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plicaiion que donnent les chercheurs d’étymologie. Les jeunes gens de la basoche, en Picardie, avaient coutume delancer, en temps de carnaval, des libelles qui contenaient les. indiscrétions scandaleuses de la chronique locale, et ils dissimulaient les plus graves uttaques sous des formules et des emblèmes’ —énigmatiques. Ces libelles étaient intitulés : ■ De rébus qus oeruntur. On dit ensuite un de ■rebut et, plus tard, un rébus, pour indiquerun livre, une épigramme, une phrase ou se trouvaient des allusions, —des équivoques, des — mots et des figures pris en un autre sens que celui qui leur est naturel. Bans donner cette origine comme certaine, nous remarquerons « que les rébus picards furent renommés, et que Tabourot, sieur des Accords, en a reproduit roi > ; rand nombre dans ses Bigarrures (Paris, 1572, iii-iï). On sait que Tabourot fut

! e collecteur soigneux de tous les jeux d’esprit

qui avaient cours en son temps. Lui-même se plut fa prouver son talent dans ces petits tours de force poétiques et littéraires : acrostiches, anagrammes, échos, équivoques, eoq-à-1’âne, rebut, etc. Voici un des reius.de sa composition ;

Pir vent venir Un vient d’un.

Pour obtenir le sens, il suffit d’ajouter la préposition sous à chaque mot 3e la seconde ligue, ce qui signifie : « Un soupir vient souvent d’un souvenir. » Le marquis de Bievre, cherchant un jour un logement pour ub de ses amis, en visita un qui parut lui convenir. Il en demanda le prix au portier ; qui le lui dit ; ce prix était excessif et on n’en voulait rien diminuer. Le marquis i avant de se retirer, ramassa un morceau de charbon et fit sur le mur deux barres précédées du mot le, ainsi qu’il suit : « Le.., ■ et dit au portier de faire lire au propriétaire ce qu’il venait d’écrire sur le mur. Le propriétaire, après avoir longtemps cherché, finit par y lire ces deux mots : Le barbare !

Qu’un tel budinage occupe, en passant, les plus sérieux esprits, on l’admet facilement ; mais, quand il uevient une manie et un engouement, comme dans la première partie du xvie siècle, on comprend l’irritation de Rabelais, qui disait des rébus de sou temps : « Homonymies tant ineptes, tant fades, tant rustiques et barbares, que l’on doibvioyt attacher une queue de régnard au collet, et faire ung masque d’une bouze de vache à un chascun d’yceulx qui en vouldroyent doresnavant user en Fiance après la restitution des bonnes lettres, •

Le rébus a été d’un usage fréquent dans les armoiries. On l’a de même souvent employé dans les marques de librairie et sur les enseignes. On voit encore aujourd’hui quelques enseignes où le vieux rébus a subsisté. Il n’est pas rare de trouver au coin d’une rue l’enseigne d’un marchand de vin avec les mois : Au bon, suivis d’une peinture plus ou moins grossière, représentant un fruit qui a la prétention d’être un coing. L’épicier dont la porte est surmontée d’un épi scié et précédé de la lettre A, ce qui signifie A l’ë. picier, n’est pas introuvable. Les anciens boulevards extérieurs de Paris présentent plusieurs chantiers de bois, avec cette enseigne : Au grand hiver ; seulement, le dernier mot est remplace par la lettre I, peinte en vert, ce qui forme un rébus naïf. Plus d’un charcutier a conservé la vieille enseigne à la louange du porc : Tout en est bon, depuis la tête jusqu’aux pieds, dans laquelle les mots tête et pieds sont remplacés par la représentation de ces objets en bois sculpté et doré.

11 y a une dizaine d’années, un employé d’un ministère faisait circuler dans les bureaux un reôta qui consistait uniquement dans une tète vue de face, ayant pour cou le mot texte. 11 promettait à l’Œdipe qui triompherait de lui une récompense de 100, 000 fr.

Au bout de quelque temps, tout ie monde ayant jeté sa langue où l’on sait, il donna l’explication en offrant toujours la même somme pour celui qui comprendrait : On ne manque pas de prétexte pour couvrir ses fautes au ministère. Ce qui fait, en le décomposant : 0 » ne (manque) — (pas de) pré''teste pour couvrir ses fautes (omis)(ni) stère.

