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rière-garde fut assaillie par les Vascons, dans les forêts de la vallée de Roncevaux, et taillée en pièces (778). Parmi les morts se trouvait Roland, préfet des Marches de Bretagne. Ce sont les seuls renseignements laissés par le chroniqueur sur ce paladin, que les fictions de la poésie ont rendu si fameux. Ainsi, suivant la Chanson de Roland ou la Chronique de Turpin, avant de combattre les Arabes, Roland avait déjà signalé sa valeur contre les Huns, les Bretons, etc. À Roncevaux, il combattit comme un lion, et lorsqu’il eut brisé sa Durandal (son épée), il consentit enfin à sonner de son olifant (ou cor d’ivoire) pour appeler Charlemagne à son secours. Suivant d’autres versions, avant de mourir, il donna sur le rocher un coup si furieux de cette espëe claire et flamboyante, qu’il ouvrit cette brèche immense des Pyrénées qu’on voit près des tours de Marboré (v. brèche), et cependant son épée ne se brisa point. V. la thèse de M. Monin, professeur à Toulouse, Sur le roman de Roncevaux (Paris, 1833), et Génin, la Chanson de Roland, avec traduction et notes (1851). V. aussi Roncevaux et chanson de Roland.

— Allus. littér. Jument de Roland, Jument fameuse du paladin Roland, qui n’avait d’autre défaut que celui d’être morte. Cette réflexion naïve du chroniqueur a passé dans la langue et l’on y fait de fréquentes et plaisantes allusions :

« Enfin j’ai essayé de faire de la littérature
aristocratique, et je ne me suis pas aperçu
que l’aristocratie avait toutes les qualités
possibles, mais qu’elle les gâtait par le même
défaut que la jument de Roland : elle était morte. Et cependant, là encore, n’ai-je pas
été victime d’une inconséquence ? »
                     A. DE PONTMARTIN.

Le cor de Roland. V. COR.


Roland amoureux (Orlando innamorato), poëme romanesque du comte Bojardo, en soixante-neuf chants (1495). Ce poème, dont le sujet est tiré de la chronique de l’archevêque Turpin et des romans fronçais sur la cour de Charlemagne, a inspiré celui de l’Arioste, qui en est la continuation. Les types si connus dé Rodomont, de Sacripant, de Mandricard, la physionomie si touchante d’Angélique sont des créations de Bojardo ; mais si l’Orlando innamorato a le mérite de l’invention, l’Orlando furioso l’emporte par le style.

C’est dans sa terre de Scandiano que Bojardo composa le Roland amoureux. La plupart des sites décrits dans le poëme sont des paysages de cette contrée ; les noms mêmes de ses personnages, il les a pris à ses vassaux, et les familles des Mandricards et des Agramants ne sont peut-être pas encore éteintes. Castelvestro raconte que, cherchant un nom sonore pour son héros le plus redoutable, tout d’un coup, au milieu d’une partie de chasse, celui de Rodomont lui vint à la pensée ; il tourna bride au galop, revint à son château féodal et, faisant sonner les cloches, donna des réjouissances publiques en l’honneur du baptême de ce nouveau saint.

l’Orlando innamorato brille surtout par l’imagination ; le plan est excellent, les caractères sont originaux et bien tracés, la narration est agréable et les épisodes sont ingénieux et variés. Sa fécondité de ressources égale presque celle de l’Arioste, et Bojardo n’avait eu de prédécesseurs que Pulci et Francesco Cieco.

« Quant au style, dit Ginguené (Histoire littéraire d’Italie), il nous conviendrait mal de vouloir en être juges dans une langue qui n’est pas la nôtre et dont les délicatesses sont infinies ; mais il parait que celui du Bojardo n’avait ni la grandeur qui eût été nécessaire pour le projet qu’on lui suppose de donner à l’Italie un poëme rival de l’épopée antique, ni la grâce et la légèreté qu’exigeait le poëme romanesque. Ses locutions, le tour de ses vers, la chute de ses stances ne nous paraissent pas de beaucoup supérieurs à ce qu’ils sont dans le Morgante maggiore de L. Pulci et le Mambriano de Francesco Cieco. » Le Roland amoureux, laissé inachevé par Bojardo, fut imprimé pour la première fois à Scandiano en 1495, par les soins de son fils, le comte Camille. Une trentaine d’années après, Agostini, poète médiocre, osa entreprendre de terminer l’ouvrage et le gâta. Plus tard, Domenichi voulut réformer le tout et n’y réussit guère mieux. En 1541, Francesco Berni s’empara du poëme, le refit à sa manière bouffonne qui le fait passer pour le Scarron des Italiens, et comme le texte non altéré de Bojardo est devenu extrêmement rare, le Roland amoureux est plus connu sous la forme bernesque. Nous en possédons trois traductions françaises. La première, de J. Vincent, a paru à Lyon en 1544 (in-fol.) et à Paris en 1549-1550 ; en 1574, in-8o. La seconde est due à la plume de F. de Rosset ; elle a été publiée à Paris en 1619 (in-4°), La troisième, enfin, est de Le Sage ; elle comprend 2 volumes in-12 (Paris, 1717, 1720 et 1721).

