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par la main du bourreau. Une autre production de lui, l’Épître à Uranie , où la divinité de Jésus-Christ était mise en question, lui suscita de nouveaux embarras, bien qu’il l’eût désavouée, par un artifice familier aux temps de compression et dont il usa souvent. Il jugea prudent du s’éloigner pendant quelques années et accepta l’asile que lui offrait Mme Du Châtelet dans son château de Cirey. Il s’occupa activement avec cette dame de géométrie et de sciences physiques, concourut en même temps qu’elle pour un prix sur la nature du feu, et offrit à cette époque l’exemple le plus remarquable de ses facultés brillantes et multiples, en produisant coup sur coup ses éléments newtoniens, Alzire, Zulime, Mahomet, Mérope, les Discours sur l’homme, etc., pendant qu’il préparait le Siècle de Louis XIV et l’Essai sur les mœurs. Le séjour de plusieurs années qu’il fit à Cirey fut entrecoupé de divers voyages. Déjà l’Europe était pleine du bruit de son nom ; le prince royal de Prusse (depuis Frédéric II) recherchait par lettres son amitié et le chargeait de publier son Anti-Machiavel. Ces succès brillants, toutefois, étaient troublés par les attaques d’obscurs pamphlétaires dont il eut le tort de triompher dans des factums aussi violents que les attaques. Irritable à l’excès, il ne gardait plus aucune mesure quand son amour-propre littéraire était blessé ; mais chez lui l’impétuosité du caractère était tempérée par la bienveillance naturelle et la bonté du cœur. En 1743, après le succès de Mérope, il reprit quelque faveur à la cour, obtint, par la protection de Mme  de Pompadour, le brevet d’historiographe de France et la charge de gentilhomme de la chambre du roi. En même temps, l’Académie française, qui l’avait repoussé deux fois, l’admit dans son sein. Ses compositions de cette époque se ressentent de sa vie frivole. Ce sont les opéras du Temple de la Gloire, de Samson, de Pandore ; le ballet de la Princesse de Navarre, etc. Bientôt il se lassa de cette existence de poète de cour, d’autant plus que le roi le traitait froidement et que Mme de Pompadour lui préférait Crébillon. Il quitta Versailles pour la petite cour de Sceaux, où il refit en les surpassant quelques-unes des tragédies du rival qu’on lui opposait : Électre (dans Oreste), Catilina (Rome sauvée), le Triumvirat, etc. Après la mort de la marquise Du Châtelet, il céda aux sollicitations de Frédéric II et se rendit à la cour de Berlin (1750), où l’attendaient une position brillante, la clef de chambellan et un traitement considérable. On connaît le résultat de cette liaison célèbre entre un roi et un philosophe. Des deux amis, l’un ne put dissimuler longtemps l’humeur altière du maître, ni l’autre effacer sa supériorité intellectuelle, malgré son extrême souplesse. Les jalousies des hommes de lettres français, une querelle avec Maupertuis, que soutenait le roi, des mots piquants et diverses autres causes précipitèrent la rupture. Voltaire quitta la Prusse en 1753, non sans avoir essuyé plus d’une avanie. L’ouvrage le plus important qu’il publia pendant son séjour à Berlin est le Siècle de Louis XIV, qui est resté son chef-d’œuvre historique. Ayant acquis la certitude que le gouvernement français ne verrait pas avec plaisir sa présence à Paris, il voyagea pendant plusieurs années en Allemagne, en Suisse et en France, et finit par se fixer à Ferney (1758), où il fit construire une habitation somptueuse et où il passa les vingt dernières années de sa vie. Il exerçait alors une véritable dictature intellectuelle en Europe. Des souverains lui écrivaient les lettres les plus flatteuses et s’efforçaient de mériter ses éloges ; d’illustres personnages, des grands, des princes venaient comme en pèlerinage visiter celui qu’on nommait le Patriarche de Ferney ; enfin tous les penseurs, tous ceux qui luttaient pour la diffusion des lumières, le progrès, la tolérance, tournaient les yeux vers lui et s’inspiraient de ses conseils. Cette dernière période de sa vie est marquée par de prodigieux travaux et par de nobles actions qui recommanderont à jamais son nom et feront oublier bien des égarements. Il dote une petite-nièce du grand Corneille tombée dans le dénûment ; il recueille la famille de Calas et fait réhabiliter la mémoire de cet infortuné après trois années de luttes et de travaux ; il s’élève avec indignation contre le supplice atroce du chevalier de La Barre ; il sauve les époux Sirveun et la veuve de  ; il prend la défense du malheureux Lally ; il plaide pour l’affranchissement des serfs au Jura ; il poursuit enfin le redressement d’une foule d’injustices et la réforme de lois barbares et d’abus révoltants.

