Page:Larousse - Grand dictionnaire universel du XIXe siècle - Tome 13, part. 2, Pubi-Rece.djvu/166

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

peuple, le principe de son organisme politique et social ; mais en même temps il démontra que les diverses religions n’ont qu’un caractère purement naturel, et non miraculeux. En 1843, M. Quinet répondait aux attaques dont il était l’objet de la part des cléricaux par un nouvel écrit : la Liberté de discussion en matière religieuse. Dans les derniers mois de cette année et les premiers de 1844, il visita l’Espagne et le Portugal. Peu après, il publia l’Inquisition et les sociétés secrètes en Espagne (1844, in-8o). Ce ne fut que deux ans plus tard que parut la relation de son voyage, Mes vacances en Espagne (1846, in-8o), un de ses meilleurs livres ; il eut un très-grand succès en France et en Espagne, grâce la traduction du ministre Lopez.

Le cours fait par M. Quinet en 1844, du 20 mars au 18 juin, roula sur l’ultramontanisme et fut reproduit dans son livre intitulé l’Ultramontanisme ou la Société moderne et l’Église moderne (1844, in-8o). Non content d’avoir sondé et jugé sévèrement le passé, le courageux professeur discutait le présent, entr’ouvrait l’avenir. « Le jésuitisme, disait-il, a compromis le catholicisme : prenez garde que le catholicisme ainsi engagé ne compromette le christianisme ! » Bientôt même, dans le Christianisme et la Révolution française (1845, in-8o), il entamait la question d’incompatibilité entre le catholicisme et les idées modernes, prouvait la nécessité et l’urgence de la séparation absolue de l’Église et de l’État, écrasait le dogme de l’infaillibilité du pape sous le dogme nouveau de la souveraineté du peuple. Mais on réussit bientôt à lui couper la parole ; car le gouvernement commençait à céder aux exigences intolérantes du parti clérical : toutefois, à la Chambre des pairs, le 14 avril 1845, le ministre de l’instruction publique avait reconnu lui-même la complète indépendance du collège de France, lequel, à son tour, réuni en assemblée le 13 juillet, répondit, par un vote de 17 voix contre 7, à M. de Salvandy, que MM. Quinet et Michelet n’étaient point sortis des bornes de leur programme et que le collège de France approuvait leur enseignement. Quant à Mickiewicz, Polonais exilé, il avait dû quitter sa chaire par ordre de l’autorité. Après le triomphe obtenu dans l’assemblée des professeurs du collège de France, la jeunesse crut de son devoir de faire une grande manifestation en l’honneur de ses trois maîtres. C’est à cette occasion que fut frappée, avec des fonds recueillis au moyen d’une souscription, une médaille sur laquelle étaient gravées les têtes de Quinet, Michelet et Mickiewicz, avec cette inscription au revers : Ut omnes unum sint, et cette légende : la France et les auditeurs du collège de France. Les étudiants allèrent en corps porter la médaille aux trois professeurs. Cependant, aux Tuileries, M. Guizot proposait les mesures les plus violentes contre l’enseignement de Quinet, qu’il considérait comme révolutionnaire. En 1846, le professeur ayant pris pour programme de son cours la Littérature et les institutions comparées de l’Europe méridionale, ce mot institutions frappa le ministre, qui dépêcha un de ses plus souples diplomates, M. Dés. Nisard, vers M. Quinet, afin de le prier officieusement de faire plaisir au ministre en effaçant ce gros mot d’institutions. M. Quinet refusa. Le lendemain l’affiche du cours parut sans le mot institutions. Le professeur protesta avec énergie (3 décembre) ; le mot ne fut pas rétabli, et la chaire des littératures méridionales se trouva vide. La fermeture du cours, suspendu non par la mauvaise humeur du maître, comme on le faisait dire, mais par ordre de l’autorité, amena de la part des étudiants une grande manifestation.

