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pouvoir vivre et attendre l’occasion de signaler son mérite. Quoiqu’il fût ton dessinateur, ses études en architecture n’étaient pas encore assez profondes pour lui permettre d’appliquer pratiquement ses connaissances. Il ne se découragea pas et bientôt il put entrer comme dessinateur chez Jacques Melighini de Ferrare, architecte de Paul III. Son nouveau maître apprécia son talent, le prie sous sa protection et le fit agréer par l’Académie d architecture de Rome, fondée à cette époque. Vignole montra qu’il était non-seulement capaWe de remplir avec supériorité les fonctions qui lui étaient confiées, mais encore que son génie était k la hauteur de toutes les questions de l’art architectural. 11 prit part aux savantes discussions des maîtres d’alors et fit pour eux des travaux remarquables dont il tira honneur et profit. On le chargea de mesurer exactement les monuments anciens, d’en dresser, les plans et d’en dessiner les coupes et les profils. C’est d’après cette étude qu’il a fait son Traité des cing ordres, traita rédigé avec tant de méthode et dé^implicite, qu’aujourd’hui encore il est le meilleur guide a donner aux jeunes architectes, amtquels il enseigne les règles générales de leijr art.

Vignole venait d’achever son œuvre, lorsque le Primatice.’J peintre et architecte bolonais, alors attaefié à François l", vint k Rome. Le roi de Kra.nce l’avait chargé d’aller en Italie acheter des tableaux de maîtres et acquérir ou faire mouler les œuvres remarquables de la statuaire tant ancienne que moderne. Vignole && ![& avec le grand peintre, lui rendit de nombreux services en lui facilitant la conclusion de quelques marchés ot en l’aidant à mouler en creux les statues du. Belvédère. Le Friinatice l’attacha a sa fortune et l’emmena en France. Vignole y demeura deux ans ; les seuls travaux qu’il ait exécutés chez nous consistent daqs la fonte en bronze des figures moulées sur l’antique en Italie, destinées à orner le palais de Fontainebleau, et en quelques modèles et dessins de monuments, dont les guerres que la France soutenait alors empêchèrent l’exécution. On a prétendu, mais à tort, que le château de Chambord avait été construit sur ses dessins ; cette demeure royale avait été bâtie par un architecte de Blois, plusieurs années avant l’arrivée de Vignole en France. Vignole exécuta, à son retour en Italie, une foule de travaux dans diverses Cités : la façade de l’église Saint-Pétrone, le palais Isolani, le portique du Change, le canal du Naviglio, k Bologne ; le palais du duc de Parme, plusieurs églises à Pérouse ; l’église de Saint-André, la maison professe des jésuites, la villa du pape Jules III, le palais de Caprarola, etc. Sur le bruit de sa renommée, le roi d’Espagne, Philippe II, voulut l’attirer à son service. Mais l’artiste refusa, en prétextant de son âge et des travaux de l’église de Saint-Pierre, dont il avait été chargé après la mort de Michel-Ange. Toutefois, il donna pour le palais de l’Escurial des plans qui remportèrent sur ceux de vingt-deux architectes, les plus célèbres du temps, qui avaient concouru avec lui. À sa mort, il fut inhumé en grande pompe au Panthéon de Rome. Ce grand artiste a fixé, pour ainsi dire, les règles du l’architecture moderne ; il en a posé les bases avec une justesse et une harmonie dans les proportions, avec une sobriété, une élégance et une pureté dans les détails dont on avait peu d’exemples jusquelà et dont on s’est peu écarté depuis. On a de lui : un Traité des cinq ordres, qui es’, encore aujourd’hui le rudiment des études d’architecture ; cet ouvrage a été traduit dans

toutes les langues, et notamment en français par Daviler (1691 et 1738, 3 vol. in-4«) ; Traité de la perspective (1563), ouvrage devenu classique et où il fixe les règles de cet art. Lebas et de Biet avaient commencé la publication des Œuvres complètes de Vignole, gravées an trait (Paris, 1815) ; mais cette publication s’est arrêtée k la 14» livraison.

V1GNOLES (Étienne), célèbre capitaine français. V, La Hike.

