Page:Larousse - Grand dictionnaire universel du XIXe siècle - Tome 16, part. 2, C-F.djvu/136

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que, s’ils ne se retiraient pas aussilôt, ils seraient fusillés sans pitié.

Dans la soirée du 18, un bruit sinistre se répandit, et ce bruit n’était malheureusement que trop exact. Le général Lecomte et Clément Thomas, général de la garde nationale pendant le siége arrêté sous l’accusation certainement fausse d’être venu inspecter les travaux de défense de Montmartre, avaient été fusillés dans un jardin de la rue des Rosiers. Ces meurtres odieux, auxquels prirent part quelques-uns des soldats du malheureux Lecomte, causèrent une légitime horreur à tous les honnêtes gens. Mais, d’ailleurs, il n’est nullement prouvé que le Comité central de la garde nationale y ait participé.

Cependant, les maires de Paris et leurs municipalités, ainsi qu’un certain nombre de représentants de la Seine, essayèrent encore de s’interposer pour amener une conciliation. Le soir du 18, avant le départ du gouvernement, ils vinrent proposer les nominations du colonel Langlois comme commandant de la garde nationale, de Dorian comme maire de Paris, d’Edmond Adam à la préfecture de police, du général Billot au commandement en chef de l’armée de Paris ; enfin des élections municipales et l’assurance du maintien de la garde nationale.

Le gouvernement, après bien des hésitations, souscrivit à quelques-unes de ces demandes, mais trop tard, quand il était devenu presque impossible d’enrayer le mouvement.

L’état-major, la place, les ministères, l’imprimerie nationale, l’Hôtel de ville, plusieurs mairies, etc., furent successivement occupés par les forces insurrectionnelles. Le brave général Chanzy, descendant de chemin de fer, fut arrêté, on ne sait pourquoi, en même temps que M. Turquet, député de l’Aisne. Tous deux furent conduits à la prison de la Santé, protégés contre les inexplicables colères de la foule par Léo Meillet, adjoint au XIVe arrondissement.

Le gouvernement ayant par son départ laissé le champ libre à l’insurrection, le Comité central de la garde nationale fut amené par la force des choses à se substituer au pouvoir évanoui, à se constituer en gouvernement, prétention qu’il ne pouvait certes pas avoir à l’origine. Cet abandon de la capitale couronnait la série de fautes commises par l’autorité légale et provoquait de plus en plus l’indifférence et l’inertie parmi les bataillons conservateurs.

Ici, la situation devient tout à fait tragique : d’un côté, les Prussiens, maîtres d’une partie des forts de Paris, n’ayant pour ainsi dire qu’à regarder par-dessus nos murailles pour voir les Français s’entr’égorger, comme des gladiateurs dans le cirque, et pouvant intervenir d’un moment à l’autre ; de l’autre, une malheureuse ville égarée, engagée dans une lutte sans issue, malgré son formidable armement ; d’autre part enfin, le gouvernement légal, disposant des ressources de la France entière et amassant d’heure en heure des forces pour se préparer à soumettre les insurgés parisiens. Il avait fait un appel aux volontaires de province ; mais, contrairement à ce qu’on avait vu en juin 1848, les départements ne répondirent pas à cet appel ; au reste, l’armée de Versailles se formait rapidement d’un élément plus sûr, des soldats français prisonniers en Allemagne et qui arrivaient de jour en jour en vertu du traité de paix.

