Page:Larousse - Grand dictionnaire universel du XIXe siècle - Tome 15, part. 3, Vamb-Vi.djvu/87

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Malgré leur échec, les Vendéens se reforment à Cholet et marchent sur Châtillon, où ils font essuyer une sanglante défaite à Westermann (5 juillet) et déshonorent, comme toujours, leur victoire par des exterminations de prisonniers. On a parlé à satiété des représailles républicaines, mais jamais elles n’ont égalé les horreurs commises par ces barbares.

Le 15, Labarolière et Mehou, avec des forces bien inférieures, écrasent Bonchamp, La Rochejaquelein et Lescure à Martigné-Briant. Le 18, nouveau succès des républicains à Vihiers.

Biron, dont la conduite était fort suspecte, avait été rappelé et remplacé par Rossignol, ancien ouvrier de Paris, qui était alors à la tête d’une division de gendarmerie. C’était un homme intrépide et dévoué, mais qui n’avait peut-être pas les qualités pour commander un corps d’armée. Pendant le mois de juillet, le représentant Philipeaux, envoyé sur le théâtre de l’insurrection, avait montré beaucoup d’activité, levé quelques forces dans les départements voisins et contribué à sauver Angers par la reprise des Ponts-de-Cé. Mais il arrivait avec des préventions contre Ronsin, Rossignol et autres sans-culottes. Au reste, nous l’avons dit, il y avait souvent désaccord entre les représentants, les commissaires nationaux, aussi bien qu’entre les généraux, et sous ce rapport les républicains n’étaient pas beaucoup plus unis que les chefs vendéens ; ils étaient tiraillés entre deux influences, la commission de Saumur et celle de Nantes.

Dans un conseil de guerre tenu à Saumur, le plan de Ronsin et Berthier avait été de nouveau écarté. On décida qu’il y aurait deux commandants en chef, Canclaux et Rossignol, à qui l’on donna l’armée la moins bien organisée. Canclaux avait notamment Kléber et le formidable noyau de l’armée de Mayence, qui, en vertu de la capitulation de cette ville, ne pouvait servir durant un an contre l’ennemi.

La Convention et le comité de Salut public avaient donné des ordres terribles, brûler les bois, les enclos, couper les récoltes, etc. C’était comme l’explosion de la colère nationale, et malheureusement ces mesures furent trop souvent appliquées.

Cependant la guerre continuait, mêlée de succès et de revers. Rien de décisif, et c’était là un mal immense, car les forces de la République risquaient de s’épuiser, et cette plaie ouverte au sein de la France allait s’élargissant et s’envenimant.

Le 13 août, 25,000 Vendéens avaient été battus à Luçon par 2,500 républicains commandés par Tuncq.

Mais le manque d’entente entre les deux armées, peut-être des fautes d’exécution dans le plan concerté, amenèrent la défaite des républicains à Torfou et à Coron (19 septembre). Comme il arrive en pareil cas, les deux partis qui divisaient l’armée s’accusèrent mutuellement. Le comité de Salut public sentit enfin la nécessité d’introduire l’unité dans le commandement. Il n’y eut plus qu’une seule armée, sous le nom d’armée de l’Ouest, placée sous le commandement de Léchelle, général médiocre, qui heureusement eut le bon esprit de ne pas contrarier les opérations de Kléber. Quelques succès, mêlés de revers, suivirent ces événements. C’est le temps de la terrible mission de Carrier à Nantes ; on en trouvera les détails à l’article qui lui est consacré.

Après divers mouvements dans le détail desquels nous ne pouvons entrer, les Vendéens, vaincus à Cholet, où d’Elbée et Bonchamp furent blessés mortellement (17 octobre), se traînèrent en désordre jusqu’à Saint-Florent et traversèrent la Loire. Cette vaste émigration, mêlée d’un grand nombre de femmes et d’enfants, commandée par des chefs presque tous blessés, offrait le spectacle le plus lamentable.

À ce moment Charette, qui s’isolait toujours, s’était emparé de l’île de Noirmoutier, attendant sans doute les Anglais et se tenant prêt à continuer l’insurrection dans le Marais et le Bocage.

