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toutes les OPINIONS ont leur probabilité. (Pasc.) On ne s'ôte, on ne se donne pas ses goûts ni ses OPINIONS. (La Rochef.) Les OPINIONS des femmes ne sont cite la suite de leurs sentiments. Mme de Sévigné.) Il faut ménager l'OPINION des sots. (St-Evrem.) Les hommes sont dignes de compassion quand ils s'engagent dans des disputes qui ne se bornent pas aux OPINIONS, mais qui vont aux personnes. (Rancé.) L'histoire est en partie le récit des OPINIONS des hommes. (Volt.) La raison humaine prend plus facilement le moule de nos OPINIONS que celui de la vérité. (J.-J. Rouss.) Rien ne prouve mieux l'orgueil et la petitesse des hommes que l'idée, qu'ils ont de l'importance de leurs OPINIONS. (Grimm.) Celui qui n'a qu'un désir ou qu'une OPINION est un homme à caractère. (Rivarol.) Nous finissons presque toujours par avoir les OPINIONS dont on nous accuse. (Mme de Staël.) Ce que les hommes pardonnent le moins, c'est la contradiction directe de leurs OPINIONS. (Mme Necker.) Presque toutes les OPINIONS humaines sont des passions. (Dussault.) On ne persuade qu'en souffrant pour ses OPINIONS. (P.-L. Courrier.) Dans les temps de révolution, les OPINIONS sont les seules marchandises dont on trouve la défaite. (Chateaub.) La prescription n'est pas admise en matière d'OPINION. Godwin.) Dans l'embarras de savoir quelle est l'OPINION la plus vraie, il faut choisir la plus honnête. (J. Joubert.) La matérialité de l'âme était, dans les premiers siècles, une OPINION dominante. (Guizot.) Il n'y a rien de plus sujet à l'illusion que de juger les mœurs d'un homme par les OPINIONS générales dont il est imbu. (Rigault.) On change d'OPINION, même pendant te sommeil. (A. d'Houdetot.) Jusqu'où ne peut-on pas avancer ou rétrograder quand on met des baïonnettes au bout des OPINIONS ! (Fiévée.) Les hommes ont universellement reçu des OPINIONS aujourd'hui reconnues fausses. (E. Scherer.) Les OPINIONS, au lieu d'être la force, sont le dissolvant des armées. (Lamart.) Les OPINIONS sont comme des vêtements dont la coupe et la couleur sont sujettes à changer. (F. Wey.) N'avoir pas le courage de son OPINION, c'est n'avoir pas d’OPINION. (B. de Gir.) Aucune OPINION n'est assez claire pour n'avoir jamais besoin d'interprétation. (Courcelle-Seneuil.)

Chose étrange de voir comme avec passion
Un chacun est chaussé de son opinion !

MOLIÈRE.

Du choc des sentiments et des opinions
La vérité jaillit et s'échappe en rayons.

COLARDEAU.

De nos biens, de nos maux l'incertaine mesure Est dans l’opinion plus que dans la nature.

FR. DE NEUFCHATEAU.

Qu'importé ce vain flux d'opinions mortelles, Se brisant l'une l'autre en vagues éternelles ?

LAMARTINE.

|| Sentiment d'une classe de personnes en quelque matière particulière : Les OPINIONS des stoïciens, des péripatéticiens, des cyniques. Les OPINIONS des luthériens, des calvinistes. Napoléon prétendait commander même à l'OPINION littéraire et soumettre les talents à son investiture. (Rigault.)

Assertion qui n'est pas certaine : Ce n'est là qu'une OPINION.

Jugement favorable ou défavorable que l'on porte sur une personne ou sur une chose : Avoir bonne OPINION, grande OPINION de quelqu'un. Avoir banne, mauvaise OPINION d'une affaire, d'une maladie. Il est permis d'avoir mauvaise OPINION de celui qui n'a bonne OPINION de personne. (Duclos.) Le bonheur et le malheur sont en nous, et dépendent de l'OPINION que nous attachons aux choses. (De Ségur.) Nos illusions sont greffées sur la bonne OPINION que nous avons de nous-mêmes. (Bougeart.) La bonne OPINION qu'on a de soi engage à la mériter des autres. (R. Mennechet.)