Au commencement de 1847, M. Edgar Quinet, ayant perdu sa mère, se rendit à Charolles pour les funérailles. N’ayant pu trouver de pasteur protestant, il se décida à rendre lui-même à sa mère les devoirs religieux (7 février) et prononça sur sa tombe un émouvant discours. Vers la même époque l’opposition du collège électoral de Bourg choisit Edgar Quinet pour candidat à la Chambre des députés ; mais il ne fut point élu. À cette époque, l’éminent philosophe prit une part active à l’agitation réformiste. En juillet 1847, outré du rôle odieux auquel un gouvernement sans principes venait d’abaisser la France au seul profit de l’Angleterre, il lança une de ses plus incisives brochures, la France et la Sainte-Alliance en Portugal, dans laquelle il annonçait la chute prochaine du gouvernement de Juillet. En même temps, il assembla, mit en ordre, rédigea les innombrables documents de son grand ouvrage, les Révolutions d’Italie, où il indique « comment une nation chrétienne peut mourir et renaître plusieurs fois. » Le premier volume de ce travail parut au commencement de 1848, et la publication fut interrompue par la révolution du 24 février, à laquelle Quinet prit une part très-active. Un des premiers il entra aux Tuileries, le fusil à la main. Presque aussitôt après la proclamation de la République eut lieu la réouverture de son cours du collège de France qui fut un événement. Si grande était la foule, que le collège de France se trouva trop étroit. On dut se transporter dans le grand amphithéâtre et dans la vaste cour de la Sorbonne. C’est là que, salué par de chaudes acclamations, pariant pour lui-même ainsi que pour ceux qui, avec lui, avaient été victimes de l’arbitraire, il s’écria : « Au nom de la République, nous rentrons dans ces chaires. La royauté, nous les avait fermées, le peuple nous y ramène ! » Et il prononça un de ses plus beaux discours.

Nommé colonel de la 11e légion de la garde nationale de Paris, élu peu après, par 53,268 suffrages, représentant du peuple à l’Assemblée nationale par le département de l’Ain, il fit partie du comité des affaires étrangères et siégea sur les bancs de la gauche. Au milieu des difficultés qui surgissaient, il signala d’avance presque tous les écueils et ne se trompa sur aucun des dangers qui menaçaient la République. Dès le premier jour, il avait conjuré le gouvernement provisoire de faire voter la France, sans tarder, sous le coup de l’événement du 24 février. Plus tard, il fut de ceux qui voulurent faire nommer le président par l’Assemblée. Sa conduite pendant l’insurrection de Juin, comme colonel de la garde nationale, fut celle d’un vrai républicain. Après le combat, il faillit être percé de baïonnettes en couvrant de son corps des insurgés prisonniers. Au moment de l’expédition romaine, qu’il avait prévue, annoncée et combattue à la tribune et dans la presse, il prononça deux discours et lança sa brochure : Croisade autrichienne, française, napolitaine, espagnole contre la république romaine (1849, in-12), qui eut sept éditions, véhémente protestation dans laquelle il prédit que la guerre d’une république contre une république au profit d’un pape les tuerait toutes les deux.

Lors des élections pour l’Assemblée législative (13 mai 1849), M. Quinet fut réélu dans le même département et continua a suivre la même ligne politique. Il n’y prononça qu’un petit nombre de discours, préférant répandre ses idées au moyen de brochures populaires. C’est ainsi qu’il publia : l’État de siège (1850, in-12), où il dénonça les mesures de rigueur qui pesaient sur sept départements ; l’Enseignement du peuple (1850, in-12), brochure dans laquelle il insistait avec beaucoup de force sur l’incompatibilité qui existe entre le principe catholique et le principe républicain, et formulait avec une grande autorité un projet d’organisation de l’instruction nationale tendant à l’établissement durable de la liberté ; Révision (1851, in-12), où il indique les périls de la situation. Dans les votes qu’il émit à la Constituante et à la Législative, M. Quinet fit preuve d’une rare perspicacité, d’une singulière justesse de coup d’œil politique. Après le 10 décembre 1848, lorsque le président de la république fut élu et que Louis Bonaparte devint le chef de l’État, le représentant de l’Ain jugea que tous les dangers de la République étaient réunis dans cette élection. Il ne manqua aucune occasion de faire l’opposition la plus vive au nouvel élu : ce fut son delenda Carthago. Après les revues de Satory, il demanda et vota plusieurs fois la mise en accusation du président. Enfin, il fut du petit nombre des républicains qui votèrent la loi proposée par les questeurs, laquelle pouvait seule peut-être empêcher le coup d’État.

