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BAL

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brusque enchaîne les mille bataillons au front immobile et silencieux.

Mais qui brille là-bas sur la montagne aux rayons pourprés du matin ? Voyez, ce sont les drapeaux ennemis. — Nous les voyons I que Dieu soit avec nos femmes et nos enfants ! — Entendez-vous ces chants, ces roulements du tambour et ces fifres joyeux ? Comme cette belle et sauvage harmonie pénètre tous nos membres et parcourt la moelle de nos os !

Frères, que Dieu nous protège 1 Au revoir dans un autre monde !

Déjà l’éclair luit le long de la ligne de bataille, un tonnerre sourd T’accompagne, l’action s’engage, les balles sifflent, les signaux se succèdent... déjà les Furies des combats se déchaînent. Ahl l’on commence à respirer ! La mort plane, le sort se balance indécis... Les dés d’airain sont jetés au sein d’une épaisse fumée ! Voilà que les deux armées se rapprochent : — Garde à vous ! crie-t-on de peloton en peloton. Le premier rang plie le genou et fait feu... Il en est qui ne se relèveront pas. La mitraille ouvre de larges vides, le second rang gravit promptement sur les cadavres du premier... La mort est partout ! que de légions elle couche à terre !

Le soleil s’éteint, mais la bataille est ardente, la nuit sombre descend enfin sur les armées, et la flamme soufrée qui sort de la bouche des canons éclaire seule ce champ de carnage.

Adieu, frères, au revoir dans un autre monde 1

De toutes parts le sang jaillit, les vivants sont couchés pêle-mêle avec les morts... le pied glisse sur les cadavres...— «Et toi aussi, Franz ! — Ami, mes adieux à ma Charlotte I

— Je lui porterai tes adieux : repose en paix... moi, ton ami abandonné, je vole làbas où court la mort, ou pleuvent les balles. »

Le sort de la journée est encore douteux ; mais la nuit s’épaissit toujours...

Frères, que Dieu nous protège ! Au revoir dans un autre monde 1

Écoutez 1 les adjudants passent au galop... Les dragons s’élancent sur l’ennemi... ses canons se taisent, ., quel silence de mort... Victoire ! camarades ! La terreur s’est emparée du cœur des timides et ils abandonnent leurs drapeaux.

La terrible bataille est enfin décidée. Ecoutez les roulements du tambour et les fanfares joyeuses entonnant déjà le chant de la victoire !

Adieu, frères que nous laissons... nous nous reverrons dans un autre monde I

Les ballades de Goethe, sans avoir rien de mystique, ont un caractère mystérieux, qui réside tout entier dans la manière de traiter le sujet. Le mystérieux ressort en effet presque toujours de 1 arrangement ou de-la mise en scène. Lyrisme., drame, épopée, toutes les formes fondamentales de la poésie sont mêlées ensemble, disposées selon le souffle de l’inspiration capricieuse ; le refrain, ramené avec art au bout de chaque strophe, tout en introduisant dans le vers ce nombre caractéristique, ce rhythme musical que Beethoven admire, vient donner à l’expression de la pensée un ton original de plus. Les ballades de Goethe sont autant de morceaux marqués chacun d’un signe distinctif par ce génie, qui sait varier à l’infini ses formes et ses tons. Cependant on peut les diviser en deux classes distinctes : la ballade épique, qui revêt toutes les pompes de l’art ; la ballade populaire, la vraie ballade, toute naïve, toute concise, belle de sa seule ingénuité. La ballade populaire de Goethe restera comme un inimitable modèle de poésie, où la naïveté de la légende s’allié à la perfection de la forme. Ce sont des épopées en quelques lignes, dans un style fantastique autant que réel, qui semble fait pour s’imprimer dans la mémoire. Au premier genre appartiennent : le Dieu et la Bayadère, la Fiancée de Corinthe, le Chant du comte prisonnier, Mit/non, la Violette ; au second, le Moi des Aulnes, le Page et la Meunière, le Jtoi de Thulé, la Cloche errante, Y Apprenti sorcier.

Voici quelques-unes des ballades du plus grand écrivain de l’Allemagne :

LA FIANCÉE DE CORINTHE.

