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l’ordre du Temple : Si tant de témoins ont déposé contre les templiers, il y eut aussi beaucoup de témoignages étrangers en faveur de l’ordre. (Volt.) La proscription des templiers fut l’ouvrage exclusif de la cupidité et de la vengeance. (Bignon.)

— Membre d’une secte qui prétendait descendre de l’ordre des templiers, et à laquelle on rattache les francs-maçons.

— Loc. fam. Boire comme un templier, Boire beaucoup. || Plusieurs prétendent que, dans cette locution, le mot templier est une corruption de temprier, ancien nom des verriers. Il est naturel de supposer que les verriers boivent beaucoup, à cause de la haute température des ateliers dans lesquels ils travaillent.

— Agric. Nom donné, dans le haut Languedoc, aux orages qui menacent de dévaster les récoltes.

— Encycl. L’ordre des templiers, comme celui des hospitaliers, se fonda à l’époque des croisades. En 1118, Hugues de Pains, Geoffroi de Saint-Omer et sept autres chevaliers français qui avaient suivi Godefroy de Bouillon, formèrent le premier noyau de cet ordre, destiné à pourvoir à la sûreté des pèlerins sur les routes de Palestine et à défendre la religion chrétienne et le saint sépulcre contre les Sarrasins. Beaudouin II, roi de Jérusalem, leur accorda pour demeure un palais attenant à l’emplacement de l’ancien temple de Salomon, d’où leur nom de templiers. En 1128, Hugues se présenta avec cinq de ses chevaliers devant le concile de Troyes, exposa ses vues et obtint la confirmation de son institut. Il parcourut ensuite la France, l’Angleterre, l’Espagne, l’Italie, recueillit d’immenses dotations et ramena en Palestine un grand nombre de prosélytes.

L’ordre était divisé en quatre classes : les chevaliers, les écuyers, les frères lais et les prêtres, chargés spécialement de célébrer le service divin. Les principales dignités étaient celles du grand maître, des précepteurs ou grands prieurs, des visiteurs, des commandeurs, etc. Le grand maître, pris, ainsi que les autres dignitaires, dans la classe des chevaliers, tous nobles de naissance, avait rang de prince et se regardait comme l’égal des souverains, l’ordre étant affranchi par ses statuts de toute juridiction temporelle et relevant directement du saint-siége.

Les templiers avaient pour devoirs religieux : l’obligation d’assister à la messe trois fois par semaine ; de faire abstinence les lundis et mercredis, outre les vendredis et les samedis ; d’observer trois grands jeûnes ; d’adorer la croix solennellement à trois époques de l’année ; de communier trois fois par an ; enfin, toutes les maisons de l’ordre devaient faire l’aumône trois fois par semaine.

Les chevaliers du Temple prononçaient, à leur réception, les trois vœux de pauvreté, de chasteté et d’obéissance, et prêtaient en outre le serment suivant :

« Je jure de consacrer mes discours, mes forces, ma vie, à défendre la croyance à l’unité de Dieu et aux mystères de la foi ; je jure d’être soumis et obéissant au grand maître de l’ordre… Chaque fois que besoin en sera, je passerai les mers pour aller combattre, je donnerai secours contre les rois et les princes infidèles, et en présence de trois ennemis je ne fuirai point, mais seul je les combattrai… »

Dès lors ils appartenaient tout entiers à l’ordre ; ils devaient renoncer à tout lien de famille ; ils ne pouvaient rien posséder en propre ; c’était l’ordre qui se chargeait de leur entretien.

Les chevaliers portaient par-dessus leur armure un manteau blanc de fin ou de laine orné d’une large croix latine rouge. Le costume des prêtres était blanc, celui des frères lais gris ou noir. Tous avaient une ceinture de lin qui devait leur rappeler leur vœu de chasteté. Leur étendard de bataille, qui se nommait Beaucéant, était mi-partie de noir et de blanc et portait cette devise : Non nobis, Domine, sed nomini tuo da gloriam. Le sceau de leur ordre figurait un cheval monté par deux cavaliers avec cette inscription : Sigillum militum Christi, image destinée à perpétuer le souvenir de leur pauvreté primitive ; car, au commencement, ils étaient si pauvres qu’un seul cheval servait pour deux. À cette première époque de ferveur et d’enthousiasme, saint Bernard faisait des templiers l’éloge suivant : » Ils vivent sans avoir rien en propre, pas même leur volonté. Vêtus simplement et couverts de poussière, ils ont le visage brûlé par le soleil, le regard fier et sévère ; à l’approche du combat, ils s’arment de la foi au dedans et du fer au dehors ; leurs armes sont leur unique parure : ils s’en servent avec le plus grand courage dans les périls, sans craindre ni le nombre ni la force des barbares : toute leur confiance est dans le Dieu des armées, et, en combattant pour sa cause, ils cherchent une victoire certaine ou une mort sainte et glorieuse… »

