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Le premier volume est consacré à la biographie de M. de Narbonne, et Villemain a su rattacher avec art à ce personnage, ministre de Louis XVI en 1792 et premier aide de camp eîe l’empereur en 1809, de pittoresques tableaux, de la Révolution et de l’Empire. Ce livre fourmillé d’anecdotes finement racontées, de portraits tracés d’une main ferme et heureuse, qui reproduisent avec une vérité singulière la physionomie des principaux personnages d un temps encore bien voisin de nous, depuis les ministres et les généraux de Napoléon jusqu’aux orateurs et aux hommes de lettres de la Restauration, depuis la cour impériale de Fontainebleau jusqu’aux salons de Mme de Duras et de Mme de Montcalm ; on y assiste à ces grandes scènes de politique, où s’agitaient Tes destinées du inonde, suspendues au projet de l’expédition de Russie, à la volonté de Napoléon. La plupart des faits qui composent ce livre, le meilleur et le plus élevé qui soit sorti de la plume de son auteur, sont tombés depuis dans le domaine public et ont suffi pour défrayer un grand nombre de monographies. À l’époque où il parut, il y avait quelque courage à le publier. La presse se débattait sous l’étreinte d’une législation draconienne, et les doctrines libérales, professées par l’auteur avec modération, mais avec fermeté, l’indépendance avec laquelle il jugeait la politique intérieure et extérieure du « grand homme, » étaient une audacieuse nouveauté. Ce furent les sentiments libéraux, les inspirations généreuses. qui animent les Souvenirs contemporains de Villemain qui en firent le succès ; car c’étaient les échos éloquents et fidèles de ce que tout le monde pensait et disait tout bas. L’appréciation par Villemain de la politique gigantesque au dehors et impérieuse au dedans de Napoléon est très-finement rendue. Lespapiers de M. de Narbonne lui ont, en effet, fourni des notes très-précieuses sur les points les plus difficiles de la politique. Il nous retrace spirituellement les conversations de M. de Narbonne avec l’empereur, et si, comme tout porte à le croire, ces conversations sont exactes, il est regrettable que le despote n’ait pas écouté plus souvent un si sage conseiller. Pourtant Napoléon goûtait singulièrement l’esprit fin, la conversation spirituelle, la raison élevée de son aide de camp ; il voyait qu’en le contredisant quelquefois, M. de Narbonne l’admirait et l’aimait, et c’est cette tendre fidélité de M. de Narbonne pour l’empereur, empreinte dans les pages de Villemain, qui jette sur son livre un intérêt triste et touchant.

Dans le second volume, on assiste à la chute de l’Empire ; les souvenirs sont plus personnels, quoique l’auteur ne se fasse pas le centre de son récit et qu’il s’efforce, au contraire, de s’effacer derrière les personnages qu’il met en scène. Il n’abdique néanmoins ni son jugement ni sa passion ; ces souvenirs de jeunesse l’émeuvent on l’exaltent, l’agitent de crainte ou d’espérancs. ; témoin des péripéties d’un drame imposant, il croit encore en être le spectateur. Villemain cause ot discute, observe et crayonne. Il mêle à l’exposition des faits l’expression des idées et des sentiments qu’ils ont provoqués. C’est, de sa part, sincérité et non partialité. Sans s’inquiéter outre mesure de la sévérité de l’histoire, il raconte avec verve et fraîcheur ce qu’il a vu et entendu dans les années 18M et 1815. Villemain touche à tout : politique, guerre, diplomatie, littérature. Bien qu’il n’y paraisse pas, Napoléon est son principal personnage. Mais on voit ici le Napoléon des mauvais jours, le demi-dieu doutant de lui-même et jouant avec sa fortune son dernier coup de dé. Un portrait, touohè’avec délicatesse et précision, est celui de M. de Talleyrand. On assiste aux travaux diplomatiques et aux spirituels entretiens de ce personnage a Vienne, où la belle et jeune duchesse de Dino, sa nièce, joue admirablement, à l’insu de Meiternich, le rôle de premier secrétaire d’ambassade. Ce récit est une intéressante exposition des préliminaires du congrès de lJrague ; la duplicité de la politique autrichienne, masquant les préparatifs de guerre sous des simulacres de dispositions pacifiques, s’y dévoile honteusement. Villemain &e fait au besoin historien militaire ; mais il décrit les batailles a grands traits, sans termes techniques, et il en signale les résultats plutôt que les incidents. Il juge les hommes et leurs actes suivant les principes du juste et du bien, non d’après un système politique préconçu. Cette société de 1815, si mêlée et si remplie de contrastes, ne peut pas passer sous un niveau égalitaire. Elle a un caractère sympathique. Dans ces salons, la politique coudoie la littérature, la science, l’éloquence. Ce monde-là aime les lettres et honore les écrivains. La Fayette, B. Constant, N. Lemercier, Arago, Cuvier, Mme de Staël, le générai Foy, M. de Feletz, M">« de Duras, Barthélémy, Delille, Saint-Lambert, Chamfort, Beaumarchais, Chateaubriand, Abel Rémusat, Daunou, Laîné, de Bausset, de Humboldt, les uns riches d’années et d’avenir, les autres à peine éteints, passent devant le regard observateur de l’historien, dont le burin ingénieux esquisse en quelques lignes ces figures si diverses, Elans une Visita à l École normale, on trouve des jugements de Napoléon sur Corneille, Bossuet, Montesquieu, Thomas, exprimés en un style pittoresque et fier. Dans un morceau sur Déinos SOUV

