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pour toujours donner un nouvel attrait à la lune et pour romantiser les étoiles, pour toujours rouler dans le même sac à charbon et en sortir toujours plus blanches. (Balz.)


ROMANTISME s. m. (ro-man-ti-sme — rad. romantique). Littér. et B.‑arts. Genre romantique, doctrines des écrivains et des artistes romantiques : Le romantisme, tant de fois mal défini, n’est, à tout prendre, que le libéralisme en littérature. (V. Hugo.) L’uniforme monastique est à la mode, le romantisme n’y a pas peu contribué. (T. Delord.) Le romantisme a fait de vains efforts pour dérider notre scepticisme. (G. Sand.) La doctrine avouée du romantisme fut la liberté dans l’art. (Champfleury.)

— A signifié Rêverie poétique : L’air pur des hauts lieux rafraîchit l’âme et dispose l’imagination à la méditation et au romantisme. (Brill.‑Sav.)

— Encycl. On a donné, en France, le nom de romantisme au grand mouvement littéraire qui commença un peu avant 1830, se poursuivit durant tout le règne de Louis‑Philippe et dont l’évolution n’est même pas encore terminée. Son caractère principal fut, dès l’origine, le renversement des règles établies, la transformation complète des formules que nous avait léguées l’antiquité classique, formules restées jusqu’alors presque universellement en vigueur. Rien de plus légitime que cette transformation et, jusqu’à un certain point, de plus nécessaire ; un fait capital comme la Révolution française s’étant interposé entre la littérature du XVIIe siècle et la nôtre, ayant changé les lois, les mœurs, la famille même et donné une nouvelle issue aux idées et aux aspirations, il était impossible qu’un pareil changement n’eût pas son contre-coup dans les œuvres de l’esprit.

Mais, si le romantisme a eu en France toute sa signification, ce n’est pas en France qu’il a pris naissance ; il procédait pour les autres nations d’un changement beaucoup plus ancien et dont les résultats furent immenses, l’avènement du christianisme. Comment se fait‑il même que, le christianisme ayant bouleversé la religion et l’état social que nous avait légués le monde antique, les formules littéraires ou artistiques des Grecs et des Romains et jusqu’à leur mythologie, absolument vide de sens pour nous, aient si longtemps subjugué tous les esprits ? Cela ne s’explique que par la perfection de leurs œuvres, perfection presque absolue et qui devait appeler l’imitation indéfinie. Cependant, ce ne fut qu’en France que le génie national consentit à s’absorber, à s’annihiler dans la reproduction constante des modèles classiques et encore seulement durant les deux derniers siècles littéraires. Outre que les auteurs anonymes des grandes épopées du moyen âge, les conteurs de fabliaux, les troubadours et les trouvères se sont fort peu inquiétés de l’antiquité et ont cherché en eux‑mêmes, dans leur goût personnel et dans celui de leur public, les lois de leur art, de très‑grands génies comme Dante, Shakspeare, Lope de Vega se sont soustraits à des règles qu’ils ne jugeaient pas faites pour eux, à des formules où ils dédaignaient de s’enfermer ; on peut appeler ceux-là les romantiques avant la lettre. En Allemagne, Tieck, Goethe, Lessing et Schiller ont également précédé de longues années nos romantiques de 1830. Lors donc que ceux‑ci, V. Hugo à leur tête, réclamèrent pour le poëte et l’écrivain dramatique le droit d’être de leur temps, de s’inspirer des sentiments et des aspirations modernes, de n’être pas obligés de mettre toujours leur pied dans les traces des Grecs et des Romains, qu’ils proclamèrent enfin l’affranchissement de l’art et de la littérature, car tel est le sens du romantisme, ils ne faisaient que reprendre une tradition interrompue depuis le moyen âge et opérer en France une révolution déjà consommée dans les autres pays. Par le fait de la persistance du goût et des doctrines classiques, par la résistance que la routine, passée en force de loi, lui opposa, cette révolution eut chez nous un caractère plus accentué, un caractère de réaction à outrance qui lui donna une signification et une portée plus grandes ; voilà ce qui distingue le romantisme français du romantisme en général. Ainsi, deux choses distinctes sont à examiner dans cette question : le romantisme en lui‑même, c’est-à-dire la transformation littéraire qui date du moyen âge, quoiqu’elle n’ait eu son grand développement que de nos jours, et l’histoire de l’école romantique, qui reconnaît en France pour ses fondateurs Mme de Staël et Chateaubriand, et dont le chef véritable est Victor Hugo.