L’ordre du Temple ne resta pas longtemps digne de tant d’éloges : les dons et les legs considérables qu’il reçut, et qui firent de lui le plus puissant de tous les ordres, engendrèrent parmi ses membres l’orgueil et l’avidité.

Associés d’abord aux hospitaliers dans la défense des saints lieux, ils s’en distinguaient cependant en ce que la guerre était plus particulièrement le but de leur institution. Toutefois, l’ordre ne resta plus confiné en Palestine ; il eut bientôt des établissements dans tous les pays de l’Europe, et les privilèges les plus étendus lui furent accordés : ses membres ne pouvaient être jugés que parle pape, ce qui, dans la plupart des cas, les laissait juges dans leur propre cause ; ils pouvaient même y être témoins ; il leur était défendu de payer tribut à aucune puissance, non plus qu’aucune espèce de droits ni de péages, etc. Au reste, cette chevalerie monastique rendit les plus grands services en Orient. Toujours debout et toujours en armes, ils protégeaient la sûreté des routes, repoussaient les attaques et acquéraient dans de continuels combats une bravoure dont la renommée était répandue dans toute la chrétienté. La défense de Gaza (1171), la bataille de Tibériade (1187), la prise de Damiette (1219), la croisade d’Egypte (1250), leur dévouement à Mansourah, ou ils se firent presque tous tuer pour sauver l’armée, les illustrèrent à jamais et les placèrent au premier rang parmi les ordres militaires et religieux. Les Sarrasins n’étaient pas, d’ailleurs, leurs seuls ennemis. La discorde régnait entre l’ordre du Temple et l’ordre des hospitaliers, et les deux partis en venaient souvent aux mains. En 1259, ils se livrèrent une bataille si acharnée qu’il ne resta qu’un seul templier vivant. À la suite de ce désastre, les chefs de l’ordre, qui se trouvaient en France, firent partir un grand nombre de chevaliers pour la Palestine. Mais les querelles continuèrent, sinon avec les hospitaliers, au moins avec différents chefs, avec Boimond VII, prince d’Antioche, aveu Hugues III, roi de Chypre ; la cause chrétienne périclitait de plus en plus ; en 1279, il ne restait plus aux templiers que Sidon et le château des Pèlerins, entre Dora et Césarée. En 1291, le sultan du Caire ayant dépouillé les chrétiens de toutes leurs conquêtes, mit enfin le siège devant Saint-Jeand’Acre, dernière ville qui leur restât, et que les templiers, avec leur grand maître Guillaume de Beaujeu, qui fut tué et remplacé par le moine Gandini, défendirent héroïquement pendant quarante-cinq jours, de concert avec les hospitaliers. Presque tous ces chevaliers se firent tuer, et les grands maîtres des deux ordres, avec quelques débris et leurs trésors, firent voile vers la Chypre, où ils s’établirent à Limisso. À partir de ce moment, les templiers ne combattirent que très-mollement les infidèles. Leur but paraissait plutôt être de fonder un État séculier de nature aristocratique et sacerdotale, d’abord dans l’île de Chypre, puis en France, où ils étaient propriétaires de biens immenses. Le Temple de Paris, centre de l’ordre, comprenait dans son enceinte, murée et fortifiée, à peu près le tiers de la ville.

