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liers apostés l’enlevaient pour le vendre & quelque monarque étranger. Que firent nos gens d’esprit ? Ils simulèrent l’idiotisme, seul moyen d échapper à cette confiscation de Schildbourgeois ; mais, à force de porter un masque stupide, ils en conservèrent l’empreinte et restèrent parfaitement idiots. Voici quelques-uns des nombreux contes que l’on fait sur eux.

Un jour, le sénat schildbourgeois, corps plein de prudence et de gravité, décide de construire un beau palais dans lequel il siégerait. L’architecte schildbourgeois construit un monument magnifique, mais il oublie d’y pratiquer des fenêtres. Le sénat s’assemble et n’y voit goutte ; chacun des membres allume alors une torche, en décore son bonnet, et l’assemblée procède à ses travaux. La discussion est vive et longue. D’où ces ténèbres peuvent-elles provenir ? Discours et dissertations se succèdent sans relâche. On décide qu’il faut faire faire une analyse des rayons du soleil, et, au bout de huit jours d’une discussion soutenue, on prouve péremptoirement que le soleil manque, qu’il

faut l’introduire dans la salle. Chaque Schildbourgeois se met alors en devoir d’exposer au soleil ses tonneaux, ses paniers, ses baquets, afin de récolter autant «de rayons lumineux que possible ; on referme ensuite immédiatement chacun de ces instruments de transport. Quand vient le moment de les rouvrir dans la salle des séances, pas un rayon de soleil n’a voulu se conserver intact. De nouvelles délibérations ont lieu. Huit comités d’enquête sont institués et travaillent assidûment pendant quatre années pour savoir au juste le motif qui empêche la lumière d’arriver jusqu’aux honorables. Les travaux de ces grands hommes, imprimés en soixante-dix volumes petit texte, servent encore, dit-on, de modèles aux débats parlementaires des nations civilisées. Enfin il arriva qu’une crevasse livra passage au soleil. Un député, homme d’esprit, proposa, comme sous-amendement à la dernière loi votée, l’élargissement facultatif de la crevasse. Le plaisir que cet événement causa aux Schildbourgeois fit adopter sans examen une addition considérable d’impôts. La question est d’ailleurs restée perpétuellement à l’ordre du jour à Schilda ; la crevasse, transformée en fenêtre, tour à tour polygone, octogone, toujours irrégulière, sert invariablement de texte à l’éloqueuce des avocats députés de Schilda.

Une autre fois, les Schildbourgeois veulent construire un moulin. Il leur faut une meule, u’ils fabriquent laborieusement au sommet une colline. L’opération terminée, ils songent au transport. La pierre est lourde. A force de bras, ils viennent à bout de leur œuvre ; mais ils font alors cette réflexion naturelle, qu’ils auraient pu la laisser rouler du haut de la colline jusqu’au bas ; sur quoi, le remords les prenant, ils emploient des efforts considérables pour reporter la meule où elle était, afin de la laisser rouler. Un Schildbourgeois offre d’accompagner la meule, nlin de l’aire un rapport sur la direction qu’elle aura suivie. On applaudit. Le courageux citoyen passe sa tète dans lo trou de la meule, roule courageusement avec elle et va s’engloutir dans un marais ; on ne retrouve plus ni la meule ni son conducteur. La Chambre est convoquée et, aprè3 une prodigieuse dépense d’éloquence, décrète qu’une proclamation, rédigée par les fortes têtes de Schilda, sera lue dans les villages environnants, à l’effet de réclamer l’extradition du perfide Schildbourgeois qui s’est déloyalement enfui, emportant une meule de moulin à son cou.

À la fin, l’empereur d’Allemagne, ayant entendu parler des faits et gestes des Schildbourgeois, les trouve fort intéressants et demande à recevoir une députation de ces messieurs. Il admire ia perfection de nullité qui les distingue et leur confère un diplôme de sottise, orné de son sceau et de sa signature, les encourageant à continuer. Ils usèrent de la permission et se bannirent eux-mêmes à perpétuité de leur pays natal. La race des sots est devenue par là féconde et partout présente ; pas de coin de terre qui ne nous offre comme échantillon quelque descendant de la race schildbourgeoise.

On peut consulter sur cette légende burlesque : les Espiègles allemands au xvie siècle, de Philarète Chasles, qui a emprunté les éléments de son étude à un livre populaire en Allemagne, le Narrenbuch.

SCH1LDE s. m. (chil-de). Ichthyol. Syn. de

SCHILBE.

