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jusqu’à la Renaissance, en ce qui regarde les ouvrages profanes, -ces suppositions d’auteur ne furent faites, en général, que par ignorance et innocemment. Bien des œuvres ont été faussement attribuées à de grands écrivains de l’antiquité grecque et latine. C’est ce qui faisait dire paradoxalement au Père Hardouin que, sauf les écrits d’Homère, d’Hérodote, de Cicéron, de Pline, les Géorgiques de Virgile, les Satires et les Épîtres d’Horace, tous les ouvrages attribués aux anciens avaient été composés par des moines du moyen âge.

Dans les matières religieuses, les supercheries, quel qu’en fût le mobile, eurent, on le comprend, plus de gravité. « Nous avons, dit saint Jérôme, trois livres de Salonion : les Proverbes, Y Ecclésiasle et le Cantique ; mais, pour le livre intitulé Y Ecclésiastique et cet autre qui est faussement appelé la Sapieuce de Salonion, il en est d’eux comme des livres de Judith, de Tobie et des Macchabées ; l’Église les lit à la vérité, mais elle ne les reçoit pas entre les canoniques ; c’est seulement pour l’édification du peuple et non point pour prouver ni autoriser aucun acte de foi, > Cependant le concile de Trente a admis comme canoniques ces livres que repoussaient les Pères de l’Église, h’Ecclésiastique est l’œuvre de Jésus, fils de Sirach, qui vécut vers l’an 200 av. J.-G. C’est un recueil de préceptes moraux et de lieux communs. Le livre de la Sapience ou de la Sagesse a été écrit peu avant l’ère chrétienne. Le livre des Macchabées est en partie l’œuvre des Juifs d’Alexandrie. Les livres de Judith et de Tobie sont aussi postérieurs à l’époque où ils auraient dû être écrits, s’iis n étaient apocryphes. Pour ce qui est du Nouveau Testament, l’Évangile de Nicomède, le Prolevatiijelium de saint Jacques le Jeune, l’Évangile de saint Thomas et la plupart des Épîtres des apôtres, à part celles de saint Paul, sont supposés. On a de même attribué à des Pères de l’Église plusieurs écrits dont ils ne sont pas les auteurs. Ainsi, les Constitutions apostoliques, les Hecognitiones, les Canons des apôtres ont été faussement attribués à saint Clément ; ainsi, saint Grégoire le Grand s’aperçut qu’il courait sous son nom plusieurs discours répandus dans lepublic par un moine grec nommé André, qui les avait composés. Au nombre-des suppositions les plus audacieuses des premiers siècles de l’Église, il faut signaler deux lettres ; l’une était donnée comme de Jésus-Christ lui-même et adressée ù. Abgar, roi d’Edesse-, l’autre était attribuée au proconsul Lentulus et adressée au sénat romain de Jérusalem. Lentulus y faisait le portrait de Jésus-Christ, y décrivait son visage, sa taille, la couleur de ses cheveux et de sa barbe. Pour achever ce qui regarde les ouvrages relatifs à la religion, citons quelques écrits composés au xve et au xvie siècle et attribués à des docteurs de l’Église : le Parterre de saint Bernard, contenait’, les fleurs de ta théologie et des canons, qui mènent aux joies du paradis ceux gui les ont cultivées (U7S, in-8o), ouvrage donné faussement sous le nom de saint Bernard, et probablement composé par Jean de Garlunde ; Onze livres sur la Trinité, publiés comme l’œuvre de saint Athanase (1528, in-8o) : Commentaires sur les épitres de saint Paul (1532, in-s°), ouvrage de Tiohonius, imprime sous la nom de saint Ambroise.

Après la renaissance des lettres, les suppositions d’auteurs ne se firent plus, comme au moyen âge, par ignorance ou par piété, niais par pure supercherie. Les plus savants y furent, en certains cas, trompés. Muret envoya à Joseph Scaliger des vers de sa composition comme des fragments des anciens

poètes latins Attius et Trabeas ; Scaliger s’y laissa prendre et les inséra dans une édition de Varron. Sigonio, à l’aide de quelques fragments d’un traité de Cicéron Sur la consolation, composa un ouvrage entier, qu’il intitula : Livre de Cicéron sur la consolation, dans lequel il se consola sur la mort de sa fille. Le savant historien de la littérature italienne, Tiraboschi, fut trompé lui-même et crut que l’ouvrage appartenait à l’ovuteur romain, jusqu’au jour où Sigonio avoua sa supercherie, Annius de Viterbe publia en 1198 un recueil d’Antiquités diverses, qu’il prétendait tiré des livres originaux de Bérose, de Fabius Pictor, de Caton, de Mégasthène, de Manéthon, etc., et dont il disait avoir trouvé les éléments à Mantoue. Des érudits crièrent à l’imposture, mais d’autres prirent la défense d’Annius.

