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fondé sans l’autorisation du roi, attribue aux cours royales sans jury la suspension ou la suppression des journaux dont l’esprit serait mauvais, et autorise le gouvernement à rétablir la censure dans l’intervalle des sessions, si la gravité des circonstances l’exige. Nommé pair de France en 1823, de Bonald se démit volontairement de cette dignité en 1830, en refusant de prêter serment à la royauté issue des barricades. Il ne conserva que le titre de membre de l’Académie française, où il était entré, en 1816, par ordonnance royale.

De Bonald a beaucoup écrit, et il peut à bon droit passer pour un de nos publicistes les plus féconds. Il prit part à la rédaction du Mercure de France et du Journal des débats avec Chateaubriand, Fiévée, Lamennais. Outre les ouvrages dont nous avons parlé, il publia en 1818 des Recherches-philosophiques sur les premiers objets des connaissances morales. On a de lui un recueil de pensées et plusieurs brochures publiées à diverses époques sur les questions que les circonstances mettaient à l’ordre du jour. C’est ainsi qu’il produisit en 1815 des Réflexions sur l’intérêt général de l’Europe, suivies de quelques considérations sur la noblesse ; en 1819, des Réflexions sur une séance de la Chambre des députés, et la nécessité de garantir la religion des outrages de la presse ; en 1822, des Réflexions préjudicielles sur la pétition du sieur Loveday, où il discute le droit d’adresser des pétitions aux Chambres ; en 1823, des Réflexions sur le budget. Il donna aussi à part, avec des appendices, un grand nombre de ses discours des deux Chambres. Dans des Observations publiées en 1818 sur un livre de Mme de Staël, Considérations sur la Révolution française, il s’attache surtout à réfuter cette erreur, que la monarchie absolue est la plus informe des combinaisons politiques. Son dernier ouvrage fut la Démonstration philosophique du principe constitutif des sociétés (1827). « On ne trouve pas dans cette longue carrière, dit M. Jules Simon, une action qui ne soit conforme à ses principes, pas une ligne qui les démente. Il pouvait relire, en 1840, son premier ouvrage, sa Théorie du pouvoir, sans regretter une seule des opinions qui y sont exprimées. Il figura cependant en 1815 dans le Dictionnaire des girouettes, et jamais accusation ne fut plus contraire à la vérité. M. de Bonald ne s’est jamais vendu, il n’a jamais été le complaisant de personne, pas même de ses amis politiques ; son amour pour le pouvoir légitime, sa haine pour la liberté ont constamment dirigé toute sa conduite. » « Il acquit, sous la Restauration, dit M. Sainte-Beuve, la réputation d’oracle et d’homme de génie dans son parti, parmi le petit nombre des esprits opiniâtres et immuables, et même, jusqu’à un certain point, dans tous les rangs des royalistes intelligents : auprès des libéraux, il passait pour un gentillâtre spirituel, entêté, peut-être un peu cruel, et il jouissait de la plus magnifique impopularité. » Dans le commerce habituel, « il était indulgent et doux, nous dit M. de Lamartine, comme les hommes qui se croient possesseurs certains et infaillibles de leur vérité. »