thène et le général Foy, on lit une appréciation neuve et éloquente de l’orateur athé-nien. Ailleurs, on trouve une peinture chaude et enlevée de la jeunesse de 1825. Cette vivacité des impressions, cette vérité dramatique font le charme du récit ou du dialogue. Des anecdotes familières jetées en passant, des traits délicats, des allusions malicieuses sous un air innocent, un esprit prodigue, uDe verve de causeur relèvent ou animent l’intérêt. Des résumés à la manière de Tacite comblent les lacunes que l’historien ne pouvait laisser dans la trame du récit. Villemain a la phrase cicéronienne, mais resserrée, qui se prête a tous les styles. Vivant par l’ardeur de la pensée et du sentiment, le livre de Villemain, où la perfuction littéraire de la forme est remarquable, constitue un de ses meilleurs ouvrages.

Souvenirs d un vieillard OU la Dernière

étape, par Emile Souvestre (1854). Ce livre est, pour ainsi dire, le testament littéraire de l’auteur. Persuadé que, « lorsqu’on arrive à la dernière étape, c’est le moment de réfléchir et de regarder autour de soi, « M. Souvestre, dans la dernière année de sa vie, voulut « transcrire les impressions des dernières journées, recueillir, à cette heure de déclin et d’adieux, ce qui réjouit, ce qui soulage ou ce qui fortifie. • Il inscrivit jour par jour, pour son propre enseignement et pour l’enseignement de ceux qui viendraient après lui, d les occupations d un travailleur dont la tâche est finie ; les plaisirs d’une vieillesse sans force et sans opulence ; les consolations d’un foyer dont le veuvage avait fait une solitude. » Telle est l’origine des Souvenirs d’un vieillard, dans lesquels l’auteur, versant sur les clessures de l’âge le baume de la patience et de la résignation, nous montre le bonheur caché dans la modération des désirs. Il relève une à une les compensations semées en foule à nos pieds et qui n’attendent que notre bonne volonté pour fleurir et pour nous consoler, renouvelant dans sa compassion pour nos maux cette pure et douce philosophie oultivée par les sages de tous les temps. Les événements ne sont donc dans ce récit que les simples incidents d’une paisible vieillesse dont rien ne trouble la fin, et cependant chacun d’eux apporte avec lui, comme chaque lettre de Sénèque à Lucilius, sa petite moralité, souvent profonde sous son apparente simplicité. Ainsi, l’auteur ouvre un tiroir qui ne renferme que des quittances : à D’abord, dit-il, leur aspect me réjouit. Toutes sont rangées par ordre, par année ; elles semblent proclamer ma prudence et inu régularité ; mais une réflexion arrête court mon orgueil... Si je les relisais, combien d’entre elles constateraient ma négligence ou mes caprices I

Que de dépenses mal faites I Que d’achats infructueux 1 Que de folles expériences ? De tout l’argent porté sur ces mémoires, qu’il en est peu qui ait sérieusement tourné à mon utilité ou à mon plaisir ! Combien de ressources gaspillées par irréflexion I Je crois lire au dos de chacune de ces quittances un mot accusateur tracé par la main qui écrivait sur les murs de la salle du festin de Balthasar : Vanité I sottise I sensualité I Je n’en veux pas lire davantage et je renferme brusquement ces impertinentes, >