Nous avons dit plus haut que M. Thiers avait donné l’ordre d’évacuer les forts ; celui de Vincennes avait néanmoins été excepté ; mais il restait isolé, n’ayant qu’une faible garnison comprenant un détachement du 20e d’artillerie, la compagnie permanente d’ouvriers et un bataillon de chasseurs à pied. Cependant, ses canons, ses munitions, ses murailles, ses bastions et ponts-levis fournissaient au fort les éléments d’une défense pour ainsi dire indéfinie. Mais son isolement, l’atmosphère révolutionnaire qui l’entourait, l’absence de prestige dans le commandement, produite par les récents événements militaires, tout pouvait faire présager des actes d’entraînement ou d’indiscipline de la part de la garnison. Toutes les localités avoisinant le fort appartenaient à l’émeute ; Belleville, Charonne, Ménilmontant, la barrière du Trône, Bagnolet, Montreuil, Saint-Mandé, Charenton fournissaient des contingents fédérés. On ne pouvait compter sur la population de Vincennes, d’où les autorités municipales avaient dû se retirer. Le fort ne tarda pas à être entouré, et les soldats de la compagnie d’ouvriers, sourds à la voix de leurs chefs, ne tardèrent pas à fraterniser avec la foule, acceptant le vin qu’on leur passait à travers les grilles. Les ponts-levis furent baissés, les murs escaladés, et le général Ribourt, qui commandait le fort, se vit en butte aux mauvais traitements de ses propres soldats, qu’il essaya vainement de ramener au sentiment de la discipline et du devoir. Les officiers déployèrent de leur côté la plus grande énergie, mais tous les efforts demeurèrent inutiles ; le fort de Vincennes resta au pouvoir des fédérés, pour lesquels cet événement avait une grande importance, car il mettait à leur disposition de nouvelles munitions, des armes et des pièces d’artillerie. De plus, beaucoup des artilleurs qui faisaient partie de la garnison passèrent au service de l’insurrection, à laquelle ils apportaient un précieux appoint, car ils allaient rendre plus effectif l’emploi de 400 pièces que renfermait le fort. La reddition eut lieu le 23 mars.

Dans la journée du 19, les représentants de la Seine, les maires et les adjoints de Paris firent afficher une proclamation annonçant qu’ils allaient proposer à l’Assemblée deux mesures qui, à leur avis, devaient rétablir le calme dans les esprits : l’élection de tous les chefs de la garde nationale et celle d’un conseil municipal. En même temps, le Comité central annonçait l’élection de ce conseil pour le mercredi 22 mars. Dans cette même journée du 19, les bataillons du Comité occupèrent les forts du sud, c’est-à-dire ceux d’Issy, de Vanves, de Montrouge et de Bicêtre ; quant à ceux du nord et de l’est, on sait qu’ils étaient aux mains des Prussiens.

Le 21 mars, un grand nombre de journaux de Paris publièrent la déclaration suivante, adressée aux électeurs :

« Attendu que la convocation des électeurs est un acte de la souveraineté nationale ;

« Que l’exercice de cette souveraineté n’appartient qu’aux pouvoirs émanés du suffrage universel ;

« Que, par suite, le Comité qui s’est installé à l’Hôtel de ville n’a ni droit ni qualité pour faire cette convocation ;

« Les représentants des journaux soussignés considèrent la convocation affichée pour le 22 mars comme nulle et non avenue, et engagent les électeurs à n’en pas tenir compte.

Ont adhéré :

« Le Journal des Débats, le Constitutionnel, l’Électeur libre., le Petit Moniteur, la Vérité, le Figaro, le Gaulois, la Petite Presse, le Petit Journal, Paris-Journal, le Petit National, la Presse, la France, la Liberté, le Pays, le National, l’Univers, la Cloche, la Patrie, le Français, la Gazette de France, l’Union, le Bien public, l’Opinion nationale, l’Avenir libéral, le Journal des Villes et des Campagnes, le Journal de Paris, le Moniteur universel, la France nouvelle, le Monde, le Temps, le Soir, l’Ami de la France, le Messager de Paris. »

On remarquera que la plupart de ces journaux étaient réactionnaires ou, tout au moins, d’un républicanisme bien pâle. Dans un tel moment d’effervescence révolutionnaire, ils ne pouvaient exercer qu’une influence fort restreinte sur la masse de la population parisienne.

La veille, 20 mars, un décret avait confié le commandement en chef de la garde nationale au vice-amiral Saisset, dont le fils avait été tué au fort de Montrouge pendant le siége, et qui avait pris lui-même une part brillante à la défense. Ce même jour, le Journal officiel de Versailles contenait la déclaration suivante, dans laquelle le gouvernement expliquait sa conduite et faisait appel à l’énergie des bons citoyens :

« Le gouvernement n’a pas voulu engager une action sanglante alors qu’il y était provoqué par la résistance inattendue du Comité central de la garde nationale. Cette résistance, habilement organisée, dirigée par des conspirateurs audacieux autant que perfides, s’est traduite par l’invasion d’un flot de gardes nationaux sans armes et de population se jetant sur les soldats, rompant leurs rangs et leur arrachant leurs armes. Entraînés par ces coupables excitations, beaucoup de militaires ont oublié leur devoir. Vainement la garde nationale avait-elle été convoquée ; pendant toute la journée elle n’a paru sur le terrain qu’en nombre insignifiant.

