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dédale de nos lois françaises et allemandes appliquées suivant les circonstances, une plus large part dans les fonctions pour les indigènes, l'abaissement du chiffre vraiment prodigieux des fonctionnaires et le nivellement de leurs traitements. Il paraît que nos désirs étaient encore excessifs ; d’un trait de plume, on nous a enlevé jusqu'à la possibilité de les produire. Nous n'avions jamais espéré, messieurs, qu’on nous traiterait en enfants gâtés de la grande Allemagne ; nous n’attendions rien de la générosité allemande ; nous connaissions trop ce que nous avons perdu. Nous ne demandions pas même d'être traités en citoyens libres et indépendants ; nous ne voulions être traités qu’en hommes ; c’était bien peu : on nous le refuse. Nous tomberons, en vous disant que nous n'avons rien appris de vous, messieurs les gouvernants, mais que nous n’avons rien oublié des autres. Après onze ans, il vous plaît, de gaieté de cœur, de prononcer le Vae victis ; nous le subirons avec plus de dignité que vous n’avez mis d’ardeur à le prononcer. Nous ne cesserons de protester, ne craignant pas plus la dictature que l'annexion à la Prusse, dont certains de vos journaux n’ont cessé de nous menacer ; et, malgré vous, il nous restera ce que vous ne pourrez jamais nous enlever : l'espoir ! Nous aussi, nous crierons à nos populations d’attendre, car au-dessus de vos menées il y a la majesté du droit et de la justice ». Cette disposition rigoureuse devait, en effet, avoir pour conséquence de supprimer presque toute discussion dans la délégation ; lors du débat dont la proposition fut 1’objet au Reichstag, un député de l’Alsace put affirmer, sans être contredit, que l'allemand était lettre close pour onze délégués sur cinquante-huit ; de plus, à peu d'exceptions près, cette langue n’était familière aux autres membres de 1’assemblée que sous la forme de l’idiome local, peu propre à formuler des considérations générales et à traduire des idées abstraites. Sur la. proposition des députés d'Alsace-Lorraine, le Parlement, reconnaissant les inconvénients de la nouvelle loi, avant même qu’elle fût appliquée, avait voulu d’abord en adoucir les rigueurs, en autorisant le président de la délégation à permettre l’usage du français aux délégués, lorsqu'ils seraient « notoirement » étrangers à la langue allemande. Cette atténuation, adoptée en première et en seconde lecture, fut repoussée en troisième délibération (décembre 1882). Dans l'intervalle de la seconde et de la troisième lecture avait eu lieu (novembre 1882) le renouvellement partiel du Landesausschuss. D’après la loi organique du 4 juillet 1879, qui, comme on l’a vu, avait élargi les attributions de cette assemblée, les vingt délégués des cercles sont nommés par les délégués des conseils municipaux à raison de un par mille habitants ; leurs pouvoirs ne commencent ni n’expirent en même temps que ceux des élus des conseils généraux. Malgré les difficultés dont la loi relative à l'interdiction du français menaçait d’entourer l'exercice de leur mandat, presque tous les délégués sortants sollicitèrent de nouveau et obtinrent les suffrages de leurs électeurs ; aucun Allemand immigré ne put forcer l'entrée de l'assemblée.

