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les reproche. (J.-J. Rouss.) Le touvenir de' soins rendus à ceux qu’on aime est la seule consolation gui nous reste quand nous les avons perdus. (Dumoustier.)

Messieurs, laissez-moi seul, et trêve de vos soins.

Reonàrd. Garde pour tes pareils

Ton. amitié, tes soins, ta honte et tes conseils.

Corneille.

— Inquiétude, peine d’esprit, souci, préoccupation : L’ambition cause bien des soins. Chrétiens, un autre soin me travaille. (Boss.) Chacun a ses soins dans le monde. (Mol.)

De quel soin votre amour va-t-il s’importuner ?

RACrNE. Je ne sais pas prévoir les malheurs de si loin, Seigneur ; trop de prudence entraîne trop de soin,

Racine, Sans soin du lendemain, sans regret de la veille, L’enfant joua et s’endort, pour jouer se réveille.

Delille.

Petits soins, Attentions galantes, délicates, empressées : En être aux petits soins avec Quelqu’un. Laborieux, docile, aimant, mon fils sera aux petits soins pour sa femme. (Scribe.)

Prendre soin de Avoir soin de, Veiller sur, chercher à assurer le succès de : Il ne prend pas assez de soin de sa santé. Il &. pris soin sis mes affaires pendant mon absence. Il PREND soin, il À SOIN de ma fortune comme moi-même. (Acad.) Disons que M. de Lamoignon sortait d’une famille où les pères ont plus de soin du salut de leurs héritiers que de l’accroissement de leurs héritages. (Fléch.) L’homme prend soin des affaires du dehors, la femme de celles du dedans (B. de St-P.) il Veiller aux intérêts, aux besoins de : Prendre soin D’un orphelin. Le rossignol est capable, à la longue, de s’attacher à la personne qui a soin de lui. (Buff.)

Rendre des soins, Faire sa cour :

Qui ne rend point de soins n’est guères amoureux.

Voltaire.

— Loc. fam. Avoir soin de ses fièvres, Se bien nourrir,

— Substantiv. San» soin, Personne qui n’est pas soigneuse : Vous êtes un sans soin. Se dit a quelqu’un qui n’a soin de rien, qui est négligent : Quelle grande sans soin que cette tille- là t

— Syn. Soin, attention, exactitude, etc. V. ATTENTION.

— Soi», sollicitude, souci. Soin se rapporte toujours aux actions faites ou à faire ; c’est la préoccupation de celui qui se demande comment il doit agir, ou l’attention qu’on met à faire quelque chose. La sollicitude et le souci se rapportent à l’état intérieur de l’âme. Avoir de la sollicitude, c’est penser souvent à un objet, l’aimer au point de vouloir lui épargner tout ce qui lui serait nuisible ; avoir du souci, c’est être inquiet, chagrin, éprouver des embarras ou des craintes. Dieu prend soin des hommes par sa providence ; il a pour eux de la sollicitude, mais sa perfection suprême le met au-dessus des soucis.

SOIR s. m. (soir — latin sérum. Pictet croit que ce mot remonte à l’époque de l’unité aryenne ; il appartiendrait, selon ce savant, à la même racine que le sanscrit sêtya, soir, auquel répond exactement l’irlandais sia. L’adjectif sanscrit sera, qui lie, conduit au latin sérum, soir, serus, tardif, ainsi qu’à l’os-Sète ser ou isar, izar, et au kymrique hwyr, soir, équivalant à hér, de ser. L’irlandais siar, soir et ouest, répond exactement au kymrique htoyr, le t’a équivalant dans la règle a wy et ê. Cependant, il s’élève un doute sur la connexion réelle de ces deux termes, a cause de iar, ouest. Ce iar, en effet, est contracté de ioar, le sanscrit avara, occidental, et se retrouve comme nom du soir dans le persan twar, aywar et le kourde evar, ce qui nous éloigne complètement du latin sérum et de la racine sanscrite si. D’un autre côté, le sanscrit sâya, soir, proprement fin, terme, pourrait se rapporter à la racine sanscrite sô, sd, achever, terminer, causatif sâyay, avasâ, finir, avasita, fini, et il serait assez difficile de rattacher le latin sérum à cette dernière famille de mots). Partie du jour qui précède de peu le coucher du soleil et se prolonge jusqu’à minuit : Travailler du matin au soir. Sortir sur le soir. Chercher la fraîcheur du soir. Rentrer à quatre heures du soir. Attendre quelqu’un jusqu’à onze heures du soir. J’irai chez vous un de ces soirs. Si tu as fait la journée avant le soir. repose-toi le reste du jour, tu le peux. (J.-J. Rouss.) Que le repos du soir soit un commerce d’âmes et d’esprits. (Gratry,)

Le matin on s’ennuie et l’on bâille le soir.

