Page:Larousse - Grand dictionnaire universel du XIXe siècle - Tome 14, part. 1, S-Scip.djvu/87

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ambassade extraordinaire à la cour de Madrid (1721). Là encore il employa ce qu’il avait de sagacité à étudier la vie de la cour, les intrigues des principaux personnages, leur généalogie, et prépara un volumineux mémoire où il se proposait de prouver deux choses, à savoir que la plupart des grandes familles espagnoles sont entachées de bâtardise, et que la grandesse est depuis longtemps avilie. Cela ne l’empêcha pas de demander la grandesse pour lui-même et la Toison d’or pour son fils. De retour en France, son antipathie pour Dubois le fit s’éloigner encore du régent, avec lequel il ne se réconcilia qu’à la mort de son premier ministre ; mais le régent suivit de près Dubois, et, lorsque le pouvoir tomba entre les mains du duc de Bourbon, Saint-Simon cessa de paraître à la cour. Retiré tantôt dans son château de La Ferté-Vidame, tantôt dans son hôtel de la rue de Grenelle-Saint-Germain, il occupa les dix dernières années de sa vie à mettre en ordre ses Mémoires, à leur donner une rédaction définitive en se servant des liasses de notes qu’il n’avait cessé de prendre toute sa vie et qu’il contrôlait à l’aide du manuscrit du Journal de Dangeau, auquel il faisait en marge des additions précieuses. Nous parlons plus loin de ces Mémoires, qui sont un des monuments les plus curieux de notre littérature. Si volumineux qu’ils soient {40 vol. in-12 dans l’édition Deloge, 1840-1841, et 20 vol. in-8o dans l’édition Hachette, 1856-1858), ils ne représentent qu’une très-minime partie des œuvres de cet infatigable écrivain. À sa mort, ses manuscrits, dont l’inventaire fut dressé par un commissaire du Châtelet, se composaient de 123 volumes dont 103 in-folio, 15 in-4o,5 in-8o, et de 162 portefeuilles dont 153 in-folio et 9 in-4o. Les Mémoires, seule partie de ces manuscrits qui ait été publiée, n’occupaient que 11 portefeuilles. Le tout, après avoir été l’occasion de chaudes disputes entre les héritiers, fut saisi comme papiers d’État et transféré aux archives du ministère des affaires étrangères. Le manuscrit des Mémoires fut seul communiqué ; Voltaire, Duclos et Marmontel en eurent connaissance ; Mme Du Deffant l’eut entre les mains en 1770 et en parla assez longuement à Walpole ; en 1788, il en fut fait des extraits tronqués et peu judicieux sous le titre de Mémoires sur le règne de Louis XIV (Marseille, 3 vol. in-8o), auxquels Soulavie ajouta un supplément et des pièces justificatives sans valeur (1791, 13 vol. in-8o). Ce n’est que sous la Restauration que le duc de Saint Simon, descendant du grand écrivain, obtint de Louis XVIII la restitution du manuscrit original et qu’on put en préparer les éditions complètes mentionnées plus haut. Quant aux autres manuscrits de Saint-Simon, non-seulement il n’en a rien été publié, mais jusqu’à présent il a même été impossible d’y faire des recherches. Ni M. Chéruel ni M. Mignet n’ont pu obtenir, après bien d’autres qui l’ont inutilement demandé, que le garde des archives se relâchât d’une consigne donnée il y a plus d’un siècle. En 1874, sur l’initiative de M. le duc Decazes, une commission a été nommée à l’effet d’examiner s’il n’y aurait pas lieu de lever cette consigne et d’autoriser, non le public, mais quelques érudits à puiser dans ce vaste dépôt qui recèle peut-être un trésor. On peut consulter sur les vicissitudes de ces manuscrits un ouvrage de M. Armand Baschet : le Duc de Saint-Simon, son cabinet et l’historique de ses manuscrits (1874, gr. in-8o).

Saint-Simon (MÉMOIRES DU DUC DE), Sur le règne de Louis XIV et la Régence (1829-1830, 21 vol. in-8o ; 1840-1841, 40 vol. in-12 ; 1856-1858, 20 vol. in-18). Ces dates sont celles des éditions complètes ; la plus conforme au manuscrit est la dernière, faite sous la direction de M. Chéruel ; dans les précédentes, on avait cru devoir corriger le style et alourdir certaines phrases sous prétexte de les éclaircir. Elle peut être considérée comme une édition princeps ; elle contient une introduction par Sainte-Beuve et une table alphabétique des matières et des noms propres.

