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versations dans les salons aristocratiques du faubourg Saint-Germain, au commencement du règne de Louis XVIII. Là dominait M. de Bonald, dont l’aspect comme le talent avait quelque chose d’austère et d’un peu rude. Le dieu y recevait les hommages de ses admirateurs avec dignité, mais il n’y rendait point d’oracles. Dédaigneux des discussions, il conversait peu, sous prétexte qu’il avait écrit tout ce qu’il avait à dire. Les soins de sa fortune et ceux de sa famille, d’ailleurs, ne le laissaient point indifférent ; il apportait même une certaine âpreté à recueillir les fruits de ses ouvrages pour lui et les siens, qui en profitaient volontiers ; ce qui faisait dire à Royer-Collard : « Ces Bonald, je les connais. »


BONALD (Louis-Jacques-Maurice DE), cardinal, archevêque de Lyon, l’un des fils du précédent, né à Milhau (Aveyron) en 1787. Il entra dans les ordres en 1811, et fut successivement secrétaire de M. de Gressigny, archevêque de Besançon, grand vicaire de l’évêque de Chartres, puis archidiacre. Ses succès comme prédicateur, et surtout le crédit de sa famille, le firent nommer aumônier de Monsieur (depuis Charles X), puis évêque du Puy en 1823. Il occupa ce siège pendant plus de seize ans, fut promu, en 1839, à l’archevêché de Lyon, enfin créé cardinal en 1841. En général, il se montra fortement imbu des doctrines exclusivement ultramontaines et monarchiques de son père. Cependant, sous le gouvernement de Louis-Philippe, il ne cessa de réclamer la liberté de l’enseignement. Mais on sait que c’était là le drapeau du clergé dans sa lutte contre l’université. Ayant attaqué dans une lettre pastorale le Manuel du droit ecclésiastique de M. Dupin aîné, celui-ci porta plainte au conseil d’État, qui condamna comme d’abus la lettre du fougueux prélat. Après la révolution de Février, il parut d’abord accueillir la République avec faveur. Il est vraisemblable que, comme beaucoup de légitimistes, il vit avec une secrète satisfaction la chute de Louis-Philippe. Quoi qu’il en soit, il prescrivit un service solennel pour les citoyens de Paris tombés glorieusement en défendant les principes de la liberté religieuse et civile ; mais un arrêté du commissaire de la République, dissolvant à Lyon les communautés religieuses non autorisées, le ramena bientôt à ses vrais principes et le rejeta dans les rangs des ennemis avoués du régime nouveau. Après le coup d’État, il a été, comme cardinal, appelé au Sénat. Avec tous les cardinaux, il a constamment voté pour toutes les propositions tendant à maintenir indéfiniment à Rome l’occupation française. Dans quelques-unes des discussions qui ont eu lieu au Sénat sur la question romaine, M. de Bonald s’est quelquefois abstenu de se prononcer de vive voix et même, de voter. Tout récemment, il a attiré sur lui l’attention en rendant publiques des plaintes confidentielles de Pie IX contre le gouvernement français. Son indiscrétion, si c’en était réellement une, a été blâmée, mais avec une singulière mansuétude, par le souverain pontife.

Les deux frères du cardinal, AUGUSTE-HENRI et VICTOR, se sont fait remarquer, le premier, par sa collaboration à divers journaux religieux et par quelques brochures, l’autre par des ouvrages intitulés : Moïse et les géologues modernes (1835, in-18), et Des vrais principes opposés aux erreurs du XIXe siècle (1833). Ces écrits donnèrent lieu à une vive discussion entre leur auteur et le P. Ventura. Le cardinal de Bonald prit, à ce sujet, la défense de son frère, en 1852.


BONAMI (François), naturaliste français, né à Nantes en 1710, mort en 1786. Il fut recteur de l’université de Nantes, professeur de botanique et membre associé de la Société royale de médecine. Il fonda, à ses frais, un jardin botanique, où il cultivait les plantes les plus curieuses. Il publia : Florœ Nantensis prodromus (1782-1785, 2 vol. in-12), avec un supplément qui parut plus tard ; on lui doit aussi des Observations sur une fille sans langue, qui parle, avale et fait toutes les autres fonctions qui dépendent de cet organe.


BONAMIE s. f. (bo-na-mi — de Bonami, n. pr.). Bot. Genre de plantes, de la famille des convolvulacées, comprenant un arbrisseau qui croît à Madagascar.


