Page:Larousse - Grand dictionnaire universel du XIXe siècle - Tome 2, part. 1, B-Bd.djvu/119

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’abîme qui se referme, de tendre en vain des bras impuissants, d’appeler inutilement au secours ! »

Le cri d’angoisse se fit encore entendre,
plus aigu et plus perçant ; la lune en ce moment brilla sur les flots à travers un nuage déchiré.

Auprès d’eux ils virent un enfant debout
sur la pointe d’un rocher, que le flot environnait de toutes parts et recouvrait insensiblement.

Le batelier redoubla d’efforts et le bateau arriva auprès du rocher ; un rayon de la lune éclaira la tête de l’enfant et fit voir sa figure livide.

« Tends-lui la main, lord William, s’écria le batelier, tends-la et sauve-le ! » L’enfant allongea ses petits bras pour saisir la main qui lui était offerte.

Lord William poussa un cri terrible : les
mains de l’enfant, mortes et glacées, l’avaient saisi. Le jeune Edmond pesait dans ses mains comme une masse de plomb... il l’entraîna avec lui, et tous deux s’enfoncèrent sous les flots vengeurs. Le meurtrier reparut et jeta un cri suprême, mais personne ne l’entendit.
            R. Southey.

BALLADE DE LA CHARITÉ.

Rien n’est aussi naïf que ce dialogue de l’abbé de Saint-Godroyn et de son pauvre ; le début en est simple et majestueux. « C’était le mois de la Vierge ; le soleil était rayonnant au milieu du jour, l’air calme et mort, le ciel tout bleu. Et voilà qu’il se leva sur la mer un amas de nuages d’une couleur noire, qui s’avancèrent dans un ordre effrayant, et se roulèrent au-dessus des bois, en cachant le front éclatant du soleil. La noire tempête s’enflait. » On ne saurait rendre la sauvage harmonie des vers anglais ; mais on peut admirer dans l’image de cette tempête, qui saisit la mer dans son calme, des couleurs nettes et justes et un tableau d’une saisissante réalité. Le sujet de la ballade est bien simple : deux moines passent devant un mendiant ; l’un, riche abbé monté sur un palefroi, l’autre, pauvre frère quêteur-, le premier l’injurie et ne lui fait point l’aumône, le second lui donne un écu et l’encourage par de bonnes paroles. Voilà tout le poëme. Outre une rare perfection de style et de rhythme, on y trouve de belles pensées et des sentiments justes. « J’y vois, dit M. de Vigny, une morale pure et toute fraternelle, enveloppée dans une composition simple qui rappelle la parabole du Samaritain ; une satire très-fine, amenée sans effort, et ne dépassant jamais les idées et les expressions du siècle où elle semble écrite ; et au fond de tout cela, le sentiment sourd, profond, désolant, inexorable d’une misère sans espérance, et que la charité même ne saurait consoler. » C’est environ un mois avant sa mort que Chatterton envoya cette ballade à l’éditeur du journal Town and Country magazine, sous le . titre de Ballade de la Charité, comme elle fut écrite par le bon prêtre Thomas Rowley, en 1464. Ce sont les derniers vers qu’il ait écrits.

Citons enfin, pour terminer ce que nous avons à dire des ballades anglaises, un petit chef-d’œuvre d’un auteur inconnu qui se trouve dans le recueil publié par M. Loëve Veimars.

LA PETITE MENDIANTE.

« Je traverse dans l’abandon la montagne et le marécage ; j’erre, les pieds nus, et la fatigue m’accable ; mon père est mort et ma mère est pauvre ; elle regrette les jours qui ne sont plus.

« Ayez pitié de moi, cœurs généreux et humains ! le vent est froid et la nuit approche ; donnez-moi, par charité, quelques aliments pour ma mère ; donnez-moi quelques aliments, et je m’en irai.

« Ne m’appelez pas paresseuse, mendiante
ou effrontée ; je voudrais bien apprendre à tricoter et à coudre ; j’ai deux frères à la maison ; lorsqu’ils seront grands, ils travailleront avec courage.

« Ô vous, qui vous réjouissez, libres et sans inquiétude, garantis du vent, bien vêtus et bien nourris, si la fortune changeait, songez combien il serait affreux de mendier à une porte pour un morceau de pain. »

L’Écosse, qui eut longtemps sa langue distincte de la langue anglaise, compte aussi un grand nombre de ballades. Nous citerons seulement les deux suivantes :

JOHNIE DE BREADISLE.