La légitime renommée acquise par les Mémoires du duc de Saint-Simon justifie ces éditions successives et le soin apporté à ce que sa pensée soit reproduite telle qu’il lui a plu de l’exprimer, si bizarres ou si incorrectes même que soient certaines phrases ; c’est, en effet, par son style et sa manière de peindre tout autant que par les révélations piquantes contenues dans ces vingt volumes, que l’auteur a pris rang parmi les grands écrivains et les observateurs profonds. Ces Mémoires font assister à la fin du règne de Louis XIV (1695-1715), à la Régence (1715-1723) et entament même un peu la période suivante, celle de Louis XV. M. Chéruel croit que Saint-Simon leur avait donné une suite qui les continuait jusqu’en 1740 ; mais cette suite, sur laquelle on n’a aucun renseignement, est probablement perdue, à moins qu’elle ne se trouve dans les dossiers du ministère des affaires étrangères. C’est la partie concernant la fin du règne de Louis XIV qui est la plus complète, la plus soignée et la plus digne de foi ; c’est là que se trouve cette série de portraits qui sont des chefs-d’œuvre : celui du président du Harlay, masque hypocrite d’une effrayante vérité ; ceux de la duchesse de Bourgogne, de la duchesse de Berry, de Fénelon, de Dangeau, du maréchal de Luxembourg, de Louville, de Mme de Maintenon, et ces grandes pages d’histoire intime, comme la mort du duc de Bourgogne, les voyages de Marly et tant d’épisodes ou perce l’égoïsme féroce du grand roi. La partie qui concerne la Régence, quoique fort étendue, est moins remarquable ; on y trouve cependant encore de fort beaux portraits, comme celui de Dubois, mais l’auteur y montre une partialité qui quelquefois révolte. Ce que ces Mémoires ont d’admirable, c’est la vie qui déborde de chaque page ; les moindres faits sont présentés avec un relief surprenant, les physionomies se détachent, s’animent et restent à jamais fixées dans l’esprit telles qu’il a plu à Saint-Simon de les peindre. « Jusqu’à lui, dit Sainte-Beuve, on ne se doutait pas de tout ce que pouvaient fournir d’intérêt, de vie, de drame mouvant et sans cesse renouvelé, les événements, les scènes de la cour, les mariages, les morts, les revirements soudains ou même le train habituel de chaque jour, les déceptions ou les espérances se reflétant sur des physionomies innombrables dont pas une ne se ressemble, les flux et reflux d’ambitions contraires animant plus ou moins visiblement tous ces personnages et les groupes qu’ils formaient entre eux dans la grande galerie de Versailles, pêle-mêle apparent qui, grâce à lui, n’est plus confus et qui nous livre ses combinaisons et ses contrastes. Jusqu’à Saint-Simon, on n’avait que des aperçus et des esquisses légères de tout cela ; le premier il a donné, avec l’infinité des détails, une impression vaste des ensembles. Si quelqu’un a rendu possible de repeupler en idée Versailles et de le repeupler sans ennui, c’est lui. On ne peut que lui appliquer ce que Buffon a dit de la terre au printemps : tout fourmille de vie. Mais en même temps, il produit un singulier effet par rapport aux temps et aux règnes qu’il n’a pas embrassés ; au sortir de sa lecture, lorsqu’on ouvre un livre d’histoire ou même de mémoires, on court risque de trouver tout maigre, pâle et pauvre ; toute époque qui n’a pas eu son Saint-Simon paraît comme déserte, muette et décolorée ; elle a je ne sais quoi d’inhabité ; on sent et l’on regrette tout ce qui y manque et ne s’en est point transmis. »


Dans les trois jugements qui suivent, ce grand ouvrage est dignement apprécié au double point de vue du fond et de la forme. « Saint-Simon, dit M. Henri Martin, n’est ni un grand politique, ni un grand penseur, ni un esprit juste, quoiqu’il ait parfois des vues très-justes et très-sagaces sur des objets particuliers ; mais c’est un grand peintre. À travers un énorme entassement de grandes choses ingénieusement et vivement saisies, de petitesses dont il fait des montagnes, de graves et interminables puérilités, de vérités dans les faits (dans les faits qu’il a vus de ses yeux, du moins) et de romans dans les causes, à travers ce chaos, brillent sans cesse des rayons de génie, mais d’un génie tout spécial. C’est ce génie qui saisit les physionomies, les gestes, les moindres mouvements de l’âme et du corps, les portraits individuels et les tableaux d’ensemble, et les fixe en traits qu’on n’oublie jamais. Merveilleux observateur du détail et de la forme de toutes choses, espion infatigable de deux générations, la dernière du XVIIe siècle et la première du XVIIIe, ce curieux par excellence a laissé une œuvre sans modèle et sans analogue, ou plutôt ce n’est pas une œuvre, c’est son existence tout entière qu’il nous livre avec celle de tous ses contemporains. Il est lui-même le rôle le plus original et souvent le plus comique de son immense comédie. »