La grande armée catholique, refoulée sur la rive droite de la Loire, commandée dès lors par La Rochejaquelein, erra comme au hasard, livrant encore quelques furieux combats, puis gagna Laval, Fougères, Granville, enfin se rabattit sur Le Mans, où elle fut écrasée par l’héroïque Marceau, chargé du commandement par intérim (13 décembre). Dans ses longues courses à travers la Mayenne, Maine-et-Loire, la Sarthe, la Bretagne, la Normandie, elle ne rencontra pas la sympathie et l’appui que lui avaient promis ses prêtres et ses chefs, sauf parmi quelques bandes de chouans. La sanglante déroute du Mans était un coup mortel. La Rochejaquelein parvint à ramener les débris de l’armée vers la Loire ; un dernier combat fut livré à Savenay, où presque tout ce qui restait de ces malheureux périt (22 décembre).

La Vendée était vaincue par la France et par la Révolution.

Toutefois, si ces malheureuses contrées cessèrent d’être le théâtre de grandes opérations militaires, elles n’en continuèrent pas moins à être désolées par des brigandages sans résultat. Charette, Stofflet, Bernard de Marigny, après la mort des grands chefs, se partagèrent l’Anjou et le Poitou, qu’ils dévastèrent périodiquement sans qu'aucun d’eux voulût reconnaître un supérieur. Ils se réunirent un moment pour une action commune ; mais l’affaire manqua, et Charette et Stofflet en profitèrent pour faire fusiller Marigny.

Pendant ce temps, la chouannerie se développait en Bretagne avec des caractères peut-être encore plus hideux.

Après le 9 thermidor, les dispositions étaient à la paix ; Canclaux fut appelé au commandement de l’armée de l’Ouest, et il arriva avec les dispositions les plus conciliantes. Le 17 février 1795, il signa avec Charette et quelques autres chefs le traité de La Jaunaye, qui contenait d’ailleurs des conditions honteuses pour la République. Ainsi Charette reçut 2 millions, et on lui abandonna le droit de conserver une garde territoriale soldée par l’État, c’est-à-dire les moyens de recommencer la guerre.

Il n’y manqua pas. Le 26 juin, il reprit les armes, proclama Louis XVIII, surprit et massacra la garnison du camp républicain des Essarts, mais attendit vainement et les Anglais et le comte d’Artois, qui devaient débarquer sur la côte. Son mouvement avait été combiné avec le fameux débarquement de Quiberon. V. ce nom.

Stofflet avait fini par signer aussi la paix, le 2 mai, aux mêmes conditions royales que Charette. Enfin Hoche avait conclu en Bretagne un traité analogue avec les chefs de chouans Cormatin et Bourmont. Cette pacification ne fut pas plus sincère, comme le prouva bientôt l’affaire de Quiberon.

Charette continuait en désespéré sa guerre de brigandages ; traqué dans les bois, pris enfin par le général Travot, il fut, comme on le sait, fusillé à Nantes le 24 mars 1796. Stofflet, qui avait repris les armes, avait subi le même sort à Angers un mois auparavant.

Hoche, qui commandait dans l’Ouest, parvint par sa vigilance, sa douceur et sa fermeté à achever la pacification de la Vendée et de la Bretagne. Toutefois, sous le Consulat, il y eut de nouveaux troubles, suscités en Vendée par d’Autichamp, en Bretagne par Bourmont et Cadoudal, en Normandie par de Frotté. Mais les chefs, successivement battus, finirent par signer un traité de pacification en février 1800.

Pendant les Cent-Jours, nouveaux soulèvements, réprimés cette fois par le général Lamarque.

Enfin, en 1832, la duchesse de Berry, plus résolue que le triste comte d’Artois, se jeta en Vendée pour y rallumer la guerre civile en faveur de son fils. La capture de cette princesse et d’énergiques mesures ne permirent pas à l’insurrection de se développer.

Depuis, la paix n’a plus été troublée dans ces contrées, si longtemps et si souvent ensanglantées par des guerres fratricides. Les routes, les chemins de fer, le développement de l’industrie et du commerce, la diffusion de l’instruction, le progrès des lumières les ont heureusement transformées, et il paraît hors de doute que la Vendée et la Bretagne sont définitivement conquises à la cause de la démocratie et de la liberté.


