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Bretagne I Comment donc gardez-vous ce pervers dans votre sein ? À quoi peut-il être bon, sinon à dévorer de riches patrimoines ? Est-ce donc pour cela, capitaine unique, qu’avec ton beau-père tu as tout bouleversé ? • Il est vrai qu’Octave et Antoine ne furent point aussi généreux pour Cicéron, et que l’admirable orateur, qui avait impunément écrit contre Verres et Catilina les terribles pamphlets intitulés les Verrines et les Catilinaires, paya de sa tête ses Philippigues, et

?ue l’odieuse rancune d’Antoine ne fut satis-Liite

que quand il vit cloués sur la tribune aux harangues les membres mutilés de celui qui l’avait voué au mépris des Romains. Il est vrai aussi qu’avec la république disparurent toutes les libertés, qu’un pamphlet devint un crime de lêse-majesté, et qu’Ovide, l’enfant gâté de la cour, servit d’exemple aux poètes à venir, quand, pour une indiscrétion légère, la clémence d’Auguste l’envoya mourir en exil dans les contrées barbares du Pont-Euxin, Quelques empereurs cependant se montrèrent parfois bons princes pour les écrivains frondeurs, particulièrement Néron, qui ne poursuivit pas toujours les pamphlets et les libelles dirigés contre lui. Mais c’était chez ces princes affaire de caprice, car Sénèque paya de sa vie quelques leçons de morale qui ne furent point goûtées à la cour, et Lucuin dut se donner lu mort pour prix des beaux vers qu’il avait consacrés dans sa Pharsale a la cause de la liberté. C’est de cette époque que date le seul pam-

ÎMet en règle que nous ait laissé l’antiquité atine, pamphlet dirigé contre.un empereur et dont l’auteur est Sénèque.

Ce pamphlet, bouffon et grotesque à la façon de Rabelais et des écrivains macaroniques du xvo et du xvie siècle, est une facétie sur la mort de Claude, intitulée VApokolokynlose, que l’on ne comprend pas trop de la part d’un des esprits les plus élevés, les plus raffinés, les plus élégants du monde romain. C’est l’apothéose de Claude, changé, après sa mort, non pas en dieu, mais en citrouille. La prose alterne avec les vers. Claude vomit son âme. Le dernier mot qu’il ftt entendre aux hommes, ce fut quand il rendit un bruit sonore par l’endroit... d’où il parlait le plus facilement. ■ Pouah I » dit-il lui-même, et tout fut flni.

L’époux de Messaline arrive dans l’Olympe où, en qualité d’empereur défunt, il doit trouver sa place préparée. Auguste se porte son accusateur, fait le récit de ses crimes, et Claude est chassé par Jupiter. Il tombe dans le Tartare et y retrouve ses anciens complices qui le traînent eux-mêmes devant le tribunal d’Eaque. Le juge des enfers imagine pour lui un nouveau supplice : il le condamne à jouer éternellement aux dés.

... Malgré tous ses soins, entre ses doigts avides, Du cornet défoncé, tonneau des Danaïdes, Il sent coûter les dés ; il» tombent, et souvent, Sur la table, entraîné par ses gestes rapides, Son bras avec effort jette un cornet de vent.

Claude était mort : Néron régnait. La plaisanterie fut approuvée.

Après Claude, Messaline : c’est justice. Cette fois, c’est un poète, c’est Juvéual, c’est le pamphlet en vers, à la façon des Ïambes de Barbier, de la Némésis de Barthélémy.

« Regarde les égaux des dieux ; écoute ce que Claude peut endurer. Dès qu’elle le sentait dormir, son épouse effrontée, préférant un grabat au lit impérial, s’enveloppait, auguste courtisane, d’un obscur vêtement et s’échappait seule avec une confidente. Puis, dérobant sous une perruque blonde sa noire chevelure, elle se glissait, à la faveur d’un déguisement, dans un autre de prostitution où l’attendait une loge vide, et qu’elle s’était réservée. Là, sous le faux nom de Lycisca, elle s’étale toute nue, la gorge relevée par un réseau d’or, et découvre ces flancs qui t’ont porté, généreux Britannicus. Gracieuse, elle accueille ceux qui se présentent, réclame le salaire, et, renversée sur le dos, elle essuie les nombreux assauts qu’on lui livre. Trop tôt, alors, le maître du lieu congédiant ses nymphes, elle sort à regret, se réservant du moins de fermer sa loge la dernière, tant elle brûle et palpite encore de désirs ! Lasse enfin, mais non pas assouvie, elle se retire, les joues livides et imprégnées de la fumée des lampes, et va déposer sur l’oreiller de l’empereur l’odeur du lupanar. »