Un matin du mois de mai, Johnie se leva et demanda un vase pour y laver ses mains :

« Déliez, dit-il ensuite, les chaînes de fer qui retiennent mes chiens fidèles. »

En entendant cet ordre, la mère de Johnie
se tordit les mains de désespoir. « Oh ! si vous voulez être béni par votre mère, Johnie, n’entrez point dans la forêt.

« Nous ne manquons ni de pain, ni de froment, ni de bon vin ; n’allez point vous exposer pour de misérable gibier ; Johnie, je vous en supplie, ne passez point le seuil. »

Mais Johnie disposa son arc, il choisit ses flèches l’une après l’autre ; puis il gagna le Durrisdeer pour chasser le daim fauve.

En descendant au Merriemass, il aperçut
un daim caché sous une touffe de bruyère.

Johnie fit voler une flèche, et le daim fauve prit la fuite ; il l’avait atteint au flanc. Entre le coteau et la rivière, les chiens s’emparèrent de la proie.

Johnie dépeça le daim. Il en retira les
poumons et le foie, et ses chiens sanglants s’en régalèrent comme des fils de comte.

Ils burent tant de sang et mangèrent tant
de chair qu’ils s’endormirent avec Johnie sur la verdure.

Mais un vieux paysan passa dans la forêt
(qu’il meure d’une mort funeste !). Il court vers Hislington, où demeuraient les sept gardes.

« Que viens-tu nous apprendre, paysan aux
cheveux gris ? — Je ne viens vous apprendre que ce que j’ai vu de mes yeux.

« Comme je descendais au Merriemass, j’ai
vu sous des églantiers un jeune homme fort
beau qui dormait entouré de ses chiens.

« Sa chemise était de toile fine de Hollande, et son habit de l’étoffe la plus riche.

« Les boutons de sa manche étaient d’or
étincelant, et ses chiens fidèles avaient la queue ensanglantée.

« Le premier garde alors parla ainsi, c’était le chef : « Si c’est Johnie de Breadisle, nous ne verrons jamais personne de plus près. »

« Le sixième garde dit à son tour (il était fils de sa sœur) : « Si c’est Johnie de Breadisle, nous le tuerons bientôt. »

À la première volée de traits que les
gardes envoyèrent, ils blessèrent Johnie au genou. Alors le septième garde s’écria : « Une seule flèche encore le fera mourir. »

Johnie appuya son dos contre un chêne, son
pied sur une pierre, et il tua les sept gardes de la forêt, hors un seul.

Mais il lui brisa trois côtes et la clavicule, puis il le mit en double sur un coursier, et lui dit de porter de ses nouvelles à la maison.

« Oh ! n’est-il pas ici quelque doux oiseau qui veuille chanter mes paroles, voler vers ma mère et lui dire de secourir Johnie ? »

Un sansonnet vola vers la fenêtre de sa
mère : il commença à chanter et à siffler, et toujours le refrain de son chant était : « Johnie tarde longtemps. »

Ils prirent une branche de noisetier, une
branche de prunier et vinrent en grand nombre pour emporter Johnie.

Alors sa vieille mère fut inondée de larmes. « Ah ! je vous avais conjuré, mon fils Johnie, de ne point aller à la chasse.

« J’ai souvent apporté à Breadisle de grandes richesses, mais je n’y revins jamais si triste en apportant un tel trésor..

« Puisse le vieux paysan mourir d’une mort
fatale ! Un jour il recevra la récompense au haut de l’arbre le plus élevé des bords du Merriemass.

« L’arc de Johnie est brisé maintenant, ses chiens fidèles sont tués, son corps repose dans Durrisdeer, et sa chasse est finie. »

LE DÉMON ET LA JEUNE MÈRE.

Sous la figure et les armes brillantes d’unnoble chevalier, le démon apparut devant une jeune châtelaine. Remise de son effroi, elle lui dit :

« Où êtes-vous allé pendant sept longues
années et plus ? — Je reviens à mes premiers serments, ceux que vous avez reçus jadis.

— Paix ! ne parlez plus de serments ; aujourd’hui je suis épouse. »

Il se détourna silencieux, puis revint ; une larme obscurcissait son œil. « Jamais je n’eusse foulé la terre d’Irlande, si ce n’avait été pour toi.

« Il n’a tenu qu’à moi d’épouser la fille d’un roi, loin, bien loin par delà les mers ; il n’a tenu qu’à moi d’épouser une royale dame, si ce n’avait été pour toi.