« C’est dans ces conjonctures que, ne voulant pas livrer une bataille sanglante dans les rues de Paris, alors surtout qu’il semblait n’être pas assez fortement soutenu par la garde nationale, le gouvernement a pris le parti de se retirer à Versailles, près de l’Assemblée nationale, la seule représentation légale du pays.

« En quittant Paris, M. le ministre de l’intérieur a, sur la demande des maires, délégué à la commission qui serait nommée par eux le pouvoir d’administrer provisoirement la ville. Les maires se sont réunis plusieurs fois sans pouvoir arriver à une entente commune.

« Pendant ce temps, le Comité insurrectionnel s’installait à l’Hôtel de ville et faisait paraître deux proclamations, l’une pour annoncer sa prise de possession du pouvoir, l’autre pour convoquer les électeurs de Paris dans le but de nommer une assemblée communale.

« Pendant que ces faits s accomplissaient, le comité de la rue des Rosiers, à Montmartre, était le théâtre du criminel attentat commis sur la personne du général Lecomte et du général Clément Thomas, lâchement assassinés par une bande de sicaires. Le général de Chanzy, qui arrivait de Bordeaux, était arrêté à la gare d’Orléans, ainsi que M. Turquet, représentant de l’Aisne.

« Les ministères étaient successivement occupés, les gares des chemins de fer envahies par des hommes armés se livrant sur les voyageurs à des perquisitions arbitraires, mettant en état d’arrestation ceux qui leur paraissaient suspects, désarmant les soldats isolés ou en corps qui voulaient entrer à Paris. En même temps, plusieurs quartiers se couvraient de barricades armées de pièces de canon, et partout les citoyens étaient exposés à toutes les exigences d’une inquisition militaire dont il est impossible de deviner le but.

« Ce honteux état d’anarchie commence cependant à émouvoir les bons citoyens, qui s’aperçoivent trop tard de la faute qu’ils ont commise en ne prêtant pas tout de suite leur concours actif au gouvernement nommé par l’Assemblée. Qui peut, en effet, sans frémir, accepter les conséquences de cette déplorable sédition s’abattant sur la ville comme une tempête soudaine, irrésistible, inexplicable ! Les Prussiens sont à nos portes, nous avons traité avec eux ; mais si le gouvernement qui a signé les conventions de préliminaires est renversé, tout est rompu. L’état de guerre recommence, et Paris est fatalement voué à l’occupation.

« Ainsi sont frappés de stérilité les longs et douloureux efforts à la suite desquels le gouvernement est parvenu à éviter ce malheur irréparable ; mais ce n’est pas tout : avec cette lamentable émeute, il n’y a plus ni crédit ni travail. La France, ne pouvant satisfaire à ses engagements, est livrée à l’ennemi, qui lui imposera sa dure servitude. Voilà les fruits amers de la folie criminelle de quelques-uns, de l’abandon déplorable des autres.

« Il est temps encore de revenir à la raison et de reprendre courage. Le gouvernement et l’Assemblée ne désespèrent pas. Ils font appel au pays, ils s’appuient sur lui, décidés à le suivre résolument et à lutter sans faiblesse contre la sédition.

« Des mesures énergiques vont être prises ; que les départements les secondent en se groupant autour de l’autorité qui émane de leurs libres suffrages. Ils ont pour eux le droit, le patriotisme, la décision ; ils sauveront la France des malheurs qui l’accablent.