Quoique la vie de Juvénal soit peu connue, tout porte à croire qu’il n’eut pas à se repentir de son audace, pas plus que Sénèque ne fut puni pour son Apokolokintàse. Ce fut sans doute pour la même raison. Claude et Messafine surtout étaient mal vus à la’ cour de leurs successeurs, et c’était faire acte de courtisan que d’avilir un peu leur mémoire.

Un autre écrit du même temps, qui tient à la fois du pamphlet, du roman et de lasatire, fut plus fatal h. Pétrone, son auteur. Mais tout s’explique.

Néron en était venu au point de rougir devant un voluptueux de bon goût comme on rougit devant la vertu. Pétrone, son ancien compagnon d’orgie, était devenu gênant, car son amour des plaisirs n’allait pas jusqu’à l’infamie. Il reçut l’ordre de mourir ; mais avant il traça par écrit le récit des nuits infâmes de Néron et lui en envoya une copie dans un paquet cacheté. C’est de la que nous est venue, croit-on, la satire mutilée qui porte le nom de Pétrone. Le Satyricon n’est curieux que par l’obscénité des rnesurs qu’il repré PAMP

sente ; par la nature même de son sujet et son peu de valeur littéraire, il ne mérite que cette mention en passant.

Ici s’arrête à peu près l’histoire du pamphlet chez les Romains ; non pas que cette sorte d’écrit ait été rare à cette époque, mais parce que les documents nous manquent absolument, grâce au soin qu’ont pris les empereurs et leurs ministres de détruire jusqu’au moindre vestige des écrits qui leur étaient hostiles. C’est ainsi qu’ont péri par le feu les écrits du grand satirique Cassius Severus, de l’historien Titus Labienus, que le républicain Rogeard a essayé de faire revivre à ses dépens ; de Crémutius Cordus, coupable d’avoir fait, sous Tibère, l’éloge de Brutus ; du préteur Antiatius, auteur de satires violentes contre Néron ; de Fabricius de Veiantes, qui s’était moqué des sénateurs et des prêtres ; de cent autres encore dont l’histoire ne nous a même pas conservé les noms.

La naissance du christianisme et ses luttes contre la religion dominante produisirent un certain nombre de pamphlets contre les empereurs ou les personnages influents qui se montraient le plus hostiles à l’établissement de la religion nouvelle. U Apocalypse de saint Jean est généralement considérée comme un pamphlet allégorique contre Néron ; personne n’ignore les fréquentes attaques des écrivains chrétiens contre Julien dont le nom est resté accolé à celui d’Apostat. Le sel des plaisanterie^ chrétiennes consiste généralement à reprocher à l’empereur sa longue barbe et ses cheveux roux. Julien y répondit avec lecaime d’un homme d’esprit. « Nous ne devons pas les haïr, écrivait-il, mais les plaindre ; car ils sont déjà assez malheureux d’être dans l’erreur. » Julien écrivit deux pamphlets qui nous sont parvenus, le Misôpagôn, ou satire contre les barbes (les cbnrlatansde philosophie et de religion), et la Satire des Césars, où, exemple lare chez un prince, il passe en revue ses prédécesseurs et porte sur leur caractère des jugements d’une sévère impartialité.

Tertullien, dans son Apologie, emprunte quelquefois la forme du pamphlet et s’élève à une véritable éloquence ; niais c’est à peu près le seul écrivain chrétien qui mérite d’être cité ; les autres ont en générai la main lourde et leurs plaisanteries sont bien pâles comparées à la verve étincelante de Lucien qu’ils se proposent pour modèle.

Minucius Félix, auteur beaucoup trop vanté du dialogue froid, mais assez élégant, intitulé Octavias, peut montrer ce que devint le pamphlet comme arme agressive entre les mains des chrétiens.

« Vous adorez, dit-il aux païens, des tètes de chiens et de lions mêlées ensemble, et des monstres demi-chèvres et demi-hommes. N’adorez-vous pas encore, avec les Égyptiens, le bœuf Apis ? N’approuvez-vous pas leur religion envers les serpents, les crocodiles et les autres bêtes farouches, et envers tant d’animaux de l’air, de la mer et de la terre ? Ilsredoutentles oignons à l’égal de leur déesse Isis et ne redoutent pas moins ce bruit proscrit qui s’échappe du corps de l’homme, ■ etc.