— I. Hegel, en quelques pages d’une abstraction un peu germanique, mais pleines de faits vrais et d’aperçus ingénieux, a résumé les différentes phases intellectuelles de l’humanité afin qu’on pût se rendre un compte exact de la dernière. Il appelle romantique une forme particulière de l’art, qu’il oppose aux formes symbolique et classique. À l’origine de l’art, l’imagination fait effort pour s’élever, au‑dessus de la nature, jusqu’au spirituel. Mais c’est là une tentative impuissante. L’art, sans matériaux fournis par l’intelligence, ne fait qu’enfanter l’image grossière des formes physiques ou représenter des abstractions morales. Tel est le caractère de l’art symbolique. Dans l’art classique, au contraire, c’est l’esprit qui constitue le fond de la représentation ; la nature fournit seulement la forme extérieure. C’est sous cette forme que l’art atteignit son plus haut point de perfection, en accomplissant l’union de la forme et de l’idée, en idéalisant la nature, pour en faire une image fidèle de lui-même. Aussi l’art classique fut‑il la représentation parfaite de l’idéal, le règne de la beauté. Mais l’esprit ne peut trouver de réalité qui lui corresponde que dans son monde propre, c’est‑à‑dire dans le monde intérieur de la conscience. Là seulement il jouit de sa nature infinie et de sa liberté.

« Ce développement de l’esprit, qui s’élève ainsi jusqu’à lui‑même, qui trouve en lui ce qu’il cherchait auparavant dans le monde sensible, en un mot qui se sent et se sait dans cette harmonie intime avec lui‑même, constitue, dit Hegel, le principe fondamental de l’art romantique. Mais une conséquence nécessaire, c’est que, dans cette dernière période du développement de l’art, la beauté de l’idéal classique, c’est‑à‑dire la beauté sous la forme la plus parfaite et dans son essence la plus pure, n’est plus la chose suprême ; car l’esprit sent alors que sa vraie nature ne consiste pas à s’absorber dans la forme corporelle. Il comprend, au contraire, qu’il est de son essence d’abandonner la réalité extérieure pour se replier sur lui‑même ; il déclare celle‑ci incapable de le représenter. Si donc cette nouvelle conception est destinée à se manifester sous la forme du beau, la beauté reste quelque chose d’inférieur et de subordonné ; elle fait place à la beauté spirituelle qui réside au fond de l’âme, dans les profondeurs de sa nature intime. » (Esthétique, tome 2, p. 971, trad. Bénard.)

Dans la beauté romantique, il est nécessaire que l’âme, tout en se manifestant dans le monde extérieur, montre que, retirée en elle-même, elle est détachée de cette existence extérieure. Par conséquent, le corps ne pourra exprimer que l’esprit. D’après ce principe, la beauté ne réside plus dans la représentation sensible, dans l’accord parfait de l’idée et de la forme, mais dans l’âme elle-même ; c’est donc une beauté essentiellement spirituelle. « Avec cette indifférence pour la forme physique apparaît en ce qui concerne le côté extérieur de l’individualité, une manière de procéder analogue à celle de la peinture de portrait, qui n’efface les traits particuliers et les formes de la figure tels que les offrent l’original, ni ses imperfections et ses défauts, que pour y substituer quelque chose de plus conforme à l’idéal. » (trad. Bénard.)

L’art plastique offre tout d’abord l’exemple le plus frappant de la transformation qui est en train de s’exécuter. L’histoire du Christ, voilà ce qui fournit le sujet principal de l’art romantique au point de vue religieux. Le Christ est le modèle à imiter ; chaque individu doit trouver dans la contemplation de ce modèle l’image de son union réelle avec Dieu. Le Christ, c’est l’homme qui se dépouille de sa nature individuelle, qui souffre et qui meurt, mais qui, par les souffrances mêmes de la mort, ressuscite comme le dieu glorifié, comme le véritable esprit qui s’est manifesté aux hommes. Mais, comme, d’autre part, c’est sous les traits d’un homme qu’il est apparu, il est impossible de le confondre avec un autre personnage de la Fable ou de l’histoire. Ce que l’idée du beau repousserait comme ne lui étant pas conforme doit être accueilli nécessairement et représenté comme essentiel au sujet même.