Il vint d’Athènes à Corinthe unjeune homme qui voyait cette ville pour la première fois : il y était attiré par l’espoir de s’allier à une ieune Corinthienne qui lui était promise dès l’enfance. Leurs parents s’étaient plu à resserrer, par cette union projetée, les lienS de l’hospitalité qui les unissaient depuis longtemps.

. Mais le bon accueil qu’il espère ne lui coûtera-t-il pas trop cher ? Ses parents et lui sont restés fidèles à l’ancienne religion ; la jeune Corinthienne et les siens, au contraire, professentdéjàla foichrétienne. Une croyance nouvelle ne repoussera-t-elle pas sa constance et son amour comme des plantes empoisonnées ?

Déjà tous les habitants de la maison se livraient au sommeil ; la mère de la jeune Corinthienne veillait encore. Elle reçoit l’étranger avec empressement ; un modeste repas lui est offert aussitôt dans la chambre même qu’il doit habiter. Après avoir rempli ce devoir hospitalier, elle se retire, et lui souhaite un doux repos.

Ces soins affectueux ne peuvent triompher des vagues inquiétudes dont l’âme du jeune homme est agitée ; enfin il succombe à la fatigue qui l’accable, et, sans quitter ses vêtements, il se jette sur la couche qu’on lui a préparée. Mais à peine le sommeil commençait-il à fermer sa paupière, qu’il entend ouvrir la porte et qu’un hôte inattendu se montre à ses yeux étonnés.

Il aperçoit à la lueur de la lampe une jeune fille qui, enveloppée d’un long voile blanc, s’avance lentement vers lui : son front est ceint d’un bandeau noir, entremêlé d’or. A l’aspect du jeune voyageur, elle recule intimidée, elle s’écrie avec un accent douloureux en levant vers le ciel ses mains décolorées :

« Suis-je donc devenue si étrangère dan. ; la maison paternelle, que j’ignore même la présence d’un nouvel hôte ? Hélas ! retenuedans une étroite cellule, faut-il, pour combler mes maux, me voir réduite à la honte d’être ainsi oubliée ! Repose doucement, jeune voyageur ; je me retire confuse d’avoir involontairement troublé ton sommeil.

— Ne t’éloigne pas, femme céleste, s’écrie le jeune Athénien, qui s’élance pour la retenir ; daigne partager avec moi lesdonsde Cérès et de Bacchus ; ta vue inspire l’amour ! Pourquoi pâlir ainsi d’effroi ? ne serais-tu pas l’épouse que le ciel m’a destinée ? Viens, ô ma bien-aimée 1 reste près de moi ; fais-moi goûter la félicité des dieux.

— Fuis-moi, jeune infortuné ! fuis celle qui n’appartient plus aux joies de ce monde ! Le dernier pas est franchi ; ma mère malade m’a engagée, par une promesse fatale, envers son nouveau dieu. La nature et la jeunesse ont été sacrifiées à l’espoir du bonheur dans une vie future, et j’ai prononcé des vœux irrévocables.

Les dieux da nos pères sont bannis de cette silencieuse demeure : un être invisible dans le ciel, un Dieu sauveur, mort sur la croix, voilà ce que nous adorons. On n’offre à ce Dieu ni timides agneaux, ni taureaux redoutables. Le croiras-tu ? ce sont des sacrifices humains qu’il exige ! et moi-même je lui fus consacrée, »

— Mon cœur ne m’a point trompé ; tu es ma fiancée, tu es mon épouse chérie ! Tu es toujours à moi ; les serments de nos pères ne peuvent être rompus ; le ciel a repoussé un vœu téméraire.

— Tu t’abuses ; je ne puis plus être à toi : ô noble jeune nomme ! condamnée à gémir dans ma triste demeure, je dois céder à ma jeune sœur les beaux jours qui m’étaient réservés. En t’unissant à elle, pense à moi, à celle que son amour et Ses regrets ont dévorée ; à celle qui n’est occupée que de toi ; à celle que la terre va bientôt engloutir I

— Non, j’en jure par notre amour, notre union peut encore s’accomplir 1 non, tu n’es pas perdue pour moi ! suis-moi, viens à Athènes, dans la maison de mes pères ; ma bienaimée, ne me quitte plus ; et puisque les dieux nous ont réunis, hâtons-nous de célébrer notre hymen. »

Elle se laisse fléchir, et alors ils échangent les gages delà foi jurée. Le jeune homme reçoit de celle qu’il prend pour épouse une chaîne d’or, et lui présente une riche coupe d’argent. « Cette coupe ne m’est pas destinée, lui dit-elle ; tout ce que je réclame de toi, c’est une boucle, de tes cheveux. »

En ce moment sonna l’heure ténébreuse des fantômes, et elle parut plus calme. Elle porta avec avidité à ses lèvres pâles le vin que goûtent les ombres, un vin couleur de sang ; malgré toutes les instances de son fiancé, elle refuse constamment le pur froment qu’il lui offre.