Quelle que soit l’opinion définitive que l’on adopte sur ses doctrines philosophiques et sur ses nombreux écrits contre les dogmes chrétiens, on ne saurait contempler sans admiration un exercice aussi plein, aussi soutenu des plus nobles facultés de l’âme. Cet amour pour les opprimés et les malheureux, cette haine vivace et active de l’injustice et des violences de toute nature, ces efforts persévérants pour faire triompher l’humanité, la tolérance, la modération, justifient en quelque sorte l’étrange paradoxe de Diderot, qui écrivait de lui au moment de l’affaire Calas : « Quand il y aurait un Christ, je vous assure que Voltaire serait sauvé. » Rien dans sa conduite ne saurait faire oublier tant de services rendus à la cause des lumières et de la civilisation, de la raison et du droit. D’ailleurs, il se méprenait lui-même sur le fond même de ses idées, et quand il parlait « d’écraser l’infâme, » il n’entendait certainement désigner que la superstition, le fanatisme et l’intolérance, restes impurs du moyen âge, qui non-seulement n’ont rien de religieux, mais sont même subversifs de toute idée religieuse. On l’a souvent accusé d’athéisme ; mais il n’était que déiste, ainsi que l’avait prédit le Père Lejay. Pendant un temps, il s’abandonna, il est vrai, au scepticisme ; mais il revint définitivement au déisme dans les dernières années de sa vie, comme le témoignent ses écrits de cette époque. On se rappelle aussi sa réponse à Franklin, qui lui présentait son petit-fils à bénir. Il étendit simplement la main au-dessus de la tête de l’enfant et ne prononça que ces paroles : « Dieu et la liberté ! »

Pour donner une idée du genre de vie que menait Voltaire à Ferney, nous rapporterons le récit de Moore, qui, dans un voyage fait en France à cette époque, ne manqua pas d’aller voir le patriarche de Ferney :

« Les yeux les plus perçants que j’aie vus de ma vie, dit Moore, sont ceux de Voltaire, âgé maintenant de quatre-vingts ans. On découvre à la fois sur sa physionomie le génie, la pénétration et une extrême mobilité de sentiments.

« Le matin, il a l’air inquiet et mécontent ; mais cela s’efface graduellement, et, après le dîner, il paraît assez enjoué. Cependant une teinte d’ironie n’abandonne jamais sa figure ; on peut toujours l’observer dans ses traits, soit qu’il sourie ou qu’il fronce le sourcil.

« Lorsque le temps est favorable, il sort en carrosse avec sa nièce ou avec quelques-uns de ses hôtes. Quelquefois il se promène dans son jardin, et si le temps ne lui permet pas d’aller dehors, il emploie ses heures de loisir à jouer aux échecs avec le Père Adam, ou à recevoir les étrangers, ou enfin à dicter ou à lire des lettres. Mais il passe la plus grande partie de son temps dans son cabinet, et, en lisant ou en écoutant lire, il a toujours une plume à la main pour prendre des notes ou faire des remarques.

« Un auteur écrivant pour vivre ne saurait travailler plus assidûment, ni un jeune poète courant avec ardeur après la renommée se montrer plus avide de gloire que le riche seigneur de Ferney.

« Il vit d’une manière hospitalière, et sa table est très-bonne. Il a toujours chez lui deux ou trois personnes de Paris, qui y restent un mois ou six semaines. Quand elles partent, elles sont aussitôt remplacées par d’autres ; il y a ainsi une circulation continuelle de commensaux à Ferney. Ces habitués, avec la famille de Voltaire, composent un cercle de douze ou quinze personnes qui dînent journellement à sa table, soit qu’il y paraisse ou non ; car lorsqu’il est occupé à préparer quelque nouvelle production pour la presse, indisposé ou de mauvaise humeur, il ne dîne pas avec la compagnie et se contente de venir passer quelques minutes avec elle avant ou après le dîner.