À côté de cette morale tirée d’un fait particulier, veut-on connaître la morale générale du livre î « Tout homme et toute existence se résume dans la célèbre entrevue de Napoléon et de Pie VIL L’empereur, qui veut se faire sacrer par le pontife romain, joue d’abord le respect et la piété. Comméditmte (comédien) ! murmure le pape. Alors le héros s’emporte, il crie, il menace. Tragediante (tragédien) I reprend le vieillard. Hélas ! les deux mots peuvent s’appliquer à tous les vivants : la jeunesse et l’âge înùr flottent perpétuellement entre la tragédie et la comédie ; le calme arrive à peine vers les derniers jours, au moment où le rideau va se baisser. »

Il émane des Souvenirs d’un vieillard un parfum d’honnêteté, de vertu et de bonté. On y reconnaît partout l’homme qui cherchait, non la réputation littéraire, mais < à être aimé pour son oeuvre. >

Souvenirs d’un musicien, par Adolphe

Adam (1857, iu-18). Ce volume se compose de deux parties ; la première contient le sommaire de la vie de l’auteur, la seconde des notices ou des anecdotes curieuses sur de célèbres musiciens ou d’itlustres chanteurs. Boieldieu, Hérold, Lulli, Dalayrae, Chollet, J.-J. Rousseau, Rameau viennent tour à tour figurer sur la scène, chacun avec sa physionomie particulière. Néanmoins, ,1e ton général de l’ouvrage est celui de la plaisanterie ; si l’auteur connaît quelque scène divertissante sur son héros, il n’a garde de l’oublier et la raconte en termes fort agréables. Nous citerons comme exemple ce trait peu connu sur J.-J. Rousseau. < La sauvagerie affectée de J.-J. Rousseau cédait lorsqu’on laissait entrevoir qu’on n’était pas dupe de ce moyen facile de se faire une réputation d’étrangeté. À un dîner chez Mme d’ft. pinay, Rousseau, nouvellement installé à l’Ermitage, dit qu’il ne manquerait rien à son bonheur s’il possédait une épiuette. Un des convives, grand amateur de musique, lui en fit porter uno le lendemain, sans se faire connaître. Rousseau manifesta sa joie de posséder cet instrument, sans s’inquiéter d’où il

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pouvait venir. Un jour, il vint plus soucieux que d’habitude chez Mme d’Epinay. « Qu’a■ vez-vous, lui dit-on ? — Hier, répondit-il, il est tombé du haut d’une armoire une pile de livres sur mon épinette, et, depuis cette cornmotion, l’instrument est tellement discord que je ne puis m’en servir. — Eh bien I dit ’ le donateur anonyme qui était présent, ce n’est rien, demain je vous enverrai mon accordeur.

— C’est donc vous qui m’avez donné cette épinette ? reprit Rousseau. — Ma foi, « oui, répondit l’autre en riant. — Eh quoi ! monsieur, s’écria Rousseau, seriez-vous un de ces hommes cruels qui par leurs orgueilleuses attentions insultent a ma misère ? Reprenez votre instrument et ne me parlez jamais.

— Je vous parlerai encore une fois, reprit l’amateur indigné, et ce sera pour vous dire que je ne suis pas votre dupe. Vous voulez faire leDiogène et vous n’êtes qu’un jongleur. » Rousseau s’étaitsoudain calmé à ces vives paroles. À dater de ce moment, il fut rempli de prévenances pour celui qui lui avait si bien répondu. • Une telle anecdote fait mieux connaître Rousseau que vingt pages de commentaires.

La première partie, contenant des détails biographiques, n’est pas moins intéressante et nous prouve que la volonté et le talent finissent toujours par triompher de la mauvaise fortune. Peu d’hommes, en effet, ont eu une vie plus agitée qu’Adolphe Adam ; peu d’hommes ont vu leurs espérances ruinées de fond en comble au moment où ils touchaient au but, comme ce courageux athlète ; mats peu d’hommes aussi ont lutté aussi courageusement pour vaincre l’adversité et conquérir à la fois renommée, gloire et fortune.