Alors elle présente au jeune Athénien la coupe dans laquelle elle vient de boire ; il la vide avec une avidité égale à la sienne. De plus en plus, ce silencieux repas éveille en lui tous les feux de l’amour ; son cœur en éprouve les transports les plus vifs : il veut l’entraîner vers la couche nuptiale ; la résistance qu’elle lui oppose excite son désespoir.

Elle cherche à le consoler de son refus, et lui dit ; « Tes souffrances m’affligent profondément ; mais, hélas ! si tu touchais mes membres, tu frémirais de ce que mon voile cache à tes yeux : blanche comme la neige, mais glacée comme elle, telle est l’infortunée que tu veux pour épouse.»

Il la saisit alors avec toute la force de la jeunesse et de l’amour, et s’écrie : « Je te ranimerais, lors même que tu sortirais du tombeau ; mon haleine réchauffera la tienne, mes baisers répandront la vie dans ton sein. Ne ressens-tu donc pas aussi le feu dévorant dont je suis embrasé ? »

Il la presse fortement sur son sein ; des larmes se mêlent à leurs transports ; leurs âmes semblent se confondre, et l’infortunée savoure le bonheur d’être aimée. L’amour de son époux semble ranimer ses sens glacés, et cependant il est étonné de ne pas sentir un cœur battre contre son cœur.

La mère de la jeune Corinthienne, qui veillait encore, passe devant l’appartement de l’étranger ; surprise d’y entendre du bruit, elle s’approche, elle écoute.

Elle reste d’abord immobile d’étonnement, puis s’avance davantage pour se convaincre. Elle entend alors les serments d’amour les plus tendres, les expressions les plus passionnées.

« Malheureusement, se disaient-ils, le coq matinal annonce le jour I 11 faut nous séparer ;. mais demain, demain la nuit nous réunira. • Elle entendit alors le baiser de l’adieu.

Elle ne peut plus longtemps contenir son indignation ; elle ouvre la porte précipitamment pour confondre l’esclave qu’elle soupçonne être dans les bras de l’étranger. Elle s’avance, et muette d’étonnement, elle reconnaît, qui ? ô ciel ! sa fille infortunée !...

Le jeune Athénien, plein d’effroi, veut cacher son épouse et l’envelopper de son voile, mais elle le rejette ; et prenant la forme d’une ombre aérienne, elle grandit lentement jusqu’à la voûte.

« O ma mère ! s’écrie-t-elle d’un ton de voix sépulcral, pourquoi troublez-vous cette belle nuit de l’hymen, et me rappelez-vous au désespoir ? n était-ce pas assez de m’avoir enveloppée si jeune d’un linceul, et de m’avoir ainsi envoyée avant le temps au séjour des morts ?

La justice divine m’a fait sortir du cercueil ; toutes les bénédictions et les chants de vos prêtres n’ont point eu le pouvoir d’apaiser mes mânes errants ; l’eau et le sel auraient-ils pu anéantir l’amour et la jeunesse, quand le froid mortel de la terre n’a pu y parvenir ?

Je fus promise à ce jeune homme lorsqué le temple paisible de Vénus était encore debout. Ô ma mère, vous avez rompu ce lien sacré ! Séduite par une croyance étrangère, vous avez formé un vœu qui ne pouvait se réaliser ; car aucun dieu n’accepte le serment d’une mère qui dispose de sa fille déjà consacrée par l’hymen.

Je suis sortie, de la tombe pour chercher le bien que l’on m’a ravi, pour aimer encore celui qui m’a été enlevé, et pour sceller notre union dans un autre monde.