Le principe sur lequel de Bonald a élevé l’édifice très-régulier, très-symétrique de sa philosophie, est que la parole a été enseignée à l’homme et qu’il n’a pu l’inventer lui-même. Il fonde ce principe sur les raisons suivantes : 1o Il est nécessaire de penser sa parole avant de parler sa oensée ; 2o le sourd de naissance, qui n’entend pas la parole, est muet, preuve que la parole est chose apprise et non inventée ; 3o si la parole est d’invention humaine, il n’y a plus pour l’esprit de mérites nécessaires. De Bonald prend son point de départ dans la question de l’origine des idées ; il repousse tout à la fois et les idées innées du rationalisme cartésien, et les sensations transformées de l’empirisme condillacien. Qu’est-ce que ces idées innées, dit-il, qui sont présentes à notre esprit, et qui y précédent toute instruction ? Si Dieu les y grave lui-même, comment l’homme parvient-il à les effacer ? Si l’enfant idolâtre naît, comme l’enfant chrétien, avec des notions distinctes d’un Dieu unique, comment ses parents peuvent-ils le faire croire à une multitude de dieux ? D’où vient qu’il y a des matérialistes et des athées, si nous apportons en naissant nos idées innées de l’existence de Dieu et de l’immortalité de l’âme ? Si les hommes apportent tous en naissant les mêmes idées, pourquoi tant de variété dans les opinons ? Il y a donc des idées innées et des idées acquises ; et comment les idées acquises font-elles oublier les idées innées ? Car enfin, on ne peut perdre que ce qu’on peut acquérir, comme on ne peut acquérir que ce qu’on peut perdre. Et ici l’homme conserve les idées fausses qu’il a acquises, et perd les idées vraies nées avec lui, et qu’il tient de sa nature. Si la solution de la question sur l’origine des idées ne se trouve pas dans le système trop purement spiritualiste des idées innées, elle ne saurait se trouver non plus dans le système purement matérialiste des sensations transformées. Il est évident, en effet, qu’il y a dans les idées quelque chose de fondamental qui ne vient pas des sens, parce que nous avons tous sur beaucoup d’objets une pensée uniforme avec des sens extrêmement variés en force et en perfection ; parce que nous pensons à ce que nous n’avons jamais perçu par les sens, comme lorsque nous pensons à la couleur en général, quoique les couleurs particulières soient seules sensibles ; parce que nous pensons le contraire de ce que nos sens nous rapportent, comme lorsque nous redressons par la pensée les erreurs de nos sens ; enfin, parce que nous pensons le général, et que nos sens ne nous apportent que le particulier. Pour dévoiler le mystère de nos idées, il faut se souvenir de cette parole de la Genèse : Dieu créa l’homme à son image et à sa ressemblance, et, concluant de Dieu à l’homme, comprendre qu’ainsi que Dieu, intelligence suprême, n’est connu que par son Verbe, expression de sa substance, de même l’homme, intelligence finie, n’est connu que par sa parole, expression de son esprit, ce qui veut dire que l’être pensant s’explique par l’être parlant. La parole est l’expression naturelle de la pensée ; nécessaire non-seulement pour en communiquer aux autres la connaissance, mais pour en avoir soi-même la connaissance intime, la conscience. Ainsi l’image que nous offre le miroir nous est indispensablement nécessaire pour connaître la couleur de nos yeux et les traits de notre visage ; ainsi la lumière nous est nécessaire pour voir notre propre corps. La pensée se manifeste à l’homme, se révèle, avec l’expression et par l’expression, comme le soleil se montre à nous par la lumière. La pensée est inséparable de la parole. Qu’est-ce que penser ? C’est se parler à soi-même, c’est parler intérieurement. Il n’est donc pas exact de dire que la pensée est l’antécédent et la cause de la parole ; ce qui est vrai, c’est que la parole intérieure a précédé la parole extérieure, en d’autres termes que l’homme pense sa parole avant de parler sa pensée. Mais, pour parler intérieurement, pour penser sa parole, il faut savoir la parole, proposition évidente et qui exclut toute idée d’invention de la parole par l’homme. Loin d’avoir inventé la parole, l’homme n’aurait pu, sans la parole, avoir la pensée de l’invention. Il a donc, à quelque instant qu’on suppose de la durée, appris, reçu la parole comme il l’apprend et la reçoit encore aujourd’hui. En ce système de la parole nécessairement enseignée et transmise se concilient, dans une certaine mesure, celui des idées innées et celui des sensations transformées. La connaissance des vérités morales, qui sont nos idées, est innée, non dans l’individu, mais dans la société. Elle peut ne pas se trouver dans tous les hommes, mais elle ne peut pas ne pas se trouver plus ou moins dans toutes les sociétés, puisqu’il ne peut même y avoir aucune forme de société sans connaissance de quelque vérité morale. Ainsi, l’homme entrant dans la société y trouve cette connaissance, comme une substitution toujours ouverte à son profit, sous la seule condition de l’acquisition de la parole perpétuellement subsistante dans la société. De là vient qu’on trouve dans toutes les sociétés, avec une langue articulée, une connaissance plus ou moins distincte de divinité, d’esprits, d’un état futur, etc. ; qu’on peut ne pas la trouver chez tous les hommes, et qu’on ne l’a même jamais trouvée chez ceux que des accidents avaient séquestrés de tout commerce avec les hommes, et privés de la révélation de la parole. D’autre part, si l’idée n’est point une sensation transformée, comme le veut Condillac, l’expression nécessaire et naturelle de notre idée est une sensation de la vue ou de l’ouïe transformée en parole, parce que l’homme, forcé de se servir du moyen ou du ministère de ses organes pour les opérations de son intelligence, pense par le ministère du cerveau, parle par le ministère de l’organe vocal, voit par le moyen de ses yeux, etc.