En présence du peu de progrès de la germanisation, le statthalter redoubla de rigueur. Il publia, en septembre 1884, un rescrit sévère touchant : 1° les fils de Français d'origine et de Français par option ; 2° les jeunes gens étrangers ; 3° les jeunes gens ayant émigré avec un certificat d'émigration et venus pour séjourner en Alsace. Par ce rescrit il était ordonné aux autorités de tenir la main à l’observation des prescriptions suivantes : « 1° Lorsqu’un jeune homme des familles en question aura accompli sa dix-septième année, que la situation de sa famille soit examinée avec un grand soin ; s’il résulte de cet examen qu'il n’existe aucune objection à ce que cette famille, ou simplement le jeune homme reçoive la nationalité allemande, on demandera au père s'il veut se faire naturaliser ou se borner à faire naturaliser le fils qui atteint l'âge de la conscription. Si le père demande la naturalisation, soit pour lui, soit pour son fils, l’affaire est vidée. Si au contraire le père ne fait pas cette demande, la famille pourra continuer à habiter le pays sans être inquiétée, mais le fils qui a atteint l'âge de la conscription ne pourra plus y rester ; il sera expulsé et ne pourra revenir en visite chez ses parents, dans le courant d’une année, que pendant quinze jours à trois semaines. Dans le cas où des objections s’é1èveraient contre la naturalisation de la famille ou celle du jeune homme, la famille ne sera pas inquiétée ; mais le jeune homme sera expulsé et ne pourra également revenir dans la famille que pendant la durée de temps indiquée plus haut. 2° Il sera procédé de la même manière à 1'égard des cent quatre-vingt-seize pères de famille dont les fils, reconnus, sur la proposition de la commission immédiate d'option, comme étrangers, sont revenus en A1sace-Lorraine, leur pays de naissance. 3° Les célibataires reconnus comme étrangers, sur la proposition de la commission d'option, pourront, tant qu’ils se conduiront bien, séjourner dans le pays, jusqu’au moment où ils voudront se marier et créer une famille. Dans ce cas aussi, on examinera s’il existe des objections à ce qu'ils reçoivent la nationalité allemande. Aucune objection ne s’élevant, ils seront invités à se faire naturaliser. S’ils en font la demande, l'affaire sera considérée comme vidée ; dans le cas contraire, on décidera, selon le résultat de l'examen de leur situation, s'i1s seront expulsés avant leur mariage, ou s’ils pourront rester dans le pays après leur mariage, en leur signifiant toutefois que les fils issus de leur mariage ne pourront continuer à habiter le pays, une fois qu’ils auront atteint l’âge de la conscription, que s'ils se font naturaliser ».

Conformément à ce rescrit, le statthalter décida que la loi serait appliquée à 359 jeunes gens qui, partis, avec un permis d'émigration, étaient revenus en Alsace-Lorraine, s'ils ne justifiaient, dans un délai d'un mois, qu’ils avaient acquis une autre nationalité.

Les élections de novembre 1884 pour le Reichstag montrèrent combien, malgré toutes ces lois cruelles, demeurait vivace dans le cœur des Alsaciens-Lorrains, le souvenir de la mère-patrie et prouvèrent à M. de Manteuffel l'inutilité de ses avances et de ses rigueurs. Au premier tour de scrutin, tous les candidats sortants, sauf un mis en ballottage, furent réélus, et la députation chargée de représenter l’Alsace-Lorraine au Parlement berlinois se trouva être celle-là même que les électeurs du 27 octobre 1881 avaient déjà envoyée sur les bancs du Reichstag. La répétition de ce résultat, à trois ans d’intervalle, en l'absence de toute vie publique, sous un régime dictatorial et sans la liberté de la presse, était particulièrement significative ; comme en 1881, elle indiquait l'aversion du pays d'empire pour le régime pseudo- constitutionnel, mitigé par le maintien de la dictature, et pour ce parti autonomiste qui s'était flatté d'obtenir l'émancipation administrative, en échange de la reconnaissance du fait accompli. À la suite des élections, le principal journal allemand du Reichsland, la « Strassburger Post », déclara qu’il fallait en finir avec la clémence, et un nouveau rescrit du statthalter supprima d'un cou p « l’Union d’Alsace-Lorraine », « l’Écho de Schiltigheim » et « l’Odilien Blatt ». Certain d'avance d’un échec, M. Kablé, député de Strasbourg, demanda néanmoins au Reichstag la suppression des pouvoirs extraordinaires du gouverneur de l'Alsace-Lorraine et l'application aux deux provinces du droit commun de l'empire. Le gouvernement, par l'organe de M.·de Puttkamer, répliqua que le statthalter procédait avec modération et n'abusait en rien de ses prérogatives, et que les lois d’exception devaient être maintenues pour combattre la propagande antigermanique et l'agitation gallophile.