O mon époux ! tu ne vivras plus longtemps ; tu languirais dans ces lieux où tu viens de tengager avec moi ; la chaîne que je t’ai donnée, la boucle de cheveux que j’ai reçue de toi nous lient éternellement l’un à l’autre ; ton union volontaire à la fille des tombeaux te condamne à une vieillesse prématurée, et ce n’est qu’auprès de moi que tu retrouveras la jeunesse,

Écoute, ô ma mèrel la dernière prière de ta malheureuse fille : fais élever un bûcher ; ouvre mon étroite demeure ; fais porter les amants au lieu du repos t lorsque la flamme pétillera, lorsque nos cendres brûlantes seront mêlées ensemble, alors tes enfants réunis iront rejoindre les dieux de leurs pères. « Trad. de Mme Panckouckb.

L APPRENTI SORCIER.

Enfin mon vieux maître est sorti ! et je vais à mon tour me faire obéir par ses génies. J’ai bien retenu les paroles qu’il prononce, les mouvements qu’il fait ; je vais certainement produire des merveilles en sorcellerie.

Allons, vite, à l’ouvrage ! que l’eau coule et que l’on me remplisse ce bassin.

Viens donc ici, vieux balai ; prends ces dépouilles : tu es habitué à servir depuis longtemps, il te coûtera peu de te soumettre à ma volonté. Tiens-toi debout comme si tu étais une personne ; hâte-toi, et va me chercher de l’eau plein ce vase.

> Allons, vite, à l’ouvrage ; que l’eau coule et qu’on me remplisse ce bassin.

Hél mais, il m’obéit !...le voilàquidescend au rivage ! Vraiment, il est au bord de l’eau !., . le voilà revenu avec la vitesse de l’éclair I... Déjà.une seconde, une troisième fois il a rempli le bassin !... comme il porte ces vases avec aisance 1

Laisse, laisse, en voilà bien assez ; ta tâche est accomplie... Ah mon Dieu ! j’ai oublié mes paroles magiques. Ce mot était quelque part... À la fin ; mais quel était-il ? On ! mon sauveur 1 le voilà qui accourt de nouveau I Arrête donc, vieux balai 1 II n’en va que plus vite.

Malheur à la maison ! malheur àmoi-mêmel Non, je ne le laisserai pas voyager plus longtemps ; je veux lui jouer un bon tuur. Hélas ! la peur me gagne de plus en plus ! Quel geste, quel regard faut-il faire, quel mot faut-il prononcer ?

Envoyé de l’enfer, veux-tu donc nous noyer ? ne vois-tu pas que l’eau se répand de toutes parts ? Un insensé balai qui ne veut rien entendre l Bâton que tu es, reste donc tranquille I

Tu ne veux pas finir ? je vais t’apprendre comme il faut faire pour t’arrêter ; et stupide morceau de bois, je vais prendre ma hache et te fendre en deux !

Il ne tient compte de mes menaces, le voilà encore ! Oh ! comme je vais le punir ! À l’instant, farfadet, tu resteras coi. Tiens, te voilà en deux ! Ouf 1 J’ai trouvé le bon moyen, et j’espère qu’à présent tu me laisseras respirer I

« Oh I malheureux que je suis ! voilà les deux morceaux de bois transformés en deux valets droits et alertes ! Dieu puissant 1 venez à mon aide !

« Comme ils courent ! tout est submergé jusqu’à l’escalier. Quelle inondation ! O mon seigneur et maître, ne viendrez-vous donc pas à mon secours I

Dieu soit béni 1 le voilà qui arrive ! O mon maîtreI accourez, le danger est imminent ! J’ai osé évoquer vos démons familiers, et ne sais plus comment m’en défaire. — Ignorant, c’est ta juste punition que mérite ta sotte vanité ! Ah ! tu as cru en savoir autant que ton maître ! Reconnais ta faiblesse et le pouvoir de la science ! . à Rentrez dans le devoir, esprits infernaux et

n’obéissez q Vaux ordres du mortel habile qui sait vous commander. »

Trad. de Mme Panckouckb.

LE ROI DE THUI.É.

Un roi de l’Ile de Thulé offrit un grand exemple de fidélité et d’amour. Il n’aima qu une fois : celle qu’il regrettait lui avait donné en mourant une belle coupe d’or.

Il s’en servit constamment pendant de longues années ; et chaque fois qu’il la portait a ses lèvres, il la regardait avec attendrissement.

I ! sentit sa dernière heure upprocher, et il abandonnait sans regrets tous ses trésors et toutes les villes de son royaume à ses héritiers : le seul objet auquel il tenait encore était sa coupe.