« Le matin n’est pas un temps favorable pour visiter Voltaire. Il ne peut souffrir que ses heures d’étude soient interrompues ; cela seul suffit pour le mettre en colère. D’ailleurs il a souvent quelque disposition à quereller, soit qu’il souffre des infirmités inséparables de la vieillesse, soit pour toute autre raison ; en un mot, il est toujours moins bien disposé dans cette partie du jour que dans toutes les autres.

« Ceux qui sont invités à souper le voient de la manière la plus avantageuse ; il se livre très-vivement à la conversation avec ses convives et semble heureux de dire des choses spirituelles. Mais quand une remarque vive ou un bon mot vient d’un autre, il y applaudit, s’en amuse, et l’indulgence qu’il a montrée ajoute à sa gaieté. Lorsqu’il est entouré de ses amis et animé par la présence des femmes, il semble jouir de la vie avec la sensibilité de la jeunesse. Son génie, dégagé alors des entraves de l’âge, brille et sème les observations fines, les traits heureux, empreints souvent d’une ironie délicate.

« Son aversion pour le clergé le conduit à laisser ramener souvent la conversation sur ce sujet et à écouter là-dessus des gens qui n’ont pas toujours l’esprit nécessaire pour rendre leurs railleries tolérables.

« Il compare la nation anglaise à un baril de bière, dont le dessus est écumeux, le fond chargé de lie et le milieu excellent.

« Avec ses inférieurs, Voltaire paraît sous un jour très-favorable ; il est affable, humain et généreux pour ses tenanciers et tous ceux qui dépendent de lui ; il aime à les voir prospérer et s’occupe de leurs intérêts particuliers avec l’attention d’un patriarche ; il emploie tous les moyens qu’il peut inventer pour animer autour de lui l’industrie et les manufactures. Par ses soins et sa protection, le misérable village de Ferney, dont les habitants croupissaient dans la paresse, est devenu une petite ville commode et florissante….

« Voltaire avait autrefois dans sa maison un petit théâtre ; les pièces étaient représentées par des personnes de sa société, et lui-même prenait ordinairement quelque rôle important ; mais, si j’en crois tous les récits, il ne brillait jamais beaucoup dans cet emploi.

« Les amusements dramatiques de Ferney donnèrent l’idée à une troupe de comédiens français de venir y donner, l’été, des représentations.

« J’ai été fréquemment à ce théâtre : les acteurs sont médiocrement bons. Le fameux Lekain, qui est maintenant à Ferney, vient y jouer quelquefois ; mais je suis principalement attiré par le désir de voir Voltaire, qui se rend assidûment au spectacle toutes les fois qu’on représente une de ses pièces ou que Lekain joue.

« Il s’assied sur le théâtre, derrière la scène, mais de manière à être vu de la plus grande partie de l’auditoire, et il prend autant d’intérêt à l’exécution de la pièce que si sa réputation en dépendait. Si quelqu’un des acteurs fait un contre-sens, il semble chagrin et choqué ; mais s’il trouve qu’il joue bien, il lui donne, du geste et de la voix, les marques d’approbation les plus vives. Il entre dans les situations touchantes avec tous les symptômes d’une émotion réelle, et même verse des larmes avec l’effusion d’une jeune fille qui assiste pour la première fois à une tragédie. »

Quoique Voltaire eût fait reconstruire à ses frais l’église de Ferney, il eut plus d’une fois d’assez vifs démêlés avec son curé, qui se plaignit à l’évêque. On dit que, dans un de ces moments de crise, il fit ses pâques publiquement dans l’église de Ferney sans s’être confessé, voulant, disait-il, remplir ses devoir de chrétien, d’officier du roi et de seigneur de paroisse. Un autre jour, empiétant sur la prérogative curiale, il s’avisa de monter en chaire et de faire aux paroissiens une espèce de sermon sur le vol. Nous ne donnons pas ces faits comme certains ; mais quand on songe au caractère et au genre d’esprit de Voltaire, ils n’ont rien d’invraisemblable.