Quoique le rébus, enrichi des ressources et des difncultés que lui apporte le crayon des dessinateurs ingénieux, soit aujourd’hui eu grande faveur, ou n’a pas renoncé au rébus primitif, composé uniquement de mots et de lettres. Ceux de ce uernier genre diffèrent bien peu ues rébus du xvie siècle, fin voici deux dont la date est récente.Tient lage pire rit

la foi la charité l’amour l’espérance ; ce qui se lit de la même façon que le rébus du sieur des Accords, cité plus haut, et signifie, en conséquence : La foi soutient, la charité soulage, i amour soupire, l’espérance sourit.

Le rébus suivant est un peu piusdifticile. M. Étienne Arago s’était fabriqué, il. y a quelque trente années, un rébus qu’il a conservé comme devise. Le voici :

URB Ail ÉKIL

Traduction : ah à gauche, bru. k droite, urk par-dessus tout (A’rago chérit la droiture par-dessus tout).

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Donnons quelques autres exemples de ré' bus : Jevous inviteà d i ner ; on peut ajouter sans cérémonie (sans serrer mon i) ;.oe qui ne ferait peut-être pas l’affaire de celui qui dirait : G a — J’ai grand appétit (g grand, a petit). — Mademosetle, comment va vore ? — Mademoiselle Sophie, comment va votre santé ? (Mademoselle ou Mademoiselle sauf i ; « ore ou votre sans t).

Quant aux rébus compliqués que les publications illustrées servent chaque semaine à leurs abonnés, nous ne pouvons que renvoyer a ces publications mêmes. On y verra à quel point ce petit art est poussé, et l’on en trouvera quelques-uns dont le dessin soigné et l’heureuse disposition font de gracieux tableaux. Pour ces rébus, comme pour les autres, il faut remarquer, comme rè^le générale, que tout ce qui est écrit ou dessiné se lit et qu’on ne doit y placer aucun signe dessiné ou écrit inutile à la lecture.

REBUS (IN) loc. adj. Cnn-ré-buss — mots lat. qui signif. en choses). S’est dit des écritures dans lesquelles on exprime par des figures les choses qu’on veut dire, et qui s’appellent aujourd’hui écritues hiéroglyphiques : Les anciens peuples gui ne connaissaient point l’alphabet se sont servis de l’écriture in rébus. (Acad.)

REBUT s. m. (re-bu. —. V. rebuter). Action de rebuter, refus rude et méprisant  : lia essuyé beaucoup de rebuts.

Lorsque par le* rebuts une aine « st détachée, Elle veut fuir l’objet dont elle fut touchée.

Molière,

— Objet rebuté, repoussé avec dédain : Vous n’aves que te rebut d’un tel. (Acad.) tl Objet qu’on dédaigne, auquel on n’attribue aucune valeur : Débarrassez-vous de tous ces rebuts qui encombrent voire bibliothèque. La vanité vit du rebut des autres passions. (Mme de Staël.)

De rebut, De nulle valeur ou de valeur presque nulle : Des marchandises de rebut. Des livres ds rebut.

Au rebut. De côté, comme étant de nulle valeur : Mettre quelque chose au rebut. Ces meubles sont maintenant au rebut.

— Administr. Nom donné aux envois dont on n’a pu trouver les destinataires : • Les rebuts sont détruits après un certain temps.

— Agric. Herbes qui ont été dédaignées par les bœufs au pâturage, et qu’on fauche pour les leur donner pendant l’hiver.

REBUTAGE s. m. (re-bu-ta-je — rad. rebuter). Fêehe. Service spécialement chargé de vérifier, avant l’embarquement, les morues pêchées et préparées, et de rejeter celles qui ne seraient pas e¥i bon état.

REBUTANT, ANTE adj. (te-bu-tan, an-terad. rebuter). Qui rebute, qui est propre à rebuter : Travail rebutant, "7m drame d’une complication rebutante.

Tout ce qu’on dit de trop est fade et rebutant, L’esprit rassasié le rejette à l’instant.

BoiLEAU.

)) Choquant, qui repousse, déplaît : Air rebutant. Homme rebutant. Mine, physionomie rebutante. Accueil rebutant.

REBUTE s. f. (re-bu-te — rad. rebuter). Digue, batardeau, dans le midi de la France.

