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y est long et rigoureux, l’été court et très-chaud. La neige, qui séjourne éternellement sur les montagnes, tombe en abondance pendant les six ou sept mois d’hiver. Pendant l’été, la sécheresse est excessive. Les saisons intermédiaires sont marquées par de violentes tempêtes ; l’air est salubre : on ne trouve pas au Thibet de maladies épidémiques comme dans le sud de l’Asie.

Le sol n’est guère fertile que dans les vallées ; sur les plateaux dénudés, il est généralement d’une extrême stérilité. L’agriculture, quoique bien pratiquée, ne produit pas assez pour les besoins des populations thibétaines ; la vigne y prospère beaucoup et les fruits abondent dans les vallées. Le riz et la rhubarbe sont récoltés dans les montagnes. L’éducation du bétail est la principale ressource des habitants, qui se nourrissent surtout de viande, de lait, de fromage et de beurre ; les gens aisés consomment beaucoup de thé et vivent du reste à la manière chinoise. Parmi les animaux du Thibet on remarque la chèvre, dont les poils soyeux servent à la fabrication des châles précieux dits de cachemire, les moutons à queue grasse, le chameau, le daim musqué, l’antilope, la gazelle, l’orongo, le mouflon, le cheval sauvage, le buffle thibétain ou yak, dont la queue très-recherchée sert dans l’Inde de chasse-mouche, etc. Le sol recèle de grandes richesses minérales, de l’or, de l’argent, du plomb, du cuivre, du marbre, du sel gemme, le tinkal, autre espèce de sel, qui se dépose sur le bord des lacs et dont on tire le borax, enfin des pierres précieuses, surtout des turquoises et des lapis-lazuli. D’après le docteur Campbell, il n’y a pas de mines de fer dans le Thibet oriental ; mais en revanche on y trouve d’importantes mines d’or, principalement dans la vallée de la rivière Garou. De beaucoup, les mines les plus utiles sont les carrières de sel qui occupent les hauts plateaux de Lâche entre Ladak et Digarchi, à l’altitude moyenne de 6,600 mètres. Les hommes et les brebis peuvent seuls atteindre ces hauteurs. Les mineurs emploient les brebis comme animaux de somme, et leur font porter des charges qui varient de 3 à 10 kilogrammes, suivant la roideur des pentes. Plus bas, ce sont les yaks qui portent les charges de sel.

Population, mœurs. La population du Thibet est évaluée à près de 7 millions d’habitants, appartenant à la race de la haute Asie, dans laquelle ils constituent une famille particulière. Les Thibétains sont tous bouddhistes, vivent dans des habitations fixes, où ils s’occupent d’agriculture et surtout de l’élève du bétail ; ils exercent différents métiers et s’adonnent surtout à la fabrication des tissus de laine et des objets métalliques ; quelques-uns vivent à l’état nomade. Le commerce qui s’y fait avec la haute Asie, ainsi que dans l’Inde et la Chine, n’est pas sans être important. La culture scientifique est très-avancée dans le haut plateau du Thibet ; elle est l’objet de soins tout-particuliers d’un des couvents bouddhistes, qui-sont très-nombreux dans le Thibet.

Les Thibétains appartiennent à la grande famille tartare. « Ils ont le front déprimé, la tête de forme carrée, les os des joues très-proéminents, l’arcade sourcilière peu prononcée, le nez mince et droit, le menton légèrement proéminent, la taille moyenne, les épaules larges et carrées, les extrémités courtes, le cou de même, les cheveux noirs, la barbe noire et les yeux noirs ou bruns. Dans le petit Thibet, appelé Ladahk, les maisons sont construites en pierres cimentées de terre, avec toits en forme de terrasse et sans cheminées. Dans les autres parties du pays, elles sont formées avec des pierres superposées sans ciment et n’ayant que des branches d’arbre pour les fixer les unes aux autres. Des nattes étendues à terre servent à la fois de lit et de siège. Les deux sexes s’habillent principalement avec du drap de couleur rouge ou jaune, et portent par dessus des peaux de mouton, de chèvre ou de chacal. Les affaires se traitent pendant le jour ; la soirée est toujours consacrée à la musique et à la danse. Toute la nation est divisée en deux classes bien distinctes : ceux qui s’occupent des affaires terrestres et ceux qui n’ont des relations qu’avec le ciel. Jamais le profane vulgaire ne s’occupe des choses du clergé, pas plus que celui-ci ne se mêle des affaires civiles, à moins que ce ne soit sous le caractère sacré du magistrat. Les prêtres du Thibet sont appelés lamas, et le grand lama ou dalaï-lama est regardé par les sectaires comme une incarnation de la divinité sous la forme humaine. Dès que la vieillesse du dalaï-lama est un peu avancée, il assemble son conseil et lui déclare qu’il passera dans le corps de tel enfant nouveau-né qu’il désigne. On élève avec soin, cet enfant jusqu’à l’âge de six ou sept ans et on remplit alors une foule de formalités prescrites par les rites bouddhiques. Les autres lamas sont aussi considérés comme des divinités incarnées. On a remarqué que les couvents d’hommes et de femmes dans le Thibet avaient beaucoup d’analogie avec ceux de l’Eglise romaine. Les lois écrites du Thibet remontent à la plus haute antiquité ; on les a modifiées, il y a peu de temps, pour les faire concorder avec celles de la Chine. Ces lois sont très-sévères pour le vol ; le meurtre est puni de mort. « Les Thibétains, dit Ennery, considèrent beaucoup les femmes. En