Voyez maintenant la fécondité du principe de la transmission nécessaire de la parole, et l’avantage qu’il donne aux défenseurs du christianisme. La révélation, considérée jusqu’ici comme un fait exceptionnel, un miracle, devient une loi générale de l’esprit humain, le mode unique et universel d’acquisition des premières expressions et des premières connaissances pour l’homme de tous les temps.

Avant la révélation écrite, il y a eu nécessairement la révélation orale. La nécessité physique de celle-ci vient à l’appui de la certitude historique de celle-là. Or, quelle n’est pas l’importance de ce secours ? La vérité historique peut toujours être combattue, parce que, quoique certaine pour tous les hommes, tous les temps et tous les lieux, elle n’est évidente que pour le lieu qui en a été le théâtre, le temps qui en a été l’époque, les hommes qui en ont été les témoins. Mais la nécessité physique et vraie est évidente toujours, partout et pour tous ; si l’homme aujourd’hui ne peut recevoir la parole que par transmission, il n’a jamais pu l’acquérir par invention ; parce que, si l’on peut supposer un affaiblissement dans ses forces, on ne peut supposer une révolution dans sa nature. Qu’on n’oppose plus la raison à la révélation, la morale naturelle à la morale chrétienne, la religion naturelle à la religion révélée, la loi naturelle à la loi positive. Tout ce dualisme s’écroule avec le système des idées innées. Plus de religion innée, de morale innée, de loi innée, de raison innée. La raison ne se meut, n’existe que dans et par la révélation. Tout devient révélé, positif, social. L’esprit humain n’a plus rien à chercher en lui-même, parce qu’il est vide et passif ; c’est la tabula rasa du sensualisme, avec cette différence que ce n’est pas le monde extérieur, mais Dieu qui, par l’intermédiaire de la société, vient y tracer les caractères. La religion dite naturelle n’est pas autre chose que la religion domestique et patriarcale, produit de la révélation orale primitive ; elle veut être apprise ou révélée comme la religion appelée révélée. La religion appelée révélée est le produit de la révélation scripturale ; elle est aussi naturelle que la religion dite naturelle ; l’une et l’autre sont révélées, l’une et l’autre sont naturelles, l’une et l’autre sont divines. Ce n’est pas tout : avec l’invention humaine de la parole tombe la constitution humaine de la société, le contrat social. Dieu, en nous révélant la parole, nous a du même coup donné des règles et des lois. C’est dans cette première révélation qu’il faut chercher l’origine, le fondement et la constitution véritable de la société. La souveraineté du peuple est un dogme impie et insensé ; la déclaration des droits de l’homme, une monstruosité. Une philosophie qui atteint la raison et la conscience dans leur indépendance, qui les considère comme absolument extérieures à l’individu, comme entièrement acquises, comme des produits de la révélation, de la société, ne pouvait abstraire la personne humaine de la fonction sociale, concevoir la liberté, le droit individuel, l’inviolabilité humaine. Aussi de Bonald estime-t-il que le mot droit, employé pour exprimer indistinctement tous les rapports, et même les plus opposés, n’en désigne aucun avec précision, et qu’on devrait le bannir de la langue politique, où il ne peut qu’être funeste. La première vérité qui ait été révélée à l’homme, et que le langage nous transmette de génération en génération, est celle-ci : Tout a une cause. À cette première proposition il faut en ajouter une seconde : c’est qu’entre la cause et l’effet il y a nécessairement un moyen terme. De Bonald trouve et nous montre partout ce moyen terme. Dans l’homme, par exemple, l’intelligence, qui est cause, ne peut agir que par le moyen des organes ; elle ne peut penser que par le moyen de la parole. Ce moyen terme offre le précieux avantage de supprime toute communication directe entre l’homme et Dieu, et de ruiner le mysticisme et le rationalisme protestant. Dieu ne nous donne des pensées que par l’enseignement de l’Église ; la grâce n’agit sur nous que par les sacrements de l’Église. Cause, moyen, effet ! Dans ces trois catégories sont compris tous les êtres et tous leurs rapports. Appliquées à l’ordre social, elles nous donnent les trois personnes, les trois fonctions générales de la société : Pouvoir, qui correspond à cause ; ministre, qui correspond à moyen ; sujet, qui correspond à effet. Ces trois personnes, ces trois modes généraux d’existence se trouvent dans la société domestique ou familiale, dans la société politique et dans la société religieuse. La similitude de constitution, l’unité de plan, de type des trois sociétés est le principe fondamental de la philosophie sociale de de Bonald. Dans la société familiale, le père est pouvoir, la mère ministre, l’enfant ou les enfants sujets ; dans la société politique, le roi est pouvoir, la noblesse ministre, le peuple sujet ; dans la société religieuse, Dieu est pouvoir, le sacerdoce ministre, les fidèles sujets. Les trois personnes, pouvoir, ministre, sujet, peuvent être amovibles ou fixes ; elles sont amovibles dans la famille, par la faculté du divorce ; amovibles dans la religion, par le presbytérianisme, qui n’imprime aucun caractère de consécration à ses ministres ; amovibles dans l’État, par les institutions populaires, qui font du pouvoir et du ministère des fonctions perpétuellement révocables et éligibles. Elles sont au contraire fixes et inamovibles : dans la famille, par l’indissolubilité du lien conjugal ; dans la religion, par la consécration qui lie irrévocablement le ministre à la Divinité et au fidèle, et par conséquent les lie entre eux ; dans l’État, par l’hérédité du pouvoir public et du ministère public, de la royauté et de la noblesse. Plus il y a d’amovibilité dans les rapports des personnes entre elles, plus il y a d’instabilité, de désordre, de faiblesse dans la société ; plus il y a de fixité dans ces rapports, plus il y a de force, de raison et de durée. Comme les sociétés sont semblables dans leur constitution, elles sont semblables dans leurs accidents ; et l’on peut regarder comme un axiome de la science de la société, axiome dont l’histoire offre une continuelle application, que les États populaires, les religions presbytériennes, et les familles dissolubles par le divorce se retrouvent généralement chez les mêmes peuples, et quelquefois malgré des apparences contraires ; comme le lien indissoluble ou l’inamovibilité des personnes dans l’État, dans la religion, dans la famille, s’aperçoit généralement dans les mêmes sociétés.