« Ainsi donc, dit Hegel, lorsque la personne du Christ a été choisie comme sujet de représentation, les artistes qui ont entrepris d’en faire un idéal dans le sens et à la manière de l’idéal classique ont fait preuve du plus mauvais goût ; car de pareilles têtes de Christ et ces belles formes montrent bien, il est vrai, du sérieux, du calme et de la dignité ; mais d’abord la figure du Christ doit exprimer la spiritualité au plus haut degré de profondeur et de généralité, et en même temps une personnalité bien caractérisée. Or, ces deux conditions s’opposent à ce que la félicité soit empreinte sur le côté sensible de la forme humaine. Combiner ces deux termes extrêmes de l’expression et de la forme est un problème de la plus haute difficulté, et les peintres principalement se sont trouvés toujours très-embarrassés pour représenter le Christ d’après le type traditionnel. Le sérieux et la profondeur du sentiment doivent dominer dans de pareilles têtes. Mais les traits et les formes du visage, l’extérieur de toute la personne ne doivent pas plus être une beauté purement idéale que s’égarer dans le commun et le laid, ou même s’élever à la sublimité proprement dite. »

En dehors du sentiment religieux, on remarque, dans les productions de l’art romantique, l’énergie et la persévérance opiniâtre d’une volonté qui s’attache exclusivement à un but déterminé et concentre tous ses efforts dans sa réalisation. Mais, d’autre part, l’individu apparaît comme formant un tout complet. Ainsi, nous trouvons d’abord ces caractères pris pour ainsi dire dans l’état de nature ; mais comme, suivant l’impulsion exclusive d’une passion personnelle, ils ne représentent aucune idée générale, on ne peut ni les définir ni les classer avec rigueur. Tels sont les personnages de Shakspeare, dont le trait principal est l’énergie opiniâtre se développant avec éclat. «  Là, il n’est question ni de religion ni d’actions dont le motif est le besoin que l’homme éprouve de se mettre en harmonie avec le sentiment religieux ; il ne s’agit pas non plus d’idées morales. Nous avons sous les yeux des personnages indépendants, placés uniquement en face d’eux-mêmes et de leurs propres desseins, qu’ils ont conçus spontanément et dont ils poursuivent l’exécution avec la conséquence inébranlable de la passion, sans se livrer à des réflexions accessoires, sans vues générales et uniquement pour leur satisfaction personnelle. » Par exemple, le caractère de Macbeth est la plus violente ambition. Il hésite d’abord, mais bientôt il commet un meurtre pour obtenir la couronne, et pour la conserver il ne recule devant aucune cruauté. C’est cette conséquence de l’homme avec lui-même, et avec un but qu’il identifie avec lui‑même, qui fait tout l’intérêt du personnage. Rien ne l’arrête, ni le respect pour la personne de son roi, ni la démence de lady Macbeth, ni la défection de ses vassaux, ni la ruine qui le menace ; il marche au but en foulant aux pieds droits divins et droits humains. Lady Macbeth est aussi un caractère de ce genre. Il en est de même de Richard III, d’Othello et de la vieille Marguerite. Prenez un caractère ainsi enfermé, ainsi concentré en lui-même, et un moment doit arriver où toute l’énergie de ce caractère se réunira sur un sentiment unique et exclusif. Il s’y attache alors avec une force d’autant plus grande qu’elle n’est pas divisée ; il n’y a pour lui qu’une alternative : le bonheur ou la mort ; mais il lui manque la consistance ; il lui faut un principe moral pour le soutenir. Citons à ce propos un remarquable passage de Hegel ; c’est par là que nous terminerons :

« À cette espèce de caractères appartiennent les plus charmantes figures de l’art romantique, comme Shakspeare a su également les créer dans toute leur beauté. Telle est Juliette, par exemple, dans Roméo et Juliette. On peut se représenter Juliette comme étant, au commencement de la pièce, une jeune fille simple et naïve, presque enfant, ayant à peine quinze ou seize ans ; elle parait n’avoir aucune connaissance ni d’elle‑même ni du monde ; son cœur n’a éprouvé encore aucun mouvement, aucune inclination, aucun désir ; dans sa naïveté, elle a contemplé le monde qui l’environne comme une lanterne magique, sans en rien apprendre, sans faire la moindre réflexion Tout à coup nous voyons cette âme cachée développer dans toute leur force les qualités qu’elle recelait, montrer de la ruse, de la prudence, de l’énergie, tout sacrifier, se soumettre aux plus terribles épreuves. C’est une flamme allumée par une étincelle ; c’est le bouton d’une fleur qui, à peine touchée par l’amour, s’épanouit tout à coup, ouvre sa corolle et tous ses pétales, puis se flétrit l’instant d’après et tombe effeuillée plus vite qu’elle n’avait fleuri. »  

