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sition de la ferme à la régie, rendit un règlement utile sur les impôts indirects, nomma une commission pour améliorer le service des hôpitaux, pendant que l’active charité de Mme Necker créait un hospice modèle qui porte encore aujourd’hui le nom de son époux, établit le mont-de-piété de Paris, fonda des prix annuels pour les nouveaux établissements de commerce et d’industrie, enfin travailla à préparer la réforme des sinécures et des gaspillages de la maison du roi.

Lorsque la France fut amenée à prendre ouvertement parti pour la cause de l’indépendance américaine, Necker, par la confiance qu’il inspirait, rendit possibles et à de bonnes conditions les emprunts qui nous permirent de pousser la guerre, mais d’ailleurs en obérant de plus en plus le trésor public.

Si l’on peut dire qu’il ne fit rien de réellement grand dans son ministère, on n’en doit pas moins tenir compte de ses améliorations de détail et reconnaître que ses modifications au régime des finances furent bien conçues.

Malgré la guerre, il continua l’exécution de ses plans, achevant de centraliser la comptabilité au trésor royal, poursuivant l’extinction des cumuls et des sinécures et supprimant notamment cinq cents offices de la maison du roi.

En résumé, dans tous ses actes il montrait les vues d’un administrateur probe et vigilant qui cherche à porter la lumière et l’ordre dans le chaos des finances, à soulager le fardeau du peuple, à rétablir le crédit et développer la prospérité publique.

Son ministère fut encore signalé par quelques mesures économiques et industrielles plus ou moins importantes, par la suppression de la mainmorte et de la servitude personnelle, mais seulement dans les domaines du roi, par l’abolition de la question préparatoire (la question préalable ne disparut définitivement qu’à la Révolution), enfin un essai timide encore des assemblées provinciales de Turgot, dans le Berry, la Guyenne, le Dauphiné et le Bourbonnais.

En 1781, Necker publia son célèbre Compte rendu, première révélation (bien incomplète encore) de ce secret des finances jusqu’alors dérobé avec un soin si jaloux à la connaissance du public, il annonçait un excédant des recettes sur les dépenses, qui était purement fictif, et son travail était plus ingénieux, que solide. Toutefois, le public lui sut un gré infini de cet appel à la lumière et à la publicité, et ses emprunts, qui auparavant tarissaient, reprirent faveur aussitôt et produisirent d’abondants versements.

Mais, d’un autre côté, Necker avait de violents ennemis à la cour ; sa réforme de la maison royale, ses suppressions, ses projets avoués de stricte économie avaient comme toujours exaspéré contre lui ceux qui s’engraissaient des abus. On lui reprochait aussi fort amèrement son Compte rendu, non pour les illusions et les inexactitudes qu’il contenait, mais bien au contraire pour les vérités qu’il mettait en évidence et les projets utiles qu’il annonçait. Accablé par une ligue puissante, il fut obligé de se retirer (mai 1781). Louis XVI, qui s’était lassé de lui comme il s’était lassé de Turgot, reçut (et même provoqua) sa démission avec une satisfaction qui donne la mesure de son intelligence politique. L’ordre et le crédit s’en allaient avec lui. La place est maintenant aux incapables et aux gaspilleurs, les Joly, les d’Ormesson, les Calonne !

La chute de Necker fut ressentie plus vivement que celle de Turgot, car l’opinion avait fait de grands progrès depuis cette époque. Le monde officiel n’osa pas triompher trop haut ni braver trop bruyamment le sentiment public.

Quant au ministre tombé, il ressentit peut-être un peu trop vivement l’amertume de sa disgrâce. Fort sensible à toutes ces émotions de la vie publique, échecs ou triomphes, il aimait le pouvoir comme moyen d’appliquer ses idées, et il ennoblissait son ambition en l’identifiant à l’intérêt général. On lui a reproché sa vanité ; elle était réelle, mais elle le poussait à rechercher le bien général, autant par l’entraînement d’une âme honnête que par sa passion pour la gloire et la popularité.

