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un caractère de banditisme et de férocité. Il fit arrêter et rançonner les trains de chemin de fer, incendier les gares, fusiller les prisonniers, etc. C’est ainsi qu’en mai 1873 il ordonna de fusiller, à Sanahuja, vingt-deux volontaires de l’armée républicaine qui, accablés par le nombre, s’étaient rendus sous condition d’avoir la vie sauve. En 1874, il tomba en disgrâce pour s’être montré, dit-on, quelque peu hautain vis-à-vis de don Alphonse, frère du prétendant don Carlos, et fut remplacé par Lizarraga. Mais l’armée de Catalogne ne tarda pas à se désorganiser, et, au mois de novembre 1875, don Carlos nomma de nouveau Tristany capitaine général de la Catalogne. Dans une proclamation datée du 16 novembre, il annonça aux carlistes catalans qu’ils « devaient former l’avant-garde dans la marche sur Madrid. » Trois mois plus tard, les armées carlistes étaient en pleine déroute et Tristany dut quitter l’Espagne. Son frère Francisco commanda à la même époque les bandes de la province de Tarragone, et son second frère Ramon exerça avec peu d’éclat un commandement dans la province de Lerida.


TRISTE adj, (tri-ste — lat. tristis, mot qui se rattache à la racine sanscrite tras, craindre, trembler de crainte, d’où tresta, timide, craintif. Comparez le grec trestês, timide, de treô, pour tresô, craindre, fuir ; russe trusiti, craindre, triasti, faire trembler, secouer ; persan tarsidan, craindre. Le sens primitif du latin tristis renfermerait ainsi l’idée de crainte et de timidité). Qui n’est pas content ; qui a du chagrin, de l’affliction : Être triste à mourir. On est triste après une passion comme après une banqueroute. (P. Limayrac.) || Morose, porté à la tristesse : Un caractère TRISTE.

— Qui exprime la tristesse : Triste regard. Air triste et lugubre. La cigogne a presque toujours l’air triste. (Buff.) || Qui est inspiré par le chagrin, par la mélancolie : Tristes réflexions. Triste et profonde rêverie.

— Qui est l’emblème de la douleur, de la tristesse : Les tristes cyprès.

— Qui s’écoule dans la tristesse : Triste vie. Tristes jours.

J’ai vu mes tristes journées
              Décliner vers leur penchant.
                        J.-B. Rousseau.

— Affligeant, chagrinant, ennuyeux : Triste souvenir. Chant triste. Triste nouvelle.

Épargnez-moi ces tristes entretiens.
  Qui ne font qu’irriter vos tourments et les miens.
                              Corneille.

— Malheureux, funeste, déplorable : Triste spectacle. Faire une triste fin.

— Pénible, difficile à supporter : Il est triste de passer pour un hétérodoxe, et de se voir encore tronqué, estropié, mutilé comme un auteur ancien. (Volt.)

— Obscur, sombre : Chambre, appartement triste. Couleur triste.

— Peu agréable, peu gai à la vue : Maison triste. Campagne triste, Rien n’est triste comme la nature aux approches de Petersbourg. (De Custine.)

— Sombre et couvert : Temps triste. Ciel triste.

— Importun, ennuyeux :

Ah ! quittez d’un censeur la triste diligence.
                           Racine.

— Frivole, chétif, pitoyable ; Triste personnage. Triste consolation. C’est une triste dot que l’amour, quand il est seul. (A. Karr.)

Triste figure, Triste mine, Air triste, sombre, morose. || Faire une triste figure, Se trouver gêné, mal à l’aise, déplacé : Il entra au ministère, mais il y fit une triste figure. || Faire triste mine, Avoir l’air chagrin, mécontent. || Faire triste mine à quelqu’un, L’accueillir froidement.

Avoir le vin triste, Être triste, chagrin, quand on est en état d’ivresse.

— Loc. fam. Triste comme un bonnet de nuit, Morose, chagrin, mélancolique. || Triste comme la porte d’une prison, Qui est très-triste, qui inspire une grande tristesse :

On dit : Triste comme la porte
         D’une, prison.
Et je crois, le diable m’emporte,
           Qu’on a raison.
                   A. de Musset.

