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faire de l’école romantique et subit d’autant plus facilement celle de Fichte. Il consacra ses loisirs à de grands voyages en Allemagne, en Hollande et en France, et résida ensuite tour à tour à Berlin, à Dresde, à Carlsruhe et à Stuttgard, où il fut attaché quelque temps, en 1814, à l’ambassade russe. Ce sont surtout ses ouvrages dramatiques qui ont établi sa réputation, bien que son talent en ce genre ne soit jamais arrivé à un développement complet. On cite, parmi ses œuvres dramatiques : la Force des circonstances, tragédie bourgeoise (1817) ; les Sylphes, opéra (1804) ; la Fille de Jephté, tragédie (1820) ; Cassius et Phantasus, comédie romantique (1824) ; les Berlinois à Rome (1829), etc. On lui doit aussi des poésies satiriques, notamment les Luttes du temps (Tubingue, 1817), et un grand nombre de nouvelles, de vaudevilles et de vers, insérés dans différents journaux.


ROBERT (Louis-Léopold), célèbre peintre de l’école française, né à La Chaux-de-Fonds, canton de Neuchâtel-en-Suisse, en 1794, mort à Venise le 20 mars 1835. Son père, qui était horloger, le destinait au commerce et, après lui avoir fait donner quelques rudiments d’instruction dans un pensionnat de Porentruy, le plaça chez un ami, négociant à Iverdun ; mais la répugnance de Léopold Robert pour le commerce se manifesta si ouvertement, que ses parents le rappelèrent près d’eux, puis, le laissant maître de suivre ses goûts, l’envoyèrent à Paris étudier la gravure dans l’atelier d’un compatriote, Ch. Girardet. Il suivit alors les cours de l’École des beaux-arts, en même temps qu’il fréquentait l’atelier de David, et obtint un second prix de gravure en1814. L’année suivante, la principauté de Neuchâtel fit retour à la Suisse et Léopold se vit exclu de l’École des beaux-arts comme étranger ; l’exil de David, lors du second retour des Bourbons, lui ferma l’atelier de ce maître et, après avoir suivi quelques-uns de ses condisciples dans celui de Gros, il se décida à rentrer dans son pays. Quelques portraits qu’il fit à La Chaux-de-Fonds le firent assez avantageusement connaître pour que, désireux de se perfectionner en Italie, il sollicitât une pension de sa municipalité. Un amateur éclairé, confiant dans son avenir, M. Roullet-Mézerac, lui proposa de lui avancer la somme nécessaire à un séjour de plusieurs années, et le jeune artiste accepta avec joie. « Je partis pour l’Italie en 1818, écrivait-il à un de ses amis, avec l’idée d’y vaincre ou d’y mourir. » Incertain d’abord s’il se livrerait à la peinture ou à la sculpture, Léopold Robert ne trouva sa voie qu’après trois années de tâtonnements et d’études. « Ce n’était point, dit M. Ch. Clément, un improvisateur, un génie primesautier et tout d’une venue. Ses idées se formaient lentement, péniblement ; elles passaient par un grand nombre de transformations avant d’arriver à leur traduction définitive. Il aimait à suivre, en se repliant sur lui-même, ce travail intérieur qui se faisait en lui et dont il rendait compte ensuite à sa mère, à ses amis, à ses frères, à ses sœurs. Ses lettres nous introduisent, pour ainsi dire, dans le secret de son caractère et de son talent ; l’homme scrupuleux et attentif, sans cesse occupé à noter les nuances fugitives de l’inspiration, nous explique chez l’artiste cette forme d’une mélancolie tranquille et profonde, la ligne si pure et si nette sous les contours gracieux, la couleur ferme et chaude. » Une trace de ces indécisions se trouve dans le premier tableau de Léopold Robert, exposé au Salon de 1824, l’Improvisateur napolitain, ce devait être, dans la pensée de l’artiste, une Corinne au cap Misène, et même ce tableau fut annoncé sous ce titre au Salon de 1823. Léopold Robert ne l’envoya pas et, de corrections en corrections, il en vint à effacer toute la composition primitive. Un peu auparavant, un hasard heureux l’avait servi dans ses études artistiques et ethnologiques sur les populations des environs de Rome. Il obtint du gouverneur la permission de travailler dans une prison où étaient rassemblés plus de deux cents montagnards, hommes, femmes et enfants, tous parents de brigands que l’on poursuivait à outrance dans les gorges de Terracine et qui offraient U son crayon les figures accentuées, les costumes pittoresques qu’il cherchait. Ce fut le point de départ des grandes compositions qui l’ont rendu célèbre ; plusieurs de ces esquisses de brigands furent exposées au Salon du Louvre en 1822. L’Improvisateur napolitain, qui leur succéda, souleva une légitime admiration ; enfin, le Retour du pèlerinage de la Madone de l’Arc (1827) et surtout la Halte des moissonneurs dans les marais Pontins donnèrent la juste mesure de son talent.

