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énumération est une page de l’histoire de la société romaine, et, comme dit M. Boissier, « un commentaire officiel du fameux Panem et circenses de Juvénal. » Ce qui n’est pas moins curieux, c’est le passage dans lequel Auguste définit son indéfinissable pouvoir. « Dans mon sixième et mon septième consulat, après avoir étouffé les guerres civiles, quand l’accord de tous les citoyens me livrait le pouvoir suprême, j’ai remis le gouvernement de la république aux mains du sénat et du peuple... A partir de ce moment, quoique je fusse au-dessus des autres en dignité ; dans les magistratures dont j’étais revêtu, je ne me suis jamais attribué plus de pouvoir que je n’en laissais à mes collègues. » A entendre ces paroles, on se croirait revenu aux beaux jours de Cincinnatus. Toutefois, il faut le reconnaître, ce pouvoir absolu qui se dissimulait avec tant de précaution, cherchait aussi par tous les moyens à se faire pardonner. Toutes les compensations qu’on peut offrir à un peuple pour lui faire oublier sa liberté, Auguste les a libéralement données aux Romains. Nous ne parlons pas de cette prospérité matérielle qui fit que, sous son règne, le nombre des citoyens s’accrut de près de 1 million, ni même du repos et de la sécurité qui, au sortir des guerres civiles, étaient le besoin le plus impérieux de tout le monde, mais aussi de cet éclat incomparable que ses embellissements de toutes sortes donnèrent à Rome. On était sûr de plaire au peuple par ce moyen. César, qui le savait, avait dépensé en une fois 20 millions rien que pour acheter le terrain où devait être son forum. Auguste fit mieux encore. Le testament contient la liste des monuments qu’il a fait construire, et cette liste est si longue qu’il n’est pas possible de la citer tout entière. On y compte quinze temples, plusieurs portiques, un théâtre, un palais pour le sénat, un forum, etc. Rome entière fut renouvelée par lui. On peut dire qu’aucun monument ne lui échappa et qu’il fit restaurer tous ceux qu’il n’avait pas fait reconstruire. Il acheva le théâtre de Pompée et le forum de César, il rebâtit le Capitole. En une seule année, il fit réparer quatre-vingt-deux temples qui tombaient en ruine. Tant de millions n’étaient pas dépensés vainement, et toutes ces profusions, chez un prince aussi rangé, cachaient une profonde pensée politique : cette Rome de marbre devait distraire le peuple des souvenirs importuns du passé et lui faire oublier la Rome de brique. La dernière partie de son testament est pleine du récit complaisant des hommages que les pays les plus reculés du monde ont rendus à Rome sous son règne. Par cette gloire factice, il pensait faire oublier le bien réel de cette liberté qu’il avait détruite. Montrant un grand souci de la gloire de Rome, « il honorait presque autant que des dieux, dit Suétone, tous ceux qui, dans tous les temps, avaient travaillé pour elle. » Et, pour montrer que personne n’était exclu de ce culte, il fit relever la statue de Pompée, au pied de laquelle César était tombé, et la plaça dans un lieu public. Cette conduite était, du reste, fort habile. En adoptant les gloires du passé, il désarmait par avance les partis qui pouvaient être tentés de s’en servir contre lui, et en même temps il donnait une sorte de consécration à son pouvoir en le rattachant à de vieux souvenirs.