« Déjà, comme nous l’avons dit, la garde nationale de Paris se reconstitue pour avoir raison de la surprise qui lui a été faite. L’amiral Saisset, acclamé sur les boulevards, a été nommé pour la commander. Le gouvernement est prêt à la seconder. Grâce à leur accord, les factieux qui ont porté à la République une si grave atteinte seront forcés de rentrer dans l’ombre ; mais ce ne sera pas sans laisser derrière eux, avec les ruines qu’ils ont faites, avec le sang généreux versé par leurs assassins, la preuve certaine de leur affiliation avec les plus détestables agents de l’Empire et les intrigues ennemies. Le jour de la justice est prochain. Il dépend de la fermeté de tous les bons citoyens qu’il soit exemplaire. »

Le souvenir des Prussiens campés aux portes de Paris, évoqué par cette déclaration, était certes de nature à faire impression sur des esprits non aveuglés par la passion politique ; mais la phrase comminatoire qui la termine était malheureuse ; elle laissait entrevoir des représailles terribles et ne pouvait qu’exalter encore les sentiments révolutionnaires qui dominaient dans la capitale. Le gouvernement, d’ailleurs, semblait ne pas se rendre compte d’une chose, c’est que l’Assemblée n’inspirait que des défiances et des antipathies, et que l’effet de ses promesses se brisait contre une incrédulité trop fondée.

En même temps que cette déclaration paraissait dans le Journal officiel de Versailles, le Journal officiel de Paris publiait la suivante :

« Paris, depuis le 18 mars, n’a d’autre gouvernement que celui du peuple ; c’est le meilleur.

« Jamais révolution ne s’est accomplie dans des conditions pareilles à celles où nous sommes.

« Paris est devenu ville libre.

« Sa puissante centralisation n’existe plus.

« La monarchie est morte de cette constatation d’impuissance.

« Dans cette ville libre, chacun a le droit de parler sans prétendre influer en quoi que ce soit sur les destinées de la France.

« Or Paris demande :

« 1° L’élection de la mairie de Paris ;

« 2° L’élection des maires, adjoints et conseillers municipaux des vingt arrondissements de la ville de Paris ;

« 3° L’élection de tous les chefs de la garde nationale, depuis le premier jusqu’au dernier.

« 4° Paris n’a nullement l’intention de se séparer de la France, loin de là : il a souffert pour elle l’Empire, le gouvernement de la Défense nationale, toutes ses trahisons et toutes ses lâchetés. Ce n’est pas, à coup sûr, pour l’abandonner aujourd’hui, mais seulement pour lui dire, en qualité de sœur aînée : « Soutiens-toi toi-même comme je me suis « soutenu, oppose-toi à l’oppression comme « je m’y suis opposé ! »

« Le commandant délégué de l’ex-préfecture de police :

« E. Du VAL.

Les délégués adjoints :

« E. Teulière, Édouard Roullier. L.Duvivier, Chardon, Vergnaud, Mouton. »

En réponse à la déclaration des journaux, que nous avons reproduite plus haut, le Journal officiel de Paris du 22 mars contenait cette note comminatoire :

Avertissement.

« Après les excitations à la guerre civile, les injures grossières et les calomnies odieuses, devait nécessairement venir la provocation ouverte à la désobéissance aux décrets du gouvernement siégeant à l’Hôtel de ville, régulièrement élu par l’immense majorité des bataillons de la garde nationale de Paris (215 sur 266 environ).

« Plusieurs journaux publient, en effet, aujourd’hui, une provocation à la désobéissance à l’arrêté du Comité central de la garde nationale, convoquant les électeurs pour le 22 courant, pour la nomination de la commission communale de la ville de Paris.

« Voici cette pièce, véritable attentat contre la souveraineté du peuple de Paris, commis par les rédacteurs de la presse réactionnaire (suit la déclaration des journaux).

« Comme il l’a déjà déclaré, le Comité central de la garde nationale, siégeant à l’Hôtel de ville, respecte la liberté de la presse, c’est-à-dire le droit qu’ont les citoyens de contrôler, de discuter et de critiquer ses actes à l’aide de tous les moyens de publicité ; mais il entend faire respecter les décisions des représentants de la souveraineté du peuple de Paris, et il ne permettra pas impunément qu’on y porte atteinte plus longtemps en continuant à exciter à la désobéissance à ses décisions et à ses ordres.

« Une répression sévère sera la conséquence de tels attentats, s’ils continuent à se produire. »

Cette liberté de contrôler, de discuter et de critiquer était bonne à professer en théorie ; mais nous verrons plus loin comment le Comité l’entendait dans la pratique.