— Si tu n’as pas épousé cette royale fille, tu n’en peux blâmer que toi-même. Que ne l’épousais-tu ? Ne sais-tu pas bien que je ne suis pas fille de roi ? »

Le chevalier insista et feignit une douleur qu’il ne ressentait pas au fond du cœur. La jeune femme tremblante, fascinée, lui dit :

« Mais s’il me fallait abandonner un tendre époux et mes deux petits innocents, mes chéris, où mettrais-tu ta fugitive, et comment l’emmènerais-tu ?

— J’ai sept vaisseaux sur les mers, sept
vaisseaux chargés d’or ; le huitième m’attend sur la rive avec ses vingt-quatre matelots, et il résonne de musique et de joyeux concerts. »

Elle presse contre son sein ses petits innocents ; elle baise leurs joues, elle baise, leur menton : « Oh ! soyez heureux, mes chers petits, je ne vous reverrai plus jamais ! »

Elle avait mis son pied sur la nef, et elle n’y voyait aucun marin ; les voiles étaient desoie, et les mâts d’or bruni.

Elle n’a pas navigué une lieue, une seule,
une lieue ou tout au plus trois, que sa figure s’est attristée et que son œil s’est assombri.

Les mâts, semblables à l’or bruni, ne se
courbent pas sur les vagues houleuses ; les voiles de soie ne se gonflent pus à la brise de terre, à la brise de l’est.

Ils n’ont pas navigué une lieue, une seule, une lieue ou tout au plus trois, qu’elle découvre le pied fourchu qui passe, et elle pleure amèrement.

« Oh ! retenez vos larmes et taisez-vous, dit-il ; je n’ai que faire de vos plaintes. Ne pleurez plus et je vous montrerai les lis qui croissent sur les rives de l’Italie.

— Oh ! quelles sont ces collines là-haut, ces belles cimes sur lesquelles l’éclat du soleil est si doux ? — Là, sont les frontières du ciel, dit-il, du ciel que vous ne gagnerez pas.

— Oh ! quels sont ces rochers si affreux que couvrent les glaces et les frimas ? — Là sont les montagnes de l’enfer, dit-il, de l’enfer où vous et moi nous nous rendons. »

Et voilà qu’elle se tourne, le regarde ; il grandit, et toujours il lui semble plus grand ; les mâts du rapide navire ne sont pas si hauts que lui.

Les nuages s’épaississent ; le vent s’élève et mugit ; l’écume salée rejaillit jusqu’au front de la dame ; et, sur les eaux rougissantes, des esprits blancs comme la neige hurlent : Malheur !
malheur !

Il frappe le mât de perroquet de la main, le mât de hune du genou ; il brise en deux l’esquif léger, et la dame tombe au fond des mers.