Ces compensations qu’Auguste offrait aux Romains en échange de leur liberté semblent leur avoir suffi. Le monde s’habitua vite au gouvernement nouveau et l’on peut dire qu’Auguste régna sans opposition. Les complots qui plus d’une fois menacèrent sa vie étaient l’œuvre de mécontents isolés ; ce n’était pas l’œuvre des partis. Et même peut-on dire qu’il y eût encore des partis en ce moment ? Auguste a pris soin de rappeler dans son testament tous les hommages que lui ont rendus pendant cinquante ans le sénat, les chevaliers et le peuple. Ce qui explique cette longue énumération, c’est moins un accès de vanité puérile que le désir d’essayer de légitimer son autorité. Cette pensée se révèle surtout dans ces dernières lignes du testament, où il rappelle une des circonstances de sa vie dont le souvenir lui était le plus précieux : « Pendant que j’étais consul pour la treizième fois, dit-il, le sénat, l’ordre des chevaliers et tout le peuple m’ont donné le nom de Père de la patrie, et ont voulu que ce fait fût inscrit dans le vestibule de ma maison, dans la curie et dans mon forum... Quand j’écrivais ces choses, j’étais dans ma soixante-seizième année. » Ce n’est pas sans motif qu’il a réservé ce détail pour la fin. Ce titre de Père de la patrie dont il fut salué au nom de tous les citoyens par l’ancien ami de Brutus, Messala, semblait être la consécration légale d’un pouvoir acquis par l’illégalité et une sorte d’amnistie que Rome accordait au passé. On comprend qu’Auguste mourant se soit arrêté avec complaisance sur ce souvenir, qui semblait l’absoudre et qu’il ait tenu à terminer par là cette revue de sa vie politique. Tel est, rapidement analysé, le monument curieux qu’on appelle le Testament politique d’Auguste.


Testament (le petit), de François Villon (1456). Le Petit testament et le Grand testament, qui lui fait suite, sont deux des plus curieux monuments de notre poésie française. C’est pour un poëte une idée singulièrement touchante et originale que celle de se transporter en pensée à sa dernière heure, et là, de son lit de mort, d’exhaler sa vie en confessions, en adieux et en legs à tous ceux qu’il a aimés et connus. C’est pour l’inspiration un cadre large et commode, qui lui permet d’accorder avec l’unité la variété de tons et le laisse le plus libre de ses allures. Cette idée, Villon l’a eue et en a tiré l’œuvre à laquelle il a dû de passer à la postérité. D’autres l’avaient mise à exécution avant lui, comme le prouvent ces titres : les Adieux d’Umbritius ; le Testament d’Alexandre, de Lambert li Cors ; le Congié ou les Adieux, d’Adam de La Halle ; le Testament et le Codicille, de Jean de Meung ; le Testament de l’âne, de Rutebeuf ; le Testament de Charles d’Orléans ; le Testament de Jehan Régnier de Guerchy. Plusieurs l’ont imité, et, après lui, ont paru successivement : le Codicille et testament de monseigneur Des Barres ; le Testament d’un amoureux qui mourut par amour ; le Testament du chevalier oultré à qui sa dame est trespassée ; le Testament de la mule Barbeau ; le Testament de P. Blanchet ; les Testaments de Carmentrant, de Pathelin, de Lucifer, de la Guerre, de la Ligue, etc. Aucun de ces ouvrages n’est comparable aux deux Testaments de Villon.

Lorsqu’il écrivit son Petit testament, une femme, qu’il appelle Catherine de Vaucelles et qu’il paraît avoir aimée, avait obtenu contre lui, on ne sait pourquoi, une sentence du Châtelet, et Villon avait été condamné à être fouetté sur le pilori :

J’en fus batu, comme a ru telles,
Tout nud !

dit-il. Sa condamnation subie, couvert de ridicule aux yeux mêmes de ses compagnons, le poëte songeait à quitter Paris ; il composa ce petit poëme moitié grotesque et moitié mélancolique en guise d’adieux.

Le Petit testament se compose de quarante-cinq octaves ou huitains, qui se balancent chacun sur trois rimes croisées, deux simples et une quadruple, rhythme savant et compliqué, dont le poëte se joue avec une aisance extraordinaire. Vingt-cinq huitains seulement renferment des legs, la plupart fort plaisants, et sont encadrés entre un préambule plein d’émotion et une sorte d’épilogue qui, de religieux qu’il promettait d’être, tourne brusquement au comique, par un de ces soubresauts fréquents chez Villon. Il commence avec une gravité plaisante :

Mil quatre cens cinquante et six
Je, François Villon, escollier,
Considérant, de sens rassis,
Le frain nux dents, franc au collier,
Qu’on doit ses œuvres conseiller,
Comme Vëgèce le racompte,
Saige Romain, grand conseiller,
Ou autrement on se mécompte ;
En ce temps que j’ay dit devant,
Sur le Noël, morte saison,
Lorsque les loups vivent de vent
Et qu’on se tient en sa maison,
Pour le frimas, près du tison :
Cy me vint de vouloir briser
La très amoureuse prison
Qui souloit mon cueur desbriser.