Au commencement du xive siècle, ils étaient arrivés au plus haut point de leur puissance. Les privilèges qui leur avaient été concédés, les donations qui leur avaient été faites, les tributs qu’ils imposaient aux musulmans et le butin qu’ils faisaient sur eux, avaient multiplié leurs richesses dans une proportion immense. Ils possédaient, dit-on, plus de neuf mille manoirs dans la chrétienté. Dans une seule province d’Espagne, au royaume de Valence, ils avaient dix-sept places fortes, et il n’était point d’État où ils n’en eussent. Ils tenaient à toutes les familles nobles, et le nombre de leurs clients était immense. Mais, en même temps qu’ils croissaient en puissance, le relâchement s’introduisait dans leur ordre, puis la corruption, l’orgueil, la luxure, l’avidité, la soif de domination. Déjà, en Orient, ils avaient plus d’une fois forfait à leur honneur de chevaliers et à leur foi de chrétiens. On les accusait de violences, de manque de foi, quelquefois même de connivence avec les infidèles, d’hostilités nombreuses contre les chrétiens, de sacrilèges même. Des faits notoires qu’on avait oubliés pendant les guerres de la Palestine revinrent à la mémoire des peuples et changèrent peu à peu l’admiration en défiance et la défiance en haine. En résumé, les immenses richesses des templiers armèrent contre eux l’envie universelle et la jalousie des autres ordres ; les crimes qu’on leur imputait les rendirent odieux ; la puissance da leur organisation les faisait trop craindre des rois eux-mêmes pour qu’on ne saisit pas l’occasion de les frapper ; le mystère dont ils s’entouraient rendait faciles toutes les accusations, et ils étaient déjà perdus dans l’opinion publique lorsque Philippe le Bel entreprit de les frapper. Les motifs personnels ne manquaient pas au roi : plusieurs d’entre eux l’avaient mal secondé lors de l’appel contre Boniface ; sa demande d’être admis dans l’ordre avait été repoussée ; il leur devait de l’argent, car le Temple était une sorte de banque pour les princes et les rois ; il est vrai qu’en 1306, il avait trouvé un asile chez eux contre le peuple soulevé, mais il n’en avait admiré que de plus près ces trésors qu’il convoitait avec âpreté. Ruiné après la reddition de la Guyenne et de la Flandre, mis dans l’impossibilité de frapper de nouveaux impôts par le mécontentement populaire, ne pouvant dépouiller de nouveau les juifs, puisqu’ils avaient été chassés, il ne pouvait sortir de sa situation désespérée que par quelque grande confiscation, et il arrêta inflexiblement dans son esprit la destruction des templiers, afin de s’enrichir de leurs dépouilles.


Les prétextes ne pouvaient lui manquer non plus ; outre les accusations sur un grand nombre de leurs actes en Palestine, mille bruits infâmes circulaient sur leurs actes secrets, leurs initiations, leur vie intérieure, l’altération de leur foi, mélangée de superstition orientale et de magie sarrasine, sur les vices dégradants qu’ils avaient rapportés de l’Orient, sur les idoles qu’ils adoraient, disait-on, etc. Philippe était encore servi par cette haine secrète qui s’amasse en silence contre toute secte puissante qui vit en dehors de la société et qui s’enveloppe du mystère des initiations.

Qu’y avait-il de vrai dans les accusations formulées contre les templiers ? Adhuc sub judice lis est. En ce qui concerne les mœurs, il est croyable que l’infamie qu’on leur reprochait n’était pas générale. Quant à l’accusation d’hérésie, ces chevaliers, hommes d’action avant tout, s’occupaient sans doute peu du dogme, et l’adoration d’une idole appelée Baphomet ne semble guère vraisemblable. Le chef principal de l’accusation, le reniement, suivant M. Michelet, avait un fondement plus réel ; dans la cérémonie initiatrice, il est certain qu’on reniait le Christ ; mais ce reniement pouvait être symbolique. « C’était peut-être une imitation du reniement de saint Pierre, une de ces pieuses cérémonies dont l’Église antique entourait les actes les plus sérieux de la vie, mais dont la tradition commençait à se perdre au xive siècle… Cette accusation, néanmoins, fut celle qui perdit le Temple. »

Dès 1306, Philippe le Bel entreprit de faire instruire le procès des templiers. Ce procès, malgré tout le mouvement qu’il se donna pour le presser, dura par le fait plus de sept années, tant le pape, malgré ses promesses, était embarrassé den colorer du moins l’exécution. On dressa un effroyable amas d’accusations, de pièces, d’informations ; on organisa une police, un espionnage de tous les instants contre des braves sans peur, il est vrai fils le prouvèrent bien), mais non de tout point sans reproches. Philippe s’était fait le fiscal de cette cause, dit Salazar, et il n’épargnait aucune invention pour émouvoir la colère du peuple ; il suborna des témoins, il paya des délateurs en préparant les bourreaux. Cependant les choses n’allaient pas assez vite à son gré. Tout à coup, en 1307, Philippe le Bel fait arrêter les templiers par toute la France le même jour (5 octobre) et l’on informe contre eux par tout le royaume.