Les Pères de l’Église grecque, saint Grégoire et saint Basile surtout, rencontrèrent parfois dans leurs homélies quelques traits brillants contre le paganisme, et saint Jean Chrysostome, grand admirateur d’Aristophane, lui emprunta souvent dans ses sermons le sel de ses sarcasmes et sa piquante ironie.

À partir du vi» siècle, la littérature subit un long interrègne et le pamphlet ne reparaît que beaucoup plus tard et par de rares éclairs dans les poésies des trouvères, plus burdis penseurs que les troubadours, et parfois aussi dans les grossières boutades de quelques prédicateurs contre les prélats, les moines et les courtisans.

La Renaissance, au nom charmant et bien mérité, vit renaître, avec tous les genres de littérature, le pamphlet, non plus avec des allures vagues et indécises entre la satire et le libelle, mais le pamphlet dans sa forme moderne, tranchée, vivante ; le pamphlet d’Érasme, qui est celui de la Satire Aie nippée, des Provinciales, de P.-L. Courier,

La forme est neuve comme les idées. Plus d’enveloppe mystique ni d’allégorie. Les écrivains de la Renaissance, en rompant avec l’idée d’autorité qu’avait subie très-durement le moyen âge, revendiquent hautement les droits de la raison, en religion comme en politique.

Tout protestant est pape, une Bible à la main.

Les premiers livres de polémique nous vin* rent d outre-Rhin. C’étaient de volumineux traités imprimés en Allemagne et à Genève, et que les fervents adeptes de la Réforme faisaient circuler en France. Mais ces ouvrages pédantesques et coûteux ne pouvaient convenir qu’aux savants et aux docteurs. Il fallait, pour répandre les idées nouvelles, une forme vive, claire, facile.

Aux gros volumes savants, trop au-dessus du vulgaire, succèdent les petits livres t de joyeulze moralité, » qui pénètrent partout, sont compris de tout le monde et font de nombreux prosélytes. La, Farce des ihëologastres, violente satire de la religion catholique, est le premier essai tenté par les apôtres de la Réforme pour donner à leurs opinions théologiques cette forme populaire. Sous son allure

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plaisante, c’est un véritable manifesta des nouveaux prédicateurs de l’Évangile.

La farce est à six personnages : Théologastre, le type du prêtre catholique, Fratres, le choeur des moines, Foy, Rayson, le Texte de Saincte Escripture et le Mercure d’Allemagne, figure allégorique de Luther.

Théologastre, qui considère comme un grimoire magique les mots grecs et latins, est éperdu au milieu de toutes ces discussions théologiques qui l’empêchent de digérer :

Je n’y entens riens, quant à my ;

Je ne sçay plus comment parler :

Je suis, et par terre et par Pair,

De la foy la fondation ;

Mais, j’ay beau crier et hurler, [ser).

Je suis en parvipension (je ne sais que pen-Fratres se plaint, à son tour, de l’injustice des novateurs, tout en exposant, avec une naïveté perfide, ses prétendus mérites :

Moy te suis l’exaltation

De la dévotion humaine,

Et souffre mainete passion

Pour entretenir son domaine ;

Je sçay, au may, prescher la laine ;

En soust, les serbes a foisons,

Et, à Noël, j’ai mainte paine

Pour prescher boudins et jambons.

La Foy a la maladie Sorbonnicque et a besoin, pour remède, du Texte de la saincte Escripture.

Parultle Texte des Escriptures, « toutégratigné, allant au bâton et ne parlant qu’à grand’peine. ■

La Raison le soutient et le mène à la bataille contre les catholiques, leurs ennemis communs..

Texte, Rayson et Foy plaident leur cause avec ardeur, mais ne peuvent arracher aucune réponse sérieuse k leurs adversaires. Ttiéoiogastré ne répond à tous les arguments que par des citations et des noms d’auteurs ; Majoris,

Et Alexandre de Alts Durant, Albert Egidius Et Petrus Reginaldetus.

Quant à Fratres, il répond k des questions par d’autres questions, et quelles questions !... celle-ci, par exemple :

II vous faict asses bal ouyr.