VIGNOLl (Jean), achéologue et numismate italien, né à Petigliano (Toscane) vers 1680, mort en 1753. Après avoir embrassé l’état ecclésiastique, il devint secrétaire de Philippe Colonna, connétable de Naples et s’adonna à l’étude de la numismatique et de l’arehêologie. Il acquit rapidement par ses travaux une réputation éminente et, en 1720, succéda à Zaccagni comme bibliothécaire du Vatican, emploi qu’il occupa jusqu’à sa mort. Outre une édition du LOier pontificalis ou Vies des papes d’Anastase le bibliothécaire (Rome, 1124-1755, 3 vol. in-4»), on a de lui : Ûisiertatio de cotumna imperatvris Antouini PU (Rome, 1705, in-4«) ; Rpistola ad Ant. Gallaadium de nummo imperamris Antonini PU (Rome. 1709, in-4o) ; Antiquiores poniificum dequrii (Rome, 1709, in-4«) ; Dissenalio apologetica de annn primo imperii Seoeri Atexandri (Rome, 1714, in-4b), etc.

VIGNOLLE (le comte Martin de), général français, né à Massillargues (Hérault) en 1763, mort à Paris en 1824. Entré, eu 1780, comme cadet gentilhomme dans un régiment d’infanterie, il reprit du service lois de la Révolution, servit dans l’année des Alpes en qualité de capitaine, devint adjudant général deux ans après et se signala

XV.

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aux combats de Montenotte et de Dégo ; il pénétra au milieu des masses ennemies k la tête d’un seul escadron et ramena 600 Français que Wukassowisch venait de faire prisonniers. Le lendemain de Castiglione, Bonaparte récompensa la bravoure, le talent et l’activité rares que Vignolle avait montrés dans cette journée par le grade de général de brigade. Il fut nommé, après le traité de Campo-Formio, commandant du Milanais, puis ministre de la guerre delà république Cisalpine. En 1800, le premier consul le chargea de l’organisation de ta fameuse armée de réserve formée k Dijon et destinée a envahir l’Italie. Général de division en 1803, il fit la campagne d’Allemagne de 1809, et perdit un œil à Wagram, d’un éclat d’obus. Il rentra ensuite en Italie, où il n’avait presque cessé de servir. En 1813, il réorganisa 1 armée italienne, qui venait d’être décimée dans les champs de la Russie, et remplit auprès du prince Eugène les fonctions de chef d’état-major. Rallié k Louis XV111 en 1814, il fit partie d’une commission chargée d’examiner les services des émigrés, eut le commandement de la 18e division militaire en 1815, la préfecture de la Corse en 1818 et, devenu député du Gard en 1820, se plaça sur les bancs des ministériels. On a de lui : Précis historique des opérations militaires de l’armée d’Italie en 1813 et 1814 (Paris, 1S17, in-8<>).

V1GNOLLES (Alphonse de), pasteur protestant français, né au château d’Aubaïs eu 1649, mort à Berlin en 1744. Envoyé à Genève pour y suivre des cours de théologie, il s’occupa plus de danse que d’exégèse et négligea complètement les études qu’il devait faire. Son père le rappela ; puis ces goûts frivoles disparurent, et. Yignolles, reçu ministre par le synode du bas Languedoc eu 1675, fut donné pour pasteur à l’église du Cayla, qu’il desservit jusqu’en 1684. À la révocation de l’édit de Nantes, il se retira k Genève, passa de là à Lausanne, puis à Berne et enfin à Berlin, où il s’occupa longtemps d’une chronologie de l’histoire sainte, tirée de la Bible, qui parut sous ce titre : Chronologie de l’histoire sainte et des histoires étrangères gui la concernent, depuis la sortie d’Égypte jusqu’à la captivité de Babylone (Berlin, 1738, 2 vol. in-4«). Cet ouvrage, qui dénote une lecture prodigieuse, les recherches les plus profondes et une rare sagacité, est divisé en six livres. On lui doit, en outre, un grand nombre de dissertations et d’opuscules.

VIGNON (Claude), dit le Vieux, peintre et graveur français, né k Tours en 1573, mort en 1670. Son père, valet de chambre du roi, était chargé de fournir l’argenterie de la cour, Claude Vignon, qui avait de rares dispositions pour la peinture, se rendit à Rome, où il reçutles leçons du Caravage ety acquit bientôt la réputation d’un peintre très-habile. Ce fut à cette époque qu’il exécuta les Noces de Cana pour le prince de Ludovicio, neveu de Grégoire XV. Vignon voyagea ensuite en Espagne, puis revint à Paris, où il devint peintre de la maîtrise en 161S, membre et professeur de l’Académie royale en 1651. Cet artiste exécuta un nombre considérable de tableaux religieux pour les églises de Paris. Il était doué d’une facilité extraordinaire, et on raconte qu’il exécuta en