Nous venons d’exposer les doctrines de de Bonald. Elles se réduisent, comme on l’a vu, à deux théories liées l’une à l’autre : la théorie de la révélation du langage, et celle des trois catégories cause, moyen, effet, qu’on pourrait appeler, pour abréger, théorie du moyen ou médiateur. De Bonald n’a fait, en tous ses écrits, que les reproduire, les développer, les appliquer à toutes questions, y enchaîner toutes sortes de pensées, souvent fausses, presque toujours ingénieuses : « S’il est, dit très-bien M. Sainte-Beuve, l’homme qui varie le moins, il est celui qui se répète le plus ; chez lui, le dernier ouvrage ressemble au premier. » Il nous resterait maintenant à discuter ces théories, et à montrer sur quelles bases fragiles elles portent. Nous le ferons ailleurs. (V. Langage, Moyen, Pouvoir, etc.) Bornons-nous à dire ici que la contradiction signalée d’abord par Rousseau entre ces deux propositions : La pensée est nécessaire pour inventer la parole, la parole est nécessaire pour penser, contradiction qui, selon de Bonald, ne peut se résoudre que par la révélation divine du langage, se résout très-facilement par la distinction de la pensée implicite et confuse, et de la pensée claire, développée, expliquée. Ce n’est certainement pas la pensée réfléchie et maîtresse d’elle-même qui a précédé et produit la parole ; cette pensée-là suppose évidemment la préexistence du langage. L’erreur est de croire qu’il n’y a pas d’autre état de la pensée ; qu’elle était dans l’homme primitif ce qu’elle est dans l’homme du XIXe siècle, qu’elle n’est pas soumise à la loi du développement. L’erreur encore est de ne pas comprendre que l’homme n’est pas seulement pensée, intelligence, qu’il est encore sentiment, passion ; qu’à l’origine, la pensée, loin de se séparer du sentiment, y était pour ainsi dire enveloppée ; que le langage n’est pas une invention réfléchie, artificielle, mais une production spontanée, naturelle ; qu’il n’est pas né de l’entendement pur, mais ne toutes nos facultés psychologiques réunies. Ajoutons que la parole qui nous viendrait du dehors ne peut devenir signe pour nous qu’autant que nous avons la faculté intérieure de l’élever à cet état, en y attachant un sens, et que cette faculté de s’assimiler des signes inventés par d’autres, en leur donnant un sens, est tout aussi difficile à concevoir que la faculté de les produire. Le traditionalisme de de Bonald est né du sensualisme de Condillac ; cette filiation s’accuse par des analogies frappantes. De même que Condillac, de Bonald ne voit dans l’homme que l’intelligence, et méconnaît l’instinct, la passion, la volonté ; de même que Condillac, il fait venir l’idée du dehors, et nie l’innéité des principes de la raison ; de même que Condillac, il attribue les idées générales à l’usage des signes.

