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avoir, de Freytag, qui se contente d’être un roman bourgeois et qui est par là plus accessible.

L’Amérique anglaise a eu son Walter Seott en Fenimore Cooper, qui a retracé dans une suite de tableaux pittoresques les principaux épisodes de la guerre de l’Indépendance et la vie des premiers défricheurs des immenses savanes du nouveau monde. Les Pionniers, le Dernier des Mohicans, la Prairie. l’Espion sont aussi populaires chez nous qu’en Amérique ou en Angleterre ; les paysages de la contrée des grands lacs, les mœurs des Peaux-Rouges, un peu débarbouillés pour qu’ils fussent présentables, la longue carabine et le rire silencieux de Bas-de-Cuir nous sont aussi familiers que si nous avions vécu avec eux et parmi eux. Après Fenimore Cooper, Washington Irving est retourné au roman de mœurs, à la peinture de la vieille société dans son Livre d’esquisses, dont la page la plus remarquable est ('Histoire de Rip van Winkle. Mme Beecher-Stowe nous a décrit, dans la Case de l’oncle Tom, avec un retentissement européen, les misères et les souffrances de la classe noire, et elle a fait encore une autre protestation contre l’esclavage dans Dred, qui a eu un succès presque égal. Un autre romancier américain, Hawthorne, s’est cantonné dans un domaine tout spécial, le roman psychologique, l’analyse ferme et délicate des drames qui ont pour théâtre la conscience ; la Lettre rouge A, la Maison aux sept pignons sont des modèles d’un genre qui a été peu cultivé chez nous.

Après la France, c’est l’Angleterre et l’Amérique qui produisent le plus de romans ; cependant, il nous faut dire un mot des destinées du genre dans les autres pays, la Flandre, la Russie, l’Italie et l’Espagne. La Flandre n’a guère qu’un seul romancier, Henri Conscience, qui s’est voué à la peinture des mœurs de son pays, comme chez nous Émile Souvestre n’a mis en scène que des Bretons ; romans de mœurs, romans d’aventures et romans historiques, H. Conscience a cultivé tous les genres, mais en prenant toujours la Flandre comme théâtre principal de ses fictions. La Russie est un peu plus riche, sans l’être beaucoup ; trois romanciers s’y sont acquis une légitime réputation, Nicolas Gogol, Ivan Tourgueneff et Pouchkine ; ils ont surtout cultivé, les uns et les autres, l’étude de mœurs, qui offre, dans ces terrains encore vierges, d’amples matériaux, et le roman fantastique, divertissement commun à toutes les littératures, mais d’autant plus plausible dans un pays où les légendes abondent, où les superstitions n’ont pas encore été complètement annihilées par le scepticisme. Quant à l’Espagne et à l’Italie, elles ne sont plus au temps où leurs merveilleux conteurs et romanciers amusaient toute l’Europe. Les traductions des romain français, surtout ceux de Paul de Kock et d’Alex. Dumas, sous les noms desquels on place du reste tous les autres pour attirer les clients, alimentent presque uniquement la consommation annuelle. L’Espagne n’a plus de Cervantes ni de Quevedu, mais elle vante beaucoup Fernan Caballero, pseudonyme d’une femme, bas bleu confit en morale et en dévotion, qui, cependant, a des éclairs de sentiment et de poésie ; le roman historique y est cultivé par M. Fernandez y Gonzalez, qui a écrit une œuvre de quelque valeur, Martin Gil, sur le règne de Philippe II, dans le genre d’Alex. Dumas, malheureusement un peu mitigé de Ponson du Terrail. L’Italie a quelques romanciers plus connus en France : Manzoni, l’auteur des Fiancés ; Rosini, l’auteur de Luiza Strozzi, roman historique d’un grand intérêt qui place sous un jour véritable l’histoire anecdotique et artistique de Florence au temps des Médicis ; Guerrazzi, dont l’Asino et l’Assedio di Firenze sont aussi des pages semi-historiques pleines de vie et de mouvement : le marquis d’Azeglio, qui, dans Piagnoni e Palleschi, a décrit avec une exactitude suffisante les luttes des partisans de Savonarole et des Médicis et qui a repris le roman moyen âge, bien passé de mode en France, dans la Disfida di Barletta.