« Toute la langue du XVIIe siècle, dit M. D. Nisard, est dans les Mémoires de Saint-Simon. Descartes y aurait reconnu sa période longue et chargée d’incidentes, où la clarté se fait par une lecture répétée ; Bossuet, sa hardiesse et son accent ; La Bruyère, son coloris ; Mme de Sévigné, sa légèreté de main dans les anecdotes et toutes les grâces de son style familier. » Examinant la manière de narrer de Saint-Simon, le même historien de la littérature française se demande, s’il en est une de meilleure : « Est-il un récit, composé dans toutes les règles, qui soit plus saisissant que le journal de la mort de Louis XIV ? Tout ce mouvement autour du mourant, d’abord de respect et d’intérêt pour une vie de si grande importance, puis, à mesure que les chances de guérison diminuent, d’ambition et de précautions avec le règne futur ; ces appartements du duc d’Orléans encombrés « à n’y pas mettre une épingle, » quand le roi est désespéré ; vides et déserts, sur le bruit qu’il est mieux ; ces valets qui pleurent, les seuls vrais amis du monarque ; la froide et dure octogénaire qui assiste l’œil sec à sa longue agonie, tirant parti de ces soins suprêmes pour faire ajouter à la part des bâtards, et, quand le roi n’est plus qu’un moribond, qui ne peut plus ôter ni donner, n’attendant pas la fin et se sauvant à Saint-Cyr ; ces grandes et touchantes paroles du roi et cette attente de la mort dans la majesté qu’il mettait à toutes ses actions, sans faiblesse, sans défaillance, si ce n’est celle de la nature quand le combat va finir ; cette inquiétude du chrétien qui craint que ses souffrances ne soient une trop faible expiation de ses fautes ; tout cela raconté au jour le jour, dans l’ordre où chaque chose arrive, au milieu des détails sur le service intérieur, l’étiquette, les allées et les venues des courtisans et des gens de service, les messes entendues dans le lit et les derniers repas du mourant : tout cela, dans son abandon, égale l’art le plus consommé. »

« Personne, dit M. J.-J. Weiss, n’a jugé le style de Saint-Simon avec plus de rigueur que lui-même. C’est de bonne foi qu’il en accuse la négligence, la diffusion et l’obscurité. À supposer un instant qu’une partie de son livre aurait pu paraître sous Louis XIV, le dédain et l’oubli de la grammaire qui s’y montrent à toutes les pages auraient suffi pour inspirer le dégoût. Dans l’âge suivant, ce grand nombre de mots accumulés pour rendre la même idée, ces redites sans fin, ces périodes qui s’embarrassent les unes dans les autres et qui souvent même ne sont pas achevées, tout ce pêle-mêle d’expressions et de pensées eût révolté un public devenu sybarite. Peut-être il n’appartenait qu’à notre temps, affranchi de tout préjugé en matière de style, d’accueillir cet ouvrage avec l’admiration qui lui est due. Cette disposition de notre esprit était déjà favorable à Saint-Simon ; le contraste piquant de son langage avec la banalité du nôtre a fait le reste. La langue de Saint-Simon a été, en effet, tout entière créée par lui. Il détourne les mots de leur acception ordinaire, il en invente, il ajoute à ceux dont la signification est le plus riche, il les dispose par groupes entre lesquels toute liaison matérielle est supprimée, et il en forme des associations jusque-là inouïes, qui sont à la fois le comble de l’audace et du bonheur. Sous le désordre apparent du style se cache et règne une ordonnance intime, qui ne vient que d’elle seule et qui supplée à la rigueur de la syntaxe par la succession naturelle des idées. Changez le rang d’un mot, corrigez un tour, vous détruisez l’économie intérieure de la phrase et vous retranchez peut-être une beauté.