En Allemagne, comme en Angleterre, la ballade n’est autre chose qu’un petit poëme propre à frapper l’imagination des petits comme des grands et à se graver dans la mémoire de tous. Le plus ancien poëme allemand, le chant des Niebelungen, peut être considéré comme une suite de vieilles ballades qui, probablement, furent composées à des époques différentes par des bardes dont les noms sont restés inconnus ; elles n’existèrent longtemps que dans la mémoire du peuple, et elles se sont transmises de génération en génération jusqu’au jour où elles furent réunies de manière à former une grande épopée. Quoi qu’il en soit, ce n’est que dans la seconde moitié du XVIIIe siècle que le mot ballade reçut une définition exacte et une délimitation précise, qui le rendit propre à désigner un genre spécial dans la littérature allemande. C’était désormais un récit emprunté au monde du merveilleux et du fantastique ; ou lorsque ses héros n’étaient pas pris dans un milieu imaginaire, elle se rapprochait alors de la complainte et ne servait plus qu’à perpétuer le souvenir de quelque drame sanglant. Quatre poètes, en Allemagne, sont considérés, à juste titre, comme les maîtres du genre : Bürger, Schiller, Goethe et Uhland. — Bùrger, familiarisé avec les poètes anglais et surtout écossais qui, au XIVe siècle principalement, avaient affectionné et adopté cette forme, fut le véritable père de la ballade allemande. À côté de la partie épique il introduisit la partie descriptive. Il alla plus loin : par l’introduction fort ingénieuse du dialogue dans ces petits poèmes, il dramatisa si bien les événements qu’il donna à ses ballades une vie, une animation, et, partant, un intérêt inconnus jusqu’alors. Sa Lénore est restée le modèle du genre ; le Brave homme, le Chasseur féroce, l’Empereur et le Prieur ne sont pas moins populaires. Schiller, plus descriptif, plus lyrique aussi, rapprocha la ballade du lied allemand. Quelquefois il néglige le fait qui lui sert de sujet pour prendre son vol vers des sphères plus élevées ; sa ballade devient une élégie, une ode, un dithyrambe. Il paraît difficile assurément de ne voir que de simples ballades dans le Chant de la Cloche, Résignation, Idéal, et quelques autres de ses sublimes inspirations ; mais il reprend tous ses droits de conteur poétique dans le Plongeur, la Caution, la Lutte avec le dragon, le Message à la forge, les Grues d’Ibicus. Goethe et Uhland replacèrent la ballade sur son véritable terrain, et le Roi de Thulé, le Roi des Aulnes, l’Apprenti sorcier, la Fiancée de Corinthe, le Dieu et la Bayadère du premier, la Malédiction du chanteur, Taillefer, le Roi aveugle et la Chronique souabe du second, sont d’admirables petits chefs-d’œuvre qui n’ont pas peu contribué à la gloire de leurs auteurs. Le peuple, d’ordinaire, n’a ni les moyens d’acquérir les œuvres de longue haleine de ses grands poètes, ni le temps de les lire ; mais sa mémoire retient ces petits poèmes, et, reconnaissant de la jouissance éprouvée, il les transmet fidèlement de père en fils ; l’enfant sous le regard de la mère, dès qu’il a pu parler, a balbutié ces vers, et plus tard l’homme se rappelle que sa première leçon de récitation a été telle ballade de Schiller ou de Goethe ; — Après les quatre grands noms que nous venons de citer, une place honorable, distinguée même, est encore acquise à Fieck, Schwab, Chamisso, Zedlitz (la Revue nocturne), Lenau, Schubert, les frères Schlegel, etc. Mais, afin de rendre plus complet notre article sur les ballades, nous allons donner quelques-unes de celles qui nous paraissent les plus dignes d’être connues.

Les ballades de Bürger seront toujours son principal titre de gloire. On peut dire que la terreur est une source inépuisable d’effets poétiques, particulièrement dans le Nord. Parmi les moyens d’exciter la terreur, l’un des plus fréquemment et des plus heureusement employés, parce qu’il est tout particulièrement populaire, c’est la croyance aux revenants et aux sorciers. Et l’effet en sera singulièrement augmenté si le poëte peut employer une certaine familiarité d’expression, qui, tout en prêtant au récit plus de naturel, n’enlève point à la poésie sa dignité. Celui de tous les poètes allemands qui a le mieux su exploiter cette mine féconde des superstitions et des légendes populaires, c’est assurément Bürger.

Sa Lénore est chantée d’un bout de l’Allemagne à l’autre. Comme tous les poëmes épiques d’une haute portée, elle ne fut que le jet, que l’inspiration du moment. Bürger l’écrivit pour amuser un cercle de convives, poètes distingués : elle produisit un effet de terreur instantanée qui décida la vocation poétique de l’auteur. La Fille du Pasteur de Taubenhein peut être considérée comme la composition la plus tragique qui soit sortie de la plume de Bürger. Rien de plus simple que le thème, qui consiste dans la séduction d’une jeune fille par un grand seigneur. Il s’y trouve des détails d’une inimitable beauté, et la gradation des sentiments de la femme séduite est rendue avec un talent vraiment infernal. Quelques ballades de Bürger sont écrites sur un ton presque goguenard et parfois trivial. D’autres sont dans le genre érotique, telles que l’Hymne à mon idole. Enfin, certaines ballades offrent des tableaux voluptueux. Bürger ambitionnait le titre de poste populaire : il l’a obtenu, remarque un bon critique, mais en descendant jusqu’au peuple, non en élevant le peuple jusqu’à lui.

Voici l’analyse de la célèbre ballade de Lénore, telle que l’a donnée Mme  de Staël dans son livre sur l’Allemagne.