C. D’iiARI.EVILLE.

Le soir ramène le silence.

Lamartine. Au lieu de quatre amis qu’on attendait le soir. Quelquefois de fâcheux arrivent trois volées.

Boileau.

Pour moi, qui n’ai point pris racine sur la terre, Je m’en vais sans effort, comme l’herbe légère Qu’enlève le souffle du soir.

Laiuhtihe. Cette vie est trop bornée Pour y fonder notre espoir ;

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C’est une courte journée Dont le matin touche au soir.

Masson.

— Dernière partie d’une période de temps : Le soir de la vie apporte avec soi sa lampe. (J. Joubert.)

Toujours le soir d’un siècle à l’autre sert d’aurore.

A. de Musset. Ainsi l’illusion, de doux songes suivie, Jette un rayon mourant sur le soir de la vie.

ClIÉNEDOLI.É.

Dans le cœur d’une mère, oh ! oui, la vie est double : Elle voit l’avenir, plein de jours et d’espoir, Du front de ses enfants rayonner sur son soir,

Lamartine.

— Poétiq. Occident :

Qu’un vent vienne à souffler du soir ou de l’aurore.

Lamartine.

Ce soir, Dans la soirée où nous sommes : Qu’il fait beau ce soir ! D’où 'vient ma belle humeur ce soir ? c’est parce que j’attrape la fin du jour : c’est autant de fait. (Mn>e de Staël.) Il Dans la soirée du jour où nous sommes : Nous vous attendons ce soir. Je compte voir ce soir les articles signés.

Gresset.

À ce soir, Nous nous reverrons dans la soirée du jour où nous sommes : Je vous quitte ; ace soir.

Demain au soir ou Demain soir, Hier au soir ou Hier soir, Demain, hier dans la soirée : Je l’ai vu hier au soir. Il viendra demain soir.

Du soir au matin, Du matin au soir, En très-peu de temps :

Combien de gens a-t-on vus Qui du soir au matin sont pauvres devenus Pour vouloir trop tôt être riches !

La Fontaine.

— AllUS. littér. Rien ne (rouble sa fin : c’est

le soir d’un beau jour, Vers de La Fontaine.

V. FIN.

Soir (le), journal politique quotidien, fondé en 1870. M. Pessard devint le rédacteur en chef de cette feuille, qui fit à l’Empire une opposition modérée. Un de ses rédacteurs, M. Edmond About, y publia, au début do la guerre franco-allemande, des lettres qui eurent un vif succès. Après la révolution du 4 septembre, le Soir défendit le gouvernement de la Défense nationale, et, après la guerre, il soutint avec chaleur les idées politiques de M. Thiers et l’établissement d’une République conservatrice. iLe 1er octobre 1873, le Soir, acheté par le parti orléaniste, changea complètement de rédaction. MM. Hector Pessard, Étienne Junca, Guyot-Montpayroux, Louis Liéven, etc., se retirèrent. M. Ed. Villetard devint rédacteur en chef de la feuille transformée, dont le bulletin politique fut signé par M. Richard de Lavallée. Le Soir, qui, sous la direction de M. Pessard, avait eu un succès très-grand, ne tarda pas à péricliter. Il a défendu en toute circonstance, mais sans attirer sur lui l’attention publique, la politique réactionnaire du gouvernement de combat, puis celle des ministères qui se sont succédé au pouvoir sous le septennat.

Soir (le), tableau de Gleyre. V. Illusions perdues.

SOIRÉE s. f. (soi-ré — rad. soir). Espace de temps compris entre le déclin du jour et le moment où l’on se couche : Une belle soirée. Une soirée d’été, de printemps. En hiver, les soirées sont longues. Passer la soirée au jeu, au spectacle. Il passe toutes ses SOIRÉES chez son voisin. (Aeau.)