REBUTÉ, ÉE (re-bu-té) part, passé du v. Rebuter. Mis au rebut : Marchandises, hardes rebutées.

— Repoussé avec dédain : Offres rebutées.

La tanche rebutée, il trouva du goujon.

La Fontaine.

— Fig. Lassé, découragé : Être rebutb par les difficultés.

Si loin que soit le but, n’en sois pas rebuté ; Chaque jour, chaque pas rapproche la distance.

VlENMBT.

— Fauconn. Oiseau rebuté, Oiseau qui a perdu son courage et qui ne veut plus voler.

REBUTER v. a. ou tr. (re-bu-té — du prêf. re, et de buter, pour signifier buter en arrière, repousser). Repousser avec dureté, avec rudesse, avec dédain : Le meilleur moyen pour attirer le monde est de ne rebuter personne. (Pasc.) Les habiles ne rebutent personne. (Vauven.) Il Rejeter avec dédain ; refuser, repousser : Il a rebuté mes offres. De cinquante pièces de monnaie, tl en rebuta dix qui étaient de mauvais aloi. (Acad.) L’estomac rebutera bientôt te meilleur mets s’il est présenté chaque jour, et l’âme se blasera sur l’exercice de toute vertu qui ne sera pas relayée par quelque autre vertu. (Fourier.) Les connaisseurs seuls ne rebutent pas le beurre blanc. (Joigneaux.)

-t- Décourager, dégoûter, lasser : Tant d’échecs ont fini par me rebuter. Ne vous laisses pas rebuter par les obstacles. Les discordances égarent l’imagination et rebutjsnt les affections. (Sénancour.) Ce qui rebute le mari peut encore faire le régal de l’amant. (Th. tiaut.}

— Absol. : Le fat rebute. (La Bruy.) Quand l’esprit est partout, il rebute, il ennuie.

Desiouches.

— Manège. Hebuter un cheval, Exiger de

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lui pînâ qu’il ne peut faire, et finir par le rendie insensible’& la voix et aux coups : Prtnez garde de ne pas trop gourmander ee cheval, vous le rebuterez. (Acad.)

Se rebuter v. pr. Se laisser aller au découragement, au dégoût : Les hqmmes sont moins constants que les femmes et se rebutent plus tôt qu’elles de l’amour heureux. (3.-1. Rouss.) Si les hommes qui recherchent avec passion les jouissances matérielles désirent vivement, ils se rebutent aussi aisément, (A. de Tocqueville.) Nous NOUS rebutons avec une facilité qui égale presque l’impatience avec laquelle nous désirons. (Guizot.)

Le plus ferme courage h la fin se rebute.

C. Boniouo.

REBUTEUR s. m. (re-bu-teur— rad. rebuter). Pèche. Employé chargé de vérifier les morues avant l’embarquement.

REBUTTAGE s. m. (re-bu-ta-je — du préf. re, et de butter). Techn. Sortie de la flamme par la porte du four a. chaux.

REBY s. m. (re-bi). Chronol. Nom du troisième et du quatrième mois de l’année arabe : Premier REBY..Deuxième, reby.

RECACHER v. a. ou tr. (re-ka-ché — du préf. re, et de cacher). Cacher de nouveau.

Se recacher v. pr. Se cacher de nouveau.

recacheter v. a. ou tr. (re-ka-ché-tédu préf. re, et de cacheter : Se conjugue comme cacheter.)Cacheter de nouveau : Riscacketer « ne dépêche.

— RECADENASSER v. a. ou tr. (re-ka-dena-sé — du préf. re, et de cadenasser). Cadenasser de nouveau : Per ipsum, et cum ipso, et in ipso I C’est le commandement qui recadenassb le diable en enfer. (V. Hugo.)

RECALCINER v, a. ou tr, (re-kal : si-nédu préf, re, et de calciner). Calciner’de nouveau : Rkcalc’iNer du charbon.

RÉCALCITRANT, ANTE adj. (ré-kal-si (ran,. unHe — rad. récaicitrer). Qui résiste avec humeur, avec opiniâtreté :

Pourquoi vous étonner qu’un généreux parent Qu’on ne consulte pas soit si récalcitrant ?

Al. Duval.