Le 16 juin 1885, le maréchal de Manteuffel mourut. Son successeur fut le prince de Hohenlohe, ambassadeur d'Allemagne à Paris, qui, par ordonnance du 28 septembre, reçut une partie des pouvoirs réservés à l’empereur par la loi organique, et notamment le droit de faire exécuter les ordonnances relatives aux conseils de canton et d'arrondissement, de fixer les budgets d’arrondissement, de dissoudre les conseils généraux et d'arrondissement, de nommer et de révoquer les bourgmestres. Bien qu’on eût représenté le nouveau statthalter comme décidé à se servir autant et plus que son prédécesseur de l’article 10 de la loi du 30 décembre 1871, dit « paragraphe de dictature » et autorisant le lieutenant de l’empereur à « prendre sans retard toutes les mesures propres à sauvegarder la sécurité publique », le successeur du maréchal de Manteuffel ne se signala par aucune mesure malveillante. Il prodigua les soirées officielles et accepta même toutes les invitations des rares Alsaciens ralliés. Les Allemands immigrés l'accusèrent de déroger, parce que lui, prince médiatisé, assimilé aux princes régnants, avait assisté à des bals chez un juge et chez un professeur de littérature grecque, personnages fort secondaires dans la société allemande. Des élections municipales eurent lieu en juillet 1886 dans toute l’Alsace-Lorraine ; comme elles présentaient, dans la plupart des communes, un caractère purement local, elles ne prirent une importance politique qu’à Metz et à Strasbourg. À Metz, l'émigration de la population indigène et l'immigration allemande avaient été si considérables, surtout depuis le rescrit de septembre 1883, relatif à l’interdiction de la langue française, que les éléments lorrains se trouvaient en minorité dans le corps électoral ; aussi le résultat du vote fut-il favorable aux immigrés. À Strasbourg, les élections municipales avaient lieu pour la première fois depuis la suppression, en 1872, du conseil de cette ville. Il n’y avait pas lieu de compter sur l'élection d'Allemands avec le scrutin d’ensemble pour la commune. Le préfet du Bas-Rhin divisa donc la commune en sections et porta sur l’une d'elles, peuplée d’immigrés, tout son effort électoral. Deux listes étaient en présence : l’une ne comprenait que des indigènes ; l'autre, des immigrés et des indigènes disposés à transiger dans une lutte d'un caractère purement administratif et municipal. Cette liste mixte obtint la majorité, mais les Allemands ne furent élus que dans la section patronnée par le préfet.

Le Reichstag ayant été dissous au commencement de janvier 1887, après le rejet du projet de septennat militaire tel que l'avait présenté le gouvernement (v. Allemagne),· des élections législatives eurent lieu en Alsace-Lorraine comme dans le reste de l’empire. Ainsi qu'on devait s'y attendre, tous les moyens furent employée pour assurer le triomphe des candidats allemands : visites domiciliaires, lacération d'affiches antiseptennalistes, arrestations injustifiées, perquisitions arbitraires, manifeste du statthalter, pression administrative, rien ne fut oublié ; on alla même jusqu’à refuser tout permis de chasse aux Français désireux de chasser en Alsace-Lorraine. Mais, en dépit des mesures vexatoires et policières, en dépit du régime terroriste mis en vigueur par le ministère, les pays annexés envoyèrent au Reichstag quinze députés protestataires sur quinze députés qu’ils avaient à élire. Il fallait bien conclure de ce résultat que les Alsaciens-Lorrains ne voulaient à aucun prix oublier leur ancienne patrie et qu’il ne leur convenait pas d’être germanisés. En cette occurrence, le gouvernement prit un parti énergique : il résolut d'expulser de son territoire ceux qui, décidément, étaient incorrigibles ou irréconciliables. M. Antoine, député de Metz, fut un des premiers frappés. En même temps que l'on supprimait les comités centraux des sociétés de chant, de tir, de gymnastique « ayant des tendances françaises », le Reichstag votait la création d’une école de sous-officiers à Neufbrisach et les garnisons étaient augmentées. Le « Landeszeitung » publia, peu après, deux ordonnances impériales déclarant urgente et d'utilité publique la construction de nouveaux forts sous Strasbourg et sous Metz. Enfin, il fut interdit pour l’avenir à tout Français, civil ou militaire, de voyager ou de séjourner en Alsace-Lorraine sans une autorisation officielle. Ces mesures, qui ne sont que les préliminaires de rigueurs nouvelles, auront-elles pour résultat d’étouffer chez les annexés un attachement à la France qui ne veut point périr ? Le chancelier résistera-t-il [sic] par la force et la persécution là où ont échoué la persuasion et les promesses ? Pourra-t-il, sous des prétextes futiles, expulser du pays d'empire tous ceux qui tournent vers Paris un regard de regret et d’espérance ? L’avenir le montrera ; mais il semble dès maintenant que la paix de l’Europe ne tiendra qu’à un fil tant que la situation actuelle de l'Alsace ne sera pas modifiée.