Il nourrissait un projet, réalisé en partie par l’exécution de ces deux derniers tableaux ; c’était de caractériser en quatre tableaux les quatre saisons et les principaux peuples de l’Italie. Le printemps et les Napolitains sont le sujet de la Madone de l’Arc. Dans ses Moissonneurs, il a peint l’été et les gens des campagne de Rome ; Florence, ou quelque autre lieu de la Toscane, devait être la scène où il représenterait la vendange, et, enfin, il voulait s’emparer d’une scène de carnaval à Venise pour caractériser l’hiver et le naturel des habitants de cette ville. Toutefois, il renonça bientôt à cette dernière idée pour y substituer celle qui fait le sujet des Pécheurs. On sait d’ailleurs que Léopold Robert aimait à prendre ses sujets dans les classes les plus humbles de la société et à en relever l’humilité par la pureté et l’élévation du style. Cette double disposition de son esprit a influé sur la composition de ses moindres ouvrages. Peu d’artistes, chez les modernes, ont eu un sentiment du beau plus naturel et aucun ne l’a mieux traduit.

L’artiste, venu à Paris pour y exposer les Moissonneurs, fut accueilli et fêté de toutes parts. À la suite de l’Exposition, il reçut publiquement, de la main même du roi Louis-Philippe, la croix de la Légion d’honneur, aux applaudissements unanimes des artistes présents à cette cérémonie. L’année suivante, il repartit pour l’Italie, où son nom n’était pas moins célèbre qu’en France. À Florence, la princesse Charlotte Bonaparte, fille du roi Joseph et mariée à son cousin Napoléon, second fils du roi de Hollande, enthousiaste de son beau talent, voulut qu’il lui donnât des leçons. Peu à peu une passion funeste pénétra dans le cœur du maître. Un événement tragique rendit veuve cette trop séduisante princesse, et l’artiste, tout en prenant part à son deuil, en conçut l’espoir d’être agréé. Mais lorsqu’il vit que les lois de la société, auxquelles « la dame de ses pensées » était invariablement soumise, ne lui laissaient aucun espoir d’union possible, son esprit se troubla. Ce fut la folie du Tasse. Léopold Robert s’en aperçut trop tard ; il alla cacher sa douleur à Venise, où son talent grandit encore. Toutefois, cette constance opiniâtre dans la composition et le perfectionnement de ses tableaux, ce besoin inassouvi d’idéal dans l’art, qu’il traduisait sur la toile avec de si gracieuses couleurs, n’étaient rien autre chose que cet amour immense concentré dans son cœur, et dont il a animé, embelli et souvent attristé ses ouvrages. L’ardeur avec laquelle il se livrait au travail parvenait à peine à le distraire de la mélancolie profonde à laquelle cette incurable passion l’avait livré. Il exposa à tous les Salons, de 1827 à 1835, et ses dernières toiles, Deux Suissesses et Jeunes filles des environs de Naples, accueillies avec autant de faveur que ses Moissonneurs, faisaient encore présager une longue suite de chefs-d'œuvre, lorsque tout à coup on apprit à Paris que Léopold Robert avait volontairement mis fin à ses jours. Un de ses frères, Alfred, qu’il chérissait, s’était également suicidé le 20 mars 1825, à la suite d’un mariage qui fut le malheur de sa vie. Il choisit cet anniversaire funèbre pour se donner, lui aussi, la mort. Quelques jours auparavant, il avait envoyé à Paris son dernier tableau, les Pêcheurs de l’Adriatique, qui parut au Salon de 1836.

Une simple pierre tumulaire recouvre les restes de Léopold Robert au Lido. Son corps, placé dans une barque, fut suivi jusqu’au lieu de la sépulture par son frère Aurèle, dont il avait commencé l’éducation artistique, par ses amis de Venise et par tous les artistes étrangers de passage dans cette ville. À Paris, cette nouvelle causa une pénible émotion, et la presse paya un juste tribut de regret à la mémoire du pauvre grand artiste. Une dame française, dans une nouvelle intitulée Léopold Robert et dédiée à son frère, y intéressa vivement le public.