Vendée militaire (la), par M. Crétineau-Joly (1841, 4 vol. in-8o). Dans ce livre, sous prétexte de rétablir la vérité historique d’un des épisodes les plus importants de nos annales révolutionnaires et de faire justice des apologies aussi bien que des incriminations systématiques, l’auteur, malgré ses protestations d’impartialité et de véracité, a pour but manifeste de formuler un réquisitoire contre les actes et l’esprit de la Révolution française, et, par contre, de glorifier l’ancien régime. Il a choisi l’épisode de l’insurrection vendéenne comme le thème le plus propre au développement de ses doctrines rétrogrades ; même lorsqu’il respecte la vérité historique, il a toujours soin de la présenter sous un jour favorable à son parti. Du reste, de son aveu même, la plus grande partie de ses informations a été puisée à des sources royalistes. Ses guides ordinaires sont les manuscrits rédigés à Londres en 1796 par M. de Beauvau, l’Histoire de la Vendée par Alphonse de Beauchamp, les notes du comte et de la comtesse de Bouère, les mémoires de la marquise de Donnissan, de la comtesse de La Rochejaquelein, les pamphlets de Gibert, l’ancien chef d’état-major de Stofflet ; les lettres des Vendéens Charette, Joly, Savin ; les confidences des frères de Georges Cadoudal, du marquis de La Boessière, du comte de Robier, de M. de Guernissac et du commandant Guillemot, tous anciens chefs ou partisans de la chouannerie. Quant aux documents républicains, il les récuse comme indignes de foi lorsqu’ils ne concordent pas avec les souvenirs royalistes. Les seuls qu’il admette sont ceux qu’a fournis l’ancien conventionnel Boursault ; quant aux récits du Moniteur, ils lui paraissent tronqués ou défigurés : « Les républicains, dit-il, racontent l’histoire militaire de la Vendée avec une partialité tout à fait digne des haines des guerres civiles. Ils arrangent les faits, pallient leurs défaites, grossissent leurs victoires. » Mais M. Crétineau-Joly en fait tout autant dans le sens opposé. Dès les premières lignes, il trahit sa partialité : « La France, écrit-il, vient d’entrer en l’année 1793, et la Révolution triomphe de la monarchie qu’elle a si habilement, si audacieusement attaquée et qui s’est si mal défendue. » Ainsi, l’auteur fait un reproche à la royauté de n’avoir pas organisé la terreur blanche pour se défendre. Il justifie l’émigration de la noblesse française et trouve tout naturel que des Français aient pris les armes et attisé les haines de l’Europe contre la France.

Une fois entré en plein sujet, M. Crétineau-Joly considère l’insurrection vendéenne non-seulement comme légitime, mais encore comme glorieuse, admirable, sans tache. C’est, à ses yeux, une sublime protestation du droit contre l’iniquité triomphante, représentée par la Révolution. Pour lui, la Révolution n’est qu’une saturnale ridicule et sanglante, une folie prodigieuse, burlesque et lugubre, un épouvantable épanouissement du mal : « Avec de grandes phrases vertueuses, la Révolution, dit-il, divinisait le vice ; avec des paroles de conciliation, avec des promesses de félicité universelle, elle introduisait !e désordre dans les familles, l’anarchie dans l’État, l’incendie dans la société. Elle brûlait les châteaux pour acquérir plus tard le droit de faire descendre le feu jusque sur les chaumières. Elle déclarait la guerre à la propriété. » M. Ûrétineau-Joly prétend que les excitations de la noblesse et du clergé n’ont été pour rien dans le soulèvement de la Vendée contre la volonté nationale : « La Vendée est devenue militaire sans eux, elle les a entraînés sur ses glorieuses traces. Ils l’ont suivie. Voilà toute la participation qui leur revient dans cette idée d’insurrection provinciale contre un pouvoir qui centralisait tout et qui, afin de protéger les plus monstrueuses tyrannies, se faisait un rempart d’une impossible liberté, d’une égalité plus impossible encore. » Est-il bien nécessaire d’ajouter que les armées et les chefs républicains sont représentés par l’écrivain fantaisiste comme souillés de tous les vices, capables de tous les crimes, tandis que les insurgés sont des modèles accomplis de toutes les vertus privées et civiques ? L’aveuglement et la mauvaise foi dépassent ici toute mesure.


VENDÉEN, ÉENNE s. et adj. (van-dé-ain, é-è-ne). Habitant de la Vendée ; qui appartient à ce pays ou à ses habitants : Les Vendéens. La population vendéenne.