— Substantiv. Personne récalcitrante : Partout il y a des lois et des forces pour y ramener les récalcitrants. (Bastiat.) Les intendants furent armés du droit d’emprisonner tes récalcitrants ou de leur envoyer desgarnisaires. (A, de Tocqueville.)

— Syn. Hécoiciimiit, rétif, re » 6 « siie. Résister à la volonté d’autrui et réagir contre elle avec violence, voilà tout ce qui est compris dans la signification du mot récalcitrant, liétif marque aussi la résistance, mais il y ajoute une idée d’obstination qui se manifeste souvent par l’immobilité ou l’inertie ; de plus, il marque l’habitude de ! a résistance, ■ tandis que récalcitrant peut se rapporter uniquement à un cas particulier. L homme revéche est dur, acariâtre, hargneux ; on ne Sait par où le prendre.

RÉCALCITRER v. n. ou intr. (ré-kal-sitré — lat. recalcitrare ; de re, en arrière, et de cote, talon). Regimber, en parlant du cher val : Ce cheval ne fait que rbcalcitrer. il Peu usité.

— Fig. Résister avec opiniâtreté : Réoalcitrer à un travail. (Mérat.) D’autres que nous voyons d la fin soumis et sous le joug, combien ils ont récalcitré auparavant. (StoBeuve.)

RECALCULER v. a. ou. tr. (re-kai-ku-lé — du préf. re, et de calculer). Calculer de nouveau. ;.

RECALER v. a. ou tr. (rè-ka-lé — du préf.’ re, et de caler). Caler de-nouveau : Recaler une pierre, un meuble,

— Techn. Dresser et fixer un joint quelconque, il Polir le bois avec la varlope ; Zm varlopes à recaler ont le fer moins long que les varlopes à ébaucher.

Se recaler v. pr. Être recalé, calé de nouveau.

— Pop. Revenir à sa première position d’aisance, de fortune.

RECALFATER v. a. ou tr. (re-kal-fa-têdu préf. re, et de calfate)’). Mat. Calfater de nouveau.

RECALFEUTRER v. a. ou tr. (re-kal-feutré — du préf, re, et de calfeutrer). Calfeutrer de nouveau.

RECALOIR s. m. (re-ka-loir). Techn. Morceau de bois ravalé dans une partie de sa longueur, de telle sorte que l’extrémité du ravalement est terminée en portion de cercle.

RÉCAME R v. a. ou tr. (ré-ka-mé — de l’espagnol recamar, qui vient de l’arabe reqama, tisser, brocher). Techn. Broder.


RÉCAMIER (Joseph-Claude-Anthelme), médecin français, né à Rochefort (Ain) eu 1774, mort à Paris en 1852. Il étudia la médecine avec Bichat à l’hôpital de Bourg. Atteint par la réquisition, il dut servir la République comme attaché au service de santé des armées françaises. Inscrit après son retour à l’École de santé de Paris au nombre des élèves de la patrie, il fut reçu docteur en 1799, et nommé médecin ordinaire de l’Hôtel-Dieu en 1806. Lancé dès son début dans une certaine fraction de l’aristocratie impériale, il se jeta à corps perdu dans la Restauration et embrassa surtout avec un déplorable enthousiasme les idées ultramontaines qui ont signalé cette époque. Nommé à cause de cela professeur au Collège de France et à la Faculté, il refusa, après la révolution de Juillet, de prêter le serment légalement obligatoire au nouvel ordre : de choses et se posa en persécuté. Outre quelques articles fournis à la Gazette médicale et à quelques autres recueils, on lui doit : Essai sur les hémorroïdes (1799) ; des Recherches sur le traitement du cancer par la compression méthodique simple et combinée(Paris, 1829, in-8°) ; des notes sur les forces et la dynamétrie vitales ; Recherches sur le choléra-morbus et son traitement (Paris, 1832, in-8°). Disons enfin que le premier il a vulgarisé parmi nous l’usage du spéculum. Comme praticien, il eut de son vivant une grande réputation. Fécond en ressources, il ne se trouvait jamais désarmé en face de la maladie ; il savait oser, et ses audaces étaient quelquefois couronnées de succès.


