au bout de sa carrière… »

On peut dire que cette prédiction devait se réaliser au delà de sa forme alternative, puisque celui qui en était l’objet est arrivé successivement aux deux termes de l’hypothèse : le couronnement et le martyre…

Et cela était écrit en pleine République, et du plus grand général de la République. C’était, on en conviendra, voir les choses de loin.

Avant de passer à la campagne d’Égypte, que, du reste, pour être fidèle à notre plan, nous ne raconterons pas dans ses détails, disons que c’est en Italie même que Bonaparte en conçut et en proposa le projet au ministre des relations extérieures du Directoire, Charles Delacroix (père de notre grand peintre).

Il est très-curieux de le voir préoccupé d’un projet de conquête de Malte et de l’Égypte dès le mois de septembre 1797. Les pièces officielles sont à cet égard très-explicites. Ainsi nous le voyons écrire de Passeriano, 25 fructidor an V (13 septembre 1797), une lettre très-politique, portant en tête : Le général Buonaparte au ministre des relations extérieures, où on lit ce qui suit :

«… Pourquoi ne nous emparerions-nous pas de l’île de Malte ? L’amiral Brueys pourrait très-bien mouiller là et s’en emparer ; 400 chevaliers et au plus un régiment de 500 hommes sont la seule garde qu’ait la ville de La Valette. Les habitants, qui montent à plus de 100, 000, sont très-portés pour nous et fort dégoûtés de leurs chevaliers, qui ne peuvent plus vivre et meurent de faim ; je leur ai fait exprès confisquer tous leurs biens en Italie. Avec l’île de Saint-Pierre que nous a cédée le roi de Sardaigne, Malte et Corfou, nous serions maîtres de la Méditerranée.

« S’il arrivait qu’à notre paix avec l’Angleterre nous fussions obligés de rendre le cap de Bonne-Espérance, il faudrait alors nous emparer de l’Égypte. Ce pays n’a jamais appartenu à une nation européenne, les Vénitiens seuls y ont eu une prépondérance précaire. On pourrait partir d’ici avec 25, 000 hommes, escortés par huit ou dix bâtiments de ligne ou frégates vénitiennes, et s’en emparer.

« L’Égypte n’appartient pas au Grand Seigneur.

« Je désirerais, citoyen ministre, que vous prissiez à Paris quelques renseignements et me fissiez connaître quelle réaction aurait sur la Porte notre expédition d’Égypte,

« Avec des armées comme les nôtres, pour qui toutes les religions sont égales, mahométane, cophte, arabe, etc., tout cela nous est indifférent : nous respecterons les unes comme les autres. »

« Buonaparte. »

On voit là le politique autant que le guerrier, l’homme de cabinet autant que l’homme d’action.

Il faut bien remarquer la date de cette lettre de Bonaparte (13 septembre 1797). Ainsi, c’est en Italie que, de lui-même et spontanément, il avait conçu l’idée d’une expédition en Égypte. Il en avait pesé dans son esprit les avantages pour la France, et il les faisait toucher du doigt à un ministre des relations extérieures, d’ailleurs très-capable de les comprendre et de les apprécier. Déjà pourtant Charles Delacroix avait songé à Malte, non pas précisément pour s’en emparer, mais pour y établir une influence plus favorable à la République française, celle de l’Espagne, avec laquelle nous étions alors en paix. Il n’avait pas cependant de ces conceptions hardies, qui n’appartiennent qu’au génie, et il avait besoin qu’on lui suggérât ce qu’il avait à faire.

Charles-Maurice Talleyrand avait succédé à Charles Delacroix au ministère des relations extérieures, et on a de ce ministre, aux archives des affaires étrangères, la réponse suivante à la lettre de Bonaparte, réponse qui montre bien que l’expédition d’Égypte fut moins improvisée qu’on a bien voulu le dire :

« Paris, le 2 vendémiaire an VI (23 septembre 1797).

« Le ministre des relations extérieures au général en chef Buonaparte.