deux jours un tableau de 6 pieds de longueur sur 5 de hauteur, représentant Sainte Catherine refusant d’adorer les idoles. Graveur habile, il a laissé vingt-sept pièces gravées, dont l’une représente le Baptême de l’eunuque de Candace, exécuté pour Notre-Dame en 1638. Claude Vignon avait eu deux femmes, qui lui avaient donné trente-quatre enfants. —.L’aîné de ses fils, Claude-François Vignon, né en 1633, mort en 1703, s’adonna également k la peinture et devint membre de l’Académie en 1667. Son principal tableau représente la Fille’du roi d’Arménie, Polémon, délivrée par saint Barthélémy de la possession du démon. — Un frère du précédent, Philippe Vignon, né en 1634, mort en 1701, s’adouna particulièrement au portrait et devint membre de l’Académie en 1687.

VIGNORY, bourg de France (Haute-Marne), ch.-l. de cant., aYrond. et k 21 kilom. N. de Chaumont. au pied d’une montagne} pop. aggl., S44 hab. — pop. tôt., 581 hab. Viguory était au xa siècle le siège n’un comte qui, après av.oir longtemps appartenu k la maison de Ûainpierre, passa dans les dernières années du xviii" siècle aux mains de celle de Béthune. La villa possédait un château, dont la fondation remonte au xe siècle et dont les derniers vestiges consistent aujourd’hui dans une tour ronde découronuèe et rattachée par un par de mur à une tourelle à peu près ruinée, et dans quelques débria de murailles. Vignory a conservé son église, curieux édifice roman, classé depuis longtemps au nombre des monuments historiques. L’église de Vignory, construite en 987, est surmontée d’une belle tour du xie siècle, à trois étages, percée de fenêtres géminées en plein cintre. L’intérieur, long de 50 mètres dans ceuvre, se divise en une nef avec sanctuaire en hémicycle, e t en deux collatéraux formant autour d u choeur un déambulatoire sur lequel s’ouvrent trois chapelles en abside et voûtées. Des charpentes apparentes, semblables aux charpentes primitives, couvrent la nef et les bascôtés. On remarque principalement dos chu VIGN

pileaux sculptés bizarrement, dénombreu<î(is statues du xiveetdu xvo siècle, un ’bas-relief représentant des épisodes de la vie de la Vierge et un rétable sculpté représentant la passion. C’est dans l’église de Viguory qu’on remarque l’origine du triforium Ou galerie ouverte immédiatement sur les arcades de la nef. Ce remarquable édifice a ’été restauré par M, Bœswillwald.

VIGNOT s. m. (vi-gno ; gn mll.). Pêche. Table sur laquelle on étale la morue lorsqu’elle sort de l’eau. || On écrit aussi vigneau.

— Moll. Nom vulgaire de la littorine commune. || On écrit aussi vigneau.

Encycl. Moll. V. littorine.


VIGNY (Alfred-Victor, comte de), poëte et romancier français, né k Loches le 28 mars 1797, mort à Paris le 17 septembre 1863. Sa famille, autrefois fort riche en domaines territoriaux situés en Beauce, s’était vue contrainte d’habiter Loches pour se rapprocher du lieu de captivité de l’un de ses membres, M. de Baraudin, oncle maternel du poète, chef d’escadre sous Louis XVI et emprisonné pour sa participation aux guerres de la Vendée. Elle avait acheté k Loches une petite maison, où naquit Alfred de Vigny. Dix-huit mois aprè3 cet événement, en 1799, la famille de Vigny quitta cette retraite et habita tantôt Pans, tantôt ia terre patrimoniale du Tronchet, en Beauce. Dès son enfance, le futur auteur de Cinq-Mars puisa dans ce qu’il appelle « la tristesse bruyante de Paris » et dans la monotonie des plaines de la Beauce les germes de cette misanthropie qui, plus tard, devait entièrement l’envahir. • Au collège, lisons-nous dans les notes posthumes publiées par M. Louis Ratisbonne, j’étais persécuté par mes compagnons ; quelquefois ils me disaient : «Tu as un de k ton « nom ; es-tu noble ?» Je répondais : • Oui, > je le suis. > Et ils me frappaient. Je me sentais d’une race maudite, et cela me rendait sombre et pensif. »

