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veloppé bientôt après par Bolingbroke, puis chanté par Pope et, à la même époque, déduit rationnellement par Leibniz des attributs divins et du principe de la raison suffisante. Shaftesbury a exposé ses idées sur ce sujet dans un dialogue intitulé : les Moralistes, rapsodie philosophique (1709).

Dans ses dernières années, Shaftesbury s’occupa de réunir et de réviser ses divers écrits. Une première édition parut en 1711 sous le titre de : Characheristics of men, manners, opinions and times (les Hommes, les mœurs, les opinions et les époques) ; il en préparait une deuxième, plus complète et plus soignée, lorsqu’il mourut prématurément ; néanmoins, elle fut publiée l’année même de sa mort (1713). Ses Œuvres ont été réunies dans une traduction française complète (Genève, 1769, 3 vol. in-8o).


SHAFTESBURY (Anthony ASHLEY-COOPER, comte DE), homme politique et philanthrope anglais, né en 1801. Jusqu’à la mort de son père (1851), il fut connu sous le nom de lord Ashley. Il fit ses études à l’université d’Oxford, entra en 1826 a la Chambre des communes, comme représentant du bourg de Woodstock, et soutint le cabinet Liverpool et Canning, mais sans vouloir accepter aucune fonction publique. Sous Wellington cependant, il devint membre du Board of Control et, aux élections de 1831, l’emporta dans le comté de Dorset, après une lutte de quinze jours, sur lord Ponsonby, whig déclaré. Il fut nommé lord de l’amirauté pendant le court passage de Peel au ministère (1834-1835), et, après la mort de Sadler, se fit le défenseur du Bill des dix heures, qui avait pour objet de réduire la journée de travail des enfants employés dans les ateliers. L’acceptation de ce bill par le Parlement devint dès lors le but constant de ses efforts, et, comme Peel s’y était montré opposé, lord Ashley refusa d’accepter aucun emploi lors du retour de cet homme d’État au pouvoir en 1841. La persévérance qu’il mit à soutenir ce bill au sein du Parlement irrita à l’extrême contre lui les propriétaires de fabriques, mais lui valut l’estime de tous les philanthropes et l’attachement durable de la population ouvrière. En 1846, lord Ashley se décida à défendre la question du libre échange, mais il dut préalablement se retirer du Parlement ; car, bien qu’à l’époque de son élection il n’eût pris aucun engagement au sujet du maintien du système protectionniste, il se trouvait en désaccord avec la plupart de ses commettants. L’année suivante, il se porta comme candidat à Bath contre Roebuck et fut élu grâce à l’appui des sociétés religieuses. Depuis 1851, époque où il prit le titre de comte de Shaftesbury et entra à la Chambre haute, il est devenu le défenseur des intérêts du protestantisme, et l’on a retenu de lui deux discours remarquables, l’un à propos des persécutions religieuses en Toscane et l’autre, en 1854, sur la situation des sectes chrétiennes en Turquie. Complètement indépendant dans la vie publique, il a constamment tourné ses efforts vers l’amélioration des classes inférieures. C’est lui qui a provoqué la création de cités ouvrières et d’écoles à haillons (Rugged Schools) pour les enfants pauvres ; on lui doit aussi de nombreuses réformes opérées dans la police sanitaire. Il jouit d’une influence sans égale sur le parti évangélique de l’Église anglaise et le puseyisme n’a pas d’adversaire plus déclaré que lui. Cependant, comme il n’a en vue que le progrès de l’idée chrétienne, il s’associe volontiers, dans un but philanthropique et religieux, à des hommes d’une autre croyance religieuse que la sienne ; c’est ainsi qu’il est devenu président de l’Alliance protestante, de la Société des Bibles, de la Société pour la conversion des juifs, etc., dont les membres appartiennent à des confessions protestantes dissidentes. Quoique sa motion au sujet du travail des enfants rencontrât beaucoup d’opposition, il ne renonçait point à son projet, et, à chaque session, il présentait de nouveau le bill des dix heures, qui était en quelque sorte devenu son Delenda Carthago. On ne connaît de lui d’autres écrits que quelques articles, excellents du reste, sur des questions sociales et industrielles, qui ont été insérés dans la Quarterly Review. De son mariage avec la fille du comte Cooper, il a eu huit enfants, dont l’aîné est Antoine, baron ashley.