Nous avons gardé pour la fin les quatre grandes œuvres récentes de Victor Hugo : les Misérables, les Travailleurs de la mer, l’Homme qui rit et Quatre-vingt-treize. Elles tiennent, par certaines peintures, du roman de mœurs à la Balzac ; par d’autres, comme l’épisode de Waterloo, dans les Misérables, et le chapitre de la Convention, dans Quatre-vingt-treize, de l’histoire à la Michelet. On y rencontre à la fois les suaves figures de femmes de Walter Scott, les rêves délirants d’Edgar Poe, les grotesques grimaçants d’Hoffmann, les conceptions philosophiques du germanisme ; des pages d’un intérêt poignant coudoient des dissertations sur l’étal social, le drame émouvant alterne avec les descriptions pittoresques et les théories humanitaires, tout cela non sans charme, car ce grand esprit transfigure tout ce qu’il touche et crée à volonté, dans l’horrible ou dans le beau, des types souverains. De grands défauts d’équilibre et de composition déparent les Misérables, si remarquables par d’autres côtés ; ces défauts sont encore plus visibles dans les Travailleurs de la mer, dont quelques pages ravissantes ou terribles ont peine à pallier la longueur monotone ; enfin, jamais le goût du bizarre, de l’énorme, du monstrueux n’a rien inspiré de comparable aux imaginations prodigieuses, au grotesque exagéré et prolixe de l’Homme gui rit ; jamais ce cerveau, d’une trop forte puissance et qui ne conçoit rien sans l’agrandir démesurément, ne s’est livré à une telle orgie de peintures et de visions incohérentes ; jamais il n’y eut entassement pareil d’érudition, de dissertations, de descriptions, d’analyses perdues et noyées dans un flot d’aventures dont on perd et retrouve vingt fois le fil au milieu d’un dédale. Quatre-vingt-treize, dont la première partie seulement a paru, offre aussi, à côté de pages magistrales et d’aperçus lumineux, ces flots intarissables d’érudition, ces antithèses gigantesques et puériles qui font partie de la poétique du maître. Cependant, aucun roman contemporain ne présente autant que ceux-là de beautés grandioses, de figures d’un relief sculptural, de types doués de vie. C’est donc intentionnellement que nous terminons cette revue par ces quatre grandes œuvres, non pas qu’elles donnent l’idée du roman tel qu’il doit être, mais elles le résument, elles en comprennent tous les genres et même toutes les déviations.

Roman (HISTOIRE DU) et de ses rapports avec l’histoire dans l’antiquité grecque et latine, par A. Chassang (1862, l vol. in-8°). M. Chassang est le premier qui ait donné, d’une façon nette et précise, une idée du roman dans l’antiquité grecque et latine. On croit, en général, que le roman est un genre de littérature tout à fait moderne. On se trompe. Si le mot est en réalité moderne, le genre littéraire qu’il exprime n’en a pas moins toujours existé. Le roman a sa source dans la poésie ; mais la fiction romanesque est distincte de la fiction poétique, et leur différence est sensible, surtout à l’origine. Tandis que le poète inspiré propageait, en les embellissant, les vieilles fables et les vieilles traditions, le romancier, moins sincère, s’étudiait à faire accepter les récits que son imagination avait créés. Voilà ce que montre fort bien M. Chassang. Sans doute, l’antiquité a laissé sur ce point quelque chose à faire aux modernes ; cependant, ainsi que le dit M. Chassang, parmi les variétés que présente le roman moderne, il en est peu qui ne se rencontrent au moins en germe dans les littératures anciennes. Récit, long ou bref, grave ou enjoué, sérieux ou satirique ; fable, conte, nouvelle ; roman historique, roman philosophique, roman religieux, roman d’amour et d’aventures, roman fantastique, roman pastoral, l’antiquité a connu et cultivé tous ces divers genres et, Si ce n’est pas là qu’elle compte le plus de chefs-d’œuvre, elle s’y est signalée par des ouvrages remarquables à divers titres, depuis la Cyropédie jusqu’aux Clémentines, depuis les Fables milésiennes jusqu’à Daphnis et Chloê. M. Chassang distingue, pour le roman comme pour les autres genres littéraires, trois grandes époques depuis l’apparition de la prose ; l’époque attique, l’époque alexandrine, l’époque romaine. Chacune de ces époques a son caractère propre. Dans l’époque attique, le goût littéraire a toute sa pureté ; l’imagination n’a pas encore fait de grands écarts, elle est toujours docile à la raison. L’époque alexandrine marque le règne de l’érudition, mais d’une érudition stérile et la plus souvent mal appliquée. L’époque romaine, après la brillante phase qu’on appelle le siècle d’Auguste, nous fait assister à la dissolution de la vieille société et à la décadence des littératures antiques ; mais elle est signalée par la naissance et les progrès d’une société nouvelle et d’une nouvelle littérature, créées l’une et l’autre par la religion chrétienne. Le roman apparaît dès la première époque ; il se propage dans la deuxième ; dans la troisième, on le voit prendre une extension considérable, mais en même temps trahir pour le goût une sensible décadence.