Souvenirs do la Restauration, par M. Alfred Nettement (1858, in-18). Comme tous ceux de l’auteur, ce livre témoigne de ses vives sympathies pour le système monarchique qui triompha deux fois en une année par le double renversement de l’Empire, pour être emporté quinze ans plus tard par trois jours de révolution. Sans partager sa manière de voir, nous aimons la franchise des opinions de M. Nettement ; au milieu du dédale des événements politiques et des revirements à l’ordre du jour, il est bon de savoir qui l’on a pour guide. D’ailleurs, les sympathies si clairement manifestées dans les Souvenirs de la Restauration ne vont pas jusqu’à la violence qui déclame ou jusqu’à la passion qui aveugle. Il voit les fautes de ses amis et, loin de les dissimuler, les signale et les blâme. Par ses souvenirs personnels, il jette un jour nouveau sur les luttes intérieures du parti royaliste. Il contient en outre des études intéressante.» sur des hommes tels que le duc Decazes, Chateaubriand, de Villèle, et d’assez nombreuses anecdotes sur les personnages les plus marquants de l’époque, qui donnent à ces Souvenirs tout l’attrait de révélations rétrospectives. Ce sont d’agréables mémoires, où le moi ne se montre pas trop envahisseur, modestie qui contribue au charme de l’ouvrage, parfaitement écrit d’ailleurs.

Souvenirs de vingt années d’enseignement, par M. Dainiron (1859, in-go). Après avoir rempli comme professeur à la Sorbonne une longue et paisible carrière, M. Ph. Damirou n’a pas voulu prendre sa retraite sans laisser un gage spécial de son dévouement à ses fonctions. Il a recueilli en un volume ses principaux discours d’ouverture, qui, pour la plupart, avaient déjà été publiés séparément. Us traitent de diverses matières de morale et de théodicée. M. Damiron est un de ces hommes que le côté pratique et religieux de la philosophie a plus préoccupé que les questions métaphysiques. Il demande avant tout à ta raison d exercer une influence morale sur lui-même et il s’efforce de l’étendre aux autres. Il donnerait volontiers la science pour ■ la moralité ; car elle ne lui semble pas un élément essentiel de la philosophie. Los bons sentiments sont au-dessus des brillantes pensées ; la lumière de la conscience vaut mieux que celle du génie.

M. Damiron, dans cet ouvrage, s’efforce, sans y parvenir, de prouver l’immortalité de l’âme et le gouvernement de la Providence. Il emprunte à la religion catholique quelques-uns de ses dogmes, et même il fait une théorie philosophique de la grâce. Une assez longue introduction précède ce recueil : c’est le récit de toute sa vie intérieure, un chapitre de confession, une autobiographie philosophique. M. Damiron raconte, non-seulement ses idées, mais aussi les circonstances antérieures qui en ont déterminé le courant. Il donne des détails sur sa famille, sur son éducation, son passage à l’École normale, ses reL.tions avec des maîtres illustres, ses débuts dans l’enseignement, l’origine et la direction de ses travaux. Il y a, dans ces pages écrites sur lui-même par un homme modeste, une naïveté, une simplicité, une droiture d’âme remarquables. Nous ne dirons rien des discussions philosophiques qu’elles renferment ; car l’auteur se contente de rééditer des lieux communs, sans originalité. La pa’rtie autobiographique a une bien plus grande valeur ;

on y sent un parfait honnête homme, tout dévoué à la profession qu’il avait embrassée.

Souvenirs et réflexions politiques d’un journaliste, par M. Saint - Marc Girardiu (1859, iu-12). Cet ouvrage contient le résumé de plus de trente années de participation de son auteur aux luttes politiques. Au lieu de