Vers la même époque, il proposait par un discours la séparation de l'Église et de l'État dans l'enseignement. Il ne prouva pas moins d’intelligence de la situation quand, en 1850, il publia dans la Presse des Lettres concernant l’impôt sur le capital dans la république de Florence, où il posait le fondement historique de la réforme financière et montrait qu’il n’était pas antisocialiste à la manière de certains républicains, qu’il comprenait, au contraire, toute l’importance du problème social, sans vouloir le trancher par la force. Pendant qu’il siégeait à l’Assemblée, M. A. Dumesnil le suppléait dans sa chaire au collège de France. Le maître fut acclamé une dernière fois au quartier Latin en mars 1851.

À la veille du 2 décembre, dans la dernière session de l’Assemblée législative, plus qu’aucun autre de ses collègues, M. Quinet se préoccupait de l’influence croissante du pouvoir exécutif. Lors de la discussion de la proposition des questeurs notamment, il pressa ses amis de la voter, en dépit de leurs répugnances, avec une insistance qui leur paraissait alors exagérée et où ils purent reconnaître depuis un très-sage pressentiment. Enfin, dans un dernier discours prononcé dans les bureaux à la fin de novembre, il annonça sans détour que notre république subirait bientôt le sort des républiques américaines du Sud et qu’elle périrait infailliblement sous la dictature. Le 2 décembre arriva. Edgar Quinet subit les conséquences de ses opinions républicaines, qui ne pouvaient s’accommoder d’aucune transaction avec les vainqueurs. Il fut expulsé de France par le décret du 9 janvier 1852, pour avoir été fidèle à son serment.

Jeté dans l’exil, M. Quinet ne perdit pas un seul jour. Ses travaux ont été plus nombreux, peut-être plus importants que dans ses jours de liberté. Son séjour à Bruxelles (depuis le 11 décembre 1851 jusqu’au 28 mai 1858) est une des périodes les plus fécondes de son activité philosophique et littéraire.

Il avait perdu, au commencement de 1851, sa première femme ; il épousa à Bruxelles, en secondes noces, la fille du poète moldave Assaki, qui, admiratrice enthousiaste du grand écrivain, devait devenir sa consolation et la compagne de ses travaux. C’est dans les Mémoires d’exil qu’il faut lire cette partie intime de l’existence du proscrit.

Durant les premiers mois de son séjour à Bruxelles parut le second volume de ses Révolutions d’Italie. Publiée à Paris en 1852, la dernière partie de cette œuvre est digne de la première, plus belle encore peut-être et plus significative. Petrucceli della Gattina, membre du comité du Salut public à Naples en 1848, auteur de la Sintesi della storia d’Italia, n’a pas craint d’inscrire cette dédicace sur la première page de son livre : « À Edgar Quinet, Il Colombo d’Italia. » Pourtant un autre historien, M. J. Ferrari, dont nous analyserons ailleurs l’ouvrage (v. Révolutions d’Italie), s’est trouvé depuis en désaccord avec l’historien français. Des comités se sont formés en Italie pour élever un monument à M. Quinet en souvenir de ce livre et des services qu’il a rendus. Il publia ensuite : les Esclaves (1853, in-8o), sombre et vigoureux poème dramatique dédié par l’exilé aux exilés (v. Esclaves) ; l’Histoire de la fondation des Provinces-Unies, Marnix de Sainte-Aldegonde (1854, in-12), qui valut à l’auteur d’être compté parmi les savants officiels de la Hollande, en qualité de membre de l’Académie de Leyde, titre qui fut offert spontanément à l’ancien professeur du collège de France. Il fit paraître ensuite, dans la Revue des Deux-Mondes, un admirable morceau de critique historique, la Philosophie de l’histoire de France (1855), sorte de préface du grand ouvrage qu’il a publié depuis sous ce titre : la Révolution. En 1856, il reprit la cause des nationalités, pour laquelle il avait travaillé déjà. La Revue des Deux-Mondes publia les Roumains, où se trouvent affirmés et prouvés les imprescriptibles droits des Moldo-Valaques à s’unir en corps de nation et à entrer dans la cité européenne. Touchés d’un tel appui, qui leur venait juste à l’occasion du conflit oriental, les Roumains des deux principautés, simples citoyens et boyards, unionistes et autonomistes, oubliant leurs divergences d’opinion, se hâtèrent de rédiger et de signer de nombreuses adresses en l’honneur du noble exilé qui avait revendiqué pour eux une patrie. Depuis, en 1867, l’assemblée souveraine et le gouvernement roumains lui ont conféré la grande naturalisation d’honneur, ainsi qu’à MM. Michelet et Gladstone. En 1857, l’ancien ennemi des jésuites résuma tous ses travaux antérieurs sur la question religieuse et en posa les conclusions pratiques dans la Lettre à Eugène Sue sur la situation religieuse et morale de l’Europe (Bruxelles, 1856, in-32) et, plus au long, dans la Révolution religieuse au XIXe siècle (1860, in-18), publiée d’abord dans la Libre Recherche (mai 1857). Il fit paraître, l’année suivante, l’Histoire de mes idées, autobiographie plus vraie que les Confessions de Rousseau et parfois non moins éloquente. On a reproché seulement à cet intéressant ouvrage de s’être trop étendu sur l’enfance de l’auteur et de s’arrêter où commencerait le plus vif intérêt.