Voilà le cadre qu’a essayé de remplir M. Chassang. Il l’a fait avec une érudition sérieuse et attachante. C’est un livre plein de bons renseignements ; c’est, de plus, un livre agréable.


Roman de la Rose (LE), poôme allégorique.

Ce poerne se compose de deux parties distinctes: la première, qui appartient au

xui » siècle, est de Guillaume de Lorris, contemporain de saint Louis ; c’est une allégorie galante, semée de quelques détails agréables, de quelques descriptions souvent ingénieuses. La seconde partie, ou plutôt le second poëme, est de Jean de Meung, qui Vécut jusque vers l’an L3Î0. Beaucoup plus étendue que la précédente, elle s’en distingue par l’érudition et l’esprit satirique.

L’œuvre de Guillaume de Lorris, malgré la popularité dont elle a joui, a toute la froideur naturelle à une allégorie. L’amant, héros du poème, se fait introduire par dame Oyseuse au château de Ûéduyt (Plaisir). II y trouve l’Amour et tout son cortège, Doux-Regard, son éeuyer, Richesse, Jolyveté, Courtoisie, Franchise, Jeunesse, etc., lesquels forment des couples amoureux et se livrent au plaisir de la danse et de la promenade. Le poète arrive devant un carré de roses protégé par une haie ; il distingue un bouton et s’apprête à le cueillir; une flèche que lui décoche l’Amour l’étend par terre tout pâmé et baigné de sueur. Il se reconnaît vaincu et prête serment d’allégeance à l’Amour, auquel il laisse son cœur en gage. L’Amour enferme ce cœur sous clef. Après

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quoi il lui enseigne ses commandements: c’est tout un traité de l’art d’aimer.

Le poste, resté seul, veut retourner au bouton de rose. Il est accompagné de Bel-Accueil ; Dangier, armé d’un bâton d’épines, Honte, Peur, Malebouche l’empêchent d’y arriver. Raison lui conseille de renoncer à sa poursuite ; mais il s’emporte contre elle, et, à l’aide de Pitié et de Franchise, il parvient k fléchir Dangier ; Vénus lui permet d’approcher ses lèvres du bouton. Mais Malebouche l’a dénoncé à Jalousie ; celle-ci fait bâtir un château fort et y enferme Bel-Accueil dans une tour dont une vieille a les clefs ; Honte, Peur, Malebouche et Dangier gardent les quatre portés principales.

Que peut le poète sans le secours de Bel-Accueil ? Il se lamente, il gémit sur le prix dont il a payé les premières faveurs de l’amour.

Ici finit le travail de Guillaume de Lorris.

Jean de Meung prend l’amant en train de se lamenter au pied de la tour où est enfermé Bel-Accueil. Il lui amène Raison, qui lui parle longuement, trop longuement de l’amour, de l’amitié, des caprices de la fortune, de l’avarice et de ses inconvénients. L’amant refuse de l’écouter et Raison se retire. L’Ami la remplace et, prenant une voie plus commode, au lieu de recommander à l’amant les remèdes d’amour, lui enseigne comment il doit s’y prendre pour arriver à se* satisfaire. Ii tui conseille d’essayer de corrompre les gardiens de Bel-Accueil et de prendre le chemin de Trop-Donner; mais l’amant ne peut s’entendre avec Richesse. Comme il se désespère, Amour vient mettre à son service une armée pour assiéger le château de Jalousie. Il convoque tous ses barons : ce sont dame Oyseuse, Noblesse de cœur, Franchise, Simplesse, Pitié, Largesse, Hardiesse, Honneur, Courtoisie, Dédain, Sûreté, Jeunesse, Patience, Humilité, Bien-Céler. Ils ont amené avec eux deux personnages que Jean de Meung n’a pas empruntés à Guillaume de Lorris : c’est Faux-Semblant et Contrainte-Abstenence. L’Amour, surpris de trouver ces deux inconnus dans les rangs de son armée, escortés de Simplicité et de Franchise, veut tout d’abord les en chasser ; mais Simplicité et Franchise, ces dupes ordinaires des faux dévots, intercèdent pour Faux-Semblant et Contrainte-Abstenence, et le dieu d’amour consent à les recevoir a son service ; puis il ordonne l’attaque du château. Faux-Semblant et Contrainte-Abstenence s’apprêtent à combattre avec les armes qui leur sont’propres. Contrainte-Abstenence s’affuble d’une robe de camelot, couvre sa tête d’un large chapeau de nonne, sans oublier le psautier ni les patenôtres. Faux-Semblant, habillé en frère mendiant, suspend une Bible kson cou et s’appuie, en guise de bâton, sur une potence. Dans sa manche est caché un rasoir d’un acier tranchant. Ainsi accoutrés, nos pèlerins vont trouver Malebouche, un des gardiens du château. Celui-ci les reçoit bien ; touché par un sermon de Faux-Semblant, il se met à genoux pour se confesser au frère ; mais, tandis qu’il baisse la tète avec contrition, Faux-Sei.iblant le saisit à la gorge, l’étrangle et, de son rasoir, lui coupe ta langue. Puis, avec l’uide de Contrainte-Abstenence, il égorge les sentinelles endormies et pénètre dans le château. L’amant revoit Bel-Accueil. Déjà il s’apprête à cueillir la rose, quand un cri, poussé par Dangier, fait accourir Honte et Peur. Bi’1-Accueil est battu et l’amant chassé du château par les épaules.