Outre l’Improvisateur napolitain, la fête de la Madone de l’Arc, l’Arrivée des moissonneurs et les Pécheurs de l’Adriatique , qui sont au Louvre, Léopold Robert a laissé un grand nombre de tableaux. Nous citerons seulement ceux qui ont paru au Salon du Louvre de 1822 à 1835 : Brigands dans les montagnes de Terracine, Vieille disant la bonne aventure à une jeune fille de Sonino, Jeune religieuse recevant la bénédiction d’une abbesse ; Procession de religieux dans l’église de Saint-Côme-et-Saint-Damien ; Deux religieuses effrayées du pillage de leur couvent par les Turcs ; Pèlerins se reposant dans la plaine de Rome ; Chevriers des Apennins ; Brigand en prière avec sa femme ; la Mort d’un brigand ; Pèlerins reçus à la porte d’un couvent ; Filles d’Ischia au rendez-vous ; l’Ermite de Saint-Nicolas recevant des fruits d’une jeune fille ; Pèlerine avec son enfant mourant ; Femme napolitaine pleurant sur les débris de son habitation, ruinée par un tremblement de terre ; Jeunes filles de Sonino ; Pifferari à Rome ; Petits pécheurs de grenouilles ; Jeune Grec aiguisant son poignard (de grandeur naturelle) ; Une tête de femme (grandeur naturelle) ; Enterrement d’un aîné de famille de paysans romains ; Deux jeunes filles napolitaines se parant pour la danse ; Deux jeunes Suissesses caressant un chevreau ; la Mère heureuse ; le Repos en Égypte (esquisse). Bien qu’il composât lentement, Léopold Robert était d’une activité opiniâtre qui remplaçait chez lui une autre faculté maîtresse, l’inspiration. Cette même opiniâtreté, ces mêmes tâtonnements, au moyen desquels il élaborait l’idée d’une composition, il les retrouvait encore pour faire, défaire et recommencer un groupe, une figure et les moindres détails. Rien dans ses tableaux, même les plus promptement achevés, n’est négligé, parce que tout y est fait avec amour et passion, À l’instar des maîtres du XVe et du XVIe siècle, il ne craignait pas de préparer lui-même ses couleurs, coutume qu’ont désapprise les peintres d’aujourd’hui.

Les quatre toiles principales de Léopold Robert ont été popularisées par la gravure de Z. Prévost. Le burin vigoureux de Mercuri en a également reproduit les beautés. Dans une Notice sur la vie et les œuvres de Léopold Robert, par M. E.-J. Delécluze (Paris, 1838, in-8o), notice composée en grande partie de lettres intimes de l’artiste et de son frère, l’éminent critique du Journal des Débats s’est surtout appliqué à mettre en lumière les qualités aimables de celui qui fut son ami. Il est facile néanmoins de juger par la lecture de ces lettres combien l’idée première de ses ouvrages était vague d’abord et se développait avec lenteur. Les premiers tableaux qu’il fit à Rome n’étaient, à proprement parler, que des Études historiées, dont le sujet et la réussite étaient soumis aux chances de l’exécution que l’artiste lui-même ne prévoyait pas. La plupart de ses petits tableaux, tels que les Pèlerins dans la campagne de Rome, composition magistrale qui rappelle un peu la manière grandiose de Michel-Ange ; ses Pifferari, où l’accent de la nature est si fortement accusé, et même sa Femme pleurant sur les ruines de son habitation, une de ses meilleures toiles, toutes ces productions semblent moins être le résultat d’une idée préconçue que du souvenir extrêmement vif de scènes dont il a été témoin. D’autres compositions plus vastes, comme l’Improvisateur napolitain, la Madone de l’Arc, paraissent avoir été achevées d’après ce même principe ; il faut ajouter que peu d’hommes ont misplus d’opiniâtreté et d’amour que Léopold Robert pour travailler et étendre une idée, pour profiter heureusement de toutes les ressources que peut offrir un sujet ; sous ce rapport, son génie avait de l’analogie avec celui de Poussin. « Mais, dit M. Delécluze, quoique L. Robert professât une admiration sincère pour les ouvrages de l’antiquité et des grands maîtres, il avait, ainsi qu’on le voit dans ses lettres et comme on peut le reconnaître dans ses tableaux, un amour vivace de la nature qui lui a fait imprimer à toutes ses productions une grâce, un inattendu et une originalité qui lui assigneront toujours une place à part parmi les grands peintres. Il en était de ses projets les plus vastes comme de ses compositions partielles, qui n’arrivaient à terme qu’après une gestation longue, pénible et laborieuse. Son Improvisateur napolitain, le Retour de la Madone de l’Arc et ses Moissonneurs lui ont coûté des travaux infinis, avant qu’il les laissât dans l’état où ils sont. Mais de tous ses ouvrages, celui dont les vicissitudes ont été les plus nombreuses est le dernier, les Pêcheurs de l’Adriatique. » M. Feuillet de Conches a publié, en 1848, un livre du plus grand intérêt sur cet éminent et infortuné artiste : Léopold Robert, sa vie, ses œuvres et sa correspondance, — Le frère cadet de Léopold Robert, Aurèle Robert, né à La Chaux-de-Fonds en 1805, mort à Brienne (Suisse) en 1871, a été également un artiste estimé. Son frère l’avait fait venir près de lui, à Rome, et il en fit son meilleur élève. Aurèle Robert a surtout peint, avec beaucoup de vérité et de charme, les monuments de Rome et de Venise et quelques tableaux de genre. Il a peu exposé à Paris, assez cependant pour obtenir une 2e médaille en 1831. Citons de lui : Un baptême dans le baptistère de Saint-Marc, à Venise (Salon de 1835) ; Entrée de l’église Saint-Marc (1836) ; Une chapelle de l’église de Saint-Marc (1840) ; Intérieur de l’église Saint-Marc (1847). La plupart de ses tableaux ont passé dans des collections particulières. Aurèle Robert a laissé une magnifique collection de dessins d’après les tableaux de son frère et exécutés sous la direction de celui-ci ; ces dessins devaient servir à graver l'œuvre complet de Léopold Robert.