C’est tout un tableau que ces deux ou trois détails d’hiver d’une précision si pittoresque. Villon sait peindre d’un mot comme les grands poëtes. Il exhale ensuite sa douleur en termes francs, naïfs et attendrissants, et annonce son départ, puis il commence à défiler le chapelet de ses legs. Le premier héritier auquel il songe, par reconnaissance, c’est son maître Guillaume Villon, puis il passe à sa maîtresse.

A celle doncques que j’ay dict,
Qui si durement m’a chassé,
Que j’en suys de joie interdit
Et de tout plaisir déchassé,
Je laisse mon cœur enchassé
Palle, piteux, mort et transy :
Elle m’a ce mal pourchassé,
Mais Dieu luy en face mercy.

Ce legs est touchant, surtout avec le pardon qui l’accompagne. Puis, comme s’il était honteux de s’être laissé attendrir, Villon passe brusquement à ses legs satiriques, et tout d’une haleine fait défiler sous nos yeux la plus bouffonne énumération que puisse inventer la fantaisie, donnant ce qu’il a, et surtout ce qu’il n’a pas. Il laisse à son ami Jacques Cardon

… En beau pur don
Ses gands et sa hucque de soie (capuchon),

qu’il mettait probablement lorsqu’il se risquait dans le monde, et de plus, attention

charitable,

Deux procès que trop n’engrese,

A René de Montigny, réservé pour Montfaucon, trois chiens ; à Jehan Raguyer la somme

De cent frans prins sur tous mes biens,
Mais quoi ? Je n’y comprens en rien
Ce que je pourray acquérir.

Une belle créance pour Jean Raguyer et qui ne l’enrichira guère ! A Jacques, son frère,

… L’abreuvoir Popin,
Le Trou de la Pomme de pin,

deux cabarets que fréquentait, sans doute, ce bon compagnon, et il lui souhaite d’y avoir souvent

Le dos aux rains, au feu la plante.

A quatre pauvres orphelins, qu’il a recueillis, dit-il, tout dépourvus et nus comme vers, il lègue la totalité de ses biens ou quatre blancs, s’ils l’aiment mieux ; c’est tout ce qu’il déclare pouvoir faire. A Guillaume Cotin et maître Thibault de Vitry, sa « nomination de l’Université, » c’est-à-dire le droit au bénéfice qu’il s’était vu refuser, et, en attendant, une rente

Sur la maison Guillot Gueuldry,

ou, en termes plus clairs, sur le pilori. Aux pigons ou prisonniers, il lègue

Son mirouer bel et idoine,

autrement dit ses bons exemples, et, ce qui prouve qu’il ne rencontra pas que des cruelles,

La grâce de la geollière.

Il donne aux hôpitaux, car en bon chrétien il se garde de les oublier,

Ses châssis tissus d’araignées ;

détail expressif et plein de couleur qui nous fait pénétrer dans le galetas du bohème.

Comme Villon a passé brusquement en commençant du pathétique au bouffon, il passe avec aussi peu de cérémonie en terminant du burlesque au grave.

Finalement, en escrivant
Ce soir, seullet, estant en bonne,
Dictant ces laiz et descripvant,
Je ouys la cloche de Sorbonne,
Qui tousjours à neuf heures sonne
Le salut que l’ange prédit,
Cy suspendis et cy mis bonne,
Pour pryer, comme le cueur dit.

L’Angélus venant doucement interrompre le travail du poëte et le solliciter à la rêverie, à la prière, c’est là une belle fin pour les legs et un beau pendant aux plaintes touchantes du début. Mais Villon ne saurait s’arrêter sur une idée mélancolique. Après une parodie, hardie pour l’époque, de la langue pédantesque de la Sorbonne, il veut continuer :

Je cuide finer mon propos,
Mais mon encre estoit gelé.
Et mon cierge estoit soufflé,
De feu je n’eusse pu finer (obtenir).
Si m’endormy, tout enmouflé
Et ne peut autrement finer.