Alfred de Vigny se préparait k l’École polytechnique et suivait, en dehors de l’institution Hix, dau3 laquelle il eut pour condisciples Hérold et Devéria, des cours particuliers sous les meilleurs maîtres. Il cultivait même les arts d’agrément et eut Girodet-Trioson pour professeur de dessin. Sa santé se trouva ultérée par suite d’un labeur trop continu ; la famille fit des reproches à M»» de Vigny, qui répondit tristement : « Que voulez-vous ? il faut qu’un homme sache tout k dix-sept ans ; après cet âge, la guerre l’enlève k l’étude et nous le prend, hélas I à nous-mêmes. » C’était, en effet, l’époque où les mères ne mettaient plus au monde assez d’enfants pour suffire à ce dévorant empereur. La bataille de Paris, en ramenant les Bourbons, lui ouvrit plus pronipteinent qu’il ne l’avait espéré la carrière militaire. « Nous avons élevé cet enfant pour le roi, » écrivit la comtesse de Vigny au ministre de la guerre en demandant son admission dans les gendarmes de la maison rouge. Le ministre accueillit la demande ; le jeune homme fut admis par faveur et, malgré sa taille peu.imposante, avec un. brevet de lieutenant dans ces «ompagnies de luxe destinées à satisfaire la vanité de la noblesse. Il débuta, comme il l’a raconté dans une touchante page de Laurette ou le Cachet rouge [Servitude et grandeur militaires) par escorter jusqu’k Béthun-Louis XVIII, forcé de fuir aux Cerit-Jours. Le mousquetaire de la maison rouge n’avait pas un poil de barbe au menton, et l’escadron ne manqua pas de le cribler île plaisanteries. A. de Vigny montrant un jour à Victor Hugo un portrait de lui k cette époque, en costume de lieutenant, Victor Hugo s’écria : « C’est la plus fine et la plus délicate figure de petite fille qui se puisse voir I » Au fond, il n’avait aucunement le tempérament militaire, comme il l’explique dans une page de ses Souvenirs : ■ Me voila mousquetaire à seize ans. Ce n’est que celai me dis-je après avoir mis mes épaulettes, ce n’estque cela 1 J’ai dit (ie inot-lk depuis de toute chose, et je l’ai dit trop tôt. De là ma tristesse, née avec moi, il est vrai, mais pas si profonde qu’à présent, et au fond assez douce et pleine de commisération pour mes frères de douleur, pour tous les prisonniers de cette terre, pour tous les hommes... Vous aveu raison de vous représenter ma vie militaire comme vous faites j l’indignation que me causa toujours la sultisance dans les hommes si nuls qui sont revêtus d’une dignité ou d’une -autorité mu donna, dès te premier jour, une sorte de froideur révoltée avec les grades supérieurs et une extrême affabilité avec les inférieurs et les égaux. Cette froideur parut k tous les ministères possibles une opposition permanente, et ma distraction naturelle et l’état de somnambulisme où me jette an tout temps la poésie passèrent quelquefois pour du dédain de ce qui m’entourait. Cette bonne distraction était pourtant, comme elle l’est encore, ma plus chère ressource contre l’ennui, contre les fatigues mortelles dont on accablait mou pauvre corps si délicatement conformé et qui aurait succombé k de plus longs services, car, après treize ans, le commandement me causait des crachements de sang assez douloureux. La distraction me soutenait, me berçait, dans les rangs, sur les grandes routes, au camp, k cheval, k pied, en commandant même, et me parlait k l’oreille de poésie ’et d’émotions divines nées de l’amour, de la philosophie et de l’art. Avec une

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indifférence cruelle, le gouvernement, à la tête duquel se succédaient mes amis et jusqu’k mes parents, ne me donna qu’un grade pendant treize ans, et je le dus k l’ancienneté qui me fit passer capitaine k mon tour. 11 est vrai que, dès qu’un homme de ma connaissance arrive au pouvoir, j’attends qu’il me cherche, et je ne le cherche plus. J’étais donc bien déplacé dans l’armée, et je portais la petite Bible que vous avez vue dans le sao d’un soldat de ma compagnie. J’avais Eloa, j’avais toutes mes poésies dans ma tête ; ils marchaient avec moi, par la pluie, de Strasbourg à Bordeaux, de Dieppe k Nemours et k Pau, et quand on s’arrêtait, j’écrivais. J’ai daté chacun de mes poèmes du lieu où sa posa mon front. Depuis la guerre d’Espagne, Cinq-Mars vivait dans ma tète ; j’étais comme le Jésus de Manzoni, « se souvenant de l’avenir, » et ce livre k venir, je n’avais pas le temps de l’écrire. Marié hors de l’année, revenu à Paris (chère ville bien-aimée du Beauceron qu’on y apporta k deux ans), je me hâtai d’écrire mon roman. Il me donna plus de renom qu’i ?/oa, qui me semble d’une nature plus rare, autant que je puis méjuger moimême. Je lis depuis ce que j’ai fait toujours, des esquisses qui font mes délices, et du milieu desquelles je tire de rares tableaux. Croiriez-vous que je les ai tellement accumulés que j’ai là, près de moi, une malle entière pleine de plans, de romans, d’histoires, do tragédies, de livres de toute forme et de toute nature ?... »