SHAFTESBURY (Antoine, baron ASHLEY), marin et homme politique anglais, fils aîné du précédent, né en 1831. Entré dans la marine en 1848, il prit part à la guerre d’Orient. Après la conclusion de la paix, il fut attaché à l’ambassade de lord Granville en Russie, puis, en 1857, il fut élu représentant du bourg de Hull à la Chambre des communes, où il a été réélu depuis par le bourg de Cricklade. Comme son père, il appartient au parti tory.



SHAH-NAWAZ-KHAN-SAMSAM-AL-DOW-LAK, ministre mongol, dont le premier nom était Abd-al-Raz-Zuk, né à Lahore en 1700, mort en 1785. Il était un des personnages importants de la cour d’Asof-Jah. Soupçonné d’avoir été complice de la conspiration de Nizam-al-Dowlak-Nazir-Jeng, fils du roi, Samsam fut, quoique innocent, disgracié pendant cinq ans. En 1747, il fut nommé dewan de Biran et, sous Nizam-al-Dowlak, successeur de Dowlak-Nazir-Jeng, dewan du Decan. Après la fin malheureuse de ce dernier prince, Samsam fut appelé au commandement d’Hyderabad. Après une courte disgrâce, qu’il dut, dit-on, à l’influence de M. de Bussy, il rentra en faveur auprès d’Amir-al-Memalek, dont il devint le ministre et s’attacha surtout à combattre la puissance française dans l’Inde. Destitué après la mort d’Amir-al-Memalek, Samsam revint au pouvoir sous Nizam-al-Dowlak II, mais il tomba entre les mains des partisans de la France et fut emprisonné, puis massacré avec le plus jeune de ses fils.


SHAKER s. m. (chè-keur — mot angl. qui signif. secoueur). Hist. relig. Membre d’une secte américaine.

Encycl. V. TREMBLEUR.



SHAKERLEY (Jérémie), astronome anglais. Il vivait au XVIIe siècle. Ayant calculé que le passage de Mercure sur le disque du soleil, en 1651, ne serait visible qu’en Asie, il fit exprès le voyage pour en être témoin et l’observa en effet à Surate le 3 novembre. Il mourut aux Indes, sans avoir revu l’Angleterre.


SHAKESPEAR (John), orientaliste anglais, né à Sount (Leicestershire) en 1774, mort en 1858. Mis, par la générosité d’un riche protestant, à même d’acquérir une vaste instruction, Shakespear s’attacha spécialement à l’étude des langues orientales et notamment des idiomes des pays soumis à la domination anglaise. En 1806, il fut nommé professeur d’indoustani au collège royal militaire, puis à l’établissement fondé pour l’éducation des officiers destinés à servir dans l’Inde. Ses principaux ouvrages sont : Grammaire indoustani (Londres, 1813, in-4o) ; Dictionnaire indoustani et anglais (Londres, 1817) ; Muntakhabat-i-Hindi (1817, 2 vol. in-4o) ; Introduction à la langue indoustani (Londres, 1845, in-8o).


SHAKESPEARE, le plus illustre auteur dramatique de l’Angleterre. V. Shakspeare.


SHAKO s. m. (cha-ko — mot hongrois). Sorte de coiffure militaire dont la forme a varié, mais qui a toujours une visière et est faite d’un matière rigide.

Encycl. Cette coiffure fut importée en France par les Hongrois qui servirent notre pays sous le nom de hussards. Le caprice de la mode l’a donnée à la plus grande partie des troupes sans qu’on en ait constaté l’utilité. La toque tartare (shako) avait été imposée aux Albanais et aux Illyriens comme un signe de vassalité ; adoptée par les Hongrois émigrant dans toute l’Europe, elle devint la coiffure militaire par excellence et détrôna totalement le tricorne. Le shako, primitivement à flamme ou à queue, était un cylindre de 10 à 12 pouces de hauteur ; ce qu’on appelait la flamme était une queue prolongée et voltigeante dont on modifia la forme de diverses manières ; en dernier lieu, cette flamme était une longue bande de feutre noir, doublée de serge d’une couleur tranchante ; elle allait se rétrécissant, se terminait presque en pointe et était assujettie par sa partie la plus large au bas du shako, autour duquel ou pouvait l’enrouler. Les shakos à flamme furent abandonnés avant le Consulat pour le shako simple. La couleur de celui-ci a varié à l’infini, ainsi que sa forme. Il y en a eu de noirs, de rouges, de bleus. On en a vu en cône tronqué, en cône renversé, en cylindre, à couvre-nuque, à mentonnière, avec ou sans gourmette, avec ou sans plaque, à cordon natté ou à chevron, en cuir, en feutre, en carton, en coton, en drap, en toile imperméable, à culotte, avec ou sans visière, à cocarde, à bourdalou, à pompon, à plumet sur le devant ou sur la gauche, etc.