Opinion publique ou simplement Opinion, Sentiment universel, manière de voir ou d'apprécier, qui est commune à la grande majorité des hommes dans un pays : Braver L'OPINION PUBLIQUE. Un gouvernement est tenu de consul/er l'OPINION. Ne choque jamais l'OPINION PUBLIQUE ; c'est une masse qui t'écraserait indubitablement. (Max. orient.) L’OPINION est le tombeau de la vertu parmi les hommes et son trône parmi les femmes. (J.-J. Rouss.) L'OPINION PUBLIQUE tôt ou tard subjugue, renverse toute espèce de despotisme. (J. Duelos.) OPINION PUBLIQUE est une puissance invisible qui commande jusque dans les palais des rois. Necker.) On n'a point recours au despotisme, quand on a pour soi l'OPINION. (Mme de Staël.) Lorsqu'on brise le joug de l'OPINION, c'est rarement pour s'élever au-dessus, mais presque toujours pour descendre au-dessous. (Chamfort.) L’OPINION seule est le lien des hommes, la base de la morale. (B. Coiist.)- Loin de cal¬ mer l'OPINION, le silence imposé par l'a censure ne fait que l'irriter. (Chateaub.) Autrefois il suffisait de gouverner avec l'OPINION ; à présent il faut gouverner par elle. (Ballauche.) L'OPINION PUBLIQUE est une courtisane : on cherche à lui plaire sans l'estimer. Petit-Senn.) L’OPINION se donne à qui l'aime comme l'intérêt à qui te sert : (Guizot.) L’OPINION PUBLIQUE c'est la conscience de tous, la morale collective. (Ch. Dolifus.) Selon l'OPINION, lorsqu'un homme de trente ans séduit une jeune fille de quinze, c'est la jeune, personne qui est déshonorée. (A Beyle.) C'est le propre des gouvernements sages de ménager

l'OPINION, même lorsqu'elle est égarée ou qu'elle caresse l'absurde. (Mich. Chev.)

Oui, c'est l'opinion qui gouverne le monde,

ETIENNE.

C'est souvent du hasard que naît l’opinion,
Et c'est l’OPINION qui fait toujours la vogue.

LA FONTAINE.

Affaire, Chose d'opinion, chose sur laquelle chacun pense d'après sa volonté ou d'après l'usage reçu : Le plaisir est une chose d'OPINION, qui varie selon les temps, les mœurs et les peuples. (Chateaub.) || Mal d'opinion, Mal imaginaire :

Un mal d'OPINION ne touche que les sots.

MOLIÈRE.

Avoir opinion de quelqu'un, de quelque chose, En penser d'une manière favorable : Avoir OPINION du succès, du mérite d'un ouvrage. || Vieille loc.

Prov. L'opinion est la reine du monde, Le monde se laisse conduire par l'opinion publique : L’OPINION est si bien LA REINE DU MONDE, que, lorsque la raison veut la combattre, la raison est condamnée à mort. (Volt.) L'OPINION EST LA REINE DU MONDE, et la presse est le premier ministre de l'opinion. (Toussenel.)


Logiq. Croyance probable : La démonstration engendre la science, et l'argument probable engendre l’OPINION. (Âcad.) L'OPINION est une connaissance douteuse qui n'est pas sans apparence et sans fondement, mais.


Théol. Opinion probable, Celle qui est appuyée sur quelque raison ou sur quelque autorité, même lorsqu'il y a lieu de croire que l'opinion opposée est plus fondée. || Opinion relâchée, Opinion très-peu sévère en morale : Les OPINIONS RELÂCHÉES plaisent tant aux hommes, qu'il est étrange que celles des jésuites leur déplaisent. (Pasc.)


Hist. Fête de l'Opinion, Cinquième des fêtes instituées par la Convention nationale pour être célébrées pendant les jours complémentaires ; fête pendant laquelle il devait être permis de dire et d'écrire tout ce qu'on voudrait, sans craindre de poursuites.

Syn. Opinion, avis, pensée, sentiment. V. AVIS.

Opinion, créance , croyance, etc. V. CRÉANCE.