— Assemblée de gens réunis pour causer, jouer, s’amuser : Il nous a donné une charmante soirée. Je l’ai invité à mes soirées. Il vient de commencer, de finir, de reprendre ses soirées. (Acad.)

Elle est forte... en calcul, tient sa caisse serrée,

Et fait des cornichons dont on parle en soirée !

Rolland et pu Boys.

Soirées de Saint-PéterBbourg (LES), ouvrage de controverse religieuse, sous forme de dialogues, par le comte Joseph de Maistre (1821, 2 vol. in-8°). Le gouvernement temporel de la Providence et l’idée de la justice divine telle qu’elle se manifeste à l’homme font le sujet de cet ouvrage ; mais à ce thème principal l’auteur a rattaché diverses questions touchant le mal physique et le mal moral, le péché originel, la culpabilité de l’homme, la souffrance qui en est l’expiation nécessaire, l’influence de la vertu sur le bonheur, etc. La contexture du livre est faible, le sujet monotone ; deux interlocuteurs sans physionomie, un sénateur russe et un émigré français, ne dissertent, dans ces onze Soirées passées sur les bords de la Neva, que pour donner à un troisième, le comte de Maistre en personne, l’occasion d’intervenir avec ses doctrines paradoxales. Des phrases à effet, vides au fond ; des morceaux brillants, tels que l’apologie de la guerre et l’apologie du bourreau ; des idées plus ingénieuses que solides, mais revêtues d’une forme originale, ont fait le succès de ce livre, que les catholiques conservent précieusement comme une arme de guerre contre la libre pensée.

Le fond de la doctrine du comte de Maistre, c’est que l’homme, originairement perverti parla faute d’Adam, est un être mé-

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chant que la Providence se plaît à tourmenter pour lui faire expier son crime héréditaire. Il faut que les gouvernants s’occupent surtout de lui serrer la bride, tant ses instincts sont pervers. La souffrance est nécessaire ; nous sommes voués à l’expiation à perpétuité d’un crime que nous n’avons pas commis. C’est la = doctrine de la réversibilité, • par laquelle, un homme n’ayant jamais la vie assez longue pour purger la condamnation qui le frappe, il est juste que ses descendants subissent sa peine jusqu’à la fin des siècles.

L’homme "étant voué à la souffrance, la vie est une sorte de loterie ou chacun tire en aveugle un billet blanc ou noir, le bonheur ou le malheur. De même que sur un champ de bataille les balles ne choisissent pas, ainsi dans la vie les meilleurs peuvent être les plus accablés par l’adversité. On ne souffre pas parce qu’on est bon ou méchant, on souffre parce qu’on est homme. ■ Un homme de bien est tué à la guerre ; est-ce une injustice ? Non, c’est un malheur. S’il a la goutte ou la gravelle, si son ami le trahit, s’il est écrasé par la chute d’un édifice, c’est encore un malheur. > Dieu n’est pas un serviteur dont on puisse réclamer l’assistance dès qu’un inconvénient naturel se présente. D’ailleurs, la peine est une chose salutaire, une expiation qui sauve. De Maistre cite les lois de Manou pour le prouver : • Brahma, au commencement des temps, créa pour l’usage des rois ie génie des peines... Le châtiment est un gouverneur actif ; il est le véritable administrateur des affaires publiques ; il est le dispensateur des lois, et les hommes sages l’appellent le répondant des quatre ordres de l’État pour l’exact accomplissement de leurs devoirs. Le châtiment gouverne l’humanité entière ; le châtiment la préserve ; le châtiment veille pendant que les gardes humaines dorment. Le sage considère le châtiment comme la perfection de la justice. » On objecte à de Maistre que Je châtiment se trompe souvent d’adresse et on cite l’exemple de Calas.