L’introduction du shako dans l’infanterie date de 1792. L’école de Mars prit la première cette coiffure à l’instar de quelques compagnies franches qui spontanément s’en étaient accoutrées ; une grande partie de l’infanterie imita cet exemple. En 1804, les grenadiers réunis à Arras reçurent cette coiffure. Ce fut le signal de l’abolition de la chevelure poudrée et des chapeaux. Le décret de 1806 (25 février) donna le shako à toute l’infanterie, excepté celle de la garde. On en avait élargi la calotte, on l’avait creusé en forme de coupe, comme pour en faire un réservoir en cas de pluie ; c’est le shako grotesque des vieux grognards de Charlet ; il ne sert plus aujourd’hui que comme déguisement du carnaval. Depuis 1830, le haut des shakos a graduellement perdu de sa largeur et l’on en est arrivé aux shakos modernes, coiffure simple, légère et peu coûteuse.


SHAKSPEARE (William), illustre poète dramatique anglais, né à Stratford-sur-Avon (comté de Warwick) le 23 avril 1564, mort dans la même ville le 23 avril 1616. Ce n’est peut-être que pour faire concorder exactement le jour de sa mort avec celui de sa naissance qu’on l’a fait naître le 23 avril ; Shakspeare a été baptisé le 26 avril 1564 et, par conséquent, il a pu naître aussi bien la veille de ce jour que l’avant-veille. Les controverses concernant sa vie et ses œuvres commencent même à son nom, qui s’est écrit non-seulement Shakspeare, mais Shakspere, Shakespeare, Shakespere, Shakespeare, Shaxper et même Chacsper. Dans son acte de baptême, il est inscrit sous le nom de Gulielmus, filius Johannis Shakspere ; les éditions de ses poésies, imprimées de son vivant, ainsi que la première édition de son théâtre, portent Shakespeare, mais lui-même signait d’ordinaire Shakspere.

Les consciencieuses recherches opérées par François-Victor Hugo pour la notice dont il a fait précéder sa belle traduction française de Shakspeare ont mis à néant toutes les fables qui jusqu’à présent avaient défrayé les biographies du grand poète. Ainsi, d’après la plupart des anciens auteurs, Shakspeare était le fils d’un ancien boucher, ou d’un tanneur, ou d’un marchand de laine ; dans sa jeunesse, il égorgeait les veaux en grande pompe, cherchant à rappeler les anciens rites de l’immolation des victimes ; c’est à peine s’il reçut quelques bribes d’instruction ; livré au vagabondage, poursuivi comme braconnier et menacé d’être pendu, il s’enfuit à Londres sans ressource, fut réduit à garder les chevaux à la porte des théâtres pour gagner son pain, puis se fit acteur, commença par arranger de vieilles pièces du répertoire, sentit alors son génie s’éveiller, en composa de nouvelles qui eurent un grand succès, mais n’en mourut pas moins dans la misère, comme tous les poètes. Il ne reste rien de tout cela. John Shakspeare, son père, était un des propriétaires les plus aisés de Stratford ; des actes authentiques établissent qu’il y possédait quatre petits domaines, dont deux lui venaient de sa femme, Mary Arden, et qu’il en tenait un cinquième à ferme. Il fut élu alderman en 1665, un an après la naissance de William, bailli, c’est-à-dire premier magistrat de la ville, en 1668, et reçut, étant en charge, des lettres de noblesse. Comme il faisait lui-même valoir ses terres, il n’est pas étonnant qu’il ait abattu ses bestiaux, coupé ses bois, vendu ses laines ou même préparé ses peaux avant de les vendre ; la division du travail n’existait pas à cette époque et ces opérations constituaient l’exploitation des biens ruraux. C’est ce qui explique comment on a fait de Shakspeare le fils d’un boucher, d’un tanneur, d’un marchand de bois ou d’un marchand de laine ; son père, en effet, était tout cela à la fois. Il n’y a non plus aucune raison de croire que son éducation fut absolument négligée, en dehors même de ses œuvres qui montrent en lui un des esprits les plus cultivés de son temps. Stratford possédait une école, dotée spécialement par Henri VI et par Édouard VI, où l’on enseignait le grec et le latin ; le fils du bailli a dû certainement en profiter. Plus tard, à Londres, il apprit le français, l’italien et l’espagnol.