Sismondi a cru, à tort, que l’Orlando de Berni était un plagiat effronté de Bojardo. C’est le même poëme émondé, rajeuni ; des strophes et des pages entières n’ont subi que des modifications, très-ingénieuses, de style. Seulement, par endroits, cédant à sa verve, Berni a tourné le sérieux en grotesque. « Berni fut en quelque sorte, dit Corniani, le précurseur de Michel Cervantes. À force d’exagération, les entreprises des paladins paraissent aussi ridicules dans le Roland que dans le Don Quichotte. Le plus grand mérite du Roland de Berni n’est pourtant pas tant dans la joyeuse folie des inventions que dans la grâce ingénue du style. Il a rassemblé les tournures les plus nettes et les plus élégantes du langage vulgaire florentin et il en a embelli son travail. L’Académie de la Crusca a soigneusement recueilli les mots exquis et les adages qui émaillent le Roland bernesque et les a incrustés comme autant de joyaux dans les diverses éditions du Dictionnaire. »


Roland furieux, poëme épique de l’Arioste. Rien n’est difficile comme de définir cette œuvre étrange. Ses admirateurs en ont fait un chef-d’œuvre inimitable ; ses détracteurs y ont vu un entassement informe de conceptions monstrueuses ; le cardinal Hippolyte d’Este, à qui l’auteur ne craignit pas de dédier son œuvre, la définissait famiïièrement un tissu de… coglionerie, mot que nous ne saurions traduire en français sans être obligé de l’affaiblir. On ne peut dire qu’aucun de ces jugements contradictoires soit absolument dépourvu de vérité. Le Roland furieux, tel qu’il est, a laissé infiniment derrière lui tous les romans de chevalerie, dont il dérive, et a définitivement découragé toute imitation, bien qu’il soit lui-même une imitation, ou, pour mieux dire, une continuation de l’Orlando innamorato du Bojardo. L’histoire, la géographie, le bon sens n’y sont ni plus ni moins respectés que dans les autres romans en vers ; mais quelle immense supériorité d’imagination, de verve et d’esprit ! Quelle inimitable grâce ! Quelle ardeur d’expression ! Quelle richesse de poésie ! Quel enthousiasme ! Quelle passion ! Quelle conviction ! Quelle bonne foi ! Et en même temps quelle gauloiserie railleuse ! L’Arioste a-t-il cru sérieusement aux exploits de ses héros impossibles ou a-t-il voulu se moquer de ses lecteurs et de lui-même ? On se le demande à la fin de tous ces innombrables épisodes, lorsqu’on s’arrête pour respirer après s’être laissé entraîner après lui. Il serait, en un mot, impossible d’imaginer plus de vie réelle dans un cadre et au milieu d’événements plus fantastiques.

Quant au plan du poëme…, faut-il parler du plan du Roland furieux ? Y a-t-il un plan ? L’auteur ne s’est-il pas amusé exprès, et pour le seul plaisir de mystifier ses lecteurs, à emmêler les fils de son récit, suite d’épisodes enchevêtrés que l’imagination s’efforcerait en vain de débrouiller ? il faut pourtant se détromper à cet égard. Quelque compliqué qu’il soit et si grand que puisse être le brouhaha, le tohu-bohu des événements qui écrasent l’action principale et la font absolument perdre de vue, le plan existe, fortement tracé, et le poëte ne l’oublie pas un seul instant, ne commet pas une seule bévue. Ses personnages, engagés dans une foule d’aventures extraordinaires, semblent s’y perdre à tout moment, mais se retrouvent toujours à point sous la main de l’auteur et leur entrée est toujours ingénieusement préparée. Voilà ce que fait découvrir un examen attentif. Il n’en reste pas moins vrai qu’à la lecture courante il est tout à fait impossible de suivre le fil du récit et que le lecteur ressemble à un voyageur distrait par la beauté des sites, égaré, perdu, cherchant sa voie au milieu des verts sentiers qui s’entre-croisent devant ses pas. Un plan général du poëme est absolument indispensable pour se guider à travers ce labyrinthe ; nous allons nous risquer à le tracer aussi brièvement que possible, bien qu’une pareille entreprise doive réduire à un squelette presque sans consistance ce poëme, le plus prodigieux de tous les poëmes par l’immense variété des détails et l’étonnante richesse du style. Notre résumé est donc un travail ingrat, mais nous le croyons utile.