A. de Musset s’est peut-être souvenu de ces vers lorsqu’il terminait ainsi le premier chant de Namouna :

Il fallait me lever pour prendre.un dictionnaire,
Et j’avais fait mon vers avant d’avoir cherché.
Je me suis retourné, ma plume était par terre,
J’avais marché dessus. J’ai soufflé de colère
Ma bougie et ma verve, et je me suis couché.

Testament (le grand), de François Villon (1462). Dans l’intervalle de cinq ou six ans qui sépare la composition de ses deux poëmes, Villon avait trouvé moyen de se faire condamner à mort, d’échapper à la potence et de tomber entre les mains de l’évêque d’Orléans, qui le jeta dans un cul de basse-fosse, au pain et à l’eau, en punition d’on ne sait quel méfait. L’avènement de Louis XI venait de lui ouvrir les portes de sa prison ; mais il en sortait acculé à une impasse de misère et de honte. C’est dans cette situation que, croyant avoir fini avec la vie, il composa son Grand testament, qui renferme, comme le précédent, une longue suite de legs satiriques ; mais ces legs, au lieu de constituer le fond même du poëme, n’en sont en réalité que le prétexte et la partie accessoire. Le fond du Grand testament, ce sont les plaintes, les regrets, les remords et les confessions qui remplissent le préambule, la plupart des ballades et le codicille. Villon y répand toute l’amertume dont sa vie errante avait été remplie. Ce sont, avec les sages conseils qu’il donne à ses compagnons de débauche, ses véritables legs à la postérité, ceux qu’elle a acceptés et qu’elle n’oubliera pas, tant qu’il y aura une langue française. A travers les bouffonneries par lesquelles cet enfant de Paris nargue la fortune résonne toujours quelque regret mélancolique.

Au début, le poète résume toute sa vie en quatre vers :

En l’an trentiesme de mon eage,
Que toutes mes hontes j’eu bues,
Ne du tout fou, ne du tout sage,
Nonobstant maintes peines eues....

Puis, après avoir maudit l’évêque Thibault d’Ausigny. son persécuteur, et rendu grâce à Louis XI, son libérateur, « ici commence Villon, dit Clément Marot, à entrer en matière pleine d’érudition et de bon savoir. » il fait son mea culpa, puis, enivré d’une brusque bouffée de souvenirs, il se met à soupirer l’élégie des heures envolées sans retour, à pleurer sa jeunesse, la rapidité dont elle a fui et l’emploi qu’il en a fait :

Bien scay, se j’eusse estudié
Ou temps de ma jeunesse folle.
Et a bonnes mœurs dédié,
J’eusse maison et couche moile.
Mais quoi ! je fuyoye l’escolle
À peu que le cueur ne me fend !
Mes jours s’en sont allés errant
Comme, dit Job, d’une touaille
Sont les filets quand tisserand
Tient en son poing ardente paille....

Il se remémore ses amis d’enfance :

Où sont les gratieux gallans
Que je suyvoye au temps jadis
Si bien chantans, si bien parlans,
Si plaisans en faictz et en dictz ?
Les aucuns sont morts et roidiz ;
D’eux n’est-il plus rien maintenant ?
Respit ils ayent en paradiz
Et Dieu saulve le remenant ! (le reste.)
Et les aucuns sont devenus,
Dieu mercy ! grans seigneurs et maistres ;
Les aultres mendient tous nuds
Et pain ne voyent qu’aux fenestres....

