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et qui préfère une heure d’entretien avec un ami de bon sens à tout ce qu’on appelle plaisirs du monde et passe-temps agréables ; civil, d’ailleurs, par l’effet d’une excellente éducation, mais peu galant ; d’une humeur douce, mais mélancolique ; sobre, enfin, et réglé dans sa conduite. Je me suis peint fidèlement, sans examiner si ce portrait flatte mon amour-propre ou s’il le blesse. »

Pendant son séjour en Angleterre, l’abbé Prévost acheva de publier l’Histoire de M. Cleveland, fils naturel de Cromwell ou le Philosophe anglais (1732-1739, 8 vol. in-18), qu’il avait commencé à faire paraître pendant qu’il était encore en Hollande, puis il donna son immortel chef-d’œuvre : l’Histoire du chevalier Des Grieux) et de Manon Lescaut (Paris, 1733, in-12), écrite avec le cœur plutôt qu’avec l’imagination et qui est restée un "des tableaux les plus saisissants des tourments et des ivresses de la passion (v. Manon Lescaut). En Angleterre, il commença également la publication d’un ouvrage périodique, le Pour et le contre (Paris, 1733-1740, 20 vol. in-12), dans lequel la plus grande partie du tome II n est pas de lui et dont la rédaction est due presque entièrement à Le Fèvre de Saint-Marc à partir du tome IV (v. pour et contre. Cependant il était las de vivre à l’étranger et désirait ardemment revenir en France. Le cardinal de Bissy, qui l’avait connu à l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés, et le prince de Conti, dont il devint peu après l’aumônier, intercédèrent en sa faveur et, en 1734, il revint à Paris où il reprit l’habit de prêtre séculier.

À partir de ce moment, l’abbé Prévost s’adonna avec une ardeur nouvelle aux travaux littéraires. Il publia encore quelques romans, notamment l’Histoire d’une Grecque moderne (1741, 2 vol. in-12), « joli roman dont l’idée est.aussi délicate qu’indéterminée, » dit Sainte-Beuve, puis il donna des traductions et s’occupa de travaux historiques. Il vivait tranquille, quand un léger service de correction de feuilles rendu à un chroniqueur satirique le compromit sans qu’il y eût songé et l’envoya encore faire un tour à Bruxelles, Cette disgrâce inattendue fut de courte durée et ne lui valut que de nouveaux protecteurs. À son retour, il reprit sa place chez le prince de Conti, qui l’occupa aux matériaux de l’histoire de sa maison, et le chancelier d’Aguessénu, de son côté, le chargea de rédiger l’Histoire générale des voyages. Il se montra alors d’une trop grande facilité dans ses rapports d’affaires avec les éditeurs, « Pour lui, disait-il, une vache et deux poules lui suffisaient. » Bien qu’il n’eût que de minces revenus, il parvint à acheter une petite maison de campagne à Saint-Firmin, près de Chantilly. Ce fut là qu’il se retira dans les dernières années de sa vie pour y reprendre la vie et les exercices du cloître, Il se disposait à composer trois ouvrages religieux, dont il avait tracé les plans, lorsqu’une mort tragique et imprévue vint arrêter l’effet de ces pieuses résolutions. Il revenait seul par la forêt de Chantilly, lorsqu’il fut frappé d’une attaque d’apoplexie. Des paysans le trouvèrent au pied d’un arbre ; la justice intervint, soupçonnant un crime ; un chirurgien, chargé de procéder à l’autopsie, plongea son bistouri dans les entrailles du patient, qui n’était pas mort et qui poussa un grand cri, mais mourut sur-le-champ, littéralement tué par le médecin. L’abbé Prévost a considérablement écrit. Il n’a pas laissé moins de 200 volumes. Il avait un talent réel, de l’esprit, de la passion et de l’originalité. Mais ses ouvrages ont tous les défauts d’une composition hâtive. « Toute sa vie, dit Gustave Planche, s’est consumée dans un labeur ingrat ; il s’est toujours pris pour un ouvrier et, s’il lui est arrivé de faire œuvre d’artiste, c’a été comme à son insu et presque par hasard. Il n’a jamais espéré ni souhaité les suffrages de la postérité. Avant de songer à contenter le public, il jouissait de son œuvre comme il eût joui de l’œuvre d’autrui. Habitué à tracer les premières pages de chacun de ses récits sans savoir comment il le poursuivrait, encore moins comment il dénouerait l’action qu’il se proposait de nouer, il se laissait attendrir par le sort de ses héros et trouvait en lui-même le plus bienveillant des lecteurs. " Il composait ses ouvrages avec une facilité extraordinaire. « Cette facilité qui dominait l’abbé Prévost était telle, dit Foisset, qu’on assure qu’il pouvait se mêlera une conversation sans que sa verve fût ralentie pour suivre la composition ou l’ordre de ses idées interverti. Sa plume était devenue tout son patrimoine ; et on doit l’excuser si, au détriment de sa gloire, il mit son talent au service d’un libraire. D’ailleurs, il mérita les plus grands éloges par son parfait désintéressement. Il était lranc, d’un caractère généreux, d’une bonté à toute épreuve. Il avait gardé des amertumes de sa vie une humeur mélancolique, que le désir de plaire lui faisait concentrer en lui-même. Lorsque les passions l’eurent laissé à ses goûts paisibles, il ne connut rien de plus délicieux que le repos de son cabinet etle commerce dé l’amitié. « Outre les ouvrages déjà cités, nous mentionnerons de lui : le Doyen de Kitlerine, histoire morale (Paris, 1735, 6 vol. in-12) ; Histoire de Marguerite d’Anjou, reine d’Angleterre (1740, 2 vol. in-12) ; Campagnes philosophiques ou les Mémoires de M. de Montcal (1741, 4 parties in-12); Mémoires pour