Je vous tîcmnnde si Dieu sçait,

Cathégoriquement, de fait,

Qualités puces sont à Paris.

Mercure d’Allemagne entre en scène. C’est la note grave. À mesure qu’il parle, Texte a l’air de rajeunir ; mais c est mieux encore quand Rayson commence à le laver. Mercure continue sa prédication. De son côté, Foy recouvre la santé, et tout le monde se sépare, Mercure triomphant, Rayson satisfaite, Texte jeune, clair et brillant, Foy guérie, et enfin Théologastre et Fratres, en disant : Nous nous en allons mai contents.

Érasme, dans son Elo’jC de la Folie, chefd’œuvre d’esprit et de bon sens, donna une forme nouvelle au pamphlet. Horace, dans une de ses satires, avait soutenu que tous les hommes sont fous. Érasme va plus loin et prouve qu’ils ont raison de l’être. Son livre est une suite de portraits où sont représentés, avec une verve et un entrain pleins de bon goût, les différents états de la société ; sorte de danse macabre de haute gaieté où, au lieu de la lugubre Mort, c’est la Folie qui mène le branle en agitant ses grelots. Tout le monde comprend, tout le monde rit et, sans s’en douter, reçoit dans sa mémoire le genre d’idées nouvelles qu’y u fait entrer une plaisanterie.

Huit ans après la publication de l’Éloge de la Folie, un autre pamphlet, bien autrement hardi, agitait toute l’Allemagne. L’auteur, Ulrich de Rutten, empruntant la forme épistolaire, comme devaient le faire plus tard Pascal pour ses Provinciales et Montesquieu pour ses Lettres persanes, loin de s’enfermer, comme Érasme, dans le vague des questions morales et philosophiques, entre de plainpied dans la question religieuse et y apporte une ironie, une insolence, un dédain des opinions reçues qui épouvantent presque ses contemporains. Les Épîtres de quelques hommes obscurs ne respectent rien, ni le dogme, ni l’habit. Tantôt c est l’aventure d’un prédi cateur fameux, grand brûleur d’hérétiques, qui est surpris dans un dialogue trop tendre avec une jolie pénitente et qui est contraint par le mari de sauter par la fenêtre, dans un costume qui n’était pas précisément celui de l’innocence. Tantôt Hutten agite gravement la question théologique ; celle, par exemple, de savoir « si, au jour de la résurrection, le juif converti sera remis en possession de ce que la loi lui avait retranché. • Toute l’Allemagne riait aux éclats ; l’Église fouillait partout et ne trouvait pas trace de l’insaisissable pamphlétaire. Ce ne fut même que plus d’un siècle après sa mort que Bayle put deviner son nom.

À côté de ces écrits d’une forme élégante, le puissant athlète de la Réforme, Luther lui-même, soulève contre ses adversaires l’arme de la plaisanterie, véritable massue dont il assomme les Philistins. Il n’est pas difficile sur le choix des mots, et quand il s’emporte contre Henri VIII, tout roi qu’il est, il l’appelle omnium porcorum porcissimus. Du reste, comme faisait Rabelais, il ne consacre à ses diatribes, qui lui mettent la bile en mouvement et le tiennent en santé, que « le temps

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de ses réfections corporelles. ■ De là le titre de Propos de table donné au recueil de ses colères et de ses facéties. Il y parle de tout, du diable et du pape, des femmes et des moines, de l’empereur et de saint Augustin. Et pas de réticence. Ce qu’il pense, il te dit, et toujours crûment. Il recherche l’esprit et se complaît aux anecdotes scabreuses.

< Les sophistes de Sorbonne, dit-il, ont écrit contre moi ; ils ont dit qu’au fond, entre eux et moi, il n’y avait qu’une dispute de mots. On pourrait leur répondre et leur demander pourquoi ils ont fait périr, pendre, étrangler, noyer, brûler, exiler tant de personnes pieuses, savantes, respectables, pour une querelle de mots. Malheur à eux I... Les papistes sont ignorants, grossiers et impies, de véritables têtes d’âne. Un de leurs curés fut cité devant son ôvêque, car on se plaignait qu’il ne baptisait pas régulièrement. L’évêque lui donna à baptiser une poupée et se tint prêt a écouter de quels termes il se servait. Et le curé dit : Ego te baptisle in nomine CAriste. L’évêque Te reprit vertement de son ignorance et de ce qu’il n’employait pas les expressions consacrées. Alors le curé jeta par terre la poupée et dit : « Tel enfant, tel baptême et telles paroles. •