SC1HLDER (Charles-Andreïwitch), militaire et ingénieur russe, né à Saint-Pétersbourg en 1795, mort en 1857. Il entra fort jeune au service et était déjà colonel en 1828 quand il se distingua au siège de Varna. Il fut élevé l’année suivante au grade de général-major. Il se distingua dans la guerre de Pologne de 1831 et fut blessé à Osirolenka. Il fut ensuite élevé au rang de chef du génie de la garde et de lieutenant général. Schilder fit la campagne de Hongrie et prit part aux premières hostilités de la guerre d’Orient contre les Turcs.

SCH1LDESC11E, bourg de Prusse, province de Westphalie, régence de Minden, cercle et à 6 kilom. N.-O. de Bielefeld, sur l’Aa ; 2,700 hab. Filature de fin ; fabrication de toiles.

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SCHILGEN (Philippe-Antoine), peintre allemand, né à Osnabruck en 1793, mort dans la même ville en 1857. Élève de Cornélius, il accompagna son maître à Munich en 1825 et l’aida dans la composition des fresques historiques des arcades du parc royal. Le principal ouvrage de Schilgen est un tableau qui représente le Duc Albert IV de Bavière établissant la primogéniture. On trouve d’autres tableaux et fresques de cet artiste dans le Kcenigsbau, à Munich, et dans la salle de réception du château royal de cette ville.

SCHILL (Ferdinand de), célèbre chef de partisans allemand, né à Sothof (Silésie) en 1773, mort en 1809. Entré en 1788 dans l’armée prussienne, il était lieutenant de dragons en 1805 et assista cette année-là à la bataille d’Auerstœdt, où il fut grièvement blessé ; il n’en réussit pas moins à échapper aux Français et à se traîner mourant jusqu’à Colberg, en Poméranie. Une fois rétabli, il conçut le dessein de former un corps franc destiné à s’opposer a, la levée des contributions imposées par les Français à cette province. Deux dragons de son ancien régiment formèrent le noyau de ce corps, qui recruta bientôt un grand nombre de volontaires, et, grâce à son intrépidité et à l’habileté avec laquelle il savait dissimuler ses embuscades, Schill netarda pas à devenir la terreur de l’ennemi et sortit presque toujours victorieux de ses hardis coups de main. Le renom qu’il s’était acquis excita la jalousie du colonel de son régiment, qui lui défendit de continuer ses entreprises. Schill demanda alors directement au roi de Prusse l’autorisation de former un corps franc ; non - seulement il reçut cette autorisation, mais encore on mit sous ses ordres trois escadrons de hussards, un bataillon d’infanterie de 400 hommes et une compagnie de chasseurs, en tout 1,000 hommes, avec trois canons. Il résolut alors de s’établir dans l’Ile de Rugen, à l’embouchure de l’Oder, pour harceler de là les derrières de l’armée française ; mais deux combats désavantageux qu’il soutint, près de Stargaard et de Naugaard, contre le corps français chargé de faire le siège de Colberg le forcèrent à se retirer, sous la protection des canons de cette forteresse, dans un petit bois fortifié appelé Maikùhle (la fraîcheur de mai). La, pendant quatre mois, il contribua à la défense des ouvrages extérieurs et du port, et il partagea avec Gneisenau l’honneur d’avoir empêché la prise de Colberg. Après ta paix de ïi.sitt, il fut promu major et commandant du 2e régiment de hussards de Mec* klembourg, qui avait été formé de sa cavalerie et avec lequel il fit en 1808 son entrée à Berlin, où il fut reçu en triomphe. Animé d’une haine profonde contre les Fiançais, il résolut de donner, en pénétrant à l’improviste dans le royaume de Westphalie, le signal d’un soulèvement général de l’Allemagne. Le moment favorable lui sembla arrivé lorsque l’Autriche déclara la guerre à Napoléon en 1809. Le 28 avril, il sortit de Berlin avec ses hussards, qui croyaient aller simplement à un exercice militaire, et ce ne fut qu’à la première halte qu’il fit part de son plan à ses officiers ; ils l’adoptèrent tous avec enthousiasme et il dirigea alors la marche de son corps vers l’Elbe, qu’il passa près de Wittemberg. Il prend par surprise Kœthen, Halle (3 niai) et Bernburg (4 mai) et apprend dans celte dernière ville que Napoléon a déjà battu l’armée autrichienne et que le soulèvement de Doarnberg (v. ce nom), dans la liesse, a été comprimé. Il prend alors la résolution de gagner le Mecklembourg et la Poméranie et de passer de là en Angleterre, bat le 5 mai, à Dodendorf, un détuchement français envoyé de Magdebourg contre lui, gagne ensuite la Vieille-Marche et s’y cantonne, tandis qu’un corps hollandais se forme en Hanovre sous les ordres du général Gratien et que le général Ewald rassemble un corps danois dans te Holstein. Rejoint le 12 mai par une partie de son bataillon de chasseurs, qui avait quitté Berlin après lui, il s’empare par surprise du petit fort de Dœmitz, sur l’Elbe, afin d’avoir un point d’appui, se retire, à l’approche de l’ennemi, sur Wismar, puis sur Rostock et, par sa victoire à Daingarten, s’ouvre la route deStralsund. Il rétablit à la hâte les fortifications de cette ville ; mais, dès le 31 mai, il y est attaqué par un corps de 5,000 Français qui, malgré une héroïque résistance, pénètrent dans la ville. La lutte se continua alors de rue en rue, et Schill, dont le sang coulait déjà par plusieurs blessures, fut atteint mortellement d’un coup de feu. Environ 150 cavaliers, sous les ordres du lieutenant de Brunnow, avec quelques chasseurs, purent échapper à la mort et regagner la Prusse, où les officiers passèrent devant un conseil de guerre et furent condamnés à la dégradation et à l’emprisonnement. Douze autres officiers, faits prisonniers à Stralsund, furent conduits à Wesel, où les Français les fusillèrent. Un monument, élevé en 1835 par l’armée prussienne, couvre aujourd’hui leurs cendres. Le cadavre de Schill, que l’on eut grand’peine à reconnaître, fut enterré à Stralsund, après que l’on en eut détaché la tête, qui fut mise dans de l’esprit-de-vin et envoyée au célèbre Brugmann, à Leyde, quoique le roi Jérôme en eût fait offrir une somme de 10,000 francs. Après la mort de Brugmann, elle passa au musée anatomique de l’université de Leyde, qui en fit don en