— Hist. littér. Chevalier de la Triste figure, Nom donné par Cervantes à Don Quichotte.

— s. m. Chose triste : Vous m’apprenez là du triste.


Tristes (LES), élégies d’Ovide, en cinq livres. Ces élégies ne sont autre chose que les lamentations du poète sur son exil ; mais il n’y a guère que la première qui soit vraiment belle et touchante. C’est celle où le poëte raconte les événements de la dernière nuit qu’il avait passée à Rome. Les autres sont, en général, médiocres. « L’auteur, dit Laharpe, joint à la monotonie du sujet celle du style ; il y a trop peu de sentiment et beaucoup trop d’esprit. On voit que la douleur ne saurait passer de son âme jusque dans son style, et l’on croirait qu’il s’amuse de ses plaintes et de ses vers. »

Laharpe va trop loin ; Ovide, né avec un génie facile et abondant, une imagination riante et voluptueuse, était certainement bien plus fait pour être le peintre des amours que le chantre des malheurs. Ses Tristes, comme ses Pontiques, sont une sorte de mémoire justificatif de sa vie. Ils prouvent quelles étaient sa candeur, sa sensibilité, sa reconnaissance, et à quel point il réunissait les goûts simples, les qualités aimables, les dons brillants du génie à tous les sentiments de l’honnête homme. Malheureusement, ils sont aussi un témoignage du peu du dignité qu’Ovide avait conservé dans son exil ; on remarque cela surtout dans le livre II, écrit pour Auguste, aux pieds duquel il se jette pour implorer, sinon sa grâce entière, du moins un exil plus doux. Dans les autres livres, il s’adresse à ceux de ses amis qui étaient restés fidèles à sa fortune, qui avaient chez eux son portrait et qui, à leur doigt, portaient gravée sur des pierres précieuses la tête du proscrit. Toutefois, de peur de les compromettre, il s’abstient de les nommer dans ses vers ; il se montre moins craintif dans les Politiques. Après l’élégie du livre Ier, dans laquelle Ovide raconte son départ de Rome, la plus intéressante est la Xe du livre IV, dans laquelle il fait sa propre biographie.


TRISTE, golfe de la mer des Antilles, sur la côte N. du Venezuela, entre la pointe Tucacas au N.-O. et l’embouchure du Chaves au S.-E., par 10° 30’de latit. N. et par 70° 40’ de longit. O. Il a 13 kilom. de profondeur et renferme trois îles appelées Cayes.


TRISTE, île de l’Amérique du Nord (Mexique), dans la baie de Terminos, par 10° 20’ de latit. N. Elle a environ 25 kilom. de circonférence, et on y exploite divers bois précieux, notamment l’acajou.


TRISTE, île de la Malaisie, appelée aussi 'île du Récif ou Poulo-Mego, près de la côte S.-O. de Sumatra, par 4° de latit. S. et par 98° 39’ de longit. E. Elle est environnée d’un récif de corail, et les nombreux naufrages qui ont eu lieu sur ses côtes lui ont fait donner son nom.


TRISTÉGIE s. f, (tri-sté-ji — du préf. tri, et du gr. stégê, couverture). Bot. Syn. d’HÉMANTHE, genre d’amaryllidées.


TRISTÉGIS s. m. (tri-sté-jiss — du préf. tri, et du gr. stégê, toit). Bot. Syn. de MELINIS, genre de graminées.


TRISTELLATÉE s. f. (tri-stèl-la-té — du préf. tri, et du lat. stellatus, étoile). Bot. Genre d’arbrisseaux grimpants, de la famille des malpighiacées, comprenant des espèces qui croissent à Madagascar et en Océanie.


TRISTEMENT adv. (tri-ste-man — rad. triste). D’une manière triste : Vivre tristement. Regarder quelqu’un tristement.

— D’une manière pitoyable, mauvaise : Tout cela est tristement peint.


TRISTEMME s. m. (tri-stè-me — du préf. tri, et du gr. stemma, bandelette). Zooph. Section du genre cribrine.

— Bot. Genre de sous-arbrisseaux, de la famille des mélastomacées, tribu des osbeckiées, comprenant plusieurs espèces, qui croissent dans l’Afrique tropicale.