général, ils n’en épousent qu’une ; mais il arrive souvent dans les classes pauvres que plusieurs frères prennent ensemble une seule femme, et les enfants qui proviennent de ce mariage restent à la charge de l’aîné ; si elle parvient à conserver la bonne intelligence entre ses maris, elle est honorée, et on lui donne le titre d’accomplie. L’adultère n’est pas regardé comme honteux, et l’on voit fréquemment la femme, l’amant, le mari et la maîtresse vivre en parfaite harmonie sous le même toit. Les enterrements des Thibétains sont vraiment singuliers : quelques jours après la mort, on porte le défunt chez un officier public, qui le fait couper en petits morceaux qu’on donne a manger aux chiens ; ceci s’appelle la sépulture terrestre. Quant aux os, on les pile dans un mortier de pierre, on les mêle avec de la farine, on en fait des boulettes qu’on jette encore aux chiens, et l’on en nourrit les vautours ; c’est la sépulture céleste. Les cadavres de ceux qui ne laissent pas assez d’argent pour se faire découper sont jetés dans l’eau ; cette espèce de sépulture est appelée l’ aquatique et regardée comme ignominieuse. Les corps des prêtres sont brûlés et leurs ossements renfermés dans des obélisques. Les Thibétains sont généralement très-doux et exempts de toute intolérance religieuse ; ils marient souvent leurs filles à des mahométans et ne s’opposent pas à ce qu’elles embrassent la croyance de leurs maris. Les hommes se rasent la barbe et conservent les moustaches ; les femmes ornent leurs cheveux de turquoises, d’émeraudes et de perles. Le climat de cette contrée exige des habillements chauds ; les basses classes portent en été des vêtements d’un drap de laine grossier, et en hiver des pelisses de mouton et de renard. Dans le voisinage de l’Indoustan, les gens riches ont adopté l’usage des draps anglais ; ils portent aussi des soieries chinoises et des cotonnades de l’Inde ; en hiver, leurs habits sont garnis de peaux de martre zibeline et de loutre. Les arts et les sciences sont cultivés par le clergé, et tout le peuple sait lire et écrire ; c’est un précepte de la religion bouddhique. Dans chacun des nombreux couvents de ce pays se trouve une bibliothèque. Les Thibétains ont des ouvrages encyclopédiques et des livres de doctrines morales et de prières religieuses ; ils connaissent depuis longtemps l’imprimerie et la lithographie, qui leur sont venues de la Chine. Les années se comptent à la manière des Turcs et comprennent un cycle de douze années, dont chacune porte le nom d’un animal, comme tchetchhan-ul (l’année du chat), daoud-ul (l’année de la vache), etc. ; les mois ne sont pas désignés par .des noms particuliers. On les distingue par premier, deuxième et troisième mois, etc. Les tailleurs de pierre et les menuisiers thibétains travaillent très-bien, de même que les ouvriers qui font les ornements et les métaux, surtout les parures de tête des femmes ; la sculpture est aussi très-soignée. »