Terminons cette biographie en citant les jugements portés sur de Bonald par deux de ses contemporains : Marie-Joseph Chénier et Chateaubriand.

Chémer (Tableau de la littérature française depuis 1789) : Des productions semblables aux œuvres de M. de Bonald semblent exiger un procédé fort simple : celui d’examiner ce qui fut écrit de sage en matière politique, et d’écrire précisément le contraire. Tous les abus dénoncés depuis cent cinquante ans par des philosophes illustres, par d’habiles magistrats, par des cours souveraines, sont aux yeux de l’auteur des inventions admirables ; toutes les gothiques institutions, fruit de l’ignorance du moyen âge, lui paraissent des chefs-d’œuvre du génie. C’est là ce qu’il appelle nécessaire, ce qu’il trouve approcher de la perfection, mais ce qu’il veut perfectionner encore, au point que, s’il en fallait croire et ses conseils, et ses vœux, et ses prophéties, car il est prophète, l’Europe atteindrait bientôt le plus haut degré d’intolérance politique et religieuse. Sa diction, d’ailleurs, est aussi sèche que ses décisions sont tranchantes… Quant au raisonnement, voici ce qu’il appelle raisonner : il pose comme un principe incontestable ce qui est le plus contesté, souvent ce qui est inadmissible, et marche d’assertion en assertion, prouvant chaque proposition qu’il affirme par celle qu’il vient d’affirmer. Veut-il rendre sa démonstration complète ? Cinq à six répétitions sont pour lui cinq à six preuves. Veut-il donner quelque puissance aux mots ? Il les imprime en lettres italiques. C’est avec cette logique victorieuse et ces grands moyens d’éloquence qu’il croit réfuter l’Esprit des lois et le Contrat social, qu’il dénigre l’Essai sur les mœurs des nations, qu’il prend, avec Voltaire, J.-J. Rousseau, Montesquieu, un ton de supériorité plaisant par lui-même, et qu’un extrême sérieux rend plus comique.

Chateaubriand (article du Mercure de France) : Le style de M. de Bonald pourrait être quelquefois plus harmonieux et moins négligé. Sa pensée est toujours éclatante et d’un heureux choix ; mais je ne sais si son expression n’est pas quelquefois un peu terne et commune. On pourrait aussi désirer plus d’ordre dans les matières et plus de clarté dans les idées. Les génies forts et élevés ne compatissent pas assez à la faiblesse de leurs lecteurs : c’est un abus naturel à la puissance. Quelquefois encore, les distinctions de l’auteur paraissent trop ingénieuses, trop subtiles. Comme Montesquieu, il aime à appuyer une grande vérité sur une petite raison. La définition d’un mot, l’explication d’une étymologie sont des choses trop curieuses et trop arbitraires pour qu’on puisse les avancer au soutien d’un principe important… Le génie de M. de Bonald nous semble plus profond qu’il n’est haut ; il creuse plus qu’il ne s’élève. Son esprit nous paraît à la fois solide et fin ; son imagination n’est pas toujours, comme les imaginations éminemment poétiques, portée par un sentiment vif ou une grande image, mais aussi elle est spirituelle, ingénieuse, ce qui fait qu’elle a plus de calme que de mouvement, plus de lumière que de chaleur.

Peut-être un mot de Royer-Collard sur M. de Bonald ne sera-t-il pas déplacé ici. Ce sera, comme dit la petite presse d’aujourd’hui, le trait de la fin.

On sait que les affaires de l’État et de l’Église étaient presque l’unique sujet des con-