— Encycl. Le genre tristemme renferme des plantes herbacées, à tiges tétragones, portant des feuilles opposées, simples, à nervures saillantes ; les fleurs, disposées en capitules axillaires, présentent un calice à cinq divisions, accompagné extérieurement d’une double couronne membraneuse, ciliée ; une corolle à cinq pétales onguiculés ; dix étamines ; un ovaire semi-infère ; le fruit est une baie ovoïde, comprimée, couronnée par le calice, pulpeuse à l’intérieur et divisée en cinq loges. L’espèce type du genre croit à l’île Maurice ; ses baies, d’abord globuleuses, puis comprimées et anguleuses par le contact avec leurs voisines, sont bonnes à manger et ont aussi une certaine réputation, en médecine, comme antisyphilitiques ; elle possède, en outre, les propriétés générales des mélastomacées. Ou ne la cultive que dans les jardins botaniques.


TRISTÉMON s. m. (tri-sté-mon — du préf. tri, et du gr. stémon, filament). Bot. Section des omphalocaryons, genre d’éricinées. || Syn. de triglochin ou troscart, genre d’alismacées.


TRISTÉPHANE s. m. (tri-sté-fa-ne — du préf. tri, et du gr. stepkanos, couronne). Zooph. Genre de polypes, du groupe des actinies.


TRISTESSE s. f. (tri-stè-se — lat. tristitia, même sens). Souffrance morale, abattement de l’âme causé par quelque accident fâcheux : Grande, profonde, extrême tristesse. Être d’une tristesse mortelle. Se plonger dans la tristesse. Chasser, dissiper la tristesse. Ne nous laissons pas abattre à la tristesse. (Pascal.) J’aurais bien de la peine à soutenir plus de tristesse que je n’en ai. (Mme de Sév.) Pour la première fois de ma vie, je connus l’inquiétude et la tristesse. (J.-J. Rouss.) Dans la tristesse, les deux coins de la bouche s’abaissent. (Buff.)

Un espoir adoucit ma tristesse mortelle.
                   Racine.
Éclaircissez ce front, où la tristesse est peinte.
                   Racine.
Ce matin, je sentais redoubler ma tristesse.
                   V. Hugo.

— Mélancolie résultant de la nature du empérament : C’est un poison pour nous que la tristesse. (Mme de Sév.) La tristesse attendrit l’âme. (J.-J. Rouss.)

— Effet produit sur l’âme par les choses qui manquent d’animation, de gaieté : Appartements d’une grande tristesse. Dîner, bal, carnaval, qui se sont fait remarquer par une grande tristesse. || Impression pénible causée par le caractère particulier de certaines choses : La tristesse de ce vent soufflant à travers les arbres dépouillés me serrait le cœur.

Là, jamais entière allégresse,
            L’âme y souffre de ses plaisirs :
            Les airs de joie ont leur tristesse,
            Et les voluptés leurs soupirs.
                          Reboul.

— Dans le langage de la chaire, Pénitence, austérités du christianisme : Vous violez la loi du carême ; vous mêles les plaisirs du monde à la sainte tristesse de son abstinence. (Mass.)

— S’emploie quelquefois au pluriel dans ces divers sens : Il y a des larmes sans mérite, qui ne sont pas les tristesses de la pénitence. (Fléch.) Des tristesses profondes. (Bourdal.) J’ai les tristesses d’un philosophe, bien que je sois un pauvre philosophe ; j’ai les besoins d’un poète, bien que je sois un poëte fort mince. (G. Sand.) L’hiver emporte toujours avec lui quelque chose de nos tristesses. (V, Hugo.)

— Syn. Triatesse, chagrin, mélancolie. V. CHAGRIN.