BONAMY (Pierre-Nicolas), érudit, né à Louvres (Seine-et-Oise) en 1694, mort en 1770. Turgot, alors prévôt des marchands, fit créer pour lui la charge d’historiographe de la ville de Paris. Il a publié dans le Recueil de l’Académie des inscriptions, dont il était membre, une foule de mémoires curieux sur les antiquités de Paris et de la Gaule. Il avait aussi préparé les matériaux pour une Histoire de l’Hôtel de ville.


BONAMY (Charles-Auguste-Jean-Baptiste-Louis-Joseph), général français, né à Fontenay-le-Comte, entre 1764 et 1770, mort en 1830. Volontaire en 1791, il s’éleva successivement en grade et fit avec distinction les campagnes de la République et de l’Empire ; se couvrit de gloire à Marengo, où il fut blessé, à Smolensk, où sa brigade fut presque entièrement détruite, et à la Moskowa, où il fut percé de vingt coups de baïonnette. Il rentra dans la vie privée après la seconde Restauration. On a du général Bonamy : Coup d’œil rapide sur les opérations de la campagne de Naples jusqu’à l’entrée des Français dans cette ville (Paris, 1799, in-8o), et Mémoire sur la révolution de Naples (1803, in-8o).


BONANA s. m. (bo-na-na). Ornith. Troupiale. || Pinson de la Jamaïque. || On dit aussi BANANA.


BONANNI (Philippe), naturaliste. V. BUONANNI.


BONANNO, architecte et sculpteur pisan du XIIe siècle. Il commença avec Guillaume d’Inspruck la fameuse tour penchée de Pise (1174) et fut également l’auteur des célèbres portes de bronze de la cathédrale de cette BONANNO, architecte et sculpteur pisan du XIIe siècle. Il commença avec Guillaume d’Inspruck la fameuse tour penchée de Pise (1174) et fut également l’auteur des célèbres portes de bronze de la cathédrale de cette en 1596, incendie auquel une seule de ces portes échappa.


BONAPARTE (Jacopo), historien toscan, qu’on place, mais sans preuve, parmi les ancêtres de la dynastie des Napoléons. Né au commencement du xvie siècle, contemporain du sac de Rome par le connétable de Bourbon, il fit paraître un tableau des événements survenus à la suite de ce siège, sous ce titre : Ragguaglio storico di tutto l’occorso, giorno per giorno, nel sacco di Roma dell’anno 1527. Adami, professeur à Pise, fit réimprimer cet ouvrage vers 1756, sous la rubrique In Colonia, mais réellement en Toscane, avec le nom de Jacopo Bonaparte. Il en fut publié, vers 1809, une traduction par M. Humelin, sous ce titre : Tableau historique des événements survenus pendant le sac de Rome en 1527, transcrit du manuscrit original, et imprimé pour la première fois à Cologne en 1756, avec une notice historique sur la famille Bonaparte, le texte en regard. En 1829, le prince Napoléon-Louis, fils de la reine Hortense, mort deux ans après, en fit paraître une traduction nouvelle. Cet ouvrage, qui diffère en plusieurs points essentiels de celui de l’historien Guichardin, est écrit simplement, avec concision, presque avec sécheresse, car ce n’est guère qu’un sommaire un peu détaillé. À la publication du Sac de Rome se borne tout ce que l’on sait sur Jacopo Bonaparte dont la vie nous est aussi inconnue que l’époque exacte de sa mort. En 1797, au moment des négociations du traité de Tolentino, qu’il avait hâte de conclure, l’empereur Napoléon jeta sur la table le livre de Jacopo Bonaparte, disant avec vivacité : « Voyez ce livre : c’est le sac de Rome en 1527, raconté par un de mes ancêtres, Jacques de Bonaparte. Ne m’obligez pas à faire moi-même ce dont un des miens nous a transmis le récit. »


BONAPARTE (Niccolo), professeur à Florence, né à San-Miniato, en Toscane, mort vers 1598, a été placé, mais sans preuve, parmi les ancêtres de l’empereur Napoléon. Vers 1568, il fit imprimer à Florence la Vedova, une des plus anciennes comédies du théâtre italien, dont le manuscrit original est conservé à la Bibliothèque impériale de Paris. Cette pièce, plaisante et d’un ton fort leste, fut réimprimée à Florence en 1592, et à Paris, chez Molini, en 1803. L’empereur commanda à Daillant de la Touche une traduction de la Vedova, qui fut généreusement payée, mais qui resta manuscrite, parce que le censeur couronné craignit que sa légèreté ne compromit la majesté de sa race. L’histoire ne nous fournit pas d’autres détails sur cet auteur, dont le style élégant et harmonieux n’a pas toujours su éviter la farce en cherchant le comique.