Quelle que fût la fortune de son père, soit que celui-ci eût subi quelques revers, soit qu’il eût des charges de famille trop lourdes, car il eut neuf autres enfants, dont cinq au moins atteignirent l’âge adulte ; soit que le poète eût peu de goût pour l’agriculture, il est certain que, vers l’âge de dix-sept ou dix-huit ans, il chercha à gagner sa vie. Malone, un de ses anciens biographes, dit qu’il se fit maître d’école, puis clerc de procureur. À dix-huit ans, il se maria avec la fille d’un propriétaire de Shottery, hameau voisin de Stratford, nommée Anne Hattraway et plus âgée que lui d’environ huit ans. Il en eut une fille, Suzanne, née cinq mois après la célébration du mariage, le 26 mai 1583, et, l’année suivante, deux jumeaux, un fils et une fille ; la fille seule, nommée Judith, survécut. Ce mariage ne fut peut-être pas très-heureux ; une imprécation que Shakspeare place dans la bouche d’un personnage de sa Douzième nuit, à l’adresse des hommes qui sont assez sots pour épouser une femme plus vieille qu’eux, montre qu’il n’avait pas gardé de la sienne un souvenir favorable. Quoi qu’il en soit, en 1585 il s’enfuit de Stratford, laissant là femme et enfants, gagna Londres et s’attacha à la fortune d’une troupe d’acteurs qui exploitait le théâtre de Blackfriars. Dans cette troupe étaient au moins trois de ses compatriotes : James Burbadge, Thomas Greene et Nicholas Tooley, ce qui probablement décida son choix. Qu’il ait été réduit à garder les chevaux à la porte avant d’entrer dans la troupe en qualité d’acteur et d’auteur, c’est assez invraisemblable. D’ailleurs, trois ans après, il était propriétaire d’une partie du théâtre, et, quoiqu’on ne sache pas précisément ce qu’il a fait durant ces trois années, il est supposable qu’il acquit cette part de propriété en rendant à la troupe de signalés services, soit comme acteur, soit surtout en retouchant les vieilles pièces du répertoire auxquelles son génie inventif parvenait à donner une vogue nouvelle. De ce nombre sont quelques-unes des meilleures pièces de Shakspeare, que l’on considère généralement comme lui appartenant en propre, puisqu’on les range dans son théâtre authentique : les trois parties de Henri VI, la Méchante apprivoisée, les Méprises, Roméo et Juliette, et qui ne sont que des remaniements de pièces jouées antérieurement au théâtre de Blackfriars. À plus forte raison en est-il de même des tragédies recueillies dans son théâtre apocryphe, qui ne laisse pas d’être considérable : Périclès, Titus Andronicus, Sir John Oldcastle, Une tragédie dans le Yorkshire, Locrine, Lord Thomas Cromwell, The Merry devil of Edmonton, The Accusation of Paris, The Birth of Merlin, Edward the third, The fair Emma Mucedorus, Arden of Feversham, les Deux nobles parents, le Prodigue de Londres, la Puritaine. Toutes ont été publiées du vivant de Shakspeare et portent son nom ou ses initiales, mais il n’est donné que comme l’éditeur et le correcteur, ainsi qu’on peut le voir dans le titre complet de Locrine : la Lamentable tragédie de Locrine, le fils aîné du roi Brutus, racontant les guerres des Bretons et des Huns, avec la déconfiture de ceux-ci ; la victoire des Bretons avec leurs aventures et la mort d’Albanach, non moins agréable que profitable, nouvellement éditée, révisée et corrigés par W. S. Ces compositions informes, que traversent des éclairs de génie, dus probablement à Shakspeare, trahissent l’état d’enfance du théâtre anglais à l’apparition du grand poète et le goût des émotions fortes auquel il fut obligé de satisfaire pour contenter son public. Les sanglantes horreurs que les critiques français du XVIIIe siècle réprouvaient même dans les drames de sa maturité, dans ses chefs-d’œuvre, ne sont que des enfantillages auprès de celles qui s’étalent dans Titus Andronicus : ce ne sont durant cinq actes que têtes et mains coupées, langues arrachées, yeux crevés, fils poignardé par son père, enfants mis en pâté et donnés en repas à leur mère, le tout couronné par le massacre général de ce qui avait échappé aux boucheries partielles. Suivant certains critiques, cette monstrueuse composition était l’effort primitif et nécessaire d’un génie qui se cherchait, l’ébauche indispensable des chefs-d’œuvre accomplis plus tard. Un Allemand, Ulrici, dit en propres termes que Titus est l’aberration inévitable d’un esprit sublime et, suivant lui, les commentateurs anglais ont montré l’étroitesse de leurs vues en éliminant du théâtre de Shakspeare une œuvre qui en est « l’assise naturelle. »