ROBERT (Henri), mécanicien et horloger français, né à Mâcon en 1795. Il était avoué dans sa ville natale, lorsqu’il se démit de sa charge pour aller étudier l’horlogerie à Paris (1824). Là, il s’astreignit à travailler comme simple ouvrier dans la maison Bréguet, et telles étaient ses aptitudes pour la mécanique, qu’en peu de temps il connut à fond les parties les plus difficiles de l’art. En 1829, M. Robert fonda une maison à Paris, s’occupa particulièrement d’horlogerie nautique et fut nommé horloger de la marine royale. Les compteurs, les pendules perfectionnées, etc., qu’il a envoyés à diverses Expositions lui ont valu les récompenses les plus honorables, notamment une médaille d’or en 1844 et la médaille d’or de la Société d’encouragement. Il s’est également fait connaître en exécutant plusieurs appareils ingénieux destinés à faire comprendre aux élèves les principaux phénomènes de l’astronomie, notamment un appareil qui a pour objet de représenter la précession des équinoxes. Parmi les ouvrages et les mémoires qu’il a publiés, nous citerons : Description d’une nouvelle montre à secondes ; Description d’une nouvelle montre marine ; Études sur diverses questions d’horlogerie (in-8°, avec atlas) ; l’Art de régler les pendules (in-12) ; Description et usage des nouveaux appareils construits pour faciliter l’étude des principaux phénomènes célestes, etc.


ROBERT (Antoinette-Henriette-Clémence), femme auteur française, sœur du précédent, née à Mâcon le 6 décembre 1797, morte à Paris en 1872. Sa mère se nommait Claudine-Henriette de Rohan ; son père, Jean-François Robert, était juge suppléant au tribunal de Mâcon. Son enfance s’épanouit en pleine liberté auprès d’un père et d’une mère qui l’idolâtraient..... Une fois ses leçons apprises, Clémence n’oubliait pas, chaque matin, de guetter le départ de son père, qui s’en allait en robe au tribunal. Quand il avait tourné la rue, elle prenait en toute hâte possession de son cabinet. Là se trouvait une bibliothèque assez vaste, garnissant tout le fond de la pièce. Au bas s’alignaient les lourds volumes de droit, et tout en haut, sur les rayons supérieure, perchaient les ouvrages de littérature. Cet obstacle n’arrêtait point la jeune fille. Roulant vers la bibliothèque un grand fauteuil de maroquin vert, elle plaçait une chaise sur ce fauteuil, grimpait sur le dossier de la chaise et atteignait ainsi les œuvres de Montesquieu, de Voltaire et de Rousseau. Tous ces livres et beaucoup d’autres encore étaient lus par elle avec avidité. À l’heure où l’audience devait finir, notre lectrice quittait ses livres. Les fortes lectures de Mlle Robert firent qu’elle se prit d’enthousiasme pour le libéralisme. Tout enfant, c’était déjà une républicaine, et on raconte que souvent elle exprima à son père sa surprise qu’on n’établît pas en France la république, et le bon juge entrait alors dans toutes sortes d’explications et faisait valoir des arguments que la jeune fille trouvait détestables. La goût de la poésie succéda chez Mlle Robert au goût de la lecture. Dans ses cahiers d’analyse et sous son carton de dessin venaient se glisser de temps à autre certaines feuilles mystérieuses chargées de rimes et contenant les timides inspirations de sa muse.