BONAPARTE ou BUONAPARTE, nom patronymique de la dynastie des Napoléons. Cette famille descendait, dit-on, des Bonaparte du continent italien, déjà connus à Trévise vers le XIIe siècle, et qui apparaissent ensuite à diverses époques dans l’histoire des cités italiennes, telles que Padoue, Florence et San-Miniato, comme podestats, prieurs, chevaliers, négociateurs, capitaines, etc. Une de ses branches, établie à Sarzane, dans le pays de Gênes, vint se fixer en Corse vers le XVIIe siècle, et acquit à Ajaccio une importance assez considérable. Ce fut la souche de la famille impériale de France. Son nom, destiné à une si haute illustration, s’écrivait Buonaparte, avant que Napoléon Ier s’arrêtât à la forme plus française de Bonaparte. On sait que les royalistes affectaient d’écrire et de prononcer Buonaparte. Dans la bouche de Chateaubriand, ce mot, en 1814, avait au moins dix syllabes ; c’était sans doute très-ironique, très-profond et très-méchant ; mais cette finesse est si menue, que personne n’a jamais pu la saisir, pas même l’auteur de Buonaparte et les Bourbons, quand, quatorze ans après la publication de son pamphlet, il apprit que quelques mots, tombés des lèvres du Prométhée de Sainte-Hélène, venaient, comme il le confesse lui-même,

Chatouiller de son cœur l’orgueilleuse faiblesse.

S’il est certain que la famille de Napoléon descend de la branche génoise, il n’est pas aussi bien établi qu’elle se rattache aux autres familles italiennes du même nom. Mais on sait que cet homme extraordinaire, qui eût pu se passer d’aïeux, et qui, à d’autres titres que le brave maréchal Lefèvre, aurait pu dire : Je suis un ancêtre, accueillit avec faveur cette généalogie, peut-être imaginaire. Dans tous les cas, ici ce sont les aïeux qui se trouvent illustrés par le descendant.

La noblesse de la famille Bonaparte est prouvée par le certificat que le savant d’Hozier de Sérigny délivra pour l’admission de Napoléon Bonaparte à l’École militaire de Brienne, où les gentilshommes avaient seuls accès. Mais le dossier héraldique fourni par le père du futur empereur ne comprenait que neuf personnages, dont le plus ancien ne remontait qu’à 1508, sous le titre de messire Gabriel Buonaparte. Les autres étaient désignés par les titres d’anciens d’Ajaccio et de magnifiques. Voilà la vérité historique ; la flatterie la trouva insuffisante ; et, sous l’Empire, les adulateurs donnèrent carrière à leur génie inventif. On fit sortir la famille Bonaparte d’une branche des Comnènes et des Paléologues, ce qui la rattachait aux empereurs de Constantinople. On alla même jusqu’à la faire descendre de la gens Ulpia, de la gens Sylvia et de la gens Julia, souches des empereurs romains. Cette généalogie n’était pas encore assez ridicule : on prouva, Dieu sait par quels arguments ! que les Bonaparte étaient issus des Bourbons par le mystérieux personnage désigné sous le nom de l’Homme au masque de fer. Ayant secrètement épousé la fille de M. de Bonpart, son gouverneur, il en aurait eu des enfants qui italianisèrent le nom de leur mère. Or tout portant à croire que le Masque de fer était frère jumeau de Louis XIV, les Bonaparte de Corse se trouvaient ainsi faire naturellement partie de la légitime race de Henri IV. Napoléon fut obligé de mettre lui-même un frein au zèle de ces maladroits amis.

On sait, du reste, qu’à l’un de ces d’Hoziers enthousiastes il répondit un jour : « Voilà une généalogie aussi plate que ridicule ; ces recherches sont puériles. À tous ceux qui demanderont de quel temps date la maison Bonaparte, la réponse est bien simple : elle date du 18 brumaire. »

Les travaux généalogiques des Italiens sont plus sensés. Ils prouvent que, dès le XVIe siècle, le nom de Bonaparte figurait dans leurs annales, puisque, à cette époque, Mauro, juge à Trévise, constatait, dans une chronique très-estimée, que, même avant l’an 1200, la famille Bonaparte était déjà comptée parmi les plus nobles et les plus anciennes. Un autre auteur italien, Jacques Bonaparte, qui traça une esquisse historique de sa race et qui écrivait en 1756, citait parmi ses ancêtres, dans la marche de Trévise, un Jean Ier de Bonaparte, pourvu d’un commandement dans la ligue des villes lombardes, qui inaugura le réveil des nationalités italiennes, et un des petits-fils de ce Jean, qui, à la tête des Guelfes du nord de l’Italie, arrêta en 1239, à Castel-Franco, Frédéric II, qui commandait une armée gibeline. Les Italiens rattachent à la même branche Jean-Genesius de Bonaparte, en religion fra Bonaventura mort en odeur de sainteté l’an 1593, dans l’ordre des capucins ; Niccolo de Bonaparte, auteur comique, et un Ferdinando Bonaparte, patrice florentin, docteur en droit, savant dans les lois civiles et canoniques. Ayant embrassé la carrière ecclésiastique, ce dernier fut nommé prévôt et sous-diacre de l’église de San-Miniato, et mourut en 1746, laissant des poésies latines et des dissertations théologiques qui n’ont jamais été publiées.