L’armée du dieu d amour donne alors l’assaut ; mais les assiégés sont les plus forts, et l’Amour envoie demander du secours à sa mère. Vénus y met un prix : ses sujets vont jurer qu’aucune femme vivante ne sera chaste, Ils en font serinent, en jurant sur leurs carquois et leurs flèches ; et le malin poëte affirme que jamais serment ne fut plus fidèlement gardé.

Cependant il arrive au camp un allié qui n’était pas attendu : c’est Genius, le chapelain de dame Nature. Genius est accueilli avec joie. Il monte en chaire, vêtu d’une chape magnifique, l’anneau pastoral au doigt et la mitre en tête. Son prêche rend le courage aux soldats. Le siège du château recommence ; Vénus jette dans la place un

brandon allumé. Dès que Dangier, Honte et Peur en ont senti la chaleur, ils s’écrient : « À la trahison ! » Dès lors toute résistance cesse ; le château est pris. Franchise, Courtoisie et Pitié courent délivrer Bel-Accueil, lequel facilite à son ami la conclusion du roman, conclusion si risquée que force nous est de nous contenter de l’indiquer.

En lisant cet étrange poème, on serait tenté de croire que Jean de Meung n’a entrepris de continuer l’œuvre de Guillaume de Lorris que pour en faire une sanglante satire. L’œuvre de Guillaume comprend quatre mille vers d’une fadeur mortelle, où 1 on fait un galant éloge des femmes et de l’amour chevaleresque ; celle de Jean, non moins fade,

se compose de dix-huit mille vers ; l’auteur réduit 1 amour au plaisir des sens, maltraite les femmes en termes aussi généraux que grossiers et injustes, et ne respecte rien de ce que le moyen âge avait l’habitude de vénérer. Les nobles sont mis à côté, sinon au-dessous des charretiers ; les rois ne régnent que par la volonté du peuple et cesseront de régner

Sitôt que le peuple voudra.

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L’Église et les moines jouent les rôles les plus honteux dans le poème de Jean/de Meung, et l’on y daube sur leurs richesses, leur crapule et leur hypocrisie. La morale évangélique elle-même ne trouve pas grâce devant le terrible satirique. Guillaume de Lorris avait exalté l’amour platonique ; Jean de Meung introduit bravement dame Nature, dont le confesseur Genius revendique les droits et, prêchant sur ce texte : « Croissez et multipliez, à lance l’excommunication contre quiconque se soustrait à ce précepte divin. Cette violente satire, inspirée par des colères fort justifiées, est malheureusement interrompue par des digressions philosophiques interminables, où l’auteur ne se lasse pas de citer les Latins, les Grecs et les philosophes contemporains. Jean de Meung est un érudit fort estimable, mais il abuse de sa science et en assomme le lecteur.

L’entreprise hardie de Jean de Meung ne pouvait manquer d’être sévèrement conaamnée ; Gerson l’attaqua sans ménagement. D’autres théologiens, plus ingénieusement inspirés, tentèrent ce qu’on a si heureusement essayé pour le Cantique des cantiques et voulurent voir dans le Homan de ta Àose une allégorie mystique, où le rôle le plus scabreux est attribué à la vierge Marie.