Bien que nous ayons déjà consacré dans ce Supplément un article spécial au Comité central, le lecteur comprendra qu’il nous est impossible de l’éliminer d’un historique de la Commune, car il en a été l’âme jusqu’à la fin.

Les élections, annoncées d’abord pour le 22, furent remises au 23 par une proclamation disant que, le Comité n’ayant pu établir une entente parfaite avec les maires, il se voyait forcé de procéder à ces élections sans leur concours. Le vote devait avoir lieu au scrutin de liste et par arrondissement. Ce document fixait le nombre des conseillers à 90, soit 1 pour 20,000 habitants et par fraction de plus de 10,000. Ils étaient répartis de la manière suivante, d’après le chiffre de la population de chaque arrondissement :

1er arrond., 81,663 hab., 4 conseillers.
IIe arrond., 79,909 hab., 4 conseillers.
IIIe arrond., 92,680 hab., 4 conseillers.
IVe arrond., 98,648 hab., 5 conseillers.
Ve arrond., 104,083 hab., 5 conseillers.
VIe arrond., 90,115 hab., 5 conseillers.
VIIe arrond., 75,438 hab., 4 conseillers.
VIIIe arrond., 70,239 hab., 4 conseillers.
IXe arrond., 106,221 hab., 5 conseillers.
Xe arrond., 116,438 hab., 6 conseillers.
XIe arrond., 149,641 hab., 7 conseillers.
XIIe arrond., 78,635 hab., 4 conseillers.
XIIIe arrond., 70,192 hab., 4 conseillers.
XIVe arrond., 63,506 hab., 3 conseillers.
XVe arrond., 69,340 hab., 3 conseillers.
XVIe arrond., 42,187 hab., 2 conseillers.
XVIIe arrond., 93,173 hab., 5 conseillers.
XVIIIe arrond., 130,456 hab., 7 conseillers.
XIXe arrond., 88,930 hab., 4 conseillers.
XXe arrond., 87,414 hab., 4 conseillers.
                                       ________
Total.................................. 90 conseillers.

Le Journal officiel contenait en même temps cette nouvelle :

« Le général Cremer a accepté le commandement supérieur des forts de l’enceinte ; il a été acclamé à sa sortie de l’Hôtel de ville. »

Le général Cremer eût été une excellente recrue pour l’insurrection ; il était d’ailleurs assez populaire. Mais la nouvelle était fausse.

Cependant l’inquiétude, la perturbation étaient profondes dans Paris, flottant indécis entre un gouvernement absent et un pouvoir nouveau qui n’était accepté ou subi que tacitement. Tous les hommes sensés se demandaient avec angoisse quelle allait être la ligne de conduite de ces inconnus, surgissant brusquement d’une insurrection, comme on voit des corps indéfinissables monter des profondeurs de la mer à la surface des eaux violemment agitées par la tempête. Si les maires et les députés de Paris avaient pris la direction du mouvement, et ils le pouvaient, nul ne peut dire quelles eussent été les conséquences de cette initiative. Mais ils ne purent ou n’osèrent pas, sans doute dans la crainte patriotique de déchaîner une effroyable guerre civile sur toute la France, en face d’un ennemi victorieux applaudissant à nos déchirements. Le 22 mars, des citoyens eurent la pensée de faire une démonstration publique et pacifique, dans l’espoir de prévenir des événements terribles dont on sentait déjà instinctivement l’approche. Dans l’état de surexcitation des esprits, cette manifestation revêtait un caractère très-dangereux, comme l’événement, d’ailleurs, ne l’a que trop prouvé. Ce jour-là, une colonne composée de 1,000 à 1,200 personnes au moins, la plupart sans armes et sans uniforme, parcourut les boulevards Montmartre et des Italiens, puis, arrivée à la hauteur de la rue de la Paix, se dirigea vers la place Vendôme. Là campaient, depuis le 18, des détachements appartenant aux bataillons du Comité. Les manifestants et les gardes nationaux se trouvèrent ainsi en présence, et il était bien difficile qu’il n’en résultât pas quelque malheur. En effet, la fusillade éclata brusquement, tuant ou blessant un grand nombre de personnes. Parmi les blessés se trouvait M. Henri de Pêne, rédacteur en chef de Paris-Journal,