D’après une intéressante communication faite à la Société de géographie de Paris par l’abbé Desgodius en mai 1875, le peuple thibétain a peu d’estime pour l’art militaire ; il n’a ni conscription ni armée permanente. La guerre étrangère n’est pas toujours imminente, et, quant à la police intérieure, chacun la fait de son mieux avec l’aide de ses voisins. On trouve cependant, au point de vue militaire, quelques principes d’organisation, sinon d’une armée, au moins d’un corps d’officiers. Le dalaï-lama et le roi de Lassa ont chacun une compagnie de gardes du corps de 150 hommes. Ceux du dalaï-lama sont lamas et portent le titre de tse-djrongs (protecteurs de la vie). Ceux du roi sont laïques ; ce sont les tchrong kor (entourages de la poitrine). En temps ordinaire, ils font le service du palais comme conseillers, hommes d’affaires, chambellans, cortège de cérémonie, etc. Tout cela est fort peu militaire. On choisit souvent parmi eux les mandarins civils ou autres, que l’on envoie dans les provinces ; ce sont eux qui sont désignés pour remplir des missions extraordinaires, et ce service les réjouit fort, car c’est pour eux une excellente occasion de s’enrichir. Il y a de plus, à Lassa, quatre grands généraux thibétains nommés da-peuns (officiers de la flèche). Ils sont nommés par l’empereur de la Chine sur la présentation des ambassadeurs chinois résidant à Lassa. Leur diplôme est le baretone de corail, et leur traitement est payé par l’empereur. Par contre, ils sont révocables par l’empereur et même par les ambassadeurs. En temps de paix, les da-peuns sont membres du conseil supérieur du roi pour le règlement des affaires intérieures du royaume, sous la direction et la surveillance des ambassadeurs. S’il survient une guerre de quelque importance, l’un d’eux va prendre le commandement de l’armée et surveiller les opérations. Comme tous les grands mandarins, ils doivent avoir leur kou-tsop (représentant de la personne) : Ces kou-tsop composent au Thibet la classe noble et privilégiée ; c’est une noblesse héréditaire ; elle forme le conseil officiel des chefs indigènes ; ceux-ci les accompagnent comme escorte d’honneur, soit dans les expéditions, soit dans les cérémonies publiques. Moyennant finance, ils occupent presque tous les emplois civils ou militaires. S’ils sont exemptés des impôts, ce sont eux qui sont chargés de les faire percevoir ; c’est cette noblesse qui rem-


place au Thibet nos Ecoles polytechnique, de Saint-Cyr, de droit, etc. ; elle n’est assujettie, pour cela, à aucune étude spéciale, à aucun examen. Les gouverneurs généraux des provinces, tiguié, et les préfets, dibas, ont seul droit à un certain nombre de kou-tsop pour leur service. Dans les lieux où se trouvent deux dibas, le premier est censé chef civil, et le second chef militaire du pays ; mais, au fond, leurs fonctions sont à peu près les mêmes ; seulement c’est le premier qui choisit parmi les kou-tsop, les chel-ngo (bouche et figure ou sous-préfets) ; il choisit aussi les autres mandarins civils inférieurs, tandis que le deuxième nomme parmi les kou-tsop les mapeuns, officiers de guerre, dont le nombre ne dépasse jamais quatre ou cinq par préfecture. Ces ma-peuns sont sous leurs ordres quelques guia-peuns (centurions), et ceux-ci quelques kio-peuns (décurions). Ces deux dernières dignités sont ordinairement héréditaires dans certaines familles aisées ou alliées à celles des kou-tsop. Dans les lieux où ils exercent leur juridiction, les ma-peuns ont le droit de lever sur le peuple un certain impôt nommé ma-la (salaire pour la guerre), destiné à payer leurs soldats imaginaires. Ces soldats, en effet, sont certains hommes du peuple qu’ils convoquent quand ils en ont besoin, soit pour donner la chasse à des bandes de brigands, soit pour s’en faire une escorte quand ils vont faire des promenades à cheval. Ajoutons que cette troupe ne reçoit qu’une très-faible partie de la ma-la qui se lève, et que le seul bon plaisir du mandarin préside à cette distribution. Telle est toute la hiérarchie des mandarins militaires au Thibet ; rien ne les prépare à ces hautes fonctions, soit comme études, soit comme exercices particuliers ; l’argent et la naissance tiennent lieu de vocation et de mérite. Ils n’ont d’ailleurs ni uniformes, ni marques de dignité, ni armes spéciales ; chacun d’eux s’habille et s’arme suivant son goût et ses moyens. Ce qui fait désirer l’emploi de mandarin militaire, comme d’ailleurs tout autre emploi, c’est le désir d’y trouver une situation lucrative. Quant aux sentiments de patrie, d’honneur du drapeau, l’officier thibétain y est absolument étranger ; le sacrifice et le dévouement lui sont inconnus ; la bravoure est pour lui un mot vide de sens.