servir à lhistoire de Malle ou Histoire de la femme du commandeur de***, 2 vol, in-12) ; Histoire de Guillaume le Conquérant (1742, 2 vol. in-12) ; Mémoires d’un honnête homme (1745, in-12). ; Histoire générale des voyages (1745-1770, ? l vol. in-4o), dont Prévost a publié les dix-sept premiers volumes et que Laharpe a corrigée et rééditée ; Manuel lexique ou Dictionnaire portatif des mots français dont la signification n’est pas familière à tout le monde (1750, 2 vol. in-8°) ; le Monde moral (1760, 2 vol. in-12) ; Mémoires pour servir à l’histoire de la vertu (1762, 4 vol. in-12) ; Contes, aventures et faits singuliers (1764, 2 vol. in-12) ; lettres de Mentor à un jeune seigneur (1764, in-12), etc. On doit, en outre, à l’abbé Prévost des articles publiés dans le Journal encyclopédique, dans le Journal étranger et plusieurs traductions qui ne valent pas beaucoup plus que ses ouvrages d’histoire. Nous citerons, entre autres:Histoire métallique des Pays-Bas de G. van Loon (1734) ; Toutpour l’amour de Dryden (1735) ; Paméia de Richardson (1742) ; Voyages de Robert Lade (1744) ; Lettres familières de Cicéron (1745) ; Histoire de la maison de Siuart de David Hume (1760, 3 vol.) ; Clarisse Harlowe de •Richardson (1751); Grandisson de Richardson (1775), etc. Ses Œuvres choisies ont été publiées à Paris (1783 et suiv. et 1810-1816).

PREVOST D’EXMES (François Lb), littérateur français, né à Coudehard, près d’Argentan, en 1720, mort à Paris en 1793. Il entra dans les gardes du corps du roi Stanislas, connut à la cour de Lunéville Boufflérs, Saint-Lambert, Tressan et se mit, à leur exemple, à cultiver" la poésie et les lettres. Quelques pièces de vers, notamment les Trois rivaux (1752) et la Réconciliation (1758), le firent avantageusement connaître et attirèrent l’attention du roi, qui le chargea à maintes reprises de composer des divertissements pour la cour. Prévost quitta ensuite le service, retourna en Normandie, s’y maria et devint lieutenant général de la vicomte de Trun, Mais, à la suite de chagrins domestiques, il renonça à ces fonctions, se rendit à Paris et fut chargé par le cardinal de Rohan de l’administration d’une de ses abbayes, située dans l’Artois. Ayant perdu cette place après le célèbre procès du collier, Prévost d’Exmes en fut réduit à vivre de ses productions littéraires. En 1787, il devint professeur à l’École royale de chant, retomba dans l’indigence au commencement de laRévolut’on et alla mourir à l’hôpital de la Charité. Nous citerons, parmi ses écrits:les Thessaliennes ou Arlequin au sabbat, comédie en prose (1752, in-12) ; la Revue des feuilles de Fréron (1756, in-12), attribuée à tort à l’abbé de La Porte et à Deleyre ; la Nouvelle réconciliation, comédie (1758) ; les Trois rivaux, opèra-comique (1758) ; Arler quin aux enfers, comédie (17G0, in-8°); liéflexions sur le système des nouveaux philosophes (i"6i, in-12) ; le Nouveau spectateur ou Examen de nouvelles pièces de théâtre (1775) ; Mosel ou l’Homme heureux (1776, in-8°) ; Entretiens philosophiques ou le Philosophe du Luxembourg sur les académies de jeu, sur les journalistes, sur les spectacles du boulevard, etc. (17S5, in-12):Trésors de la littérature étrangère (1784); Vies des écrivains étrangers tant anciens que modernes (1781-1787, 2 vol. in-8 » ), recueil resté inachevé comme le précédent. Prévost d’Exmes a collaboré, en outre, à quelques journaux.