- Polit. La Question d’Alsace-Lorraine. Existe-t-il, peut-il exister une question d’Alsace-Lorraine après le traité de Francfort ? Il est naturel que le patriotisme allemand le nie, et naturel aussi que le patriotisme français l'affirme. Mais ce n'est pas d'après des sentiments nationaux et des intérêts nationaux que l’on peut décider à cet égard ; sentiments et intérêts sont à récuser. Il s'agit d’examiner les principes qui régissent ou qui doivent régir la matière. Si l'on envisage uniquement le droit positif résultant des traités, il n’y a pas de question d’Alsace-Lorraine, parce que l’Alsace-Lorraine a été cédée régulièrement par la France, dont elle était une province, à l’Allemagne victorieuse. Mais au-dessus du droit positif il y a un droit rationnel et idéal qui juge le droit positif. Or, le traité de Francfort, considéré au point de vue de ce droit supérieur, doit être réputé illégitime et immoral, parce qu'il dispose d’un pays malgré la volonté de ses habitants, en un mot, parce qu’il consacre le droit de conquête.

La morale sociale rationnelle et la politique démocratique sont d'accord pour repousser le droit de conquête comme contradictoire et absurde. Ce terme de droit signifie, en politique, contrat social et self-govern, autonomie et décentralisation d'autorité. Ce terme de conquête exprime l'action d’usurper, d’imposer, de réunir de vive force et de commander à des sujets. La guerre n'est légitime qu’autant qu'elle est exclusivement défensive dans la fin qu'elle se propose. Or le droit de conquête, s'il existait, serait la négation directe de ce principe de moralité de la guerre. Il n’est pas vrai, comme on le dit souvent, que la conquête soit la juste et nécessaire sanction donnée à une guerre d’abord défensive. Cette idée dangereuse, cette théorie sophistique qui ne manque jamais de tenter un vainqueur, est un visible empêchement à la sincérité de l’esprit défensif, un obstacle à1’établissement sérieux de l’esprit pacifique. L'hypocrisie et la perfidie dans les rapports internationaux en sont la conséquence certaine. Une puissance mieux préparée et mieux armée que les autres peut toujours se donner les apparences de stipuler en vue de la future défense ou garantie de ses droits, quand elle introduit dans un traité de paix des clauses usurpatrices du droit imprescriptible de l'humanité, tandis qu'au fond elle a pour but l'agrandissement et le maintien d'une injuste hégémonie.

Ainsi, le traité de Francfort est illégitime et immoral en ce qu'il viole la souveraineté intérieure des Alsaciens-Lorrains, et leur fait subir une domination qu'ils repoussent. La signature de la France mise à ce traité ne le rend pas moralement valide sous ce rapport. Elle a épuisé son droit en se séparant d'une de ses provinces ; elle n'a pas pu moralement conférer à un autre État le droit d'en disposer malgré la volonté des habitants ; elle n'a pas pu moralement les livrer, comme des choses, au bon plaisir d’une tyrannie détestée. Le droit international peut commander une séparation douloureuse à des parties jusque-là réunies d’un pays, si cette séparation n'enlève ni à l'un ni à l’autre des groupes séparés le droit de se gouverner lui-même sur le territoire où il vit ; mais il ne saurait en aucun cas légitimer une annexion violente, parce qu’une annexion violente est incompatible avec le droit démocratique.

Comment une annexion violente est-elle contraire au droit démocratique, tandis qu’une séparation, une sécession imposée ne l'est pas ? Il est facile de la voir. Une séparation imposée ne peut que mettre, au nom d’un intérêt supérieur, au nom, par exemple, d’un intérêt de paix à garantir, des limites géographiques au droit d'association politique, mais sans altérer ce droit dans son essence. Au contraire, dans une annexion violente, dont le caractère de violence n'est pas dissimulé et ne saurait être douteux, on ne peut voir qu’une violation formelle et flagrante du droit d'association politique, qu’une négation de tout contrat civil. Ni les Allemands ne sont pour les Alsaciens-Lorrains, ni les Alsaciens-Lorrains ne sont pour les Allemands, des associés, des concitoyens. Les Allemands sont pour les Alsaciens-Lorrains des maîtres ; les Alsaciens-Lorrains sont pour les Allemands des sujets, des serfs. L'État qui les réunit, non par un lien d'association, mais par une chaîne d’esc1avage, ne saurait être une société de droit, un état libre et juste ; c'est un produit de la pure force qui a pris avec raison et qui mérite bien le nom d’empire.