En 1778, Voltaire quitta Ferney pour faire un voyage à Paris, où il n’avait pas paru depuis vingt-sept ans. On sait le triomphe inouï qui l’attendait. L’Académie, le théâtre lui envoyèrent des députations ; les hommes les plus illustres par le talent ou la naissance, les femmes du plus haut rang vinrent lui présenter leurs hommages ; le peuple entier l’accueillit par des ovations sans exemple chaque fois qu’il parut en public ; son buste fut couronné dans tous les théâtres. Ce n’était pas seulement le génie qu’on acclamait ainsi, mais encore le défenseur du Calas, le protecteur des opprimés, l’apôtre de la tolérance universelle. Après la représentation de sa tragédie d’Irène, il fut reconduit en triomphe jusque chez lui. « Vous voulez m’étouffer sous des roses ! » s’écria le vieux poète, qui s’enivrait de sa gloire. Tant de fatigues et d’émotions hâtèrent en effet sa fin et ranimèrent une strangurie qui l’avait déjà tourmenté et qui le conduisit rapidement au tombeau. Il avait d’ailleurs près de quatre-vingt-quatre ans. Pressé par des ecclésiastiques, il fit, dit-on, quelques concessions de paroles pendant sa maladie ; mais il est hors de doute qu’au dernier moment, sommé par le curé de Saint-Sulpice de souscrire au dogme de la divinité de Jésus-Christ, il ne répondit que ces mots : « Laissez-moi mourir en paix. » Il paraît que le rapport écrit de cet ecclésiastique existe dans les archives de l’archevêché. Une circonstance qui suffirait à trancher la question, c’est que la sépulture chrétienne fut refusée à l’illustre mort, dont le neveu, l’abbé Mignot, fit conduire hâtivement le cadavre à son abbaye de Scellières, où il demeura jusqu’au jour où la Révolution le rapporta triomphalement au Panthéon. Il faut rejeter comme une fable odieuse et ridicule des récits inspirés par un fanatisme haineux et d’après lesquels Voltaire serait mort comme un damné, fou de terreur et de rage, « mangeant ses excréments et portant à sa bouche son vase de nuit pour étancher la soif ardente qui le dévorait. » Plus d’un prédicateur a répété cette fable en chaire et a présenté cette mort horrible comme une juste punition des sarcasmes que Voltaire avait lancés contre un passage de la Bible où le prophète Ézéchiel joue un rôle si singulier.

Le 30 mai 1791, l’Assemblée nationale décréta que Voltaire était digne de recevoir les honneurs décernés aux grands hommes et que ses cendres seraient transférées au Panthéon. Cette translation, à laquelle on donna le caractère d’une fête nationale, eut lieu le lundi 11 juillet. David et Cellerier en furent les ordonnateurs, et M.-J. Chénier composa l’hymne suivant, que Gossec mit en musique :

Ah ! ce n’est point des pleurs qu’il est temps de répandre ;
C’est le jour du triomphe, et non pas des regrets.
Que nos chants d’allégresse accompagnent la cendre
    Du plus illustre des Français.

Jadis par les tyrans cette cendre exilée
Au milieu des sanglots fuyait loin de nos yeux ;
Mais, par un peuple libre aujourd’hui rappelée,
   Elle vient consacrer ces lieux.

Salut ! mortel divin, bienfaiteur de la terre ;
Nos murs, privés de toi, vont te reconquérir ;
C’est à nous qu’appartient tout ce qui fut Voltaire ;
    Nos murs l’ont vu naître et mourir.

Ton souffle créateur nous fit ce que nous sommes ;
Reçois le libre encens de la France à genoux ;
Sois désormais le dieu du temple des grands hommes
    Toi qui les as surpassés tous.

Le flambeau vigilant de ta raison sublime
Sur des prêtres menteurs éclaira les mortels ;
Fléau de ces tyrans, tu découvris l’abîme
     Qu’ils creusaient au pied des autels.

. . . . . .

 
Sur cent tons différents ta lyre enchanteresse,
Fidèle à la raison comme à l’humanité,
Aux mensonges brillants inventés par la Grèce
     Unit la simple vérité.

 
. . . . . .

 
La Barre, Jean Calas, venez, plaintives ombres,
Innocents condamnés dont il fut le vengeur.
Accourez un moment du fond des rives sombres ;
     Joignez-vous au triomphateur.

Chantez, peuples pasteurs, qui des monts helvétiques
Vîtes longtemps planer cet aigle audacieux ;
Habitants du Jura, que vos accents rustiques
     Portent sa gloire jusqu’aux cieux.