« Le pape, dit-il ailleurs, se moque k la fois de Dieu et des hommes, car il méprise et viole les lois de la religion, rie la justice et du gouvernement ; il le prouve bien, puisque sou fils, cet enfant de putain, a épousé une bâtarde de l’empereur et a été fuit duc, »

Outre Érasme, Hutten, Luther, citons encore, parmi les principaux pamphlétaires religieux, Francewitz, de Vergerio, Viret, Curion, Mèlanchthon et les auteurs inconnus des pamphlets intitulés : le Livre des Marchands (153*) ; D’un nouoeau chef gtli s’esteoa au temps des empereurs (1543) ; Discours des confusions de la papauté (154S) ; la Physique et la nécromancie papale (1552-1553) ; Satyres chrestiennes de la cuisine papale, de Viret (1560) ; les Marmites, les Mappes, et enfin le Piteux remuement des moynes, prebslres et nonains de Lyon, par lequel est découverte leur honte et la juste punition de Dieu sur la vermine papale (1562).

Jusqu’ici, c’est surtout l’Allemagne qui a donné le branle, et la plupart des ouvrages que nous venons de citer ont été écrits sur la terre étrangère. Le vieux sol gaulois est-il donc frappé de stérilité et le rire de nos pères est-il éteint pour jamais ? C’est Rabelais qui se charge de la réponse, et l’Europe entière va rire de ce rire olympien qui secouait la vaste poitrine des dieux et ébranlait les deux pôles du monde.

Gargantua paraît, puis Pantagruel, pamphlets énormes, encyclopédie de la raillerie, où tout est passé au crible de la fine ou de la grosse plaisanterie, religion etmorale, science et littérature, art, politique, justice, éducation, tout ce qui intéresse le société.

À la suite de Rabelais, quelques autres savants, armés d’une forte érudition et de l’ironie gauloise, attaquent les abus, les fausses opinions, les erreurs généralement admises. Citons au premier rang Henri Estienne et son Apologie pour Hérodote. Employant la démonstration par l’absurde, il établit qu’à ce qu’on appelle les fables d’Hérodote on peut opposer tout autant de fables qui ont cours parmi ses contemporains, et qui sont considérées comme des vérités. Entre temps, il daube de son mieux les Théophages (mangeurs de Dieu) et les Philomesses : « 0 les grands fous qu estaient ces Égyptiens d’Hérodote, dira quelqu’un, en ce qu’ils adoroient les bestes I Grands lois estoient-ils ; cela je le confesse ; mais c’est à la charge que l’on me confessera que ceux qui adorent une chose morte sont plus fols que ceux qui adorent une chose vivante. Ce qui m’ayant été confessé, le procès des Philomesses est tout fait. Car ils adorent et ce où il y a eu la vie, mais n’y en a plus (les reliques), et ce où il n’y en eut jamais (les images). Considérons donc sans passion ce que nous dirions si Hérodote ou quelque autre historien ancien nous racontaient qu’en quelque pays les hommes.seraient théophages, c’est-à-dire mange-dieux, aussi bien qu’il raconte de quelques anthropophages, élêphantophages. Dirions-nous pas cette tbéophagie être incroyable, et que ces historiens ont controuvé cela de ces hommes, encore qu’au demeurant ils fussent très - barbares ? » Le livre de l’Apologie est dirigé entièrement contre le clergé, moines, abbés, évêques et papes.

Pour nombrer les vertus d’un moine,

Il faut qu’il soit ord et gourmand,

Paresseux, paillard, mai. idoine (bon a rien).

Fol, lourd, ivrogne et peu sçavact.

Après Rabelais et Estienne, Pasquier écrit son Liore des recherches, Montaigne ses Essais, le manuel du sceptique, et Béroalde de Verville son Moyen de parvenir, où la gaieté trop souvent grossière de Rabelais est remplacée par une obscénité cynique et une froide lubricité.

La contagion de la liberté gagne toutes les classes : des savants elle passe aux postes, des poètes aux courtisans et aux princes. La cour de Marguerite de Valois est en quelque sorte un salon de beaux esprits, où règne une licence philosophique que n’effraye même pas l’athéisme. Mn.rut aurait pu employer son génie charmant et moqueur à chansonner » les papistes et papelards, > et