« Le Directoire approuve vos idées sur Malte. Depuis que cet ordre s’est donné un grand-maître autrichien, M. de Hompesch, le Directoire s’est confirmé dans le soupçon, déjà fondé sur d’autres renseignements, que l’Autriche visait à s’emparer de cette de cette île ; elle cherche à se faire puissance maritime dans la Méditerranée. C’est pour cela qu’elle a demandé de préférence, dans le traité de Léoben, la partie de l’Italie qui avoisine la mer ; qu’elle s’est hâtée de s’emparer de la Dalmatie ; qu’elle a trahi son avidité en prenant Raguse, dont il n’avait pas été parlé ; outre cela, comme elle dispose du gouvernement napolitain, Malte aurait pour elle un double avantage et servirait à attirer à elle toutes les productions de la Sicile. Ce n’est pas seulement dans des vues de commerce qu’elle a voulu émigrer du centre de l’Italie vers les côtes de cette presqu’île, mais encore dans des vues de conquêtes, plus éloignées à la vérité ; elle se ménage les moyens d’attaquer par terre les provinces turques, auxquelles elle confine par l’Albanie et la Bosnie, tandis que, de concert avec la Russie, elle aurait pris ces mêmes provinces par le revers en entrant dans l’Archipel avec une flotte russe. Il est de notre intérêt de prévenir tout accroissement maritime de l’Autriche, et le Directoire désire que vous preniez les mesures nécessaires pour empêcher que Malte ne tombe entre ses mains.

« Quant à l’Égypte, vos idées à cet égard sont grandes, et l’utilité doit en être sentie. Je vous écrirai sur ce sujet au large. Aujourd’hui, je me borne à vous dire que si l’on en faisait la conquête, ce devrait être pour déjouer les intrigues russes et anglaises qui se renouvellent si souvent dans ce malheureux pays. Un si grand service rendu aux Turcs les engagerait aisément à nous y laisser toute la prépondérance et les avantages commerciaux dont nous avons besoin. L’Égypte, comme colonie, remplacerait bientôt les produits des Antilles, et, comme chemin, nous donnerait le commerce de l’Inde ; car tout, en matière de commerce, réside dans le temps, et le temps nous donnerait cinq voyages contre trois par la route ordinaire. »

« Ch.-M. Talleyrand. »

Certes, c’est là une belle lettre, pleine de vues profondes, et qui dut plaire au grand esprit à qui elle était adressée, et l’on peut dire que, dès lors, l’expédition d’Égypte fut arrêtée en principe.

Nous passons à une espèce de brouillerie qui survint sur ces entrefaites entre le Directoire et le général en chef de l’armée d’Italie. Pour se défendre, le Directoire avait été obligé de frapper ses ennemis du grand coup qui a nom dans l’histoire 18 fructidor. Bonaparte et l’armée d’Italie avaient applaudi au 18 fructidor par de chaleureuses adresses au Directoire. Néanmoins, la paix étant faite avec l’Autriche, le vainqueur voulait rentrer à Paris, sans doute pour préparer la grande expédition en Orient qu’il avait en tête, quand l’incartade d’un jeune officier arrivé de Paris lui causa un mécontentement si grand, réel ou feint, qu’il crut devoir demander sa démission à Paris. Certes, les lettres qu’il écrivit à cette occasion ne manquent pas d’intérêt ; mais on y voit une insistance qui semble plus d’un ambitieux que d’un homme vraiment découragé. « Ma santé est entièrement délabrée, » dit-il dans une de ses lettres du 1er  octobre 1797, « et la santé est indispensable et ne peut être suppléée par rien à la guerre. Le gouvernement aura sans doute, en conséquence de la demande que je lui ai faite il y a huit jours, nommé une commission de publicistes pour organiser l’Italie libre.

« De nouveaux plénipotentiaires pour continuer les négociations ou les renouer, si la guerre avait lieu au moment où les événements seraient les plus propices.

« Enfin, un général qui ait sa confiance pour commander l’armée, car je ne connais personne qui puisse me remplacer dans l’ensemble de ces trois missions, toutes trois également intéressantes, etc. »

Il finissait sa lettre par ces mots : « Je ne puis monter à cheval, j’ai besoin de deux ans de repos. »

De quoi donc avait-il à se plaindre au moment où l’on venait d’approuver ses idées sur l’Égypte ? Le 18 fructidor avait reçu son approbation et celle de son armée d’Italie. Il traitait de la paix avec l’Autriche, et il avait commencé les négociations qui devaient aboutir au traité de Campo-Formio. Pourquoi ce mécontentement ? Peut-être en découvrira-t-on la cause dans la lettre suivante, adressée directement, dès le 25 septembre, de Passeriano, au Directoire exécutif ;

« Passeriano, le 4 vendémiaire an VI.

« Un officier est arrivé avant-hier de Paris à l’armée d’Italie ; il a répandu dans l’armée qu’il partit de Paris le 25, qu’on y était inquiet de la manière dont j’aurais pris les événements du 18 ; il était porteur d’une espèce de circulaire du général Augereau à tous les généraux de division de l’armée. Il avait une lettre du ministre de la guerre à l’ordonnateur en chef, qui l’autorisait à prendre tout l’argent dont il aurait besoin pour sa route ; vous en trouverez la copie ci-jointe. Il est constant, d’après tous ces faits, que le gouvernement en agit envers moi à peu près comme envers Pichegru après vendémiaire.