RÉCAM1ER (Jeanne-Françoise-Julie-Adélaïde Bernard, Mme), femme française célèbre par son esprit et sa beauté, belle-sœur du précédent, née à Lyon en 1777, morte à Paris le 11 mai 1849. Son père était banquier à Lyon ; il vint faire des opérations à Paris en 1784, s’y établit et reçut de Calonne une haute position dans les finances de la ville de Paris. Julie Bernard fut élevée à Villefranche, puis à Lyon, au couvent de la Déserte où elle avait une tante religieuse. Appelée à Paris, vers l’âge de dix-sept ans, par son père qui s’était créé beaucoup de relations et recevait, dans son hôtel de la rue des Saints-Pères, une foule d’hommes politiques, de banquiers et d’hommes de lettres, elle fut aussitôt recherchée, pour sa beauté rare et sa distinction, par un grand nombre de prétendants. Entre tous, elle choisit le banquier Récamier, qui avait plus du double de son âge et qui l’épousa (24 avril 1793). « Ce lien, dit l’auteur des Souvenirs et correspondance tirés des papiers de Mme Récamier, ne fut jamais qu’apparent… M. Récanner n’eut jamais que des rapports paternels avec sa femme… Il ne traita jamais la jeune et innocente enfant qui portait son nom que comme une fille dont la beauté charmait ses yeux et dont la célébrité flattait sa vanité. » Les noms de père et de fille reviennent sans cesse sous la plume de l’auteur des Souvenirs (Mme Lenormand, fille adoptive de Mme Récamier), qui, du reste, ne s’explique pas davantage et se flatte sans doute d’être comprise à demi-mot. « Quand M. Récamier mourut, dit-elle encore, Mme Récamier crut perdre une seconde fois son père, » phrase qui ne dit rien ou qui dit tout, suivant qu’on veut l’entendre.

Mme Récamier débuta dans le monde avec un grand éclat, en pleine réaction thermidorienne, « époque triste et impure, dit Guizot, celle des conventionnels après le règne et la chute de la Convention, républicains sans foi, révolutionnaires décriés, lassés et corrompus, mais point éclairés ni résignés, exclusivement occupés de leur propre sort, se sentant mourir et prêts à tout faire pour vivre encore quelques jours, des crimes ou des bassesses, la guerre ou la paix, ardents à s’enrichir et à se divertir, avides, prodigues et licencieux, et se figurant qu’avec l’échafaud de moins, un laisser aller cynique et des fêtes interrompues au besoin par des violences, ils détourneraient la France renaissante de leur demander compte de leurs hontes et de ses destinées. » La famille de Mme Récamier était en rapport avec quelques-uns des hommes politiques de ce régime ; Barère venait chez ses parents, elle allait quelquefois aux fêtes de Barras. Mme Lenormand prend grand soin de dire qu’elle resta tout à fait étrangère au monde du Directoire, surtout aux femmes qui en étaient les héroïnes.

Dès le Directoire cependant, et surtout sous le Consulat, elle ne se montra guère qu’entourée d’une foule d’adorateurs sans que cela troublât le moins du monde la sérénité toute paternelle de son mari. Bonaparte la distingua dans la fête triomphale qui lui fut offerte le 10 décembre 1797, en l’honneur de ses victoires d’Italie, et, un peu plus tard, il lui fit réserver une place auprès de lui à un dîner officiel ; mais Mme Récamier refusa d’aller s’y asseoir, malgré les instances de Mme Bacciocchi. Puis ce fut le tour de Lucien Bonaparte, alors ministre de l’intérieur, qui lui fit des déclarations aussi brûlantes que ridicules. Comme on appelait Mme Récamier Juliette dans l’intimité, il s’affubla en Roméo et lui écrivit une foule d’épîtres intitulées Lettres de Roméo à Juliette, remarquables surtout par une effrayante consommation de points exclamatifs : « Encore des lettres d’amour !!! Depuis celles de Saint-Preux et d’Héloïse, combien en a-t-il paru !!! Combien de peintres ont voulu copier ce chef-d’œuvre inimitable !!! Puissent ces lettres intéresser celle pour qui j’écris !!! Puisse-t-elle m’entendre !!! Puisse-t-elle se reconnaître avec plaisir dans le portrait de Juliette et penser à Roméo avec ce trouble délicieux qui annonce l’aurore de la sensibilité !!! » Après Lucien Bonaparte vinrent se mettre sur les rangs Adrien et Matthieu de Montmorency, qui lui restèrent longtemps fidèles; puis le général Bernadotte, à qui elle avait