« Comme Saint-Simon écrit d’abondance et sous l’empire de la forte impression qu’il reçoit des objets, la vigueur et l’ampleur sont les deux qualités dominantes de son style. Toutes deux ont leur source dans la prodigieuse facilité de son imagination. Il trouve du premier coup le terme qui peint. Veut-il parler d’un envieux : « Il estoit né piqué de tout ; » d’une hypocrite à la mode : « Elle arbora la haute dévotion ; » d’un prélat sans vertu : « Il fut bombardé archevêque ; » quelquefois l’image résume seule tout un drame : « Le cardinal Bonzi mourut consommé par Basville, intendant du Languedoc. » Il y a même des occasions où l’auteur n’emploie les figures que par impuissance de trouver le mot propre. S’il veut juger Versailles, comme il ne connaît pas le jargon des architectes, il dira que, du côté du jardin, « les ailes fuient sans tenir à rien » et que, du côté de la cour, « l’étranglé suffoque. » Quand il est ainsi obligé de lutter avec la langue et de lui faire violence, la vérité jaillit inattendue de sa plume. Un style aussi énergique se prêtait merveilleusement à l’expression de ces pensées profondes et amères dont Tacite, parmi les anciens, nous a offert les plus fameux exemples. »


SAINT-SIMON (Claude de Rouvroy de), baron de Jouy-Trouville, pair de France, parent de l’auteur des Mémoires, né à Paris le 20 septembre 1695, mort à Metz le 29 février 1760. Abbé de Jumiéges en 1716, il fut nommé en juillet 1731 évêque et comte de Noyon et transféré, le 28 août 1732, à l’évêché de Metz, dont il ne prit possession que le 16 juin 1734. Il voulut prendre le titre d’évêque de Metz ; le parlement le lui interdit par arrêt. Il fonda en 1743 un nouveau séminaire qui porte son nom, et, pour arriver à couvrir les frais de cette fondation, supprima plusieurs anciens chapitres, et obtint ainsi une nouvelle source de revenus ; il ne put toutefois réussir à supprimer la collégiale de Saint-Thiébaut, qui fut protégée contre ses tentatives par le maréchal de Belle-Isle, gouverneur de la province. Ce fut Saint-Simon qui introduisit à Metz les frères des écoles de charité.


SAINT-SIMON (Maximilien-Henri, marquis de), écrivain français, né vers 1720, mort près d’Utrecht en 1799. Il prit part aux guerres d’Italie comme aide de camp du prince de Conti et se trouva à la bataille de Coni. La paix étant survenue, Saint-Simon quitta le service, parcourut l’Europe et se retira, vers 1758, à la campagne, près d’Utrecht, consacrant entièrement son existence aux belles-lettres et à la culture des fleurs, dont il fit une collection de plus de deux mille variétés dans son jardin de Harlem. Ses ouvrages sont : Des jacinthes, de leur anatomie, reproduction et culture (Amsterdam, 1768, in-4o, avec 10 pl.), divisé en huit chapitres ; Histoire de la guerre des Alpes ou Campagne de 1744 (Amsterdam, 1769, in-fol. ; 1770, in-4o) ; Histoire de la guerre des Bataves et des Romains (Amsterdam, 1770, gr. in-fol., fig.) ; Essai de traduction littérale et énergique (Harlem, 1771, in-8o). C’est la traduction de l’Essai sur l’homme de Pope et d’une partie du deuxième livre de la Pharsale ; Temora, poëme épique d’Ossian, traduit de l’édition anglaise de Macpherson (Amsterdam, 1774, in-8o) ; les Nyctologues de Platon (Utrecht, 1784, 2 part, in-4o) ; Sept dialogues ou nuits dans lesquels l’auteur examine autant de questions de haute philosophie ; Absurdités spéculatives (sans date, gr. in-4o), suite de l’ouvrage précédent avec une carte de l’Atlantide de Platon ; Mémoire ou l’Observateur véridique sur les troubles actuels de la France (Londres, 1788, in-8o) ; Essai sur le despotisme et les révolutions de la Russie (1794, in-4o).