PREVOST D’IRAY (Chrétien-Siméon, vicomte Le), poète et archéologue français. V. Le Prévost d’Iray.

PRÉVOST DE LA JANNES (Michel), jurisconsulte français, né à Orléans en 1696, mort dans la même ville en 1749. Il appartenait h une ancienne famille de magistrats et fut d’abord (1720) conseiller au présidiiil et au Chàtelet d’Orléans, puis professeur de droit français à l’université de cette ville. Ses ouvrages sont les suivants:Principes de la jurisprudence française, exposés suivant l’ordre des diverses espèces d’actions (Paris, 1750, 1759, 1771, 1780, 2 vol.-in-lï); Observations nouvelles ajoutées aux coutumes d’Orléans, dans l’édition de 1740. Ses collaborateurs pour cet ouvrage ont été Pothier et Jousse. Il a laissé en manuscrit:une Vie de Damât, un Plan des lois civiles de France mises dans leur ordre naturel, un Plan du traité des principes du droit français rapportés au droit naturel et aux lois romaines, etc.

Prévost fit connaître au chancelier d’Aguesseau, avec qui il était en correspondance, son ami l’illustre Pothier, qui devait lui succéder dans sa chaire.

PRÉVOST-PARADOL (Anne-Catherine-Lucinde Paraôol, également connue sous le nom de Mme), actrice, née à Paris en 1798, morte à Neuilly en 1843. Elle était fille d’un coiffeur. Admise au Conservatoire en 1814 » elle y étudia le chant sous la direction’de Plantade et débuta, en 1816, ou Grand-Opéra, dans Alceste. Sa beauté y fut très-remarquée et elle fut accueillie avec faveur par le publie. Toutefois, elle ne tarda pas à quitter lAcadéime de musique et joua, successivement les premiers rôles de grand-opéra et d’opéra-comiqùe.à Lyon et à Marseille. Àlalgré les succès qu’elle avait obtenus. Mlle Paradol, sur les conseils de Micbelqt, abandonna la scène lyrique pour la tragédie et la comédie. Elle débuta à la Comédie-Française le


23 juillet 1819, par le rôle de SémîrfLmis, dans la tragédie de Voltaire. Elle parut ensuite dans ceux d’Emilie, de Cinna, et d’Agrippine, de Britannicus, et fut reçue pensionnaire. La, présence de cette belle actrice ramena la foule à notre première scène littéraire et, en 1819, MHe Paradol prenait rang parmi les sociétaires. Sans être une comédienne du premier ordre, elle possédait néanmoins un talent remarquable. Elle excellait dans l’expression des sentiments fiers et du dédain et es effets qu’elle produisait étaient dus, en général, à des moyens très-simples ; mais elle ne variait pas assez son débit et ne savait pas appliquer à chacun de ses rôles un caractère particulier. Ayant épousé M. Vincent Prévost, chef de bataillon en retraite, elle ajouta, Il partir de ce moment, le nom de son mari au sien. En 1838, elle quitta le théâtre, après avoir créé un assez grand nombre de rôles, notamment ceux de la reine Marguerite, dans Louis XI, tragédie d’Ancelot ; d’Elisabeth d’Angleterre, dans Marie Stuart, de Lebrun ; de Jane Shore, dans la tragédie de ce nom de Lemercier. Mme Prévost-Paradol, qui avait traversé le théâtre en (Conservant une réputation intacte, était la mère du brillant journaliste, mort d’une façon si tragique en 1870 et dont nous allons donner la biographie.