Ainsi, changement complet du point de vue, déplacement de l’idéal, étude de l’homme se repliant sur lui‑même pour s’observer et observer les autres dans ses propres passions, ses énergies pour le bien et pour le mal, tel est le résultat du romantisme. Le nom importe peu maintenant que la chose est définie, et il est certain qu’on n’en pouvait choisir un plus vague et plus faux. Une telle transformation, si complète et si radicale, n’a rien à voir avec l’art timide des trouvères et la langue romane dont ils se servaient ; c’étaient eux, au contraire, qui obéissaient, à leur insu, à un mouvement d’idées plus fort, dont la véritable cause est, comme on l’a déjà dit, la victoire du christianisme sur le polythéisme.

— II. En France, il eût été plus logique d’appeler germanisme la révolution littéraire qui éclata en 1830 ; c’est d’Allemagne qu’elle nous était venue, et Mme de Staël nous l’avait apportée entre les pages de son livre célèbre. De son côté, Chateaubriand nous l’apportait d’Angleterre en traduisant et en commentant les plus originaux des poètes anglais. Ils furent tous deux les parrains du romantisme français.

Jusque vers la moitié du XVIIIe siècle, et surtout depuis l’apogée du règne de Louis XIV, c’était la France qui avait imposé ses mœurs et sa littérature aux pays voisins. Elle avait donné le ton en toutes choses, au théâtre comme dans les jardins. En Allemagne, on taillait les ifs en pyramide et en jeu d’échecs comme à Versailles, et, singeant Louis XIV, l’électeur de Saxe jouait dans des ballets mythologiques. La révocation de l’édit de Nantes contribua encore à cette mascarade de nationalité : les exilés protestants formèrent un contingent puissant qui vint apporter et en quelque sorte imposer à l’Allemagne les goûts français, les habitudes françaises. Il fallut la guerre, chose étrange, pour changer cet état de choses. La guerre de Sept ans rapprocha la Prusse de l’Angleterre, et de ce mariage d’idées avec Shakspeare, Young, Ossian, date la renaissance du génie vrai de l’Allemagne. Toute une pléiade d’écrivains surgit tout à coup : Bodmer traduit Milton, Klopstock écrit la Messiade ; Lessing, le Diderot allemand, comme Wieland en est le Voltaire, compose la Dramaturgie, vaste et curieux plan de théâtre. Et bientôt paraissent Goethe et Schiller. Remarquons ici qu’en Allemagne la critique sert d’avant‑garde à la poésie. « Il est des époques, a dit M. Ernest Renan, où la critique est la poésie même. » C’est au début de la réaction que nous venons de signaler que peut surtout s’appliquer ce mot si juste. En effet, Bodmer, Lessing et Wieland sont des critiques autant et plus peut‑être que des poëtes. Ils préparèrent la voie ; quand Goethe et Schiller parurent, elle était libre. Ces deux grands hommes furent d’ailleurs, eux aussi, des critiques, et cette fusion de la critique et de la poésie est un des caractères les plus curieux du génie allemand.

Pendant que l’Allemagne accomplissait son grand mouvement littéraire, l’Angleterre accomplissait le sien. Shakspeare, sinon oublié, du moins bien dédaigné, revint en pleine lumière. L’évêque Percy publie les vieilles ballade nationales qu’il a recueillies avec un zèle enthousiaste. Il se manifeste à la fois un élan vers l’idéal et un retour à la nature dignes d’attention. Un groupe littéraire personnifie cette double tendance : c’est l’école des lakistes (lakists), composée de Wordsworth, Coleridge, Southey, Wilson, etc., et ainsi nommée parce que la plupart de ces poëtes avaient chanté les lacs de Westmoreland et de Cumberland. Puis enfin, comme en Allemagne avaient paru Goethe et Schiller, Byron parut en Angleterre puis Walter Scott. Si à ces noms nous ajoutons ceux de Chateaubriand et de Mme de Staël, nous aurons, dans une proportion relative, nommé les chefs du romantisme et spécialement de ce qu’on a désigné et qu’on désigne encore sous le nom d’école romantique en France.