Fils d’Albion, chantez ; Américains, Bataves,
Chantez ; de la raison célébrez le soutien ;
Ah ! de tous les mortels qui ne sont point esclaves
    Voltaire est le concitoyen.

Outre les ouvrages déjà cités, Voltaire a encore donné : Philosophie de l’histoire ; la Bible commentée ; Examen important ; Histoire de l’établissement du christianisme ; Dictionnaire philosophique ; Histoire de la Russie sous Pierre le Grand ; Histoire du Parlement ; les romans et les contes de Candide, Micromégas, Zadig, l’Homme aux quarante écus, la Princesse de Babylone, l’Ingénu, etc. ; les tragédies de Tancrède, l’Orphelin de la Chine, Olympie, les Guèbres, les Lois de Minos, Dom Pèdre ; les comédies de Charlot, l’Écossaise, le Dépositaire infidèle, etc. ; les poëmes de la Pucelle, du Désastre de Lisbonne ; le Précis de l’Ecclésiaste ; l’Épître aux Délices ; la Loi naturelle ; les satires le Pauvre diable, le Russe à Paris, Pégase et le Vieillard, etc. ; des contes en vers, des poésies légères, des mélanges, vingt volumes de correspondance, etc.

Les caractères les plus saillants du génie de cet homme extraordinaire sont la souplesse merveilleuse avec laquelle il passait sans effort du familier au sublime, de la prose à la poésie, du plaisant au pathétique, de l’invention épique aux plus riants caprices d’une imagination intarissable ; la noblesse naturelle, la limpidité, l’élégance, la précision et la pureté de son style. Nul écrivain n’a jamais apporté plus de grâce dans le badinage, plus de verve et de sel dans la raillerie, plus d’éblouissante gaieté dans la controverse. Il a cultivé tous les genres littéraires, et, s’il est resté médiocre dans quelques-uns, il a montré dans tous la richesse de son imagination et la puissance génératrice d’un esprit qui semblait réparer ses forces par le travail, qui ordinairement les épuise.

V. dans ce Dictionnaire l’analyse des principales œuvres de Voltaire aux articles qui leur sont consacrés.

Un génie aussi vaste que celui de Voltaire dut nécessairement avoir beaucoup d’admirateurs, mais la vivacité de ses attaques contre tout ce qui lui paraissait faux, injuste ou entaché de superstition lui valut autant de détracteurs et l’on pourrait dire d’ennemis acharnés. Nous allons mettre sous les yeux de nos lecteurs quelques-unes des appréciations auxquelles ont donné lieu sa personne et ses écrits.

Voici d’abord un passage emprunté un livre de Mme de Staël sur la littérature.

« Les courtisans, ne réfléchissant pas sur la connexion intime qui doit exister entre tous les préjugés, espéraient tout à la fois se maintenir dans une situation fondée sur l’erreur, et se parer eux-mêmes d’un esprit philosophique ; ils voulaient dédaigner quelques-uns de leurs avantages, et néanmoins les conserver ; ils pensaient qu’on n’éclairerait sur les abus que leurs possesseurs et que le vulgaire continuerait à croire, tandis qu’un petit nombre d’hommes, jouissant, comme toujours, de la supériorité de leur rang, joindraient encore à cette supériorité celle de leurs lumières ; ils se flattaient de pouvoir regarder longtemps leurs inférieurs comme des dupes, sans que ces inférieurs se lassassent jamais d’une telle situation. Aucun homme ne pouvait mieux que Voltaire profiter de cette disposition des nobles do France ; car il se peut que lui-même il la partageât.

« Il aimait les grands seigneurs, il aimait les rois ; il voulait éclairer la société plutôt que la changer. La grâce piquante, le goût exquis qui régnaient dans ses ouvrages lui rendaient presque nécessaire d’avoir pour juge l’esprit aristocratique. Il voulait que les lumières fussent de bon ton, que la philosophie fût à la mode ; mais il ne soulevait point les sensations fortes de la nature ; il n’appelait pas du fond des forêts, comme Rousseau, la tempête des passions primitives, pour ébranler le gouvernement sur ses antiques bases. C’est avec la plaisanterie et l’arme du ridicule que Voltaire affaiblissait par degrés l’importance de quelques erreurs ; il déracinait tout autour ce que l’orage a depuis si facilement renversé ; mais il ne pré-