Des recherches de MM. Stefani et Beretta, dans leur ouvrage intitulé Antichità dei Bonaparte, il ressort que le nom de Bonaparte, né au milieu des factions de l’Empire et de l’Église, a été porté par quatre familles italiennes ; et, de celles de MM. Passerini et Rapetti, que les Bonaparte napoléoniens descendent d’une ancienne famille longobarde, celle des comtes de Fucecchio, Settimo et Pistoja, dont la souche est un certain Cunerado, chef de la maison Kadolingio, né en 922. De cette maison, qui s’éteint à la fin du XIIe siècle, après avoir joué un rôle brillant dans l’État et dans l’Église, sont issus Hugues et Janfald. Le premier, par son alliance avec les comtes d’Orgnano, donna naissance aux Bonaparte de Trévise, éteints en 1447 ; le second, à ceux de Florence, éteints au XIIIe siècle. En 1265, un Bonaparte de Florence commence les Bonaparte de San-Miniato ; un autre, en 1278, ceux de Sarzane, qui, en 1490, se transportèrent en Corse, et dont le chef, François, devint l’auteur de la branche des Bonaparte d’Ajaccio. Ceux de San-Miniato avaient complètement disparu en 1799. Attachée également à l’Église et à l’État, la famille des Cadolinge tira son surnom de Bonaparte (bona pars, le bon parti), de son ralliement à la cause populaire, surnom qu’illustra bientôt l’un d’eux à la tête de la ligue des villes lombardes contre l’empire d’Allemagne. Les Bonaparte s’effacent ensuite quelque temps de la scène politique, jusqu’au moment où quelques membres de cette famille passent en Corse pour les affaires de la banque de Saint-Georges, et s’y fixent jusqu’à la fin du XVIIIe siècle.

Sans moyen de contrôle suffisant, nous ne pouvons ni contester ni affirmer l’exactitude de ces généalogies. Nous nous contenterons de tracer l’historique de la branche génoise, dont il est prouvé que descendait Napoléon. Au commencement du XVIIIe siècle, les Bonaparte d’Ajaccio étaient représentés par trois Frères : Lucien Bonaparte, archidiacre ; Napoléon Bonaparte, qui n’a pas laissé de postérité, et le grand-père de l’empereur Napoléon Ier.

Pendant que nous sommes sur l’arbre généalogique, voyons quelle était à ce sujet l’opinion personnelle de Napoléon. Cette question ne lui était pas, comme pourrait le faire supposer la réponse citée plus haut, tout à fait indifférente. Il tenait à l’origine florentine : la patrie de Dante lui paraissait un digne berceau. Un jour, à Sainte-Hélène, dans une conversation avec le docteur Antomarchi : « Vous avez, lui dit-il, habité longtemps Florence ; vous savez que c’est de là que nous sortons. — Oui, sire ; votre famille y tenait un des premiers rangs ; elle était patricienne. — Connaissez-vous la maison qu’elle habitait ? c’est un monument, une curiosité qui n’échappe à personne. Elle est au centre de la ville, revêtue au frontispice d’un blason sculpté sur pierre, n’est-ce pas ? — Oui, sire, et tout à fait intact. — À mon passage à Florence, quand je marchais sur Livourne, on m’engagea beaucoup à la voir ; mais j’étais si occupé, si surchargé d’affaires, que je ne pus y aller. Le jour de mon départ, cependant, je me rendis à San-Miniato ; j’y vis un vieux chanoine de parent ; c’était le dernier rejeton des Bonaparte de Toscane ; je tenais à le visiter. Nous fûmes accueillis, fêtés ; la chère fut exquise. L’appétit satisfait, ce fut le tour du bavardage ; nous étions tous jeunes, gais, bruyants, républicains comme Brutus ; nous laissions parfois échapper des propos qui sentaient peu l’église. Le bonhomme ne se déconcerta pas ; il écoutait, répondait et nous jetait de loin en loin des réflexions dont la justesse était frappante. Mon état-major était charmé de voir un prêtre sans bigotisme ; les flacons circulaient d’autant mieux ; nous portions sa santé, il buvait à la prospérité de nos armes. C’étaient des mots, des saillies où nous pûmes remarquer le tact, l’aménité de cet excellent chanoine. Mes officiers étaient réconciliés avec sa robe. Notre irrévérence militaire ne lui déplaisait pas. Il fit tous ses efforts pour nous retenir le lendemain, mais les troupes étaient en mouvement ; nous lui dîmes que le départ était obligé et que nous le verrions an retour. Nous craignions que notre honorable ecclésiastique n’eut pas assez de lits pour une suite aussi nombreuse ; nous le priâmes de ne pas se mettre en peine pour nous coucher, qu’il nous suffisait d’une botte de paille, que nous étions accoutumés à vivre en soldats. « Non pas, nous répondit-il, ma maison est sans luxe, mais assez grande pour vous loger tous. » Il nous accompagna successivement dans les chambres qu’il nous avait fait préparer, et nous souhaita une bonne nuit. Je me couchai, mais la bougie n’était pas éteinte que j’entendis frapper à ma porte ; je crus que c’était Berthier ; point du tout ; c’était le bon prélat qui me demandait un instant d’entretien.