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1837 à la ville de Brunswick ; elle fut alors placée à côté des restes de quelques autres officiers de son régiment fusillés dans cette ville et auxquels on venait d’élever un monument. En 1840, une chapelle a été construite autour de leur tombeau. La vie et les aventures de Ferdinand de Schill ont été écrites par Haken (Leipzig, 1824, 2 vol.), Dœring (Barmen, 1838) et Bœrsch (Leipzig, 18C0).

SCHILLER (le Père Jules), astronome allemand, né à Augsbourg dans le xvie siècle. Il embrassa la règle des ermites de Saint-Augustin et joignit, en 1627, à une édition de l'Urannmetria nova de Bayer, un opuscule intitulé Cœlum stellanum, consacré à rebaptiser de noms empruntés aux saintes Écritures les astres et les constellations que les astronomes, malgré les efforts du Père Schiller et du Père Philippe Cajsius, autre rebaptiseur des astres, continuent de nos jours encore à nommer de leurs noms païens.


SCHILLER (Johann-Christophe-Friedrich), célèbre poète allemand, né à Marbach (Wurtemberg) le 10 novembre 1759, mort à Weimar le 9 mai 1805. Il était le fils du chirurgien militaire Jean-Gaspard Schiller, qui devint plus tard officier dans l’armée wurtembergeoise, et d’Élizabeth-Dorothée Kodweiss, fille d’un aubergiste de Marbach. Sa mère, qui avait l’esprit cultivé, lui apprit à lire dans la Messiade de Klopstock et, quand il fut un peu plus grand, elle le confia aux soins du pasteur Moser. Vers 1768, son père s’étant établi à Ludwigsbourg, Schiller fit ses études dans cette ville. Avec plus de moyens que la plupart des élèves, il ne possédait pas cette facilité brillante et cette confiance qui appellent le succès. Timide, embarrassé de sa personne, plus enclin à la rêverie qu’à l’action, il ne flattait pas l’orgueil des maîtres et s’abstenait des camaraderies vulgaires. La vue du professeur John, sa parole impérieuse ou sèchement ironique comprimaient d’ailleurs tous les élans de Schiller. Sa nature mélancolique se complaisait aux longues promenades à travers champs. Un ami l’accompagnait dans ces excursions ; ils lisaient la Bible ou la Messiade et s’épanchaient en poétiques causeries. Ces habitudes poussèrent Schiller enfant à la dévotion mystique et déterminèrent ses parents à le faire entrer dans les ordres. Le duc de Wurtemberg en décida autrement ; en 1773, il envoya Schiller à l’Académie de la Solitude, connue aussi sous le nom d’École de Charles, que le prince venait de fonder pour y former des soldats, des médecins et des magistrats. Schiller étudia la médecine par ordre ; mais le temps vint bientôt où il trouva qu’il payait ainsi trop cher sa pension gratuite, d’autant plus que la règle inflexible de l’école interdisait toute lecture étrangère à l’étude spéciale. Le jeune étudiant avait recours à la ruse pour satisfaire de loin en loin les besoins impérieux de son âme ; il dévorait en cachette Plutarque et Shakspeare. Dans une fêle donnée au duc, il fut chargé de diriger la représentation du Clavijo de Gœthe et on lui confia un rôle dans cette pièce. Il paraît qu’il s’en acquitta assez gauchement, et cet insuccès fit évanouir en lui certaines velléités qu’il avait eues d’embrasser la carrière théâtrale.