Nous disons proportion relative, en ce que l’influence exercée par l’Angleterre et par l’Allemagne ne fut pas égale sur notre littérature : l’Allemand, plus penseur, plus philosophique, nous pénétra plus lentement de sa poésie saine et forte. L’Angleterre, au contraire, dès le milieu du XVIIIe siècle, commençait à avoir en France un parti littéraire. Letourneur traduisait Shakspeare, et la traduction de ce barbare s’enlevait malgré les imprécations de Voltaire. On découvrait avec étonnement des horizons nouveaux au delà des bornes étroites où des règles routinières avaient jusque‑là emprisonné nos plus grands poëtes, à commencer par l’auteur du Cid, notre immortel Corneille, blâmé publiquement par l’Académie pour ses incorrigibles audaces. Lorsque, après le tourbillon de la Révolution française, et pendant le premier Empire, lord Byron parut, sa poésie personnelle nous pénétra profondément. C’est que cette poésie était bien celle du moment ; les émotions de Byron, tout en étant particulières au poëte, étaient aussi celles de tout son siècle ; ses douleurs sont à la fois les siennes et les nôtres. Le doute amer mêlé à cette fiévreuse recherche de l’infini, de la vérité, le désespoir caché sous l’ironie la plus mordante et la plus fière, n’était‑ce pas, n’est-ce pas encore la maladie de tout ce siècle ébloui par cette grande aurore, 1789, et qui depuis cherche, trébuche et va au hasard ?

Pendant que Byron semblait prendre pour esthétique unique ces mots : « Regarde en toi-même et connais-toi, » un autre poëte, calme et tranquille celui‑là, disait : « Songe au passé. » Walter Scott ressuscitait le moyen âge absolument enfoui sous la poussière des siècles et dédaigné des poëtes. Il le remettait au jour ; il indiquait les innombrables ressources qu’il offrait à l’art. Il chante, ainsi qu’il le dit lui-même dans une pièce, «  le haubert, l’écharpe, le cimier, la fée, le géant, le dragon, l’écuyer, le nain. » Ce fut toute une poésie nouvelle, chatoyante, éclatante de couleur et de pittoresque, qui surprit d’abord, puis captiva.

Mais abandonnons ces maîtres et examinons quel était, quand ils parurent, l’état de notre littérature française. Les révolutions politiques peuvent amener de fécondes révolutions littéraires quand elles ont accompli leur cycle ; mais tant qu’elles durent, elles sont en général stériles pour l’art ; l’action étouffe le rêve. Les poëtes sont au plus fort de la mêlée et oublient d’écrire. Il s’ensuit que ceux qui écrivent, et que la foule prend pour des poëtes, sont tout au plus de patients travailleurs de mots ; l’âme est ailleurs. À l’exception de Marie‑Joseph Chénier, l’auteur de Charles IX, qui n’avait pas encore écrit son Tibère, sévère et remarquable étude, de Lemercier, qui n’avait guère produit encore qu’Agamemnon, tragédie supérieure à celles de Voltaire, mais de la même école, la Révolution n’a pas un nom de poëte à citer. À la Révolution succéda le Consulat, puis au Consulat l’Empire. L’empereur, qui professait sur les poëtes l’opinion de Louis XIV et ne les considérait guère que comme des accessoires de sa gloire, nécessaires pour la célébrer, chargea le grand maître de l’Université, M. de Fontanes (que les mauvais plaisants appelaient Faciunt asinos), de lui découvrir des Corneille. En fait de Corneille, on ne découvrit que Luce de Lancival, auteur d’Hector. La plus grande gloire littéraire de ce temps c’est Delille, versificateur ingénieux, abusant de la description et de la périphrase. Pendant que Goethe et Schiller illuminent l’Allemagne, que Byron révolutionne littérairement l’Angleterre, que tant de nouveaux horizons s’ouvrent chez les nations voisines, la France ne peut montrer que de pâles décalques des maîtres ; au théâtre des copies de Ducis, dans l’ode des copies de J. B. Rousseau, et déjà Ducis et