Tristia, par Toussenel (1863, in-18). Le sous-titre du livre apprend au lecteur que l’écrivain humoristique se propose de raconter les misères et les fléaux de la chasse en France, mais il y traite de beaucoup d’autres choses encore. Il débute par ce cri d’alarme : « Le lièvre et la perdrix s’en vont ; la broche, la terrine et les vins naturels aussi, et les saines traditions de l’art ! » Il poursuit par le tableau des disgrâces imméritées de la perdrix, de la gelinotte, de la bécassine mises en regard de la prospérité insolente et calamiteuse de l’aspic ; ce qui le conduit naturellement à l’histoire des différentes phases sociales par lesquelles il est nécessaire que l’humanité passe, et le droit de chasse aussi. L’ouvrage est écrit spécialement en faveur du gibier français, et son but principal est de sauver de la destruction le peu qui nous en reste. L’auteur a cru cependant devoir prévenir ses lecteurs que l’observation rigoureuse du tracé de son programme ne l’a pas détourné de résoudre en passant tous les grands problèmes religieux, politiques et autres que le courant de la discussion amènerait sous sa plume. C’est ainsi qu’il lui parait impossible de traiter sérieusement la question de la bécassine, amie des marécages, sans parler un peu des marais Pontins, domaine de l’Église. Toussenel ne regarde nullement comme une faute d’avoir cédé à ces entraînements et n’en demande pardon à personne, pas plus que d’avoir écrit l’histoire universelle de la superstition dans les deux mondes, à propos des longs démêlés de la femme et du serpent ; pas plus que de s’être laissé induire par une étude approfondie des mœurs de la vipère de l’Ouest à présenter les faits de l’insurrection vendéenne.

Cette œuvre est une lamentation et une oraison funèbre ; voilà pourquoi l’auteur l’a baptisée Tristia, comme les cinq livres d’élégies d’Ovide. Il conclut par des prédictions sinistres. « Voici ce qui est écrit : C’est lorsque le gibier de France ne sera plus, et que le gibier d’outre-Rhin l’aura remplacé sur nos tables, et que l’esprit français aura gagné en pesanteur tout ce qu’il aura perdu en grâce et en légèreté… ; c’est alors seulement que le penseur sérieux comprendra la portée du célèbre aphorisme formulé par un de nos sages : « Dis-moi ce que tu manges, je te dirai ce que tu es ! » C’est après que le tabac, ce narcotique stupéfiant qui tue l’âme et le corps, qui repousse le baiser et appelle la bière, aura refroidi tous les cœurs et obscurci tous les entendements ; c’est alors, seulement alors que le contribuable français qui payera, mais qui ne chantera plus, connaîtra bien que les plus lourds impôts ne font pas le bonheur ; alors que le monde consterné demandera avec anxiété aux analogistes passionnels le sens de l’énigme effroyable d’interversion universelle proposée par une plante qui fait respirer par la bouche et manger par le nez ! C’est quand le rosbif cuit au four et l’impur pudding son complice, importés tous deux d’Albion, auront détrôné parmi nous le culte du rôti, du coulis et de la fondue ; c’est après que le gin infect et le poivre de Cayenne auront déshonoré tous nos vins généreux, brûlé tous nos palais…, c’est alors seulement que la France se mordra les doigts de l’énorme sottise qu’elle a faite d’accorder la libre pratique à la cuisine d’un peuple qui n’eut jamais qu’une sauce pour vingt religions ! C’est après que la taille du citoyen français aura décru d’un nouveau pouce, et que le niveau des caractères et celui des intelligences auront subi une dépression adéquate…, c’est après que les derniers spécimens de la beauté parisienne, bien plus adorables cent fois que tous ceux de la Vénus grecque, auront disparu de ce monde, où rien ne sera plus… ; c’est seulement alors que les poètes, les artistes et les amoureux atterrés aviseront pour la première fois les misères les plus cachées sous la gloire et les dangers d’une loi imprudente qui, en prélevant chaque année, sur la fleur de la population masculine, un tribut de cent mille jouvenceaux pour en recruter la double armée du célibat, réservait fatalement le monopole de la conservation de l’espèce aux vieux et aux paralytiques, aux notaires et aux éclopés ! Et tout le monde, dans ce temps-là, comprendra pour quelle cause ce livre a eu nom Tristia ! »


TRISTIGMATÉ, ÉE adj. (tri-sti-graa-tédu préf. tri, et du gr. stigma, stigmate). Bot. Qui a trois stigmates.


TRISTIMANE adj. (tri-stî-ma-ne — rad. tristimanie). Pathol. Qui est atteint de tristimanie.

— s. Personne qui a cette maladie.


TRISTIMANIE s. f. (tri-sti-ma-nl — du lat. tristis, triste ; mania, folie). Pathol. Monomanie accompagnée de tristesse.