PRÉVOST-PARADOL (Lucien Anatole), littérateur et publiciste, fils de la précédente, né à Paris le 8 juillet 1829, mort à Washington, par suicide, le 11 août 1870. Élevé au collège Bourbon, il s’y fit remarquer par sa précoce intelligence et remporta successivement le premier prix de discours français au concours général en 1848 et le prix d’honneur de philosophie en 1849. À cette époque, Prévost-Paradol s’était pris de passion pour la philosophie, dont M. Taine, son camarade de collège, lui avait inspiré le goût, et il était devenu un partisan du panthéisme. Ayant passé, en 1849, son examen d’admission à l’École normale, il échoua complètement pour le latin et pour le grec ; mais sa composition de français sur les preuves de l’existence de Dieu était si remarquable par le fond et par le style, que les examinateurs, au nombre desquels se trouvait M. Vacherot, admirent l’auteur hors tour, pour ainsi dire, et le dernier de la promotion. Quelques mois après, il en était le chef, grâce à l’ardeur et à la facilité surprenantes avec lesquelles il avait réparé les lacunes de son éducation classique. Dès cette époque, il montrait une rare maturité d’esprit, et ce n’était pas sans de vives appréhensions qu’il se décidait à suivre la carrière du professorat. « Je suis tourné maintenant à la tristesse et au découragement, écrivait il en 1850 à son ami M. Ludovic Halévy ; la carrière que j’ai prise est une carrière de servitude. Pas de milieu pour un jeune homme qui pense comme moi entre l’hypocrisie et la persécution. Plus je fais de philosophie, plus je m’écarte des théories admises et imposées par le gouvernement et, à moins de parler directement contre ma conscience, il me faudra me faire destituer après deux mois de cours. Je ne suis pourtant pas d’un caractère à me laisser brusquer par la fortune et je tenterai de la brusquer. Si je pouvais me passer de l’Université, je laisserais là de grand cœur ces disputes, ces hypocrisies et cette intolérance et je jouirais de la liberté pour ma conscience et pour ma plume. » L’année suivante, il sortit de l’École normale et obtint de ne point s’adonner tout de suite à l’enseignement. Pendant près de quatre ans, il partagea son temps entre la vie mondaine et des travaux littéraires. Il obtint le prix d’éloquence a l’Académie française (1851) pour son Éloge de Bernardin de Saint-Pierre, fit paraître une Revue de l’histoire universelle (1854) et passa, en 1855, son doctorat avec deux thèses, Elisabeth et Henri IV et Jonathan Swift (en latin). Peu après, il était nommé professeur de littérature française à la Faculté d’Aix, où il obtenait un succès prodigieux. À la fin de 1856, il reçut d’Hippolyte Rigaut une lettre qui lui annonçait que, M. John Lemoinne étant forcé de se séparer momentanément du Journal des Débats, le directeur de cette feuille lui proposait de le remplacer. Prévost-Paradol s’empressa d’accepter cette offre, donna sa démission de professeur et accourut à Paris.

Dès son début dans le journalisme, Prévost-Paradol attira sur lui l’attention par le libéralisme de ses idées et par l’agrément de son style. Ses articles fins, lestes, élégants, pleins de verve et d’une mordante ironie, semblables à une causerie attrayante, jetèrent une agréable variété dans les discussions alors si arides de la politique. Chargé, dans le principe, de la rédaction du bulletin politique, il excellait à donner une allure piquante à ces résumés quotidiens. Son esprit frondeur, sa plume si vive, qui décochait des traits acérés, tout en conservant dans la forme une modération savamment calculée, enfin, le ton de suprême convenance qu’il n’abandonnait jamais, le désignèrent bientôt au pouvoir comme un adversaire redoutable, au public comme le journaliste de la bonne compagnie. En 1860, il passa a la Presse, mais il ne tarda pas à quitter ce journal, où il ne s’adressait plus au public de son choix, pour revenir prendre sa place aux Débats, Une brochure, intitulée les Anciens partis, qu’il