Une violation du droit en entraîne fatalement d’autres. Incorporée violemment dans l’Allemagne, l’Alsace-Lorraine a dû être gouvernée dictatorialement par l’Allemagne. C’est l’Allemagne qui lui donne des lois et des fonctionnaires. Elle est placée sous la tutelle et sous la surveillance de l’Allemagne. Il a bien fallu qu’il en fût ainsi. Il est dans la nature des choses que la conquête ne laisse au pays sur lequel elle a mis la main aucune liberté qui ne soit de concession, et de tolérance, c’est-à-dire aucune liberté que les conquérants et les conquis puissent considérer et sentir comme réelle. Quand on a dépouillé sans scrupule un peuple du droit de se gouverner lui-même, est-il naturel que l’on reconnaisse et que l’on prenne au sérieux d’autres droits chez ce peuple ? Est-il possible que l'on respecte sincèrement le self-government pour les petites affaires, quand on l’a écarté avec un mépris systématique pour les grandes ? Est-il possible que les conquis, qui ont le plein sentiment, la pleine conscience de l’injustice dont ils ont été victimes, croient à la moralité politique et à la. sincère modération des conquérants ? Entre les conquérants et les conquis il y a fatalement réciprocité de mépris et de défiance, état moral de guerre. Et cet état moral de guerre, auquel on ne voit pas de fin, a pour conséquence inévitable la prolongation indéfinie d’un régime tyrannique. L'Alsace-Lorraine subit un pouvoir tout extérieur, auquel elle n'a pas donné de mandat, qui n’a pas de compte à lui rendre, sur lequel elle ne peut exercer aucun contrôle, par conséquent un pouvoir radicalement illégitime. Les abus d’administration dont elle souffre et gémit sont une suite nécessaire de la nature de ce pouvoir, comme la nature de ce pouvoir est elle-même une suite nécessaire de l'acte radicalement illégitime qui a réuni l'Alsace-Lorraine à l’Allemagne, malgré la volonté exprimée et connue des Alsaciens-Lorrains, exprimée et connue à ce point, qu’on ne peut s’arrêter ici un seul instant à l'hypothèse d’un consentement implicite.

On voit qu’il y a une question d’Alsace-Lorraine, et que cette question intéresse profondément la liberté, la démocratie, le progrès moral et social dans l’Europe entière. On voit aussi à quel point de vue il convient de l'envisager, et d’après quels principes elle devrait être résolue, si la voix de la raison et de la conscience dominait celle des passions. La question d’Alsace-Lorraine se présente à la raison et à la conscience comme une question de souveraineté pour le peuple alsacien-lorrain, d’abord, et ensuite, comme une question de progrès et de garantie juridique universelle pour l’Europe. Le droit rationnel et idéal, tout autant que le droit positif, écarte de l’Alsace-Lorraine l'intérêt français et la passion française. Quant à l'Allemagne, si le droit positif lui a livré, au mépris des principes, un peuple pour qu’elle en fît ce qu’elle voudrait, le droit rationnel lui interdit d’imposer sa domination à ce peuple, lui commande de laisser à ce peuple une pleine autonomie, non seulement administrative,· mais politique. Rome aux Romains, disaient les ministres anglais lorsqu’ils avaient l’occasion d’exprimer leur pensée sur la question romaine. Ils ne reconnaissaient ni à l'Italie unifiée, ni à l'Église catholique un droit naturel à la possession de Rome. Il semble que la question d'Alsace-Lorraine devrait se poser dans l'opinion publique dans des termes semblables : L'Alsace-Lorraine aux Alsaciens-Lorrains.

Indépendance et neutralité politique de l'Alsace-Lorraine : voilà la solution qu'indique le droit rationnel. On peut croire que cette solution amènerait la réconciliation de l’Alle-