« Une jeune fille s’effraye de n’avoir point de nouvelles de son amant parti pour l’armée ; la paix se fait ; tous les soldats retournent dans leurs foyers. Les mères retrouvent leurs fils, les sœurs leurs frères, les époux leurs épouses ; les trompettes guerrières accompagnent les chants de la paix, et la joie règne dans tous les cœurs. Lénore parcourt en vain les rangs des guerriers ; elle n’y voit point son amant ; nul ne peut lui dire ce qu’il est devenu. Elle se désespère : sa mère voudrait la calmer ; mais le jeune cœur de Lénore se révolte contre la douleur ; et, dans son égarement, elle renie la Providence. Au moment où le blasphème est prononcé, on sent dans l’histoire quelque chose de funeste, et dès cet instant l’âme est constamment ébranlée. — À minuit, un cavalier s’arrête à la porte de Lénore : elle entend le hennissement au cheval et le cliquetis des éperons : le chevalier frappe ; elle descend et reconnaît son amant. Il lui demande de le suivre à l’instant, car il n’y a pas un moment à perdre, dit-il, ayant de retourner à l’armée. Elle s’élance ; il la place derrière lui, sur son cheval, et part avec la promptitude de l’éclair. Il traverse au galop, pendant la nuit, des pays arides et déserts ; la jeune fille est pénétrée de terreur, et lui demande sans cesse raison de la rapidité de sa course ; le chevalier presse encore plus les pas de son cheval par ses cris sombres et sourds, et prononce à voix basse ces mots : Les morts vont vite, les morts vont vite. Lénore répond : Ah ! laisse en paix les morts ! Mais toutes les fois qu’elle lui adresse des questions inquiètes, il lui répète les mêmes paroles funestes. — En approchant de l’église où il la menait, disait-il, pour s’unir avec elle, l’hiver et les frimas semblent changer la nature elle-même en un affreux présage : des prêtres portent en pompe un cercueil, et leur robe noire traîne lentement sur la neige, linceul de la terre ; l’effroi de la jeune fille augmente, et toujours son amant la rassure avec un mélange d’ironie et d’insouciance qui fait frémir. Tout ce qu’il dit est prononcé avec une précipitation monotone, comme si déjà, dans son langage, l’on ne sentait plus l’accent de la vie ; il lui promet de la conduire dans la demeure étroite et silencieuse où leurs noces doivent s’accomplir. On voit de loin le cimetière, à côté de la porte de l’église : le chevalier frappe à cette porte, elle s’ouvre ; il s’y précipite avec son cheval, qu’il fait passer au milieu des pierres funéraires ; alors le chevalier perd par degrés l’apparence d’un être vivant : il se change en squelette, et la terre s’entr’ouvre pour engloutir sa maîtresse et lui. »

LÉNORE.

<poem>D’un songe affreux Lénore poursuivie S’est éveillée avant l’aube du jour. Mon cher Wilhelm, as-tu perdu la vie ? Es-tu parjure, ou près de ton retour ? • Sous Frédéric il partit pour l’armée, Et fut à Prague avec son régiment ; Mais depuis lors la pauvre bien-aimée N’apprit plus rien du sort de son amant.

L’impératrice et son fier adversaire, Moins obstinés enfin dans leurs projets, Et fatigués des fureurs de la guerre, Après sept ans avaient signé la paix. Leurs bataillons, à la riante allure, Musique en tête avec refrains joyeux, Parés de fleurs, couronnés de verdure, Drapeaux flottants, s’en retournaient chez eux.

Le peuple accourt partout sur leur passage ; Des cris de joie accueillent les soldats ; Jeunes et vieux exaltent leur courage ; Parents, amis, tous leur tendent les bras. « Te voilà donc ! dit mainte fiancée, Sois bienvenu ! quel bonheur ! quel beau jour ! » Lénore, hélas ! rêveuse et délaissée. Appelle en vain le baiser du retour.

Allant, venant, parlant à chaque bande, Elle interroge officiers et soldats ; Aucun ne peut répondre à sa demande : Tous ont passé... Wilhelm ne parait pas. Arrive enfin le dernier corps d’armée, Mais il ravit tout espoir à son cœur... Lénore, pâle et presque inanimée. Tombe, en poussant un long cri de douleur.

Sa mère accourt et vers elle s’élance : « Que vois-je ? ô Dieu ! qu’as-tu, ma chère enfant ? Viens dans mes bras, parle avec confiance, Dis-moi ton mal ; je t’écoute en tremblant. — Oh ! c’en est fait ; tout est perdu, ma mère ! Tout est perdu, las ! mon Wilhelm est mort ! Plus rien, plus rien ne m’attache à la terre ; Dieu, sans pitié, m’abandonne à mon sort !

— Aide, Seigneur ! Au moment du naufrage Les affligés n’ont que toi pour soutien. Dis un Pater, enfant, cela soulage ; Ce que Dieu fait, il le fait toujours bien. — Que votre foi, ma mère, est puérile ! De mon bonheur Dieu n’a pris aucun soin ; Il a jugé ma prière inutile. Et désormais il n’en est plus besoin.