Les rois d’Afrique et leurs alliés, sous la conduite d’Agramant, ont résolu de détruire le beau royaume de France. Paris, boulevard de la France, est assiégé deux fois et réduit à la dernière extrémité. Après de longs combats, les Sarrasins sont entièrement défaits, le sol de la France est délivré et Agramant se rembarque honteusement avec les débris de son armée. Charlemagne rappelle alors ses guerriers dans la capitale, qui donne des fêtes brillantes aux libérateurs de l’empire. Voilà le thème.

Maintenant, pour se faire une idée de la manière dont l’Arioste a su développer son sujet, rattacher à l’action principale des aventures innombrables, représentons-nous le poëme sous la figure d’un arbre d’où sortent, comme des branches principales, les grands épisodes épiques de Roland, de Roger, de Renaud et d’Astolphe, qui en produisent d’autres d’une moindre étendue, et ainsi de suite presque à l’infini. Essayons d’entrer dans le récit.

Charlemagne, instruit que Roland et Renaud prétendent à la main de la belle et dédaigneuse Angélique, reine du Cathay, qui se trouve alors sous la garde du vieux duc de Bavière, la promet à celui qui s’en rendra le plus digne par ses exploits. La bataille est perdue, et Angélique profite du désordre de l’armée chrétienne pour s’échapper du camp. Renaud veut courir après elle ; mais un ordre du roi, qui s’attendait à être assiégé dans Paris, l’envoie en Angleterre demander du secours. Une tempête le jette en Écosse, où il arrive fort à propos pour sauver la belle Genèvre de l’infamie et de la mort. Le roi d’Écosse, dont Renaud sauve la fille, accorde tous les secours dont il peut disposer et désigne son propre fils pour commander les troupes auxiliaires. D’un autre côté, Roland, subjugué par la violence de sa passion, abandonne son roi pour poursuivre la belle Angélique. Ainsi, la passion de l’amour fait, dans le Roland furieux, ce que lait la colère dans l’Iliade : elle éloigne de l’armée le premier des héros pour faire briller la valeur des autres guerriers et balancer la victoire.

Charlemagne se plaint amèrement de la conduite de Roland. Brandimart, ami du chevalier, se met en route pour le chercher, et bientôt l’aimable Fleur de Lis partira à son tour à la recherche de Brandimart, son mari, comme Brandimart cherche Roland, comme Roland cherche Angélique.

D’autres circonstances tiennent aussi éloigné des champs de bataille le premier des héros ennemis, le noble et beau Roger, amant de la belle et valeureuse Bradamante, sœur de Renaud. Leurs amours, combattus par mille obstacles, sont encore un de ces principaux épisodes auxquels se lie une foule d’événements de tous genres. La magicienne Mélisse favorise leur union ; l’enchanteur Atlant s’y oppose et ne néglige aucun des moyens merveilleux qui sont en sa puissance pour écarter Roger des dangers de cette guerre.

Cependant Paris court les plus grands dangers. Un jour, les assiégeants sont parvenus à y mettre le feu, et, sans une pluie miraculeuse qui vient éteindre l’incendie, c’en serait fait de Paris, de la France, de l’Europe, de la chrétienté. Les Sarrasins, informés du secours que Renaud doit amener d’Angleterre, s’empressent de livrer un assaut général. Agramant encourage son innombrable armée ; Marsile est à la tête des Sarrasins d’Espagne ; l’audacieux Rodomont, roi d’Alger, brûle d’impatience et promet de détruire la grande ville. Charlemagne, entouré de ses preux, se rend à la cathédrale. Ses ferventes prières sont portées au pied de l’Éternel par l’archange saint Michel, le patron de la France. La bonté divine en est touchée et donne des ordres à saint Michel, qui descend aussitôt sur la terre. Il est chargé de trouver d’abord le Silence, puis la Discorde. Avec le Silence, il conduit rapidement et à l’insu de la Renommée les troupes de Renaud. Il doit ordonner à la Discorde de se jeter au milieu du camp ennemi et de jeter la division parmi les chefs. Ce n’est qu’après avoir cherché longtemps cette déesse ennemie de la paix qu’il la trouve enfin… dans un couvent.