Le pape évoque l’affaire à lui en 1309 ; la Faculté de théologie de Paris se déclare contre eux, à l’instigation du roi. Le pape, à Avignon, à Vienne, à Lyon, à Poitiers, à Bordeaux, en interroge un grand nombre ; toujours poussé par Philippe, il institue des inquisiteurs spéciaux, chargés d’instruire le procès ; il nomme des commissions inquisitoriales pour procéder à l’information par tous les pays où les templiers possèdent des commanderies, et enfin convoque un concile œcuménique pour les juger à Vienne, en Dauphiné, pour l’an 1311.

Néanmoins, on procède à Paris contre ceux qui depuis deux ans languissaient en prison. Cinq cent soixante-six chevaliers y sont amenés devant le synode provincial assemblé et présidé par une âme damnée de Philippe, par l’archevêque de Sens, Marigny, frère du ministre Enguerrand de Marigny. « Vainement la commission inquisitoriale réclama ; vainement les accusés en appelèrent au pape ; le synode, en un seul jour, condamna au feu cinquante-six templiers et les fit exécuter. De semblables exécutions furent ordonnées, et avec la même rapidité, par les conciles provinciaux. Les chevaliers qui échappèrent à la mort furent condamnés à la captivité et à de rudes pénitences ; les grands dignitaires de l’ordre restèrent en prison, le pape s’étant réservé leur jugement. Quant à la commission inquisitoriale, elle continua à instruire le procès de gens condamnés et exécutés et ne se sépara que deux ans après. »

L’exécution des cinquante-six chevaliers condamnés par le synode de Paris eut lieu hors de la ville, à Saint-Antoine, près de Saint-Louis de France, au rapport de Villani, c’est-à-dire à Vincennes. En un grand parc entouré de bois, Philippe le Bel fit lier les cinquante-six condamnés chacun à un poteau, et il leur fit mettre le feu aux pieds et aux jambes avec lenteur et l’un après l’autre, leur faisant dire que celui qui voudrait reconnaître son erreur et les péchés qui lui étaient reprochés pourrait se sauver. Dans ce martyre, engagés par leurs parents et par leurs amis à se reconnaître coupables et à ne pas « se laisser ainsi déplorablement mourir et défaire, aucun d’eux ne voulut confesser qu’il fût coupable, et, avec des larmes et des cris, ils protestaient qu’ils étaient innocents de ce dont on les accusait et, fidèles chrétiens, appelant à eux le Christ, et sainte Marie, et les autres saints, et, dans ce martyre, tous périrent et achevèrent leur vie. »

Le concile de Vienne (quinzième œcuménique) s’assembla enfin au mois de septembre 1311. Outre la proscription générale des templiers et le maintien de la confiscation de leurs biens, que Philippe avait fait partout opérer en France et dont il jouissait par provision depuis plus de trois ans, l’implacable roi poursuivit près de ce concile, avec un acharnement étrange, la flétrissure de Boniface VIII, mais Clément V résista sur ce


point. De ce pape simoniaque et courbé sous le joug royal, Philippe obtint tout ce qu’il voulut, hormis cela. Clément V ne cacha point ses sentiments à cet égard. Le concile, composé de trois cents évêques, sans compter les abbés, déclara que le pape Boniface VIII avait été catholique légitimement élu, non souillé d’hérésie, comme le roi de France le prétendait, et il fallut en quelque façon le démontrer juridiquement ; mais de courageux avocats ne manquèrent point à la mémoire de Boniface. Les templiers, suppliciés ou vivants, furent moins heureux ; il est vrai que le bras séculier, en France, là où étaient leur centre et leurs plus grandes richesses, les avait déjà partout accablés, brûlés ou dispersés. « Presque tous les chevaliers qui avaient échappé à la persécution étaient cachés ou errants. » Il ne restait plus que l’ombre de l’ordre ; son grand maître, Jacques de Molay, et quelques-uns de ses plus hauts dignitaires pourrissaient en prison. Le concile se borna presque à sanctionner leur abolition, qui était désormais un fait accompli, et il la sanctionna avec tristesse et comme avec remords. « De cette manière, dit l’auteur de la Vie de Clément V, Bernard Guidon, qui avait fait partie de la commission inquisitoriale de France, de cette manière fut aboli l’ordre du Temple, après avoir combattu cent quatre-vingt-quatre ans et avoir été comblé de richesses et orné des plus beaux privilèges par le saint-siége. Il n’en faut pas imputer la faute au pontife, car il est constant que lui et son concile n’ont fondé leur décision que sur les allégations et les témoignages que le roi de France leur a fournis. »