Le comte de Maistre conteste que cela soit fréquent, et d’ailleurs, pour lui, le châtiment, même immérité, est une bonne chose. Tandis que le bon sens indique, dit Villemain, qu’il vaut mieux sauver dix coupables que de faire périr un innocent, l’auteur des Soirées de Saint-Pétersbourg raisonne autrement. Il croit tellement à l’infaillibilité des condamnations, qu’elles lui semblent justes dans leur iniquité même. En cas d’incertitude, une condamnation lui parait le meilleur et le plus court. Je cite, pour me justifier : • Qu’un innocent périsse, c’est un malheur comme

> un autre, c’est-à-dire commun à tous les

> hommes. Il est possible qu’un homme enb voyé au supplice pour Un crime qu’il n’a pas commis l’ait réellement mérité pour un ■ autre crime absolument inconnu. Heureusèment et malheureusement, il y a plusieurs exemples de ce genre prouvés par l’aveu des coupables, et il y en a, je crois, un plus grand nombre que nous ignorons. >

Quant au mal physique, il le voit dans la société toujours proportionné au mal moral, au vice. « Seriez-vous, par hasard, étonné de cette innombrable quantité de maladies ? dit Sénèque ; comptez les cuisiniers, coquos numéral » Et il fait ensuite un tableau effrayant de la corruption romaine. Ainsi fait le comte de Maistre, établissant que, dans une société de justes, la mort n’apparaîtrait que comme l’inévitable terme d’une vieillesse saine et robuste. Mais les maladies, une fois établies, se propagent, se croisent, s’amalgament par une affinité funeste, en sorte que nous pouvons porter aujourd’hui la peine physique d’un excès commis il y a plus d’un siècle. Il y a des maux comme il y a des crimes actuels et originels, accidentels et habituels, mortels et véniels. Il y a des maladies de colère, de gourmandise, d’incontinence, etc. Il rappelle ensuite que Bacon, quoique ennemi des saints, n’a pu s’empècuer de remarquer combien les moines et les solitaires de la primitive Église avaient joui d’une longue vie, fruit naturel de leur frugalité. Mais peut-être les légendaires ne leur ont-ils attribué une telle longévité que pour nous persuader de leur sainteté.

La doctrine du péché originel conduit l’auteur à une conclusion singulière ; pour lui, les sauvages ne sont pas des peuples enfants, ce sont des peuples vieillis et ruinés par excès de civilisation ; leurs langues informes ne sont pas des bégayements, ce sont les restes de langues primitives admirables qu’ils ont oubliées. Il y aurait, suivant lui, une maladie originelle comme il y a eu un péché originel, et cette déchéance aurait correspondu à un développement exclusif de l’intelligence et des intérêts matériels ; il serait le résultat d’une civilisation excessive, qui aurait fait dégénérer définitivement le genre humain. Voilà à quelles absurdités mène l’amour du paradoxe.

Mais le comte de Maistre ne s’embarrasse pas de choquer l’opinion reçue, à Ce qu’on croit vrai, il faut le dire et le dire hardiment ; je voudrais, m’en coutât-t-il grand’chose, découvrir une vérité faite pour choquer tout le genre humain : je la lui dirais à brûle-pourpoint... Je vous avoue que, pour mon compte, je vois quelque chose encore de bien plus déraisonnable que ce qui vous paraît à vous l’excès de la déraison : c’est l’inconcevable folie qui ose fonder des argu SOIR

monts contre la Providence sur les malheurs de l’innocence, qui n’existe pas. Où est donc l’innocence, je vous en prie ? Où est le juste ? Est-il ici, autour de cette table ?... Souvent je songe à cet endroit de la Bible où il est. dit : • Je visiterai Jérusalem avec des lampes. ■ Ayons nous-mêmes le courage de visiter nos cœurs avec des lampes ; nous y découvrirons que nous n’avons ni foi ni loi. Un paysan, dont la tille a été déshonorée par un grand seigneur, dit à ce brillant corrupteur : ■ Vous êtes bien heureux, monsieur, > de ne pas aimer t’or autant que les femmes : vous auriez été un Cartouche. » Que faisons-nous communément pendant toute notre vie ? Ce qui nous plaît. Si nous daignons nous abstenir de voler et de tuer, c’est que nous n’en avons nullement envie ; cela ne se fait pas :

Sed si

Gandida vicini sutyisit molle puella.

Cor (ibi rite salit ?...

« Mais si la blanche fille du voisin t’adresse b un sourire voluptueux, ton cœur continuea t-il à battre sagement ? » (Perse.)