L’armée ne se voit nulle part en temps de paix. Quand l’autorité civile a décidé de faire une guerre véritable, une grande guerre, l’armée se recrute par mode de corvée. Suivant la gravité des événements, il est décidé qu’un homme sur dix, cinq, trois, deux devra se tenir prêt avec telle quantité de munitions et de vivres suffisante pour un temps déterminé. De plus, chaque district doit payer un impôt pour frais généraux de la guerre. Des kou-tsop portent les décrets dans les chefs-lieux des districts qui doivent payer le contingent et s’arrangent de façon, en en pressant l’exécution, à se faire donner des présents qu’ils considèrent comme des appointements. Leurs chefs, qui reçoivent leur part de ces largesses forcées, ne trouvent rien à y redire. Les ordres reçus par les chel-ngo (sous-préfets) sont transmis aux ding-peuns (chefs votants), qui sont des sortes de juges de paix cantonaux. Les ding-peuns les communiquent aux bessets, ou maires de villages. C’est à ceux-ci à s entendre avec leurs administrés pour trouver les hommes qui consentent à subir la corvée du service militaire et à leur fournir le salaire, les vivres, les munitions. Il convient d’ajouter à cela la distribution des impôts exceptionnels réclamés par le kou-tsop. Au début de la guerre, les chefs supérieurs cherchent à amener l’ennemi à composition ; mais si les menaces restent inutiles, on commence la campagne par la ruse. Après avoir demandé la paix, après avoir proposé de se retirer, après avoir même simulé le renvoi des soldats, les deux armées, qui ont consciencieusement usé des mêmes subterfuges, se lancent non contre l’ennemi, mais contre le peuple désarmé. Les villages sont pillés et brûlés ; c’est une razzia générale de tout ce qui n’a pas été mis en lieu sûr. Les soldats se livrent entre eux une guerre d’embuscades et.de surprises ; la chasse remplace la guerre, presque jamais les armées ne se trouvent face à face. La guerre a surtout pour objectif les populations. Femmes, enfants, vieillards, prisonniers, propriétés particulières, tout est sacrifié. Et pourtant la destruction des hommes est moins considérable qu’on ne pourrait le supposer ; les habitants, qui connaissent ces usages barbares, ont soin de mettre leur vie en sûreté, mais la contrée ne tarde pas à être pleine de ruines et de désolation. Le chef le plus faible abandonne la partie et s’exile ; s’il est fait prisonnier, les supplices les plus horribles et la mort la plus misérable l’attendent. Le peuple vaincu fait sa soumission au nouveau maître. La guerre finie, chacun retourne chez soi, et il n’y a plus d’armée.

Les grandes guerres de la nature de celles dont nous venons de parler sont rares. Les plus fréquentes, pour être moins importantes, ne sont pas moins pernicieuses. Deux chefs voisins sont en désaccord sur les limites du territoire, sur un droit de pâturage, sur une dette ou sur toute autre question d’un ordre secondaire ; l’un d’eux, pour en finir, rassemble les kou-tsop, ses domestiques et une partie de son peuple ; il fond à l’improviste sur les villages frontières de son adversaire,


les pille et se paye largement de ce qu’il croit lui être dû, puis il se retire, au risque de subir des représailles. Quelquefois des villages se plaignent d’être pressurés outre mesure par leurs chefs ou par leurs kou-tsop. Les habitants se fâchent, désertent en masse, refusent les corvées et l’impôt. Le chef envoie une bande de kou-tsop ; le village est rançonné, les plus mutins sont emmenés au chef-lieu, où ils sont punis jusqu’à résipiscence et payement de rançon. Souvent deux lamaseries voisines se jalousent ; des transfuges mécontents sont passés de l’une à l’autre ; malgré la médiation des grands lamas voisins, la paix ne peut s’établir. Tout à coup, la lamaserie la plus puissante se transforme en camp ; tous les lamas valides déposent la robe religieuse et endossent l’habit laïque, le fusil et le sabre. Suivis de leurs fermiers armés, ils vont surprendre la lamaserie la plus faible, qui dort peut-être d’un profond sommeil. Elle est pillée, brûlée, ses habitants sont dispersés, les principaux religieux emmenés prisonniers. Si la faute qu’on leur reproche est grave, leurs confrères vainqueurs les écorchent vivants et suspendent les peaux remplies de paille dans la pagode. Si la faute est moins grave, on se contentera peut-être de leur crever les yeux ou de leur couper les mains, puis on les lâchera. C’est ainsi que se terminent de vieilles querelles. Les lamas n’ont souvent pas d’autre procédé pour réclamer au peuple de vieilles redevances dont l’origine se perd dans la nuit des temps, mais qui se sont arrondies par les intérêts des intérêts. Quelquefois aussi c’est le peuple qui, poussé à bout par la rapacité lamaïque, marche contre la lamaserie. Dans les deux cas, il est bien rare que le peuple ne paye pas largement les frais de la guerre.