« L’Espagne, dit M. Lalanne, a produit plusieurs faussaires signalés. À la fin du xvi« siècle, un jésuite, nommé Jérôme-Romain Higuera, chercha à réparer le silence des historiens sur l’établissement du christianisme en Espagne. À l’aide des traditions populaires et îles documents de tout genre qu’il put réunir, il composa des chroniques et en attribua la plus importante à Elavius Dexter, historien cité par saint Jérôme et dont les ouvrages étaient perdus. Seulement il déploya, dans cette supercherie, l’adresse qui manque bien rarement aux bons Pères de son ordre et sut éviter habilement la difficulté, toujours si grande pour un faussaire, de montrer le manuscrit original. Il prit pour confident l’un de ses confrères, Torialba, et celui-ci, étant parti pour l’Allemagne, ne tarda pas il annoncer qu’il venait de trouver, dans la bibliothèque de Fulde, un rni.ntiscrU au SUPE

thentique renfermant les chroniques de Flavius Dexter, de Maxime, de saint Braulion et d’Hélôcan. Les jésuites accréditèrent ce bruit, et Torialba adressa une copie du manuscrit à J. Calderon, qui le publia à Saragosse (1619, in-4o), sous le titre de : Fragmenlum chronici FI. Dexlri, eum ckronico Afarci Maximi et additionibus S. Braulionis et Belecani. Higuera, qui, pour mieux détourner les soupçons, s était contenté d’éclaircir certains passages du texte par des notes, mourut en 1611, avant ia publication de l’ouvrage, et ne vit pas les querelles qui en résultèrent. Gabriel Perrot, moine augustin de Novare, fut le premier à attaquer l’authenticité de ces chroniques, et il eut pour adversaire Thomas Vargas, qu’il réduisit bientôt au silence. Au commencement du xvie siècle, Michel de Luna, interprète d’arabe au service de Philippe III, roi d’Espagne, publia, sous la titre d’Histoire de la conquête d’Espagne par les Arabes, un ouvrage qu’il prétendait être une traduction d’une chronique arabe. L’auteur original, nommé Abduï-Cacim, aurait été, suivant lui, contemporain des événements qu’il racontait. Cette histoire, composée avec beaucoup d’art et d’adresse, jouit d’un grand crédit en Espagne depuis le xvne siècle jusqu’au moment où Nicolas Antonio et quelques autres en démontrèrent la fausseté. Mais, malheureusement, elle avait servi de base à la plupart des histoires nationales composées à cette époque, et pendant longtemps l’influence de cette supercherie se fit ressentir dans les travaux historiques en, Espagne. »

Une des supercheries les plus connues du xvne siècle est celle de François Nodot, relative à Pétrone. On avait découvert et publié en 1664 le fragment le plus étendu de cet auteur, le souper de Triinatciou. Nodot, excité par l’intérêt qui s’attacha à cette découverte et par la vogue dont Pétrone jouissait alors, publia à Rotterdam, en 1693, un Satyricon complet, d’après un prétendu manu scrit trouvé à Belgrade en 1688, lequel comblait les lacunes de tous les autres manuscrits. L’imposture fut bientôt dévoilée. Cependant les additions étaient si habilement composées, pour mettre de la liaison entre les fragments, qu’on les a plusieurs fois imprimées avec le Satyricon, en les distinguant par un caractère différent. Ce que Nodot avait tenté pour Pétrone, Corradino, poète vénitien, voulut le faire pour Catulle. Il publia, en 1738, C. V. Catullus, in iuiegrum reslitulus., et prétendit avoir eu k sa disposition un manuscrit plus ancien, plus correct et plus complet que ceux dont on s’était servi jusqu’alors. Cette tentative n’eut pas le succès de celle de Nodot.