Pendant le siège de Paris, le poëte délasse son lecteur par le touchant épisode de Cloridan et Médor, heureuse imitation de celui de Nisus et Euryale. Cloridan meurt victime de son amitié, et la belle Angélique vient donner à Médor la récompense de sa vertu. Échappée à Roland, à Renaud, à Sacripant, roi de Circassie, à tant de princes et de rois qu’elle dédaigne tous également, Angélique a enfin retrouvé son anneau magique : elle se dispose à retourner au Cathay, lorsqu’en passant près de Paris elle aperçoit le jeune Médor baigné dans son sang, le transporte dans la cabane d’un berger, assiste à sa guérison et finit par lui donner sa main et sa couronne. À peine a-t-elle quitté la cabane de ce berger, où elle a célébré son mariage avec Médor, que Roland y arrive. En lisant sur l’écorce des arbres les noms entrelacés d’Angélique et de Médor, et en apprenant enfin du berger leur mariage et leur départ pour les Indes, Roland se livre au désespoir et son amour se change en folie furieuse.

Il serait impossible de donner en quelques lignes une idée du grand tableau de la démence de Roland. Il parcourt la France, traverse l’Espagne, passe le détroit de Gibraltar à la nage, aborde les sables d’Afrique et se livre à toutes sortes de fureurs jusqu’au moment où Astolphe lui rend sa raison en lui rapportant la fiole où elle est enfermée. Alors, tous les deux ensemble, avec Brandimart et d’autres paladins que l’art du poëte a su réunir par des moyens extraordinaires et imprévus, se mettent à ravager les États d’Agramant. Ce prince en est instruit et sent qu’il a besoin de fixer la victoire qui jusque-là n’a fait que passer d’un parti à l’autre. Paris est sur le point de succomber ; mais la Discorde jette la confusion dans le camp d’Agramant et bouleverse toutes les têtes des guerriers. Rodomont a abandonné le roi d’Afrique en le chargeant d’imprécations ; Roger a tué Mandricard ; Gradasse, Marfise, Sacripant sont occupés à vider des querelles particulières ; bref, l’armée mahométane se trouve privée de ses principaux soutiens. Les chefs se décident alors à remettre le sort des deux armées à un combat singulier. Les Français choisissent Renaud ; les Sarrasins, Roger. Roger, qui sent sa supériorité sur Renaud, ne peut se résoudre à tuer le frère de son amante. Il ne cherche donc qu’à se défendre et combat avec hésitation. La magicienne qui favorise les amours de Roger prend la forme de Rodomont et, se présentant à Agramant, le pousse à rompre le pacte qu’il avait juré. Une bataille générale s’ensuit ; Agramant est vaincu et mis en déroute. Il s’embarque avec les débris de son armée et rencontre la flotte de Roland et d’Astolphe, commandée par Dudon. Une bataille navale achève de détruire les Sarrasins. Agramant se sauve sans qu’on puisse s’apercevoir de sa fuite ; mais la mort à laquelle il se flatte d’échapper l’attend au rivage : il tombe sous les coups de Roland.

Ici le poëte ramène tous les guerriers en France pour y voir célébrer les fêtes de la victoire et de la délivrance de la chrétienté, fêtes embellies encore par la conversion de Roger à la vraie foi.