Comme il était à table, entouré de tous ses chevaliers, dans une des salles de son palais dont les fenêtres donnaient sur la mer,

Il fit remplir sa coupe pour la dernière fois ; puis, quand il eut savouré la liqueur qu’elle contenait, il jeta dans la mer ce gage sacré de son malheureux amour.

Il la vit tournoyer au milieu des flots, s’emplir et disparaître pour toujours ; alors la vie l’abandonna, et ses yeux ne se rouvrirent plus à la lumière.

Trad. de Mme Panckojjckë.

Nos lecteurs ne seront pas fâchés de voir ici une traduction en vers de cette charmante ballade, due à la plume de notre regretté Gérard de Nerval :

Il était un roi de Thulé,

À qui son amante fidèle

Légua, comme souvenir d’elle,

Une coupe d’or ciselé.

C’était un trésor plein de charmes

Où son amour se conservait :

À chaque fois qu’il y buvait

Ses yeux se remplissaient de larmes.

Voyant ses derniers jours venir, It divisa son héritage, Mais il excepta du partage La coupe, son cher souvenir.

Il fit a la table royale Asseoir les barons dans sa tour ; Debout et rangée a l’entour, Brillait sa noblesse loyale.

Sous le balcon grondait la mer. Le vieux roi se lève en silence. Il boit, frissonne, et sa main lance La coupe d’or au Ilot amer !

Il la vit tourner dans l’eau noire, La vague en s’ouvrant fit un pli. Le roi pencha son front pâli... Jamais on ne le vit plus boire.

Ltë ROI DES AULNES.

Qui peut voyager si tard achevai, par cette nuit sombre et agitée ? C’est un père avec son enfant ; il le presse tendrement contre son sein, et cherche à le garantir de l’humidité glaciale qui les pénètre.

Cependant il sent son jeune fils frémir dans ses bras : «Qu’as-tu, cher enfant ? qui peut t’inspirer de l’effroi ? n’es-tu pas protégé par ton père ! — Père, père, aperçois-tu le roi des aulnes nui nous apparaît ? Il est vêtu d’un riche mantea.’ !, une couronne brille sur sa tête ; il fixe les yeux sur moi ! — Mon fils, c’est une vision qu’il faut éloigner de ton esprit ; nous ne sommes environnés que de brouillards.

— Écoute, mon père, il m’appelle ; il me dit : Viens avec moi, charmant enfant ; j’emploierai tous les moyens pour te plaire, je te donnerai les plus beaux jouets ; les brillantes fleurs qui bordent ce ruisseau orneront ta chevelure, et ma mère te parera des plus jolis habits brodés d’or et de soie.

Mon père, n’entends-tu pas toutes les promesses que me fait le roi des aulnes ?-Calme-toi, ô mon fils chéri 1 éloigne de vaines chimères : tu n’entends que le bruit du feuillage agité par les vents.

— O mon père I j’entends le son de sa voix ; il me dit : Aimable enfant, suis-moi ; mes filles t’attendent et te préparent la réception des anges : en ce moment, elles chantent et dansent dans l’espoir de te voir bientôt au milieu d’elles.

Oui, je les vois, ô mon père ! je vois les filles du roi des aulnes à l’endroit le plus sombre de la forêt I — Mon fils, mon cher fils, rappelle ta raison égarée 1 regarde bien, et tu ne verras, comme moi, que le vieux saule de la forêt, dont les longues branches touchent jusqu’à terre.

— Il me menace de m’enlever, si je ne le suis volontairement ; il m’entraîne loin de toi ; il m’a fait une blessure profonde. Adieu, père chéri !... »

Le malheureux père frémit, presse le pas de son cheval, serre dans ses bras son fils expirant, soutient sa tête avec peine ; il veut l’embrasser ; mais, hélas ! son enfant était mort. Trad. de M">e Panckouckb.

LE ROI DES AULNES.

Qui donc passe h cheval dans la nuit et le vent ? C’est le père avec son enfant : De son bras, crispé de tendresse, Contre sa poitrine il le presse Et de la bise il le défend.

— Mon fils, d’où vient qu’en mon sein tu frissonnes ?Mon père... la... vois-tu, le roi des aulnes,

Couronne au front, en long manteau ?

— Mon fils, c’est le brouillard sur l’eau.