Ayant protesté contre l’amnistie du 15 août 1858, M. Quinet quitta la Belgique et se réfugia en Suisse, à Veytaux, village situé près de Montreux, au fond d’un petit golfe du Léman, auprès du château de Chillon, et devenu célèbre par ce séjour même. Mme Quinet en a fait une description délicieuse dans ses Mémoires d’exil, auxquels nous renvoyons pour tout ce qui touche cette partie de la biographie de Quinet.

Parmi les publications nombreuses et diverses fruit des loisirs laborieux de Veytaux, les œuvres principales sont : Merlin l’enchanteur (1860, 2 vol. in-8o), grande composition qui rappelle les essais de poésie mystique et mythique de l’auteur et qui offre des beautés de premier ordre, au milieu d’allégories trop hardies pour le commun des lecteurs (v. Merlin) ; Œuvres politiques (1860, 2 vol. in-12) ; l’Histoire de la campagne de 1815 (1862, in-8o), fruit de recherches précises et savantes faites sur les champs de bataille de la Belgique et éclairées de ces grandes vues théoriques si chères à l’esprit de notre philosophe ; l’Expédition du Mexique (1862, in-18), brochure qui fournit une nouvelle et éclatante preuve de la perspicacité prévoyante du génie de Quinet ; Pologne et Rome (1863, in-8o ; France et Italie (1866, in-8o) ; France et Allemagne (1867, in-8o) ; la Question romaine devant l’histoire (1867, in-18), brochures offrant un grand intérêt politique et où Quinet montre, entre autres, à quels dangers nationaux l’Empire a exposé la France ; l’article Panthéon, dans le Paris-Guide (1867). Mais le plus grand ouvrage de cette période et un des plus grands de l’œuvre de Quinet, c’est sa Révolution (Paris, 1865, 2 vol. in-8o), composition de la plus haute originalité, où l’auteur, se servant des mémoires d’un conventionnel, juge les hommes et les actes de la Révolution d’après des vues très-neuves qui ont soulevé d’orageuses controverses politiques et historiques et qu’il défendit dans une brochure intitulée Critique de la Révolution (1867, in-8o). Nous ne nous étendons pas ici sur l’appréciation de cette œuvre considérable, à laquelle nous consacrons un article spécial. Le dernier grand ouvrage de Quinet à Veytaux est la Création (1870,2 vol. in-8o), composition d’un caractère tout nouveau dans l’œuvre du grand penseur ; c’est là que, à tous les sujets d’étude qu’il a magistralement abordés dans sa longue carrière, il ajoute le domaine des sciences naturelles, dont il cherche à ébaucher la synthèse philosophique.

Tout en s’occupant de ces travaux de longue haleine, M. Edgar Quinet n’avait cessé de suivre d’un œil attentif les destinées politiques de la France. Ce fut avec une joie profonde qu’il vit enfin l’opinion, secouant sa torpeur, amener le grand mouvement libéral et républicain qui vint ébranler l’Empire sur ses bases lors des élections générales de 1869. Une candidature lui ayant été offerte alors à Paris, il refusa de l’accepter. Comme Victor Hugo, il voulait rester dans l’exil jusqu’au jour où la France jetterait à terre le joug odieux qu’elle portait depuis le 2 décembre 1851 ; sa conscience s’indignait à la pensée de prêter serment au triste César qui avait débuté par le parjure. « Il est bon, je crois, écrivit-il alors, qu’il se trouve des hommes dans un parti qui poussent le scrupule jusqu’à la dernière limite. C’est par ces sacrifices que se refont les forces morales non-seulement d’un parti, mais d’un peuple. » Mais, s’il refusa de se porter candidat, il salua, avec l’enthousiasme lyrique qui n’a jamais tari chez lui, le premier signal de la régénération politique de son pays dans une brochure intitulée le Réveil d’un grand peuple (1869, in-8o).