Cependant Schiller remporta quatre prix en 1779 et il fit, l’année suivante, deux dissertations fort remarquables qui lui servirent de thèse. Le duc le fit sortir de l’école pour le placer dans un de ses régiments. Tout semblait dit et les instincts littéraires du poëte allaient être à jamais étouffés, quand, par bonheur, il se lia avec Schubart. Ils lurent ensemble les conspirations célèbres, depuis celle de Catilina, dans Salluste, jusqu’aux mémoires du cardinal de Retz, puis ils écrivirent des commentaires passionnés dans lesquels le duc de Wurtemberg, avec ses idées étroites et paisibles, n’était rien moins qu’un monstre couronné. L’idée mère des Brigands naquit de ces entretiens, où l’ancienne foi religieuse de Schiller fut fortement ébranlée par l’athéisme convaincu de son ami.

Lui aussi, il voulut jeter sa protestation à la face d’une société marâtre, et c’est avec une sorte de fièvre qu’il acheva une pièce ébauchée sous le titre primitif de Cosme de Médicis et terminée sous celui des Brigands. Le poète n’était pas riche ; il touchait comme chirurgien des grenadiers du général Auge un traitement d’environ 40 francs par mois ; il parvint au moyen d’un emprunt, qu’il eut beaucoup de peine à rembourser plus tard, à faire imprimer sa pièce en 1781, chez un libraire de Francfort, et la mit en dépôt à Manheim. Le retentissement du drame fut tel que le baron de Dalberg, intendant du théâtre électoral, désira que les Brigands fussent représentés à Manheim. Ce fut une joie immense pour le poète. Il demanda au duc la permission d’assister à la représentation de son drame, mais le duc la lui refusa sèchement. Résolu à enfreindre la défense de son souverain, Schiller partit pour Manheim où il assista, ivre d’émotion et de joie, au triomphe de son drame. « Le public, dit Iffland, les acteurs, les figurants furent comme lui embrasés d une flamme dévorante. » De même que le Werther de Gœthe avait enfanté la folie du suicide, le Moor de Schiller donna naissance à une singulière folie. Des jeunes gens se réunirent en divers points de l’Allemagne et voulurent essayer de vivre dans les forêts pour s’y ériger en juges et en bourreaux d’une société corrompue. Le jeune chirurgien revint à son régiment plus exalté que jamais ; il eut à subir quinze jours d’arrêts, qu’il employa à tracer le plan de la Conspiration de Fiesque et à composer quelques morceaux littéraires.

L’emprisonnement de son ami Schubart, condamné par le duc à huit ans de forteresse, acheva d’irriter Schiller. Il résolut de fuir ; après une vaine démarche auprès du baron de Dalberg, il parvint à s’échapper le 17 septembre 1782 et se rendit directement à Manheim, où il lut aux acteurs sa tragédie de Fiesque. Ceux-ci trouvèrent l’œuvre injouable et le lui dirent franchement. Désespéré, presque sans ressource, craignant à chaque instant d’être arrêté, Schiller partit à pied pour Francfort, où il essaya vainement de vendre à un libraire un poème, le Démon d’amour, qui n’est pas parvenu jusqu’à nous. De là il partit pour Mayence, puis revint à Manheim, où il vendit sa tragédie de Fiesque, qu’il venait de remanier, au libraire Schwan, à raison de 20 francs la feuille. Muni d’un peu d’argent, il se rendit à Meiningen, chez Mme de Wolzogen, mère de l’un de ses amis. De là il écrivit au duc pour qu’il lui permît de quitter son régiment et de s’adonner à la littérature en toute liberté. Le duc se contenta de promettre son pardon s’il revenait. Schiller resta donc dans sa retraite ; il mit la dernière main à la Conjuration de Fiesque, composa l'Intrigue et l’amour, drame en prose, et commença son Don Carlos. Le 27 juillet 1783, il se rendit à Manheim, où l’appelait le baron de Dalberg, qui fit représenter Fiesque et l’Intrigue et l’amour. Ces deux drames obtinrent un grand succès, mais l’enthousiasme fut moins vif que pour les Brigands. Schiller quitta Manheim pour aller se fixer à Leipzig, auprès du père de Théodore Koerner ; de là il se rendit à Dresde, où il acheva Don Carlos.