Le Roland furieux parut en 1516, à Ferrare, et produisit une vive sensation ; il portait en tête une bulle de Léon X qui garantissait l’ouvrage de toute contrefaçon. Il ne faudrait pas croire, sur la foi d’une si grosse recommandation, que le poëme ressemble en rien à un livre d’église. Les descriptions de batailles et de combats singuliers y sont, au contraire, entremêlés d’épisodes galants que le cardinal d’Este qualifiait en riant par le mot de « haulte graisse » que nous avons rappelé plus haut. Telle aventure d’une héroïne avec un ermite frise de très-près ce qui a été écrit de plus risqué dans les livres qui ne sont pas ouvertement licencieux, et peut-être, à ce point de vue, si l’on voulait traduire le mot du cardinal, ne trouverait-on en français que le mot polissonneries. Mais baste ! ne soyons pas plus sévères que le pape et le sacré collège, et jugeons un chef-d’œuvre comme il mérite d’être jugé, c’est-à-dire de haut, en négligeant de pareils détails. « Rien ne manque à l’Arioste, dit le critique italien Battura. Comme écrivain, tantôt plaisant, tantôt sublime, en traitant tous les genres, il offre tous les trésors de la langue et de la poésie ; comme génie créateur, il s’ouvre une nouvelle route et la parcourt tout entière. » On a souvent fait des parallèles entre l’Arioste et le Tasse. Tiraboschi n’ose tout d’abord se prononcer et finit par pencher pour l’Arioste ; Métastase, après les mêmes hésitations, semble pencher pour le Tasse : Galilée donne la palme à l’auteur du Roland furieux ; Frugoni les appelle :

Il divin Ludovico, il gran Torquato.

Marie-Joseph Chénier, dans son Cours de littérature, fait de l’Arioste le portrait suivant : « L’Arioste emprunte à la romancerie française les enchantements et les prophéties de Merlin, les hauts faits d’armes de Roland, de Charlemagne et de Renaud de Montauban, jusqu’aux noms de leurs épées et de leurs coursiers ; mais les fictions qu’il adopte deviennent les siennes. Il chante les dames et les paladins, les fées et les héros, la guerre et l’amour, et tout avec une grâce égale, en vers pleins et faciles, riants comme les campagnes d’Italie, chauds et brillants comme les rayons du jour qui l’éclairé et plus durables que les monuments qui l’embellissent. Original quand il imite, inimitable quand il invente, il conserve un ordre admirable dans son désordre apparent. Semble-t-il égaré par son imagination vagabonde, tout à coup il s’arrête et de nouveau la laisse aller, tantôt la promène et tantôt la précipite ; changeant à son gré de route et d’allure, toujours indépendant des règles factices, mais toujours réglé dans ses écarts, toujours maître de son sujet, de ses lecteurs et de lui-même. » Il existe beaucoup de traductions françaises du Roland furieux ; on cite principalement celles de Mirabaud (1741), de A. Delatour (1842) et de Philipon de La Madelaine (1843), de A. Mazuy (1838-1840), de Panckoucke et Framery (1842), du comte de Tressan (1851), de Fr. Desserteaux, en vers (1864). Mais nous ne pouvons laisser à nos lecteurs l’espoir de faire connaître il divin Ludovico s’ils ne peuvent le lire dans le texte. Cette langue si pleine, si sonore, si délicieusement rhythmée et dont aucune traduction en vers ni en prose ne saurait conserver aucune trace, fait une bonne moitié du mérite de l’Arioste. Un traducteur est aussi impuissant à rendre l’Arioste qu’un graveur à donner une idée de Rubens ou du Titien. Notre avis est qu’on ne devrait jamais traduire les coloristes ni par la plume ni par le burin.


Roland amoureux, poëme héroï-comique de Berni (1541). Bojardo avait donné des formes trop sérieuses à son roman épique (v. plus haut), œuvre pleine d’invention, qui ne pouvait vivre néanmoins faute d’un style et d’un coloris en rapport avec le sujet. L’Arioste, devinant l’écueil que son devancier n’avait pas aperçu, se garda bien de parler constamment sur le ton grave de la raison. Esprit original jusqu’à la bizarrerie et porté à la satire, génie libre et indépendant, Berni entreprit de récrire, de reprendre tout le poëme du Bojardo, chant par chant et presque octave par octave, et en même temps il osa lutter avec l’Arioste, sur le terrain même de son rival. Chose étrange, il a réussi bien plus qu’il ne pouvait l’espérer. Son but, quoi qu’en pensent certains critiques italiens, n’était ni de faire une parodie ni de s’emparer du bien d’autrui ; mais il voulut procurer à Bojardo une gloire égale à celle de l’Arioste. Et, en fait, il lui a conservé la renommée ; grâce à son style, on lit le premier Roland amoureux ; le second Roland en date n’a pas effacé l’autre en l’éclipsant. Ce que Berni a le plus heureusement imité de l’Arioste, ce sont les prologues, les débuts de chaque chant ; il y en a de tous