— Hist. S’est dit des royalistes insurgés, pendant la Révolution, dans les départements de l’Ouest : Les chefs vendéens se jalousaient entre eux comme les chefs républicains, (Thiers.)


VENDEL-HEYL (Louis-Antoine), par abréviation Vandèle, helléniste français, né à Paris en 1791, mort vers 1856. Il s’appliqua de bonne heure à l’étude du grec, devint en 1812 répétiteur à l’école Sainte-Barbe et fut nommé, quatre ans plus tard, professeur au collège royal d’Orléans, d’où il passa, vers 1820, à une chaire du collège Saint-Louis, où il fit successivement les classes de quatrième, de troisième et de seconde. Mais, après 1830, il crut pouvoir mêler à son enseignement les doctrines du saint-simonisme, dont il était l’un des plus fervents adeptes ; il fut alors obligé de donner sa démission et devint professeur particulier d’histoire à bord du bâtiment l’Oriental, qui partait de Nantes pour aller faire le tour du monde. Arrivé au Chili, il obtint à Valparaiso une chaire qu’il occupa jusqu’à sa mort. On a de Vendel-Heyl plusieurs ouvrages classiques estimés, entre autres : Cours de thèmes grecs, en deux parties, souvent réédité ; Narrations choisies des meilleurs auteurs latins (1833, 2 vol.), avec la traduction française. Il a, en outre, revu, avec Pillon, le Dictionnaire grec-français de Planche (Paris, 1836) et publié dans la Bibliothèque grecque-latine-française de Poilleux des éditions, avec traduction française et traduction interlinéaire, de Cornélius Nepos, de Philoctète, d’Électre, d’Iphigénie en Aulide et des œuvres complètes d’Eschyle.


VENDELIN s. m., (van-de-lain), Petite nacelle dont se servent les pontonniers.


VENDÉMIAIRE s. m. (van-dé-mi-è-re — du lat. vindemia, vendange). Chronol. Premier mois du calendrier républicain, commençant à l’équinoxe d’automne, c’est-à-dire au 22 ou au 23 septembre.


Vendémiaire (JOURNÉE DU 13). V. BONAPARTE (t. II, p. 937 et 938).


VENDEN, ville de la Russie d’Europe, dans le gouvernement et à 90 kilom. N.-E. de Riga, chef-lieu du district de son nom ; 1,737 hab. Siège d’évêché. Elle fut fondée en 1205 et fut pendant quelque temps une résidence des chevaliers porte-glaive ; elle fut incendiée en 1748.


VENDERESSE s. f. (van-de-rè-se). V. vendeur.


VENDETTA s. f. (vènn-détt-ta — mot ital. qui signifie vengeance, et se rattache au latin vindicare, venger, proprement revendiquer). État d’inimitié provenant d’un meurtre ou d’une offense, et se transmettant dans la famille de la victime : Là où la vendetta règne, comme en Corse, la loi de police ne peut laisser des armes en toutes les mains, comme en Angleterre. (De Rémusat.) Un Corse' qui a une injure à venger est en vendetta ; il prévient son ennemi qu’à compter d’un tel jour il cherchera l’occasion de le tuer. (A. Hugo.) || Pl. vendette, peu usité. Quelques-uns disent au singulier vendette ; le pluriel serait alors VENDETTES.

— Encycl. Le mot vendetta est surtout employé pour désigner l’état de guerre privée dans lequel vivent des individus et des familles entières, particulièrement en Corse. On dit être en vendetta, vivre en vendetta. La vendetta a le banditisme pour conséquence. On nomme bandit l’homme qui, après avoir vengé par le sang l’honneur de sa famille, mène dans les bois une vie errante, en luttant à la fois contre ses ennemis et contre la force armée qui le poursuivent. La vendetta et le banditisme ont de temps immémorial ensanglanté la Corse, et c’est seulement depuis une quinzaine d’années, depuis la loi de 1853, qui a prohibé le port d’armes sur tout le territoire corse, que l’on commence à constater la décroissance de cet usage barbare.