Pour compléter l’histoire de la jeunesse du poète, ajoutons qu’il fut du nombre de ceux

?ui, lors du «voyage» k Gand, n’avaient pas

rauchi la frontière. On l’envoya k Amiens pendant les Cent-Jours. Les compagnies rouges n’ayant point été rétablies au retour des ■ Bourbons, de Vigny entra dans la garde royale a pied. U s’était brisé la jambe par accident, et l’usage du cheval lui devenait impossible. Très-studieux, détestant les habitudes de caserne et l’insipidité de la vie de garnison, il passait aux bibliothèques les moments qu’il pouvait dérober au service ; car l’instinct de la guerre, chez une nature aussi délicate, aussi généreuse, n’avait été qu’un instinct factice. La réflexion lui avai ; t montré ce que vaut ce grand mot atroce de gloire militaire avec lequel on grise les natures grossières et dont les despotes se servent avec une si cruelle adresse pour mieux exécuter leurs desseins ambitieux. Dans le silence de la paix qui enfin s’était faite après de si terribles commotions, il sentit s’éveiller en lui le goût littéraire et poétique. L’étude de Théocrite et d’André Chénier lui Inspira, dès 1815, deux études antiques, la Dryade et Syméta, qu’il fit suivre bientôt de poésies d’une égale valeur : Héléna, la Somnambule, la Fille de Jephlé, la Femme adultère, le Bal, la Prison, morceaux réunis sous le titre da Poèmes antiques et modernes (1822, in*8*) et inspirés, selon toute probabilité, par André Chénier ; le Trappiste (1822, in-8») ; Eloa ou la Sceur des anges, mystère (1824, iu-S»). Cette dernière oeuvre, où l’inspiration mystique est rendue avec une perfection si mélodieuse, ne fut pas accueillie avec tout le succès que l’auteur en attendait. Le Déluge et Dolorida suivirent Eloa de très-près. Le Déluge était la dernière des œuvres bibliques et uutiqués de l’auteur ; Dolorida, la première de ses œuvres romantiques. Ces productions lui assurèrent une des premières places dans les rangs de la jeune pléiade ; elles sont empreintes de cette originalité qui crée k Alfred de Vigny une place à part dans le mouvement littéraire de 1830. Plus hardi qu’André Chénier, dont il a souvent toute la grâce, il fut en même temps que Victor Hugo un initiateur.

Nommé capitaine en 1823, au moment de la guerre d’Espagne, il fut envoyé sur la frontière et ne prit aucune part, k son grand regret, aux opérations militaires ; mais dans ces loisirs forcés, il conçut l’idée et le plan d’un de ses plus beaux livres, Cinq-Mars, C’est dans les Pyrénées, k.Orthez, parmi les devoirs et les ennuis de la vie militaire, quo le jeune officier écrivit ce roman longuement inédité et dont il avait conçu la plan en préparant une Histoire de ia Fronde, qui n’a jamais vu le jour. Cinq-Mars est plutôt l’œuvre d’un libéral éclairé que celle d’un royaliste fervent, et peut-être le succès de ce beau livre (1826) fut-il pour beaucoup dans la résolution que prit l’auteur de renoncer k une carrière pour laquelU il n’avait plus que de1’aversion. Dans Servitude et aruudeur militaires, il parle longuement de ses déceptions. « Ce ne fut que très-.tard. dit-il, que je m’aperçus que mes services n’étaient qu’une longue méprisa et que j’avais porté dans une vie tout active une nature toute contemplative. Mais j’avais suivi la pente de cette génération de l’Empire néa avec le siècle et de laquelle je suis. •

Alfred de Vigny se lit réformer en 1828 pour cause de santé. Deux uns auparavant, il avait épousé k lJau une Anglaise, petite-fille d’un riche commerçant de l’Inde, après avoir failli épouser Delphine Gay (M’io Emile de Girardin). Il vint k Paris et fut aussitôt un des plus fidèles habitués du cénacle de la place Royale. Le succès de Cinq-Mars présageait, en ce brillant champion du romantisme, alors naissant, un rival de WalterScott ; mais c’était au théâtre surtout qu’il fallait frapper dès coups décisifs et en finir avec les

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