TRISTIQUE adj, (tri-sti-ke — du grec tristichos, proprement composé de trois rangs, qui est formé lui-même de tris, trois fois, et de stichos, rang, qui appartient à la même famille que le grec stix, stichos, rangée, ligne de soldats). Bot. Qui est disposé sur trois rangs.

— s. m. Genre de plantes aquatiques, de la famille des podostémées, comprenant plusieurs espèces, qui croissent dans les régions tropicales.


TRISTOME s. m. (tri-sto-me — du préf. tri, et du gr. stoma, bouche). Helminth. Genre de vers trématodes, type de la famille des tristomiens, comprenant cinq ou six espèces, qui vivent en parasites sur divers poissons marins.

— Moll. Syn. de trifore, genre de mollusques.

— Encycl. Helminth. Les tristomes sont, des animaux à corps comprimé, un peu convexe en dessus, membraneux et plat en dessous, muni de deux petits pores ou suçoirs antérieurs, au milieu et un peu en arrière desquels est la bouche qui est en forme de trompe ; à la face inférieure et en arrière est un grand suçoir cartilagineux tenant au corps par un court pédicule. Ces vers sont généralement assez grands et ont le corps arrondi, à bords minces et plus ou moins sinueux. Les espèces peu nombreuses de ce genre n’ont été observées jusqu’à présent que sur le corps des poissons, où elles vivent en parasites. Le tristome écarlate, espèce type, est d’un rouge vif et d’environ om,03 de diamètre ; on le trouve dans la Méditerranée, sur les branchies de la môle, de l’espadon, etc.


TRISTOMIEN, ENNE adj. {tri-sto-mi-ain, è-ne rad. tristome). Helminth. Qui ressemble ou qui se rapporte au tristome.

— s. m. pi. Famille de vers trématodes, ayant pour type le genre tristome.


Tristram Shandy (VIE ET OPINIONS DE), par Laurence Sterne (1759-1767, 8 vol, in-12). Ce livre n’est pas une histoire ni un roman, mais un recueil de scènes, de dialogues et de tableaux plaisants et touchants, présentés avec infiniment d’esprit et semés de beaucoup de connaissances originales. La singularité de cet ouvrage, où l’on chercha souvent un sens à des passages qui n’en ont pas du tout ; l’air de mystère dont il est empreint, ses caractères bizarres, sa gaieté folle et souvent même licencieuse impatientent et charment tout à la fois le lecteur ; mais le caractère gai, spirituel, sensible de l’insouciant curé Yorick, où l’on prétend que Sterne s’est peint d’après nature ; l’oncle Toby et son fidèle serviteur, les plus délicieux caractères de cet ouvrage, sont peints avec tant de charme et une individualité si originale, qu’ils font oublier la licence du romancier. La prise de Strasbourg ou l’homme au grand nez, l’histoire pathétique et touchante de Lefèvre, celle de l’abbesse aux andouillettes sont au nombre des morceaux les plus remarquables. L’épisode de la jolie veuve, Mme Widmann, qui, désolée de ce que l’oncle Toby n’ose pas la regarder en face, prend le parti de se faire souffler dans l’œil par ce timide bonhomme, sous le prétexte d’un moucheron, est une des pages les plus charmantes qui aient jamais été écrites. Il a été popularisé par un tableau du peintre anglais Leslie. Les zigzags que trace en l’air, avec sa canne, le caporal Trim, et auxquels Sterne a l’air d’attribuer le sens le plus profond, sont également célèbres. Le boulingrin et la demi-lune, fortifications auxquelles travaillent perpétuellement l’oncle Toby et le caporal, en souvenir de leurs campagnes, ont quelque chose d’extravagant ; mais en Angleterre, où l’on agit sans se soucier beaucoup des rjsées ou des censures de ses voisins, il n’y a pas d’impossibilité ni peut-être de grande invraisemblance à supposer qu’un original emploie une aide mécanique, telle que ce fameux boulingrin, pour encourager et aider son imagination dans la tâche agréable, mais illusoire, de bâtir des châteaux en l’air. Les hommes ont été appelés de grands enfants, et, parmi les vieux hochets et les inventions dont ils s’amusent, celle de l’oncle Toby, avec les plaisirs duquel nous sommes