« Je vous prie, citoyens directeurs, de me remplacer et de m’accorder ma démission. Aucune puissance sur la terre ne sera capable de me faire continuer de servir après cette marque horrible de l’ingratitude du gouvernement, à laquelle j’étais bien loin de m’attendre.

« Ma santé, considérablement affectée, demande impérieusement du repos et de la tranquillité.

« La situation de mon âme a aussi besoin de se retremper dans la masse des citoyens. Depuis trop longtemps un grand pouvoir est confié dans mes mains. Je m’en suis servi dans toutes les circonstances pour le bien de la patrie : tant pis pour ceux qui ne croient point à la vertu et pourraient avoir suspecté la mienne. Ma récompense est dans ma conscience et dans l’opinion de la postérité.

« Je puis, aujourd’hui que la patrie est tranquille et à l’abri des dangers qui l’ont menacée, quitter sans inconvénient le poste où je suis placé.

« Croyez que, s’il y avait un moment de péril, je serais au premier rang pour défendre la liberté et la constitution de l’an III.

« Buonaparte. »

À la réception de cette lettre, le Directoire s’assembla sans perdre une minute, pour délibérer sur la demande qui en était l’objet, et c’est La Réveillère-Lepaux qui fut chargé de répondre au nom du Directoire exécutif. Cette réponse, datée du 12 vendémiaire an VI (3 octobre 1797), très-belle et très-peu connue, fait autant d’honneur à celui qui l’a écrite qu’à celui à qui elle était adressée. C’est une des pièces les plus précieuses et les plus honorables de nos archives révolutionnaires ; on y sent à chaque ligne le souffle républicain ; c’est le langage du patriotisme s’adressant à une jeune ambition qui se révèle déjà dans des plaintes qu’il est impossible de croire sincères :

« Paris, 12 vendémiaire an VI (3 octobre 1797).

« Au général Buonaparte,

« Votre lettre du 4 de ce mois, citoyen général, étonne et afflige le Directoire exécutif, qui se rassemble extraordinairement pour vous répondre à l’instant même de l’arrivée de votre courrier.

« Comment est-il possible que vous ayez accusé d’ingratitude et d’injustice envers vous le gouvernement, qui n’a cessé de vous marquer la plus entière comme la plus juste confiance ?

« Vous devez être désabusé dès à présent sur les ombrages qui ont occasionné votre lettre, car depuis qu’elle est écrite vous avez dû entendre le citoyen Bottot. Vous aurez reçu différentes dépêches, tant du ministre des relations extérieures que du Directoire exécutif, et principalement celle du 8 de ce mois, dans laquelle le gouvernement vous met dans la confidence de sa pensée et vous associe en quelque sorte à ses délibérations. Vous aurez vu même le général Bernadotte, qui vous aura transmis ce dont les membres du Directoire l’ont expressément chargé pour vous. Voilà des faits, citoyen général. Le Directoire exécutif a lieu de croire que vous aurez apprécié, d’après eux, les procédés du gouvernement à votre égard avant que votre courrier ne puisse vous être renvoyé.

« Quant aux motifs des inquiétudes que vous avez conçues, les propos d’un jeune homme, propos que peut-être on lui a prêtés, pouvaient-ils l’emporter à vos yeux sur les communications constantes et directes du gouvernement ?

« Quant à la lettre du général Augereau, comme des représentants royalistes avaient écrit dans leur sens à des généraux de l’armée d’Italie, et que cela était connu à Paris, ce général a cru apparemment devoir y opposer le contre-poison. Cela ne pouvait être susceptible d’aucune interprétation contre vous.

« La lettre mystérieuse du ministre de la guerre ne demandait sans doute que des fonds pour des frais de route. Cette demande d’argent paraît mal conçue ; mais, quelle qu’en soit la mauvaise rédaction, ces traits ne pouvaient vous atteindre, et vous n’avez jamais dû en conclure que le gouvernement vous traitât comme Pichegru. Il est vraiment inconcevable que vous fassiez au gouvernement et à vous-même l’injure de ce parallèle.

« Citoyen général, craignez que les conspirateurs royalistes, au moment où peut-être ils empoisonnaient Hoche, n’aient essayé de jeter dans votre âme des dégoûts et des défiances capables de priver votre patrie des efforts de votre génie.

« Jamais elle n’en eut tant besoin.

« Vous parlez de repos, de santé, de démission ?

« Le repos de la République vous défend de penser au vôtre.