« À table, il avait commencé à parler de généalogie ; une discussion de cette espèce ne pouvait qu’être fâcheuse dans la position où je me trouvais. Je lui fis signe de se taire, il se tut. Je tremblais qu’il ne voulût revenir sur le sujet que j’avais esquivé. Je n’en laissai cependant rien paraître. Je lui dis de s’asseoir, que je l’écouterais avec plaisir. Alors il commença à me parler du ciel, qui m’avait protégé, qui me protégerait encore, si je voulais entreprendre une œuvre sainte, qui, d’ailleurs, ne pouvait me coûter beaucoup. J’avais essuyé l’histoire des Bonaparte, celle des actions de l’un d’entre eux ; je cherchais où il voulait en venir, lorsqu’il me dit avec une espèce de transport, qu’il allait me faire voir un document précieux. Je crus pour le coup que c’était l’arbre généalogique ; j’étouffais, le rire l’emportait sur la crainte de déplaire au vieillard ; mais quelle fut ma surprise quand je vis, non un parchemin, un grotesque diplôme, mais quelque chose de plus cocasse encore, un mémoire en faveur d’un membre de notre famille, un père Bonaventure, béatifié depuis longtemps, mais que les excessives dépenses qu’entraîne la canonisation n’avaient pas permis de porter au calendrier. « Demandez au pape qu’il le reconnaisse, me disait le bon chanoine, il vous l’accordera ; peut-être cela ne vous coûtera rien, ou peu de chose. Par égard pour vous, Sa Sainteté ne refusera pas de mettre un saint de plus au ciel. Ah ! cher parent, vous ignorez ce que c’est que d’avoir un bienheureux dans sa famille. C’est à lui, c’est à saint Bonaventure que vous devez le succès de vos armes ; il vous a conduit, il vous a dirigé au milieu des batailles. Croyez que la visite que vous me faites n’est pas un effet du hasard ; non, mon cher parent, c’est lui qui vous a inspiré, qui a voulu que vous soyez instruit de ses mérites. Il vous ménage l’occasion de lui rendre bien pour bien, service pour service ; faites pour lui auprès du pape ce qu’il fait pour vous auprès de Dieu. » J’étais tenté de rire de l’onction du vieillard, mais il était de si bonne foi, que j’eusse fait conscience de le blesser. Je le payai de belles paroles, j’alléguai l’esprit du siècle, les soins de la guerre, et lui promis de m’occuper de l’affaire du père Bonaventure, dès que l’irrévérence publique serait moins prononcée. « Cher parent, reprit-il, vous comblez mes vœux ; permettez que je vous embrasse. Vous épousez les intérêts du ciel, vous réussirez dans vos entreprises, je vous le prédis. Je suis vieux, peut-être ne verrai-je pas l’exécution de vos promesses, mais j’y compte, je mourrai content. » Il me donna sa bénédiction, je lui souhaitai le bonsoir, et je cherchai à dormir ; je ne le pus. L’aventure était si plaisante, je trouvais la fantaisie si singulière, au temps où nous étions, que j’avais à peine fermé les paupières, lorsque Berthier se présenta ; les autres généraux survinrent ; mon état-major était réuni ; je racontai l’entretien. Les sollicitations du bon vieillard, ses vœux, son ambition, sa manière d’expliquer nos victoires, mirent tout le monde en gaieté. On rit,