Puisque l’homme est si mauvais, si pervers, qu’il n’y a pas un juste, que le châtiment est la seule loi puissante, le bourreau, qui est le ministre du châtiment, sera la a pierre angulaire » de cette société décrépite ; la guerre, qui fait disparaître des milliers d’hommes, c’est-à-dire de coupables, sera un bienfait. L’auteur est logique jusqu’au bout.

Eu résumé, malgré toutes ses brillantes digressions, les Soirées de Saint-Pétersbourg ne roulent que sur ce thème : nécessité delà souffrance, expiation du péché originel.

« Comment se peut-il, dit Villemain, que ce système, dont la première partie est un lieu commun de la philosophie et du bon sens humain et dont la seconde n’offre qu’une déduction théologique, ait suscité tant de plaintes et d’objections ? La cause en est dans les détails et je dirai presque dans les épisodes de l’ouvrage ; car enfin, dans le plan qui vient d’être rappelé, il n’était pas nécessaire de placer un éloge du bourreau, et non-seulement du bourreau qui exécute avec le glaive, mais du bourreau qui roue, qui torture avec un exécrable détail de barbarie, que l’imagination véhémente de l’auteur s’est plu à reproduire et à exagérer... C’est un amour de la justice qui a quelque chose de systématiquement cruel. ■

Le style même des Soirées de Saint-Pétersbourg n’est pas à l’abri des reproches ; mais il a dans sa tournure paradoxale, dans l’inattendu et l’originalité de l’expression quelque chose de séduisant ; on se plaît à y reconnaître du nerf, de la hardiesse et, dans les récits, un véritable sentiment du pittoresque, La belle description d’une promenade sur la Neva, par une nuit d’été, qui sert de prologue au livre, est du frère de l’auteur, Xavier de Maistre, l’auteur du Voyage autour de ma chambre.

Soirées de Walter Scott à Paria (LES), recueillies par le bibliophile Jacob (Paris, 1829). Le titre est de pure fantaisie ; Walter Scott n’a rien de commun avec les esquisses historiques qui composent ce volume et qui obtinrent un véritable succès à leur apparition. La première de ces esquisses nous peint la position des juifs à la fin du xrv» siècle. Une autre, intitulée le Page, est une galanterie de 1141. On était bien imprudent et bien effronté dans ce temps-là I Agnès Sorel aime un des pages du roi et le rend heureux. Celui-ci accompagne son maître à la guerre et souhaite bientôt revoir sa dame. Couvert d’un manteau, il eût pu passer les murs de Paris et, dans le mystère, prendre du bon temps ; mais point. Il s’habille en Pucelle d’Orléans, prétend être Jeanne Darc sauvée des mains des Anglais, et c’est grâce à cette mascarade qu’il revient dans les bras d’Agnès. Le Jour des Innocents est un conte gaillard où cette Jeanne de France, si pure suivant le romancier, joue un rôle un peu... vif. Il est vrai que l’auteur l’a réhabilitée quant aux agréments extérieurs et qu’il y a dès lors compensation. Dans l’esquisse suivante, on voit un beau chevalier causant à une dame dont il baise la joue, tandis que, d’une bouche souriante, elle lui demande un plaisir. Or, voici quel est ce plaisir : dans une place, on brûle des hérétiques, et son amant murmure des vers à son oreille attentive pendant que ses yeux dévorent au loin le spectacle qui leur est offert. Cette daine est Anne de Pisseleu ; ce chevalier, François 1er ; cette place, l’Estrapade ; ces hérétiques, les protestants. Cette esquisse est traitée avec esprit. La neuvième historiette est la plus distinguée ; c’est le récit du séjour de Rabelais à Rome. L’auteur a pris le style du curé de Meudon ; il sait son Rabelais par cœur, il parle son langage et s’anime de cette verve éteinte depuis trois siècles. L’imitation du style rabelaisien est parfaite et fait de ces quelques pages une étude littéraire des plus remarquables. Les derniers chapitres sont consacrés à Marot, à Calvin, à la cour de Charles IX et à celle de Henri III. Une autre esquisse qui a quelque chose de frappant, c’est la mort de Jean Goujon, que la carabine de Charles IX va chercher sur son échafaud et qui tombe avec son ciseau. Citons aussi comme pleins de