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recueillir, comme la plupart de ses confrères, tout ce qui est sorti de sa plume, Saint-Marc Girardin a fait un choix et ne nous a donné que le dessus du panier. En outre, il a pensé cjiie des pages écrites au jour le jour, au milieu de la lutte et dans le feu des événements, avaient besoin, aujourd’hui que l’ardeur est refroidie et les événements mêmes oubliés, d’une sorte de présentation particulière. Avant de transcrire un article ou un fragment, il le prépare, il l’explique, souvent même il l’atténue, et ce commentaire perpétuel, qui tient autant de place que les textes reproduits, leur donne une sorte d’unité factice, commode toutefois pour le lecteur. M. Saint-Marc Girardin a expliqué lui-même les procédés et surtout l’esprit général de son livre dans une ingénieuse préface. 11 rappelle la diversité des temps qu’il a traversés ; il voit revivre ces beaux jours du journalisme où la plume était une arme puissante et honorée, où existait une opinion publique à laquelle eu appelaient chaque jour avec une rivalité de talent le gouvernement et l’opposition. Que ces temps sont loin do nous et comme l’oubli envahit rapidement le passé ! Voici, d’après le témoignage même d’un des plus ardents lutteurs, combien est fugitif le souvenir Je ces sortes de luttes : « C’est un grand honneur pour un article de défrayer la causerie du matin ; si l’on en parle le soir, c’est presque encore de la gloire. I ! y a dans la première partie de ce recueil deux ou trois articles dont on m’a loué, même au bout de plusieurs jours. J’étais tenté de les croire immortels ; en les relisant, je me suis aperçu que je ne m’en souvenais même plus moi-même. » Malgré cet oubli, l’auteur ne croit pas à l’inutilité de la polémique politique. Il défend le gouvernement constitutionnel contre les railleurs qui l’appellent un jeu de collin-maillard, « gouvernement où, au inoins, il était permis d’exprimer sa peuséel Hélas I que faisons-nous tous ici-bas, sinon de chercher à. tâtons le droit et la raison ? Dans le gouvernement despotique, nous déclarons que nous avons trouvé la raison et nous la mettons dans un homme ; grande fiction qui dure tant qu’elle ne paraît pas trop invraisemblable. Dans les gouvernements libres, nous cherchons la raison par la liberté et nous la cherchons pour chaque question et pour chaque circonstance ; laborieuse enquête assurément, mais qui, malgré ses embarras et ses fatigues, fait la force et l’honneur des peuples qui savent comprendre que le gouvernement de soi-même, le self-goueritment, ne consiste pas à n’être gouverné par personne, mais à se gouverner et à se régler soi-même. »

M. Saint-Marc Girardin a divisé ses Souvenirs d’un journaliste en deux périodes inégales et qui présentent dans sa vie un intérêt bien différent : la première va seulement de 1827 à 1830 ; la seconde s’étend de 1830 à 1848, sans compter les réflexions qui appartiennent par anticipation à des événements plus rapprochés de nous. Une troisième partie, sous le titre de Mirabeau, Louis XVI et Marie-Antoinette, consiste en un travail assez étendu sur les origines et les obstacles du gouvernement représentatif en France en 1789. Écrit en 1851, à l’occasion du livre de M. de Bacourt, Correspondance entre le comte de Mirabeau et le comte de La Marck, en 1789, 1790 et 1791, il est le résumé des réflexions de l’auteur sur la marche de la Révolution, ses causes politiques et morales et ses résultats ; ce qui y domine, c’est le sentiment de la liberté de l’homme, au milieu des événements qui semblent le plus fortement marqués du caractère de la fatalité.

Pendant les trois premières années de sa carrière, M. Saint-Marc Girardin fait partie de l’opposition libérale et combat la politique de la Restauration avec une ardeur qui change de caractère ou de degré sous les ministères de Villèle, de Martiguac et de Poliguac. Les tendances ultra-catholiques du gouvernement de Charles X trouvent en lui un adversaire très-décidé, et ce qu’on appelait alors la congrégation est l’objet de ses plus vives attaques. On remarque surtout dans cette période son premier article politique à l’occasion des émeutes de la rue Saint-Denis, si peu graves et comprimées si violemment par le ministère. Grand sujet d’étonnement ou de scandale pour nos habitudes de réserve et de timide langage : l’ennemi, le ministère, s’appelle Tartufe. Tartufe su cache, Tartufe se mortifie, Tartufe se venge. À cette époque, on pouvait écrire impunément « qu’il faisait beau de voir nos soldats prendre la rue aux Ours, s’emparer de la rue Grénétat, marcher au pas de charge dans la rue Saint-Denis, tourner la rue Mauconseil, s’élancer sur le passage du Grand-Cerf, tirer sur les fenêtre gabiounées de pots de fleurs, tout cela à la lueur des réverbères, à défaut du soleil d’Austerliiz ! Voyez cette cavalerie victorieuse qui court à plein galop. Garel Laissez passer la victoire I Gare aussi pour ces civières chargées de blessés qu’on porte à l’Hôtel-Dieu I Ce sont aussi des trophées, et le bulletin de la grande bataille est affiché à la Morgue ! » Quel journaliste eût osé en écrire autant en décembre 18j1î Do 1827 à 1848, M. Saint-Marc Girardin s’est un pou éloigné de son point de départ libéral pour y revenir, à peu de chose près, sous le^second Empire ot s’en écarter dès qu’il approche du pouvoir en 1870. Il avoue volontiers ses chan-