En somme, et malgré les hardiesses du continuateur, le Homan de ta Rose reste pour nous une œuvre profondément ennuyeuse. Mais, dit Villemain, « ce qui nous choque et nous impatiente aujourd’hui dans les deux parties du Roman de la Rose, la profusion des êtres allégoriques et la fadeur subtile de la galanterie, toute cette mythologie abstraite, Faux-Semblant, Bel-Accueil, Malebouche, Jalousie, Déduyt, Jeunesse, Bien-Céler, etc., etc., sans cesse en mouvement ou du moins en discours, pour arriver à l’incident d’une rose cueillie, cela charmait les lecteurs du moyen âge. Les dames, ainsi que les gens d’Église, étaient fort irrites de certaines épigrammes grossières et généralités injurieuses, mais cela ne détournait pas de lire le médisant ouvrage et de s’y plaire ; seulement, l’allégorie et les longueurs étaient un voile et une excuse. Jean de Meung, moins précis, moins spirituel et moins poëte que son devancier, mais à la fois plus savant et plus libre, parlait de tout, mettait tout dans sa Continuation rimée, depuis les lambeaux d’auteurs latins qu’on recommençait à lire jusqu’aux rêveries de la pierre philosophale et aux plaintes, très-réelles, alors des bourgeois et des manants. Ce fatras-était pour le temps une encyclopédie, dans laquelle surnageait une certaine àcreté d’humeur indocile et de verve moqueuse. Ce fut, à l’origine, le grand mérite de l’ouvrage, —et c’en est, à nos yeux, le caractère historique et durable : là commence plus sensiblement une série persistante de cet esprit indigène, qui, dispersé dans l’air du pays, partout épars dans les fabliaux, s’est amassé dans ce long roman plein d’allégories satiriques, y a fait, en quelque sorte, corps de doctrine, pour de là s égayer dans Marot, trouver son épopée dans Rabelais, s’enrichir de traits plus amers dans Régnier, se perpétuer dans Le Sage et arriver à Voltaire. >

On a publié de nombreuses éditions du Romande la Rote ; contentons-nous de citer celle de Clément Marot (1527), qui n’est pas estimée et ne mérite pas de l’être ; celle de 1538 ; celle de Méco, très-complète et très-exacte, en 1813 (4 vol. in-ao).

Roman comique (le), par Scarron (1G62). C’est un ouvrage original et bien écrit, qui rivalise avec les plus agréables romans picaresques de la littérature espagnole et qui est resté un des meilleurs entre les romans du second ordre. On a eu raison de prétendre qu’il n’avait pas été sans influence sur le perfectionnement de la langue française. ■ Des ridicules de province, dit Chénier, des comédiens de campagne, des scènes d’auberge ou de tripot, voilà ce qu’on y trouve. Les incidents, les personnages, le style, tout y est ignoble et grotesque, mais tout est vrai. Le livre amuse, on le lit encore ; il restera, tant le naturel sait prêter d’agrément aux tableaux qui en paraissent le moins susceptibles. > > Dans cet ouvrage, dit Laharpe, il faut passer presque toutesles nouvelles que Scarron a tirées des Espagnols ou qu’il composa dans leur goût. J’aime cent fois mieux Rayùtin que toutes ces fadeurs amoureuses et ces froides intrigues. Ragotin est de la farce, mais il fait rire. Le Virgile travesti est insupportable au bout de deux pages, Jodeiet et Don Japhet sont, deux pièces indignes de la scène française. Le Roman comique vaut infiniment mieux : c’est, à proprement parler, tout ce qui reste de Scarron, et aussi ce qui nous reste de meilleur des romans du dernier siècle (xvne). •

Voici le canevas de ce roman : Un jeune homme, amoureux d’une jeune fille que lui a confiée sa mère en mourant, à bout de ressources, s’engage avec celle qu’il aime dans une troupe de comédiens sous les noms de Destin et de Mlle de L’Étoile. Respectant sa maîtresse et attendant d’être en mesure pour l’épouser, il est constamment obligé de la défendre, par la ruse et les armes à la main, contre un jeune noble débauché, sans foi ni honneur, du nom de Saldagne. Vainqueur de tous les périls, il deviendra probablement l’heureux époux de M11’de L’Étoile ; mais on ■ ne peut l’affirmer ; car le livre n’est pas