publia en 1860, lui valut d’être traduit en police correctionnelle, comme ayant Voulu exciter à la haine et au mépris du gouvernement. Il fut condamné à un mois de prison et à 1, 000 francs d’amende. Cette condamnation, qui eut un grand retentissement, rendit Prévost-Paradol presque populaire. Il était dès lors en pleine possession de la renommée. À la même époque, il devint un dés collaborateurs assidus du Courrier’du Dimanche, où ses articles sous forme dé lettres eurent un succès extraordinaire. Là, bien plus qu'au Journal des Débats, il pouvait donner carrière à sa verve mordante et harceler le régime de despotisme odieux qui tenait alors la France asservie ; mais, dès cette époque, ses brillantes campagnes comme journaliste ne lui suffisaient plus. Prévost-Paradol désirait ardemment entrer plus complètement dans la politique par la députation. Lors des élections pour le Corps législatif eu 1863, il posa sa candidature dans le VIe arrondissement de Paris, concurremment avec MM. Guôroult, Cochin et Fouché-Lepelletier. Soutenu par l’opposition orléaniste, il ne parvint à obtenir qu’un très-petit nombre de voix. Cet insuccès le découragea un instant ; mais, le 7 avril 1865, il trouva une brillante compensation à son échec : l’Académie française, s’étant réunie pour nommer un successeur à Ampère, choisit Prévost-Paradol, qui avait pour concurrent Jules Janin. Le nouvel açadémicien n’avait que trente-cinq ans et se trouvait le plus jeune membre de la compagnie. Bien que cette élection parût quelque peu prématurée, elle fut néanmoins accueillie avec faveur, parce qu’elle était souverainement désagréable au pouvoir. Son nouveau titre n’empêcha pas Prévost-Paradol de continuer sa lutte contre l’absolutisme. Ce fut à la suite d’un de ses articles les plus vifs que le Courrier du Dimanche fut supprimé par le décret du 2 août 1866. « La France, y disait-il, est une dame de la cour, très-belle, aimée par les plus galants hommes, qui s’enfuit pour aller vivre avec un palefrenier. Elle est dépouillée, battue, abêtie un peu plus tous les jours ; mais c’en est fait, elle y a pris goût et ne peut être arrachée à cet indigne amant ! » Deux ans plus tard, il publiait l’ouvrage intitulé la France nouvelle (1868, in-18), qui résumait son programme politique. Dans ce livre, il se prononçait pour le gouvernement parlementaire avec la plus grande somme de libertés possible, pour des réformes dans la justice, pour la suppression du budget des cultes et touchait à presque toutes les questions, sauf à la question sociale, objet de sa part d’un dédain mal dissimulé.

Lors des élections générales de 1869, Prévost-Paradol se porta, de nouveau candidat de l’opposition au Corps législatif, non plus cette fois à Paris, mais à Nantes : il n'obtint que 1, 959 voix contre 12, 001 données au candidat officiel, M. Gaudin, et 11, 679 au candidat républicain, le docteur Guépin, Ce nouvel insuccès fut pour lui la cause d'un profond découragement. En même temps, le rôle si brillant qu’il avait joué comme journaliste se trouvait, par suite des circonstances, singulièrement amoindri. La presse de l’opposition républicaine battait en brèche l’Empire avec une ardeur sans cesse croissante. Le temps était venu où les finesses de style, les délicates ironies n’étaient plus comprises ni goûtées par le grand public. Prévost-Paradol le comprit et son découragement s’en accrut. Sur ces entrefaites eurent lieu l’avènement du ministère Ollivier et des modifications constitutionnelles dans le sens du régime parlementaire. Prévost-Paradol se vit vivement sollicité de se rapprocher du gouvernement qu’il avait tant attaqué. Il consentit à faire partie de la commission supérieure de décentralisation, instituée sous la présidence d’Odilon Barrot, puis ou lui offrit un poste brillant qui lui ouvrait, à son retour, les plus vastes espérances. Cette perspective si attirante pour son ambition jusque-là déçue, jointe à l’illusion qu’il allait servir un gouvernement entré franchement dans les voies libérales, le décida à accepter les fonctions de ministre plénipotentiaire aux États-Unis (12 juin 1870).

Dans une lettre, rendue publique, qu’il écrivait à un de ses amis le 7 juin 1870, Prévost-Paradol a exposé, dans des termes qui annoncent un sentiment profond de tristesse, l’état de son esprit lorsqu’il accepta ce poste. Nous en détacherons les passages suivants : « Le dégoût de la presse m'a saisi après quinze ans de cette rude carrière. Je ressens littéralement des nausées quand je prends la plume. Quant à entrer aux affaires publiques par la Chambre, c’était évidemment ma voie ; mais que pouvais-je espérer après que tant d’efforts inutiles avaient prouvé mon impuissance sous ce rapport ? Que faire alors ? Vivre à la campagne et renoncer a la politique ? Certes, c’est ce que mon cœur aurait choisi ; mais cela non plus n’était pas en mon pouvoir, vous le savez. Le parti, que j’ai pris, en y voyant comme un ordre de la destinée (car moi aussi j’ai mes superstitions), me donne un an ou deux de repos, tout en me préparant aux affaires, et me tient à l’écart assez longtemps pour que le cours des événements se règle et se détermine. » Ces raisons pouvaient paraître décisives aux.yeux de Paradol, oublieux de son passé, mais elles ne pouvaient l’excuser aux yeux du public. Lorsqu’on vit celui qui avait été le Rochefou-