Vers le mois d’août 1787, Schiller vint s’établir à Weimar. Herder lui fit un noble accueil et Wieland mit dans ses rapports avec lui une grâce si franche, si cordiale, que Schiller en fut ravi. Néanmoins, médiocrement à l’aise dans cette ville de princes et de courtisans, il alla habiter momentanément Ingolstadt, où il écrivit son Histoire de la révolte des Pays-Bas. Ce fut aussi vers cette époque que Schiller connut personnellement Goethe. Les deux poètes se rencontrèrent dans une maison tierce et ne se plurent pas tout d’abord. Gœthe, froid, imposant, dominateur, arrivait de Rome ; il en revenait émerveillé, en faisait de pompeux récits et disait comme Winckelmann que l’étude de Rome était sa véritable initiation à la lumière. Au récit de toutes ces magnificences Schiller resta froid. De son côté, Gœthe éprouvait pour Schiller un éloignement raisonné. Il ne voyait dans l’auteur des Brigands qu’un ennemi de l’art et de la société, un de ces hommes qu’il aurait à combattre et qui entraveraient sa marche. Cependant ils se revirent, et, à mesure que Gœthe connut mieux Schiller, il se sentit fortement attiré vers ce poète à la fois mélancolique et enthousiaste. Avec Schiller, il retrouvait les impressions de sa propre jeunesse. Ce que la méditation et la pratique des choses lui avaient enlevé, Schiller le lui rendait. Cédant à l’amitié qui l’attachait peu à peu au poète, il obtint pour lui une chaire d’histoire à Iéna. Iéna n’est qu’à 6 lieues de Weimar, où Gœthe résidait alors, et Schiller prit souvent le chemin de cette ville, où il allait donner des leçons publiques d’histoire dont les contemporains ont gardé le souvenir.

À Rudolstadt, où il fut présenté à Mme de Lengenfeld et à ses deux filles, Schiller s’éprit de la plus jeune, Charlotte, et l’épousa le 20 février 1790, quelque temps après que le duc de Weimar lui eut accorde la chaire d’histoire laissée vacante par Eichhorn. Cette même année, il publia son Histoire de la guerre de Trente ans. « Kant, dit M. Dupin, opérait alors en Allemagne un mouvement universel. Sa doctrine trouvait des zélateurs passionnés et des détracteurs qui ne l’étaient pas moins. Schiller, avide de toute noble croyance, se rangea hautement parmi les premiers. Il n’avait trouvé qu’humiliation, effroi douloureux, dans les systèmes jusque-là triomphants. Quelle était la supériorité de Kant sur ses devanciers ? Ce n’était guère la foi simple et ferme ; c’était la conviction claire, irrécusable de l’impuissance de la créature à pénétrer le secret de Dieu et de son œuvre ; c’était la religion du devoir dans un sens pur et réfléchi. Schiller s’attacha avec ardeur à sa donner une croyance qui mît fin à ses angoisses. Plus tard, il publia divers écrits philosophiques, tous ingénieux, tous recommandables par d’excellentes intentions, mais entachés à distance d’obscurités subtiles. »

Une maladie de poitrine, occasionnée par l’excès de travail, le réduisit à un tel état d'affaiblissement qu’on craignit sérieusement pour ses jours. Deux princes souverains, voulant ôter le souci matériel à cette grande intelligence qui s’épuisait à une tâche ingrate, lui offrirent chacun une pension de 1,000 thalers. Schiller refusa. Plus tard, le grand-duc de Weimar lui constitua une pension d’environ 3,000 francs, qui devait être doublée dans le cas où le poëte serait malade ; mais Schil-