Nous empruntons encore à M. Lalanne le récit d’une imposture des plus singulières, celle qui eut pour auteur Joseph Vella, chapelain de l’ordre de Malte, a Étant à Païenne en 1782, il accompagna l’ambassadeur du Maroc, Mohammed-ben-Otham, dans une visite que ce dernier lit à l’abbaye de Saint-Martin, où on lui fit voir un manuscrit arabe fort ancien. Ayant appris que depuis longtemps on avait conçu le désir et l’espoir de trouver dans les écrivains arabes de quoi remplir une lacune de deux siècles dans l’histoire de la Sicile, Vella s’empara de cette idée et ne tarda pas, après le départ de l’ambassadeur du Maroc, à publier que celui-ci

avait trouvé dans la bibliothèque de l’abbaye un manuscrit précieux, contenant la correspondance entre les gouverneurs arabes de la Sicile et les souverains de l’Afrique. Pour confirmer l’authenticité de sa prétendue découverte et en augmenter l’importance aux

yeux du prélat Airoldi, évoque d’Héraclée, qui s’était déclaré son protecteur et ne se refusait à aucune des dépenses que la publication de l’ouvrage semblait exiger. Vella supposa une correspondance avec l’ambassadeur qui était retourné dans le Maroc. Il résulta de cette correspondance, outre l’assurance qu’il existait dans la bibliothèque de Fez un second exemplaire plus complet du manuscrit de l’abbaye de Saint-Martin, la découverte d’un autre ouvrage qui servait de continuation à celui-ci et d’une suite de médailles conflrmatives de l’histoire et de la chronologie dudit manuscrit. L’imposture eut un tel succès que le roi de Naples, à qui Vella présenta sa traduction mnuscrite, voulut le charger d’une mission dans le Maroc pour retirer des bibliothèques de ce pays tous les manuscrits arabes qui pourraient intéresser l’histoire de son royaume. Mais divers événements firent avorter ce projet, La traduction du manuscrit arabe avait été annoncée dès 1786 dans tous les journaux do l’Europe. Le premier volume fut publié en 1789, sous le titre de : Codice diplomatico di Sictliu sotlo il governo degli Arabi, publicato per opéra e studio di Alfonso Airoldi ; le sixième parut en 1792 et devait encore être suivi de deux autres. Le premier volume fut dédié au roi de Naples et le second à la reine. Le protecteur du faussaire, le prélat Airoldi, * voulut faire imprimer aussi le prétendu texte arabe, et se procura une fonte de caractères arabes de Bodoni. Un artiste, nommé di Bella, fut chargé de graver les monnaies des émirs et diverses autres pièces de la fabrication de Vella qui, pour rendre son imposture plus difficile à découvrir, avait rendu à peu près illisible le manuscrit original de l’abbaye de Saint-Martin ; enfin, en 1793, on vit paraîtré

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à Palerme, aux frais du roi de Naples, le premier volume de deux éditions, dont la principale, in-folio, contenait le texte arabe avec la traduction italienne du prétendit manuscrit découvert à Fez et intitulé : Kitab divan mesr ou Libro del consiglio d’Egitlo, Mais, pendant qu’on imprimait Je Second volume, un orientaliste allemand, J. Hager, qui voyageait en Sicile, aj’ant examiné attentivement cette publication, reconnut bien vite l’imposture et se hâta d’attaquer Vella, que l’on se vit obligé de traduire en justice. Airoldi, à la connaissance duquel l’affaire était dévolue, voulant a toute force le sauver, forma un tribunal composé de cinq personnages recommandables, mais qui n’avaient pas même la plus légère teinture des éléments de la langue arabe. Ils devaient présenter au prévenu le texte arabe du Codice diplomatico et l’obliger à traduire, à. livre ouvert, tel endroit qu’ils jugeraient k propos de lui indiquer. Sa traduction italienne devait leur servir de pièce de comparaison pour reconnaître s’il traduisait bien et s’il ne se trouvait pas en contradiction avec lui-même. Mais, dans ce tribunal, l’absence de tout homme sachant l’arabe rendait la vérification illusoire. Vella apprenait par cceur une ou deux lettres de sa traduction, et quand le manuscrit arabe lui était présenté par les commissaires, il indiquait telle année qu’il lui plaisait, comme s’il fût tombé véritablement sur cette année a l’ouverture du livre ; puis il récitait ce qu’il avait appris par cœur. Jamais les commissaires ne se seraient tirés de ce procès difficile, si Vella n’eût enfin confessé lui-même toutes ses impostures. Pour rendre ses aveux plus complets, on fut obligé de le menacer de la question. Enfin, en 1796, il fut condamné à. quinze ans de prison ; le bénéfice de Saint-Pancrace et une pension qui lui avaient été accordés furent, avec ses autres biens, à l’exception d’une rente alimentaire de 36 onces d’or, adjugés au fisc jusqu’au remboursement des dépenses faites par le trésor royal pour le Kitab. On détruisit toute la partie du second volume qufétait déjà imprimée. •

Deux supercheries faites en Angleterre dans la seconde moitié du xvni« siècle, celles de Macpherson et de Chatterton, sont bien loin d’avoir ce caractère odieux. Nous avons longuement parlé de celle de Macpherson {v.