Encycl. Philos. En métaphysique , on a l'habitude d'opposer l'opinion à la science, comme croire est opposé à savoir. « L'opinion, dit liant, est un fait, un événement intellectuel qui peut reposer sur des raisons objectives, mais qui requiert aussi des causes subjectives dans l'esprit de celui qui juge. Si la croyance est valable pour tout le monde, son principe est alors objectivement suffisant et la croyance s'appelle conviction ; si la croyance n'a sa raison que dans la qualité particulière du sujet, on l'appelle alors persuasion. La persuasion est une simple apparence, puisque la cause du jugement, quoique purement subjective, est réputée objective. Un semblable jugement n'a donc aussi qu'une valeur individuelle et la croyance n'est pas partageable. Mais la vérité repose sur la convenance avec l'objet, et quand cette convenance a lieu, les jugements de chaque intelligence doivent être d'accord entre eux. La pierre de touche extérieure de la croyance, pour savoir si c'est une conviction ou simplement une persuasion, est donc la possibilité d'être communiquée et d'être trouvée valable pour la raison de tout homme, car il est au moins présumable alors que la cause de tous ces jugements, malgré la diversité des sujets entre eux , doit reposer sur une causé commune, savoir l'objet avec lequel tous les sujets s'accordent, prouvant par là même la vérité du jugement particulier.

Il y a divers degrés dans l'opinion, suivant qu'on juge sur l'observation d'un plus ou moins grand nombre de faits. On juge aussi sur le dire d'autrui, suivant le degré de confiance qu'on a dans les personnes qui affirment un fait ou suivant leur nombre. Dans les relations privées, le témoignage à l'aide duquel on se forme une opinion est d'ordinaire difficile à contrôler. « La pierre de touche, dit liant, pour savoir si ce qu'affirmé quelqu'un est simplement une persuasion ou du moins une conviction subjective, c'est-à-dire une foi ferme, c'est le pari. Trop souvent il arrive que quelqu'un affirme ce qu'il dit d'un ton si confiant et si imperturbable, qu'il semble avoir déposé toute crainte d'erreur ; un pari cependant l'embarrasse. Quelquefois, à la vérité, il montre assez de persuasion pour que l'on puisse l'estimer un ducat mais non pas dix, car il en mettra bien un en jeu, mais, s'il s'agit d'en mettre dix, il remarquera à la fin ce qu'il n'avait pas remarqué d'abord, savoir qu'il est cependant possible qu'il ait tort. S’il s'agissait de parier le bonheur de toute la vie, alors notre confiance diminuerait très-sensiblement, on serait rempli de crainte et l'on trouverait enfin que notre foi ne va pas si loin. »

Les philosophes ont beaucoup disputé sur la nature de l'opinion. En Grèce, l'école d'Elée a signalé la première une antinomie naturelle entre la science et' l'opinion. Suivant elle, les motifs de l'opinion viennent des sens, tandis que les motifs de la science sont puisés dans la raison.

Parménide avait écrit un poème dont il ne

reste que des fragments, sur l'antagonisme naturel de l'opinion et de la science, des sens et de la raison. « La raison, dit-il, conduit à l'être et à la vérité. De l'autre côté (du côté de l'opinion), l'habitude règne ; on marché dans un chemin où l'on a pour guides les yeux qui ne voient point, les oreilles qui n'entendent pas et les discours insensés des hommes, toutes données où l'apparence, le faux et le non-être s'imposent à notre imagination débile. » Empédocle professe ouvertement que l'opinion est le fruit des sens, et la vérité le fruit de la raison ; c'est bien aussi l'avis de Platon, qui déclare dans le Timée que l'opinion a pour origine la sensation et, dans la République, qu'elle est irrationnelle.