De ces pièces apocryphes, une au moins, la Tragédie dans le Yorkshire, n’est pas un remaniement ; elle met en scène un événement contemporain, et sa date (1605) montre que Shakspeare était alors dans toute sa maturité, qu’on n’a pas affaire à une ébauche de jeunesse. Si la plupart des éditeurs l’ont rejetée, c’est que la hâte avec laquelle elle fut écrite, répétée et représentée indique suffisamment que Shakspeare, qui pourtant permit qu’on l’imprimât sous son nom, dut se faire beaucoup aider. On a classé, au contraire, dans son théâtre des drames qu’il ne fit qu’arranger, comme Henri VI, les Méprises, la Méchante apprivoisée, parce qu’il a réellement transformé les vieux canevas dont il s’est servi et que, s’il fallait lui enlever toutes celles pour lesquelles il a fait à d’autres des emprunts considérables, on lui enlèverait les plus beaux fleurons de sa couronne : Roméo et Juliette, Macbeth, le Roi Lear, etc. Malone a prouvé, les vieux originaux en main, que pour les trois parties de Henri VI, la part propre de Shakspeare était d’environ un tiers ; mais si ce tiers a donné de la liaison et de la logique à des scènes qui n’en avaient pas, l’œuvre appartient au moins autant à Shakspeare qu’à ses devanciers. « Shakspeare, dit Emerson, empruntait de tout côté et se servait habilement de tout ce qu’il trouvait. La somme de ses emprunts peut se déduire des laborieux calculs de Malone sur les parties Ire, IIe et IIIe de Henri VI. Shakspeare savait que la tradition fournit des fables supérieures à celles de l’invention. S’il y perdait le mérite de la conception, du dessin, il augmentait par contre ses ressources, et à cette époque l’originalité n’était pas réclamée aussi vivement et aussi impérieusement que de nos jours. Un grand poète qui surgit en des temps illettrés absorbe dans sa sphère toute la lumière environnante ; il a pour mission de présenter au peuple tout joyau de l’intelligence, toute fleur de sentiment et il en arrive à estimer sa mémoire à l’égal de son imagination. »

La plus grande incertitude règne sur la date des premières productions de Shakspeare. On ne croit pas qu’il ait rien écrit avant 1587, date probable de la trilogie de Henri VI ; Titus Andronicus fut représenté en 1588 ou 1589 ; les Méprises, la Méchante apprivoisée, Périclès, drame imparfait, mais qui révèle déjà de hautes qualités, les Gentilshommes de Vérone et Peines d’Amour perdues, pièces romanesques imitées des romans de chevalerie, mais dont le fond et les principaux développements appartiennent bien à Shakspeare, suivirent de près ces premiers essais et remplissent, avec la plupart des pièces rangées dans son théâtre apocryphe, la période de 1589 à 1593, date de Roméo et Juliette. Il faut rapporter à ce même laps de temps, sinon à une période antérieure, deux poëmes, Vénus et Adonis et Lucrèce, imprimés l’un en 1593 et l’autre en 1594, et qui sont évidemment des œuvres de jeunesse ; tous deux sont dédiés à Henri Wriothesley, comte de Southampton, jeune et brillant seigneur, grand ami du poète, aimant passionnément le théâtre et pour qui Shakspeare paraît avoir éprouvé une vive affection. C’est aussi probablement pour lui et à la même époque que Shakspeare composa la plupart des sonnets recueillis et imprimés seulement en 1609 sous le titre de Shakespeare’s Sonnets, avec une dédicace énigmatique, qui a fortement intrigué les érudits. Ces sonnets ont de l’importance au point de vue biographique ; Shakspeare n’était encore un peu renommé que comme acteur, au moment où il les écrivait, et on le voit s’y plaindre avec