« Si la France n’est pas triomphante, si elle est réduite à faire une paix honteuse, si le fruit de vos victoires est perdu, alors, citoyen général, nous ne serons pas seulement malades, nous serons morts.

« Non, le Directoire exécutif ne reçoit pas votre démission.

« Non, vous n’avez pas besoin avec lui de vous réfugier dans votre conscience et de recourir au témoignage tardif de la postérité.

« Le Directoire exécutif croit à la vertu du général Buonaparte, il s’y confie.

« Il vous l’a prouvé le 13 vendémiaire, et ce n’était pas la première fois.

« Au surplus, vous dites que, s’il y a du péril, vous serez au premier rang pour défendre la liberté et la Constitution : le Directoire exécutif vous somme de tenir votre parole. Il vous dénonce le péril que courent encore la liberté et la Constitution, si de misérables et de petites intrigues empêchent la République de s’élever à ses destinées, s’il faut renoncer aux résultats de la conquête de l’Italie, si la grande nation est obligée de rétrograder. Concevez donc la véritable idée de l’énergie et du courage unanime que le 18 fructidor a donnés aux deux pouvoirs suprêmes de la France.

« Au 18 fructidor, la France a repris sa place dans l’Europe ; elle a besoin de vous pour l’y maintenir.

« S’il pouvait vous rester du doute… Mais non, citoyen général, vous ne devez plus en avoir au moment où cette dépêche pourra vous parvenir, et désormais vous compterez sur le Directoire exécutif comme il compte sur vous.

« La Réveillère-Lepaux. »

Cette lettre, et, à ce qu’on assure, une autre de Talleyrand, qui l’avait deviné, dissipèrent comme instantanément sa mauvaise humeur et lui rendirent la santé. Il ne parut à personne qu’il eût été malade, et il ne l’avait été, en effet, que de mécontentement, que d’une fièvre d’ambition rentrée. Il fit en même temps sa paix avec le Directoire et avec l’Autriche, et l’on voit ce « malade » qui avait écrit quelques jours auparavant : « Je ne suis plus en état de commander, » agir comme auparavant. Ses relations avec le Directoire devinrent même plus intimes. Il ne négligea pas non plus le ministre des relations extérieures, auquel il mandait de Passeriano, le 27 vendémiaire an VI (18 octobre 1797) : « Le général Buonaparte prévient le ministre des relations extérieures que la paix avec l’empereur a été signée la veille après minuit. »

De son côté, le Directoire, entrant de plus en plus dans ses vues, lui mande, par l’organe de son président La Réveillère, en date du 30 vendémiaire (21 octobre) :

« Quant à l’île de Malte, vous avez déjà reçu les ordres de prendre toutes les mesures que vous croiriez nécessaires pour qu’elle n’appartînt à qui que ce fût qu’à la France. Vous avez dit au citoyen Bottot que cette possession était à vendre. Le Directoire exécutif attache un véritable prix à son acquisition et vous recommande de ne pas la laisser échapper.

« Le président du Directoire exécutif,

« La Réveillère-Lepaux. »


De Milan, 22 brumaire an VI (12 novembre 1797), Bonaparte mande au Directoire, sur cet article :

«…J’ai envoyé à Malte le citoyen Poussielgue sous prétexte d’inspecter toutes les échelles du Levant, mais, à la vérité, pour mettre la dernière main au projet que nous avons sur cette île.

« Le général en chef,

« Buonaparte. »

Le 17 novembre 1797, enfin, tant le gouvernement comprenait les brillants services du général, même hors des champs de bataille, il reçut à Milan la dépêche du Directoire qui le nommait l’un des plénipotentiaires, ou, plus exactement, président de la légation française au congrès de Rastadt : plus de traces de mauvaise santé. Bonaparte partit incontinent de Milan pour Rastadt, coucha le même jour à Turin chez le ministre de France, Ginguené, traversa la Suisse par Genève, Lausanne, Fribourg, Avanches, Berne et Bâle, et arriva à Rastadt le 27 novembre.

Le Moniteur du 6 décembre 1797 rapporte que, dans ce voyage, la voiture s’étant brisée près d’Avanches, Bonaparte eut la curiosité de visiter l’ossuaire de Morat, qui n’est qu’à deux lieues de cette ville. Un officier suisse, qui avait servi en France, offrit au général de l’accompagner, et, tout en lui donnant plusieurs détails militaires sur la bataille de Morat, lui montra par quel chemin les Suisses, descendus des montagnes voisines le 23 juin 1476, avaient, à la faveur d’un bois, tourné l’armée bourguignonne commandée par son duc Charles le Téméraire, l’avaient mise en déroute et lui