Macpherson et Ossian).’ Celle de Chatterton a un caractère encore plus anodin ; on peut la comparer à la supercherie de Michel-Ange enfouissant une de ses plus belles œuvres, le Cupidon, afin de le faire passer pour un antique. En 1768, n’étant âgé que de quinze ans, Chatterton inséra dans le Journal de Bristol, à l’occasion de l’inauguration d’un nouveau pont dans cette ville, un morceau qu’il disait avoir tiré d’un ancien manuscrit et qui était intitulé : Description de moines passant sur le vieux pont. Quelque temps après, il donna, sous le nom du moine Rowley, qui, selon lui, avait vécu au xvo siècle, divers poèmes de sa propre composition. • Il invente Rowley, a dit Alfred de Vigny ; il se fait une langue du xvo siècle. Et quelle langue ! une langue poétique, forte, pleine, exacte, concise, riche, harmonieuse, colorée, enflammée, nuancée à l’infini, retentissante comme un clairon, fraîche et énergique comme un hautbois, avec quelque chose d’agreste et de sauvage qui rappelle la cornemuse et la montagne du pâtre saxon. » Les poésies attribuées à Rowley ont été publiées à part (Londres, 1777, in-8u, et 1872, in-4o).

Les supercheries littéraires du xixe siècle s’ouvrent, dès 1801, par celle de Marchena, Espagnol au service de la France. Il était à l’armée du Rhin et secrétaire du général Moreau, quand il publia k Bâle un opuscule fort libre, qui lui attira les reproches de son général. Voulant se disculper, il prétendit avoir traduit un fragment du Satyricon de Pétrone, qu’il dit avoir été trouvé dans la bibliothèque de l’abbaye de Saint-Gall. Et, en effet, il fabriqua un texte auquel pût se relier son opuscule, et le tout fut si habilement disposé que des savants s’y laissèrent tromper. La réussite de cette supercherie poussa Marchena à user de ses connaissances philologiques pour en commettre une autre. Il fit imprimer chez Didot un fragment de Catulle, qui consistait en quarante vers, et qu’il prétendit avoir été tiré d’un manuscrit découvert à Herculanum. La fraude fut signalée par Eischtœdt, professeur à Iéna, qui, pour battre plus sûrement le faussaire, usa de ses propres armes et annonça que la bibliothèque d’Iéna possédait un ancien manuscrit ou se lisaient les mêmes vers, avec des variantes ; puis, sous prétexte de corriger les erreurs du copiste qui avait écrit le papyrus d’Herculanum, il reprenait en réalité plusieurs fautes de prosodie chez Marchena.

Une des supercheries littéraires les mieux réussies est celle des Poésies de Clotiide de Surville, publiées en 1808 par Vanderbourg. Que l’auteur de ces poésies soit Vanderbourg lui-même ou le marquis de Surville, il n’est pas douteux qu’elles sont supposées. Le public ne reconnut pas immédiatement la supercherie, mais les critiques ne purent s’y tromper. Il suffit, en effet, d’avoir l’habitude de notre ancien langage pour reconnaître un simple pastiche. D’ailleurs, l’auteur de ces prétendus vers du xve siècle a commis les uuachronism.es les plus réjouissants. « Inde SUPE

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pendamment de la pureté du langage, dit Charles Nodier, du choix varié des mesures, du scrupule des élisions, de l’alternative des genres de rimes, règle aujourd’hui consacrée, mais inconnue au temps de Clotiide, de la perfection enfin de tous les vers, le véritable auteur a laissé échapper des indices de supposition auxquels il est impossible de se méprendre. »