SAINT-SIMON (Charles-François Vermandois de Rouvroy-Sandricourt de), prélat français, né à Paris en 1727, exécuté en 1794. Il prit ses degrés de théologie au collège de Navarre, cultiva les langues latine et grecque, l’hébreu, sous l’abbé de Villefroy, fut appelé à Metz en qualité de grand vicaire, puis visita l’Italie, assista, à Rome, à l’élection de Clément XIII, et, plus occupé des choses de l’antiquité que des affaires ecclésiastiques, se passionna pour les fouilles de Pompéi et d’Herculanum. À son retour, il fut promu à l’évêché d’Agde (1759), et son goût pour l’antiquité le fit recevoir membre de l’Académie des inscriptions (1784). Il avait réuni une magnifique collection d’auteurs grecs et latins, de manuscrits précieux, de documents concernant l’histoire et la littérature scandinaves et entretenait avec ses collègues de l’Académie une correspondance suivie. Dès les premiers orages de la Révolution, il refusa de quitter son diocèse et d’émigrer ; mais le palais épiscopal ayant été envahi en 1791 par la foule, il s’enfuit et vint à Paris, où il échappa longtemps aux recherches. Enfin découvert et traduit devant le tribunal révolutionnaire, il fut condamné à mort et exécuté la veille même du 9 thermidor.


SAINT-SIMON (Claude-Anne, marquis de), général français au service de l’Espagne, né en 1743, mort en 1820. Sorti en 1758 de l’école d’artillerie de Strasbourg, il fit la campagne de Flandre comme lieutenant au régiment d’Auvergne, reçut le brevet de colonel de cavalerie en 1768, celui de brigadier en 1770 et fit partie, en 1779, du corps expéditionnaire envoyé à la Martinique. L’année suivante, il passa au service de l’Espagne et, après avoir fait quelques campagnes en Amérique en qualité de maréchal de camp, revint en France, où il fut nommé gouverneur de Saint-Jean-Pied-de-Port. Élu député aux états généraux par la noblesse de l’Angoumois, il vota constamment avec la minorité, prêta néanmoins le serment civique en 1790, puis, après avoir protesté contre la marche de la Révolution, émigra en Espagne. Charles IV lui rendit son grade de maréchal de camp (1793), et le créa lieutenant général Successivement commandant en second de l’armée de Navarre (1795), capitaine général de la Vieille-Castille (1796), il eut en 1801 le commandement de l’armée envoyée sur les frontières du Portugal, puis celui de l’armée de Galice. En 1808, il défendit Madrid contre Napoléon, fut fait prisonnier et condamné à mort comme transfuge ; mais sa peine fut commuée en celle de la détention dans une forteresse, et il resta interné à Besançon jusqu’en 1814. À la restauration de Ferdinand VII, il retourna à Madrid et fut fait capitaine généra], grade équivalent à celui de maréchal de France,


SAINT-SIMON (Claude-Henri, comte de), l’un des penseurs les plus hardis, les plus profonds et les plus originaux du xixe siècle. Il naquit à Paris en 1760 et était le plus proche parent du duc de Saint-Simon, auteur des fameux Mémoires sur le règne de Louis XIV et la Régence. Sa famille faisait remonter son origine à Charlemagne par les comtes de Vermandois. Cette naissance élevée fut pour lui un puissant aiguillon ; il y vit une obligation de s’élever par ses travaux au-dessus des autres hommes, et sa passion pour les grandes entreprises fut toujours stimulée par un orgueil de race qui n’avait cependant rien de la vanité nobiliaire des esprits étroits. Il entra au service en 1777 et passa, deux ans après, en Amérique, où il servit pendant cinq campagnes dans la guerre de l’Indépendance, étudia l’organisation politique des États-Unis, et commença dès lors à diriger son esprit vers les spéculations philosophiques. De retour en France, il abandonna le service militaire, voyagea quelques années, étudiant les mœurs et les constitutions des différents peuples et se livrant à divers projets d’utilité publique. Il assista au début de la Révolution, sans se mêler toutefois à cette grande rénovation, absorbé qu’il était par ses rêves de réorganisation sociale. Lui-même a résumé l’objet de la mission qu’il se croyait dés lors appelé à remplir : « Étudier la marche de l’esprit humain pour travailler ensuite au perfectionnement de la civilisation. » Plein de sa conception ébauchée, il s’efforça d’abord de se créer les ressources pécuniaires nécessaires à sa réalisation, et se jeta, avec le comte de Redern, dans de lucratives spéculations sur la vente des biens nationaux (1790-1797). N’ayant pas trouvé dans son associe les idées et les tendances qui le dirigeaient lui-même, il se sépara de lui en n’exigeant dans la liquidation qu’une somme bien inférieure aux bénéfices réalisés, mais qui lui paraissait suffisante au but scientifique qu’il poursuivait. Comme étude préliminaire, il travailla ardemment à se mettre au courant de toutes les branches des connaissances humaines, prodiguant largement sa fortune aux savants qu’il interrogeait, recherchant l’amitié des plus célèbres professeurs, faisant de sa maison un vaste centre de réunion pour les hom-