Voici une pièce que nous trouvons dans un volume, publié chez Janet en 1839, et qui nous permettra d’apprécier ces premiers essais littéraires de l’auteur et la tournure d’idées de la jeune fille :

À cet âge où l’on porte un grand chapeau de paille,
Une robe à la vierge aux plis légers et frais,
Un simple ruban bleu qui se noue à la taille,
Une croix d’or au cou, vers douze ans, à peu près,
En voyage à Lyon, je visitais Loyasse,
Superbe cimetière, et qui, de sa hauteur,
Jette sur la cité, que le regard embrasse,
L’ombre des noirs cyprès dans toute sa grandeur.
Seule, je parcourais ce cloître de feuillage,
Ce séjour d’éternel et sain recueillement,
Quand un frisson subit en moi se fit passage,
Et je sentis quelqu’un m’arrêter doucement.
Sur un gazon brodé de roses cinéraires.
Près de là reposait une tête de mort ;
Comme je traversais les funèbres parterres,
Elle avait accroché ma robe par le bord.
Son aspect était bon ; elle semblait me dire :
« Reste ici, pauvre enfant ! il est stérile et vain
De fatiguer tes pas à voir, pour en sourire,
Le peu qu’une existence enferme dans son sein ;
Sur le sentier pénible où le destin t’envoie,
Chaque instant de plaisir est payé par des pleurs !
La tristesse, ici-bas, l’emporte sur la joie ;
La vie est un néant paré de quelques fleurs.
Ici, plus de chagrin que le deuil éternise,
Et ce signe pieux, qu’à nos tombes tu vois.
Annonce qu’en touchant à la terre promise
Chacun dans cet asile a déposé sa croix. »
J’entendais ce langage et, toute jeune fille.
Je comprenais la paix et le repos des morts !...
Mais tout à coup ma mère apparut à la grille.
Et le soleil pourpré rayonnait au dehors.
Depuis, combien de fois, songeant à cette tête
Que je vis, ce jour-la, blanchir sur le gazon.
J’entendis ses conseils au milieu d’une fête !
Le mort du cimetière, hélas ! avait raison.

Malgré quelques imperfections, ce morceau, d’une tristesse gracieuse et profondément philosophique, promettait un poëte. Clémence Robert ne s’arrêta cependant pas à la poésie ; la prose, qui serre de près l’idée, convenait mieux à son tempérament, moins spéculatif que pratique.

Vers 1827, elle perdit son père et vint, avec sa mère, habiter Paris, où son frère, Henri Robert, alors simple ouvrier chez Bréguet, était déjà connu par ses inventions dans l’art de l’horlogerie. Un horizon tout nouveau s’ouvrit alors devant la jeune fille qui n’avait pu, sans s’exposer aux moqueries de sa petite ville, donner un libre essor à son goût pour les lettres, à sa vocation bien arrêtée. Elle avait souvent dit : « Si j’étais née pauvre, je me serais efforcée de gagner mon pain dans la littérature, et si le ciel m’eût fait naître princesse, écrire aurait été mon seul bonheur. »

Mlle Clémence Robert appartient à cette catégorie d’écrivains qui, en prenant la plume, ont une pensée, un but. Voici quelques lignes écrites par elle en 1834, et qui font bien connaître ses tendances : « La littérature n’ayant qu’un mérite purement littéraire est un simple divertissement de l’esprit. Faire des vers, seulement pour produire de jolis efforts, c’est un plaisir comme de broder ; raconter de belles histoires dont on ne peut tirer nulle conclusion utile, c’est aller à la chasse dans les terres de son imagination ; écrire en vers ou en prose pour le seul honneur du style, c’est, dans la sphère intellectuelle, donner un bal où les mots élégants et variés dansent gracieusement... Mais les écrivains qui ont le sentiment de l’avenir voient que le temps de ces fêtes est passé, et ils chargent la littérature de porter sa pierre à l’édifice social. »