Le nom de Walter Scott a réussi il faire passer quelques supercheries littéraires. « En 1823 parut à Berlin, dit M. Quérard, le roman intitulé : Walladmor, qu’on présentait comme un ouvrage de Walter Scott. L’auteur de cette habile imposture, connu dans les lettres allemandes sous le pseudonyme de Willibald Alexis, et dont le véritable nom est Hœring, ne se donnait que comme l’éditeur de la traduction allemande d’un roman du célèbre Écossais, faite par un de ses jeunes compatriotes. Sur l’étiquette du sac, ce roman fut non-seulement traduit en français, mais encore dans toutes les langues de 1 Europe, même en anglais. Un critique anglais, vraisemblablement Walter Scott lui-même, en parlant de ce roman à l’occasion de la version anglaise, l’a qualifié de la plus habile mystification de notre siècle. C est sur la version anglaise que Defauconpret nous a donné, en 1825, sa traduction française. Le nom de Walter Scott, exploité même du vivant de celui qui le portait, devait l’être encore mieux lorsque son possesseur n’existerait plus, et la France renchérit sur l’Allemagne en nous donnant quatre romans inédits de Walter Scott : Allan Cameron et A ymé Verd (auteur, M. Calais, ancien secrétaire de M. de Genoude, aidé, dit-on, de M. Théodore-Anne) et, plus tard, le Proscrit des Hébrides et la Pythie des Bighlands (auteur, M. Jules David). »

Plusieurs des grands écrivains français ont. été l’objet de supercheries du même genre ; elles se sont renouvelées jusqu’au milieu do notre siècle et ne se sont arrêtées que devant le goût croissant de l’érudition littéraire et devant la connaissance plus approfondie des œuvres et des faits biographiques, qui les a rendues presque impossibles. On a cherché à imiter deux des plus inimitables, La Fontaine et Mln<- de Sévigné, et à faire prendre ces imitations pour des œuvres originales. Ainsi, en 1798. S. Despréaux publiait des Œuvres posthumes de La Fontaine, et se donnait comme en étant seulement l’éditeur. Or, ce volume ne renfermait pas une seule pièce du poète auquel il était attribué, et la paternité tout entière en appartenait k Despréaux. Charles Nodier dit à ce sujet, dans ses Questions de littérature légale ; ’ Il y a des fables dans ce volume ; mais elles n’ontdu remarquable, après leur extrême faiblesse, que la naïve bonhomie avec laquelle l’auteur les admire et donne carrière à son amourpropre, à la faveur de l’heureuse apocryphio qui met sa modestie à, l’abri. » Bien plus tard, un peintre de Suint-Germain, plus peintre que poète, attribua à La Fontaine deux fables de sa composition, qu’il inséra dans un journal de Saint-Germain.

Un pastiche de Châtelain, qui a tous les caractères de la supercherie, c’est celui qu’il fit de Voltaire. En 1837, il fit paraître : Lettres de Voltaire à Js/mo Ou Deffant, au sujet du jeune de Rcbecque, devenu depuis célèbre sous le nom de Benjamin Constant. On crut assez généralement à l’authenticité de ces lettres. La Revue britannique, dans son bulletin bibliographique du mois de juillet 1857, disait : « Ces quatre lettres sont pleines de grâce et d’intérêt j elles sont inconnues et méritent d’attirer l’attention des bibliographes et des bibliophiles. » En 1843, l’Illustration donna, comme retrouvée à Venise, une suite du Don Juan de lord Byron. En 1844, on représenta à l’Odéon, comme une pièce inédite de Molière, le Docteur amoureux, que l’on croit être de M. Ernest, de Calonne.

Nous rappellerons encore trois supercheries faites au xixe siècle et relatives k des auteurs anciens. En 1828, la maison Didot publia une prétendue traduction de l’Histoire de Vienne sous les douze Césars, par Rufinus, sénateur et duumvir de la ville. Dugas-Montbel démontra bientôt, dans le Bulletin universel, de FérussaC, que cette histoire était une composition de Mermet, qui se donnait pour en être le traducteur. En 1836, on annonça dans les journaux que la traduction grecque de Sanchoniaton par Philon de Byulos venait d’être retrouvée en Portugal. Quelques mois plus tard, une brochure paraissait à Hanovre avec ce titre : Analyse de ^’Histoire primitive des Phéniciens, par Sanchoniaton. faite sur le manuscrit nouvellement retrouvé de la traduction complète de Phiton. Cette analyse était accompagnée d’observations par V. Wagenfeld et d’un avant-propos par Giotefend, directeur du lycée de Hanovre ; mais celui-ci reconnut ensuite qu’il avait été ia dupe de Wagenfeld, étudiant à Brème. En 1844, M. E. Bégin, de Metz, prétendit avoir trouvé en Espagne des Lettres du poète latin Rutilius Numutianus, qui vivait au » siècle. Il en donna la prétendue traduction, mais il n’en publia pas l’original et n’en lit connaître que ces quatre mots : Alla et aurea societas (la haute société dorée). S’il voulut imiter ainsi le latin de la décadence, on peut dire qu’il y a trop bien réussi.

11 existe encore bien d’autres faits du genre de ceux que nous avons réunis ici. Nous nous