Villon était de ces derniers ; mais ce qui le console de sa misère, c’est l’égalité dans la mort, idée qui revient plusieurs fois, sous toutes les formes, dans le Grand testament, et qui lui souffle ses plus puissantes inspirations. Telles sont d’abord les trois ballades célèbres dont il fait suivre ce préambule, La Ballade des dames du temps jadis, que nous avons donnée ailleurs, mais que nous allons donner encore d’après une édition très-exacte :

Dictes-moi où, n’en quel pays,
Est Flora, la belle Romaine,
Archipiada, ne Thaïs
Qui fut sa cousine germaine ;
Echo, parlant quand bruit on maine
Dessus rivière ou sus étan,
Qui beauté eut trop plus qu’humaine ? …
Mais où sont les neiges d’antan ?
Où est la très-sage Héloïs ?
Pour qui fut chastré et puis moyne
Pierre Esbaillard à Saint-Denys ?
Pour son amour eut cette essoyne.
Semblablenient où est la royne
Qui commanda que Buridan
Fust jette en un sac en Seyne ?
Mais où sont les neiges d’antan ?
La royne Blanche comme un lys,
Qui chantoit à voix de sereine,
Berthe au grand pied, Biétris, Allys,
Harembourges qui tint le Maine,
Et Jeanne, la bonne Lorraine,
Que Anglois bruslèrent à Rouen,
Où sont-ils, Vierge souveraine ?
Mais où sont les neiges d’antan ?

Comme pendant, il donne la ballade moins connue des Seigneurs du temps jadis, ou plutôt des princes morts de son temps, dont le refrain est :

Mais où est le preux Charlemagne ?

La troisième, dédiée aux saints Apôtres, avec ce refrain :

Autant en emporte ly vens,

n’est guère qu’une redite des deux autres, et le poète cependant y fait preuve de son inépuisable fécondité. Dans cet ordre d’idées, il est intarissable, et le voici maintenant qui nous chante les regrets d’une fille de joie, la belle beaulmière, autrefois l’idole de tous et maintenant vieille édentée, paquet de guenilles ambulant. Elle se rappelle sa beauté, son joli visage, ses lèvres vermeilles, ses petits tetins, ses hanches charnues et compare tout cela, en termes cyniques, à sa décrépitude actuelle. Comme elle regrette do n’avoir pas su au moins se gagner des rentes !

Ainsi le bon tems regretons
Entre nous, pauvres vieilles sottes.
Assises bas, a croppetons.
Tout en ung tas, comme pelottes,
A petit feu de chenevottes
Tost allumées, tost éteintes ;
Et jadis fusmes si mignottes ! …
Ainsi en prend à maintz et maintes.

Au moins, elle se vengera du mépris qu’elle inspire maintenant aux hommes en donnant aux jeunes filles le conseil de mieux profiter de leurs charmes. C’est le sujet d’une autre ballade : Conseils de la belle heaulmière aux filles de joie ;

Or y pensez, belle gantière
Qui m’escolière souliez estre ;
Et vous, Blanche la savatière,
Ores est tems de vous congnoistre ;
Prenez à dextre et à senestre,
N’espargnez homme, je vous prie :
Car vieilles n’ont ne cours ne estre
Ne que monnoye qu’on décrie !

Pour lui, Villon, il se réjouit d’être en dehors des lacs d’amour et s’en félicite dans une double ballade fort plaisante :

Samson en perdit ses lunettes ;
Bien heureux est qui rien n’y a !

Tout ce préambule ne sert que d’entrée en matière et le poëte commence enfin à distribuer en souvenir de lui des legs tour à tour bouffons ou sérieux, suivant le caractère des personnes auxquelles il les adresse. C’est à son corps défendant, il ne faut pas l’oublier, que Villon est sérieux ; par goût, il préférerait rire. Le malheur seul l’a rendu mélancolique, et cette lutte du rire et de la tristesse dans son âme est un des plus grands charmes de sa poésie. Il commence par léguer son âme à Dieu et son corps à la terre :

Item mon corps j’ordonne et laisse
A nostre grand’mère la terre ;
Les vers n’y trouveront grand gresse,
Trop lui a faict faim dure guerre

Suit le legs le plus touchant du Grand Testament :

Item donne à ma bonne mère,
Pour saluer notre maistresse,
Qui pour moy eut douleur amère,
Dieu le scait, et mainte tristesse
Antre, chastel ou forteresse
N’ay où retraire corps et âme,
Quand sur moy court mult détresse,
Ni ma mère, la povre femme !