Aristote a une plus haute idée de l'opinion ; il la place au-dessus des sens et de l'imagination, dans les régions voisines de l'entendement, mais il la fait inférieure à la science : « Savoir véritablement une chose, c'est en connaître la cause comme telle et comprendre qu'elle ne saurait être autrement. » La science est donc la connaissance du nécessaire ; l'opinion n'est point une notion du nécessaire, « c'est la conception d'une proposition immédiate, c'est-à-dire non démontrable et non nécessaire. » Il avoue que l'opinion diffère de la science par son objet, en ce qu'elle s'applique à des choses contingentes de leur essence, ce qui fait qu'elle est instable comme les phénomènes de l'ordre naturel, qu'elle contient toujours du faux et du vrai, qu'enfin elle ne donne pas le pourquoi de ce qu'elle avance. Même quand elle recherche universel et le nécessaire, elle diffère de la science en ce qu'elle ne connaît pas le nécessaire comme tel. Son imperfection tient d'ailleurs à l'imperfection de son objet. L'objet de l'opinion est variable, parce qu'il y a dans la nature de l'homme et dans celle de tous les êtres de la vie et du mouvement. Les transformations continuelles opérées en nous et autour de nous par le renouvellement de toutes choses modifient nécessairement notre conscience, c'est-à-dire l'ensemble de nos opinions actuelles. Ce n'est ni un mal ni un bien : c'est une conséquence forcée de notre manière d'être, une condition de la vie et du mouvement. Il est vrai que, si l'on ignore cette mesure de l'opinion et qu'on en considère l'objet comme permanent, les plus étranges systèmes peuvent naître de cette fausse conception. « C'est sur nos opinions, dit Mr Waddington-Kastus, que nous réglons d'ordinaire notre conduite ; peu à peu elles pénètrent l'âme tout entière, deviennent une partie de nous-mêmes, un trait distinctif de notre caractère. Plus l'effort a été grand et pénible pour nous faire ces croyances hasardées et douteuses, pour conquérir cette ombre de vérité, plus, ce semble, nous y tenons et nous nous y attachons. Un tel effort, on le comprend, est chose individuelle. Aussi l'opinion, comme tout ce qui est individuel, est-elle sujette aux variations les plus extraordinaires. Voulez-vous la définir, ne dites pas seulement son auteur, dites encore le jour et l'heure où cette opinion fut la sienne. Telle opinion qui est la nôtre aujourd'hui ne l'était pas hier et ne le sera plus demain peut-être ; et pourtant, chose étonnante ! ces lueurs passagères, qui n'éclairent point l'esprit, échauffent le cœur et ont le privilège de le passionner. Tandis que les vérités premières et les solides résultats de la science sont en dehors et au-dessus de toute contestation, l'opinion est une source perpétuelle de querelles, de luttes et de persécutions. La vérité absolue et la science auraient seules le droit d'être intolérantes et de régner sans partage sur toute intelligence ; c'est au contraire l'ombre de la vérité qui règne ; c'est l'opinion trompeuse qui exclut et qui persécute. » Il n'y a rien là dont il faille s'étonner. Nous n'avons pas créé les vérités nécessaires dont nous subissons le joug, les théorèmes de géométrie qui sont l'œuvre de la raison pure, c'est-à-dire de la partie non libre de nous- mêmes ; si nous tenons à nos opinions, c'est qu'elles sont en quelque sorte notre œuvre.

C'est par l'imagination que nous, sommes libres, que nous avons du pouvoir, que nous agissons, et agir c'est vivre, tandis que connaître c'est subir l'ascendant invincible de la vérité. L'incertitude même de l'opinion amène la dispute, qui seule échauffe l'esprit ; rien n'est froid comme la vérité universellement connue et admise.

A côté de l'opinion individuelle, dont nous venons de parler, il existe des opinions universellement répandues et, se confondant dans un sentiment général, qu'on désigne sous le nom d'opinion publique. L’opinion publique joue dans la politique un rôle important, que nous étudierons à part ; nous l'examinons ici à un point de vue plus général. L'opinion publique est un des faits sociaux dont on a le plus médit. Pascal a décrit avec une rare énergie la manière dont le public su laisse gouverner par l'imagination. « Cette superbe puissance, ennemie de la raison, dit-il, qui se plaît à la contrôler et à la dominer pour montrer combien elle peut en toutes choses, a établi dans l'homme une seconde nature. Elle a ses heureux, ses malheureux, ses sains, ses malades, ses riches, ses pauvres ; elle fait croire, douter, nier la raison ; elle suspend les sens, elle les fait sentir ; elle a ses fous et ses sages, et rien ne nous dépite davantage que de Voir qu'elle remplit ses hôtes d'une satisfaction bien autrement

pleine et entière que la raison. Les habiles par imagination se plaisent tout autrement à eux-mêmes que les prudents ne se peuvent raisonnablement plaire. Ils regardent les gens avec empire ; ils disputent avec hardiesse et confiance, les autres avec crainte et défiance ; et cette gaieté du visage leur donne souvent l'avantage dans l'opinion des écoutants. Qui dispense la réputation ? Qui donne le respect et la vénération aux personnes, aux ouvrages, aux lois, aux grands, sinon cette faculté imaginante ? Toutes les richesses de la terre sont insuffisantes sans son consentement. »