Cependant on avait remis au pape le soin de décider de ce qu’on ferait du grand maître et des autres dignitaires de l’ordre, qui étaient détenus avec lui à Paris, Le pape y envoya tard, plus de deux ans après le concile de Vienne, en 1314, deux légats pour ordonner de leur sort. On s’assembla dans l’église cathédrale et l’on y appela les prisonniers. À la lecture des odieuses imputations accumulées dans les pièces des accusateurs contre les templiers, le grand maître se leva, ne pouvant maîtriser son indignation, et cria que tous ces prétendus crimes n’avaient jamais souillé l’ordre. La torture et, plus que la torture, les obsessions du pape et du roi avaient autrefois arraché à Jacques de Molay des aveux qu’on lui avait dit devoir tourner plutôt au profit qu’à la perte de ses frères. Indigné du persistant et lâche abus de la force qu’avait fait le roi, il rétracta ses premiers aveux et protesta de son innocence, de l’innocence et de l’orthodoxie de l’ordre. Mais Philippe se hâta de le déclarer relaps et le fit brûler avec le dauphin de Viennois, dans la Cité, devant son palais, à la place qu’occupe maintenant le terre-plein du pont Neuf.

Sur le bûcher, qui fut lent à s’allumer, et enfin dans les flammes, les deux martyrs ne cessèrent de protester de leur innocence et d’en appeler au ciel, vers lequel se tournaient leurs yeux. Le peuple s’émut à les voir si fermes, si confiants en la justice d’en haut, et le bruit se répandit qu’ils avaient assigné le pape et le roi, leurs véritables bourreaux, à comparaître dans l’année au tribunal de Dieu. Le pape mourut à Lyon le 20 avril et le roi à Fontainebleau le 29 novembre 1314.

Nous avons lu les actes particuliers du procès des templiers d’Espagne et les bulles passionnées de Clément V, conservées aux archives de la cathédrale de Tolède. Une fois que le pape, malgré sa répugnance primitive, eut concédé cette grande iniquité au roi qui le tenait à la chaîne, il mit à la faire consommer partout un acharnement extrême, comme s’il eût voulu étouffer ses remords dans le sang. Il écrivit aux évêques de Compostelle et de Tolède et au procureur-inquisiteur Aymeric d’instruire le procès de tous les templiers de Castille ; il donna le même ordre, à l’égard des templiers d’Aragon, aux évêques de Valence et de Saragosse, et il chargea ces évêques de les déférer aux conciles provinciaux, qui seuls avaient pouvoir de les juger en dernier ressort. L’Aragon et la Castille, où les templiers étaient nombreux et aimés, s’émurent. En Aragon, confiants dans les châteaux forts de leurs commanderies et craignant qu’on ne les traitât comme leur grand maître et leurs frères de France, ils prirent les armes, et il fallut que les troupes royales les assiégeassent dans ces retraites. La commanderie de Monçon fut celle qui résista le plus longtemps. On les y força, et tous les chevaliers pris les armes à la main furent jetés en prison. En Castille, Rodrigo Yanez, vice-maître de l’ordre dans la province d’Espagne, et les principaux chevaliers de son obédience furent cités à Medina-del-Campo. Sommés de se rendre à la prison qu’on leur assigna, ils le firent sans murmurer ; mais, lorsqu’ils se présentèrent à la prison, on se contenta de leur faire prêter serment de se constituer prisonniers dès qu’ils en seraient requis par leur3 supérieurs ecclésiastiques et on les laissa libres.

Le 21 octobre 1818 eut lieu à Salamanque l’ouverture du concile assemblé pour les juger. Les archevêques de Tolède et de Séville ne purent s’y rendre, non plus que l’évêque de Palence, et tous trois y envoyèrent les procès-verbaux des interrogatoires. Les pré-