La vendetta a, du reste, la même théorie que le duel ; c’est l’homme exerçant directement son droit de justice. Lorsqu’un homme a été outragé, il peut s’adresser à la société, qui jugera quelle doit être l’expiation et se chargera de châtier le coupable ; il peut aussi, repoussant l’arbitrage de la société, se faire justice lui-même. De là le duel et la vendetta. Dans les pays où règne l’individualisme, il est naturel que la justice personnelle prenne la forme du duel ; on ne s’est attaqué qu’à un individu, cet individu venge seul son offense. Mais dans un pays comme la Corse, où le groupe familial est fortement constitué, où les membres de la même famille se tiennent aussi étroitement unis que possible, l’injure faite à un membre atteint la famille entière, et cette solidarité fait qu’au lieu du duel c’est une véritable guerre qui éclate, guerre ayant d’ailleurs ses règles et ses lois, comme nous le verrons tout à l’heure.

Le développement de la vendetta en Corse est dû à plusieurs causes. L’île de Corse, station commerciale et colonie agricole de grande importance, n’a cessé, depuis les temps anciens, d’être l’objet des compétitions de tous les peuples maritimes. Carthaginois, Romains, barbares du ve siècle, empereurs d’Orient, Arabes, Pisans, Espagnols, Génois, Français, Anglais s’en sont successivement disputé la possession. Avant la conquête d’Alger, les pirates des États barbaresques y faisaient des descentes continuelles, pillant, tuant, incendiant et forçant les indigènes à fuir dans les hautes terres. De là, pour les Corses, la nécessité de vivre armés, l’habitude de veiller eux-mêmes à leur sûreté personnelle et de se faire justice par leurs propres mains ; de là, enfin, ces mœurs belliqueuses que favorise singulièrement d’ailleurs la configuration d’un pays aussi accidenté, hérissé de montagnes abruptes, couvert de forêts et de maquis.

Ce fut sous la domination génoise que la vendetta fut en Corse de l’usage le plus général. La république avait cédé le gouvernement et l’exploitation de cette île à une compagnie de marchands, la compagnie de Saint-Georges, qui la pressurait d’une façon indigne, multipliant les impôts et les vexations de tout genre. La politique de cette odieuse compagnie était de semer la division parmi les Corses, de les armer les uns contre les autres, comblant d’honneurs et de privilèges ceux qui prenaient son parti, persécutant à outrance et dépouillant, contre toute justice, ceux qui étaient hostiles ou même neutres. Sous un tel régime, les vendette se multiplièrent d’une façon effrayante ; il suffit de dire que, de 1683 à 1715, en trente-deux ans, d’après les documents officiels puisés dans les archives de Gênes, le nombre des meurtres atteignit l’énorme chiffre de 28,715, c’est-à-dire 900 par an en moyenne pour une population de 150,000 âmes !

Les gens pacifiques, très-alarmés, s’adressèrent à la république de Gênes et demandèrent : 1° que le port des armes fût prohibé d’une manière absolue ; 2° que la peine de mort fût appliquée à tous les meurtriers, sans faire aucune exception. La république hésita longtemps ; enfin, elle se décida à interdire le port d’armes, mais ce fut pour dissimuler sous cette prohibition un infâme trafic : les armes qu’elle confisquait aux uns, elle les revendait aux autres, et elle se procurait ainsi le double avantage de perpétuer les discordes civiles et d’encaisser de gros profits. Quant au point relatif à la peine de mort, elle se refusa à l’accorder, « parce que le trésor public perdrait le revenu annuel que lui procuraient les lettres de grâce et d’abolition qu’achetaient les assassins pour se mettre à l’abri de toute poursuite. » (Textuel.) C’est à cet exécrable gouvernement que la Corse doit la pratique de la délation et du faux témoignage, la défiance des tribunaux et de la justice, les inimitiés et les guerres de familles, la vendetta et le banditisme.

Examinons maintenant la vendetta en elle-même et les règles qui la régissent.

La vendetta est autrement sévère que le duel ; elle n’admet point de motifs futiles ; elle ne prend les armes que pour punir le séducteur d’une femme trompée et délaissée, l’assassin d’un proche parent, ou encore le dénonciateur et le faux témoin dont les mensonges ont envoyé un innocent au bagne pu à l’échafaud. « Il est certain, dit M. Gr. Faure (Histoire du banditisme), que le témoin sincère, quelle que soit la gravité de sa déposition, ne court aucun risque d’être inquiété à cause d’elle. Nous n’avons entendu citer qu’un seul exemple du contraire, lequel s’est produit récemment dans la province de Fiumorbo, et encore était-il universellement con-