Pascal va jusqu'à attribuer à leur costume l'autorité dont jouissaient les magistrats de son temps. « Leurs robes rouges, dit-il, leurs hermines dont ils s'emmaillottent en chats fourrés les palais où ils jugent, les fleurs de lis, tout cet appareil auguste était fort nécessaire ; et si les médecins n'avaient des soutanes et des mules et que les docteurs n’eussent des bonnets carrés et des robes trop amples de quatre parties, jamais ils n'auraient dupé le monde, qui ne peut résister à cette montre si authentique. Les seuls gens de guerre ne se sont pas déguisés de la sorte parce qu'en effet leur part est plus essentielle : ils s'établissent par la force ; les autres par grimaces. »

Les faits contemporains ont donné le plus plaisant démenti à cette théorie de Pascal : les médecins et les docteurs ont abandonné ou peu s'en faut la soutane, la robe et le bonnet carré sans, avoir rien perdu de leur considération, ou, si l'on veut être aussi méchant que Pascal, de leur ancienne aptitude à faire des dupes ; les militaires, au contraire, ne se fiant plus absolument à l'emploi de la force dont ils ont le privilège, se sont déguisés autant au moins que les docteurs le faisaient au temps de Pascal. Comme cette double évolution n'a rien fait gagner aux uns ni rien perdre aux autres en considération, il semble que l'opinion publique est moins superficielle, moins victime de son imagination que Pascal ne l'avait pensé. Et puis (ceci est essentiel à noter) l'opinion publique est plus sûrement et plus rapidement éducable qu'on ne le croit généralement. Qu'on mesure le chemin que lui ont fait faire la philosophie du dernier siècle et les événements politiques qui ont marqué le commencement de celui-ci ; qu'on se demande ce que sont devenues ou ce que sout près de devenir les superstitions du passé, la croyance publique aux pressentiments, aux visions, aux miracles, aux mystères, etc., etc. Ces progrès évidents, tout le monde les constate et les reconnaît, ceux-ci pour y applaudir, ceux-là pour les maudire. Il faut d'autant plus s'en féliciter que l'autorité de l'opinion publique est invincible et s'impose, vraie ou fausse, à ceux qui font profession de la dédaigner. Les habiles s'efforcent de la diriger, ce qui est autrement difficile. Mais ici nous entrons en pleine politique, et nous avons promis de donner un développement spécial à cette partie de notre travail.

Politiq. La raison, qui est l'attribut distinctif de l'homme et la plus élevée de ses facultés, est aussi la dernière dont il sache user. Aussi exige-t-elle un long apprentissage. Croire est si facile ! Raisonner exige au contraire tant d'efforts souvent malheureux ! Les sociétés dans l'enfance s'en remettent volontiers à quelques hommes réputés plus sages ou plus expérimentés du soin de leurs destinées. Elles abdiquent leur raison avant d'en avoir fait usage. Puis vient l'habitude d'obéir sans examen, et c'est ainsi que se crée et se perpétue la servitude volontaire. Lors¬ qu'un peuple a vécu de longs siècles dans cette torpeur, il devient difriciïe de l'eu tirer. Les premiers qui l'essayent échouent contre une force d'inertie presque invincible. Existait-il en France, par exemple, une opinion publique dans la dernière période du règne de Louis XIV ? Non : le despotisme avait brisé le ressort des âmes. Comme au temps de Tacite, on avait presque perdu la mémoire avec la parole. Les souffrances causées par des calamités sans nombre ne provoquaient que des murmures impuissants. Trois hommes de bien se firent généreusement les organes de l'opinion publique : Vauban, Fénelon, Bois-guillebert. Mais tel était l'affaissement des esprits, que, lorsqu'ils élevèrent la voix au nom de l'humanité contre une oppression intolérable, ils n'éveillèrent aucun écho. Tout le peuple semblait dormir du sommeil des morts. Aux funérailles du vieux roi, il y eut une explosion de colère longtemps contenue- ; mais était-ce bien l'opinion publique qui se réveillait ? Non : elle n'était pas née. Le peuple n'eût cas même été capable de nommer sa souffrance, encore moins d'en discerner les causes et d'y chercher un remède. Créer un esprit public, l'éclairer, le fortifier par l'étude de l'histoire, des sciences et de la philosophie n'était pas l'affaire d'un jour. Pour entre¬ prendre cette tâche presque surhumaine, ii fallait plus que du courage. Voltaire, un des premiers, osa le tenter. Des sommets de la société, la lumière ne descendit que lentement dans les régions moyennes. Pendant tout le cours du xviiie siècle, l'opinion publique est représentée par Voltaire, Jean-Jacques, Montesquieu, Turgot et les encyclopédistes. Qu'on ne la cherche point plus bas, car elle n'existe pas.