À la nouvelle de la révolution du 4 septembre 1870, M. Edgar Quinet, après avoir adressé aux Allemands, qui pénétraient au cœur de la France, un vain appel à la fraternité des peuples, accourut à Paris. Un décret du gouvernement de la Défense nationale lui rendit sa chaire de langue et de littérature de l’Europe méridionale au collège de France (17 novembre 1870). Pendant la durée du siège, il écrivit dans le Siècle des articles éloquents, dans lesquels il attaquait avec une vigoureuse indignation la conduite de la Prusse à l’égard de la France républicaine. « Ô France ! chère patrie, écrivait-il au moment où les Allemands bombardaient Paris (janvier 1871), jamais tu ne fus si grande qu’en ce moment où, pillée, saccagée, assassinée par ces doucereux Vandales, qui juraient n’en vouloir qu’à ton oppresseur, tu es seule à représenter, à garder l’honneur du genre humain. Depuis qu’ils te tiennent assiégée, qu’est devenue la justice ? où y en a-t-il une parcelle ? Plus de liens pour personne, plus de parole. L’Europe entière n’est plus qu’un corps sans âme à la merci d’une troupe de uhlans. »

Le 8 février 1871, M. Quinet était élu député de la Seine à l’Assemblêe nationale, le cinquième de la liste, par 199,478 voix. À Bordeaux, le 1er mars, il prononça un discours contre les préliminaires de paix, contre la mutilation de la France, car, dit-il, « c’est la guerre à perpétuité sous le masque de la paix. » Lorsque l’Assemblée s’installa définitivement à Versailles, il devint, avec MM. Louis Blanc et Peyrat, l’inspiration du groupe de l’extrême gauche. Depuis lors, il n’a cessé de voter contre toutes les mesures qui lui ont paru contraires à l’affermissement de la République et à l’établissement de la liberté. Au mois de mai 1871, il proposa d’apporter des modifications au fonctionnement du suffrage universel, voulant que les villes eussent une représentation distincte de celle des campagnes ; mais sa proposition ne fut appuyée que par 23 voix. Quelques mois plus tard, il déposa une proposition demandant la dissolution de l’Assemblée. Depuis lors, il n’a prononcé aucun discours dans les séances publiques ; mais il a signé divers manifestes de l’extrême gauche, notamment celui du 13 juin 1871, et s’est mis fréquemment en communication avec le public et ses électeurs par des lettres publiées dans les journaux. Parmi ces lettres, dans lesquelles il a fait preuve de sa clairvoyance habituelle, nous citerons : celle du 20 décembre 1871, sur la nécessité du maintien de la République ; celle du 12 décembre 1872, sur la dissolution ; celle du 23 avril 1873, au sujet de l’élection Barodet ; celle du 30 mai 1873, sur la situation après la chute du pouvoir de M. Thiers ; celle du 23 août 1873, au sujet de la tentative faite pour rétablir la monarchie avec le comte de Chambord, etc. Le 7 février 1873, il écrivit à Garibaldi pour protester contre les allégations d’hommes « qui, ne pouvant le comprendre, ont encore une fois cherché à ternir sa gloire. » Dans une lettre adressée, en septembre 1874, aux membres de la Ligue de la paix et de la liberté, qui l’avaient invité à prendre part à leur réunion, il écrivait ces lignes : « Jamais notre Europe n’a eu plus faim et soif d’une parole de droiture, de raison, de vérité ; car on ne peut nier que l’appétit de la servitude ne plonge un certain nombre d’hommes dans une sorte de démence où disparaissent toutes les notions les plus simples qui, jusqu’ici, avaient régi les sociétés humaines. Prononcez-les, ces paroles de raison auxquelles les peuples aspirent. Aidez-nous à ne pas tomber dans la pire des barbaries, la barbarie hypocrite et subtile. On a voulu espérer que l’ère des révolutions est close. Je commence à craindre que ce ne soit là une fausse espérance. La liberté seule pouvait fermer l’ère des révolutions ; prenons garde que la réaction ne la rouvre. »

Convaincu de l’impuissance de l’Assemblée, M. Quinet n’a cessé de voir dans la dissolu-