Les brigands de grande route, nommés kiapas, infestent le pays. Au Thibet, tout habitant est plus ou moins kia-pa quand il peut le faire incognito et impunément. Quu cinq ou six individus voyagent pour leur commerce dans un pays où ils sont à peu près inconnus, s’ils rencontrent dans un endroit désert un pauvre diable isolé, poussant devant lui son bœuf ou son âne chargé de marchandises, ils ne se gêneront point pour le dévaliser. Le coup fait, ils l’attachent à un arbre dans la forêt et gagnent du terrain. Le malheureux restera là jusqu’à ce que, par ses cris, il ait pu attirer l’attention des passants qui viendront le délier. Il y a surtout les kia-pas de profession ; on connaît même plusieurs petites tribus qui en sont peuplées ; si le mandarin des environs est faible ou indulgent, ou de connivence avec les kia-pas, ceux-ci se multiplient et infestent toutes les routes. Ne pouvant compter sur la prolection de l’autorité, voyageurs et marchands se réunissent en caravanes nombreuses, capables de résister en cas d’attaque. Dans certains cas, si les brigands deviennent trop insolents, le mandarin, craignant d’être mis en cause, ordonnera une battue. La plupart du temps, cette expédition se résume en une promenade dans une direction opposée à celle où les brigands exercent leur industrie ; si par hasard on les rencontre, dès le premier coup de fusil tiré de derrière les rochers ou les broussailles, c’est une débandade des faux défenseurs de l’ordre.

Le Thibet est divisé en Wei et Thsang ou haut et bas Thibet. Le Wei se subdivise lui-même en 8 cantons et 39 cités féodales, nommées boozzes. Le Thsang comprend 7 cantons. Ces deux provinces sont administrées par deux ministres envoyés par la cour de Pékin et par deux grands prêtres, le dabollama pour le Thibet intérieur et le banthchinerduni pour le haut Thibet. Tous les titres de noblesse et tous les emplois sont approuvés par les officiers chinois. Le gouvernement a le monopole du commerce. Celui qui se fait avec la Chine a lieu par Silling ou Sinning, ville frontière, à l’est. Les Thibétains ont des usages singuliers dans leur culte et dans leurs fêtes nationales. Tout le peuple chante en chœur, et les chœurs sont accompagnés d’instruments bruyants comme en Chine et dans l’Inde. Ce sont surtout des trompettes, des tambours, des cymbales, des chalumeaux et des conques. La civilisation, comme ou le voit, est encore dans l’enfance au Thibet.

Langue. La langue thibétaine fait partie du groupe des idiomes de la région transgangétique. On la classe généralement parmi les langues monosyllabiques, mais M. Max Müller la fait entrer dans une des branches méridionales de la famille touranienne. Le thibétain propre est parlé par les Thibétains, nommés par les Chinois Thou-fan, qui a remplacé le nom de Thou-po ou Thou-bo, que portaient leurs ancêtres. Ils habitent la plus grande partie des Etats régis par les trois pontifes connus sous les ’noms de dalaï-lama, bogdo-lama et darma-lama, indépendants les uns des autres, mais sous la protection de l’empereur de la Chine. Le thibétain est aussi la langue liturgique des lamas ou prêtres mongols et kalmouks.

De même que tous les idiomes du sud-est de l’Asie, l’alphabet thibétain compte beaucoup de consonnes aspirées, et il a, comme le chinois et le birman, de nombreuses dentales sifflantes, telles que ts, tch, ds, zh. Ces lettres, jointes au gn, au h initial, par leur placement devant d’autres consonnes, rappro-


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