« Son portrait si connu, sa figure et son port révèlent au premier regard ses qualités et ses défauts : plus de hauteur et de roideur que de force ; une intelligence active et pénétrante, avec de l’indécision dans l’esprit ; une philanthropie un peu emphatique, vraie pourtant ; beaucoup de faste, de vanité, de vie extérieure ; le besoin d’agir, le besoin de paraître, mais aussi le besoin d’être ; car c’est une nature sincère et droite, après tout, et qui aime la vertu comme elle aime la renommée, mais qui n’est point assez philosophique pour être heureuse par la vertu sans le succès. » (Henri Martin.)

En 1784, Necker, du fond de sa retraite, publia son ouvrage sur l’Administration des finances, qui fut accueilli avec une faveur passionnée. Au moment de la convocation des états généraux, dans la détresse financière et politique où se trouvait le gouvernement, on se souvint de l’homme dont le nom seul était si influent sur le crédit. Il fut rappelé après la chute de Brienne (août 1788).

Le lendemain, les fonds publics remontèrent, rien que par le prestige de son nom. La situation cependant était presque désespérée. Necker se multiplia pour en conjurer les périls ; il engagea généreusement sa propre fortune comme garantie des dettes de l’État, obtint des avances des capitalistes, parvint à pourvoir aux besoins les plus pressants, rappela le parlement, etc. Ses ennemis mêmes étaient forcés de l’admirer. Le fermier général Montyon, qui l’aime peu, le juge ainsi : « Sans moyens violents, sans coups de force, il nous sauva de la banqueroute. Mille expédients de détail furent employés, faibles séparément, puissants par leur ensemble. Toute grande mesure eût trouvé trop d’obstacles. Son industrie fut un prodige. »

Qu’on songe aussi qu’outre les besoins ordinaires il eut à parer à deux grandes crises, le terrible hiver de 1788 à 1789 et la disette. En un mot, par ses efforts, il aida la France à vivre pendant ces mois d’anxiété suprême qui séparèrent l’ancien régime de la Révolution. Il fallait qu’on fût réduit à ces extrémités pour que la cour, la reine, Louis XVI, d’Artois, etc., se résignassent à le subir.

Il eut la plus grande part au règlement des états généraux, à la double représentation du tiers état, à toutes les mesures qui préparèrent là Révolution, mais ne put empêcher la répression sanglante de quelques troubles qui éclatèrent à Paris, ni déjouer les intrigues qui se nouaient autour de lui. Caractère indécis et faible, il était le jouet de cette cour perfide qui exploitait son nom et son crédit, trompé par la bonhomie équivoque de Louis XVI, par les grand airs des privilégiés, qui l’éblouissaient et se servaient de lui, tout en méprisant sa simplicité bourgeoise et son importance un peu pédantesque.

Il était loin d’ailleurs de soupçonner la profondeur du mouvement qui se préparait, bien loin surtout d’imaginer, que dès la première heure, il allait être dépassé, oublié.

Enrichi en France dans les affaires de banque, d’abord représentant de sa petite république auprès de la cour de Versailles, il avait pris goût à la monarchie, la voulant seulement mitigée, tempérée ; en un mot, il appartenait à cette école anglaise qui s’est perpétuée chez nous et n’est pas encore éteinte.

Lors de l’ouverture des états généraux, il exposa devant les députés de la nation l’état des finances, les détails du déficit ; mais quant aux réformes à opérer, il fut singulièrement timide et hésitant. L’accueil qu’il reçut fut assez tiède. L’opinion était déçue ; elle estimait toujours l’homme, mais elle commençait à douter du réformateur.

La cour saisit ce moment pour se débarrasser de lui. C’était après le serment du Jeu de paume ; la faction rêvait de coup d’État. Necker, flottant entre les deux camps, conseillait des mesures bâtardes qui, au fond, tendaient au même but, mais faisaient néanmoins quelques concessions à l’esprit nouveau. Son projet fut repoussé avec dédain. Peu de temps après, il fut congédié (10 juillet). Malgré ses tergiversations, il était encore très-populaire, et son renvoi, qui apparut très-justement comme le prélude d’un coup de force, fut une des causes qui déterminèrent l’explosion de Paris et la prise de la Bastille.

On sait, en effet, qu’à la première nouvelle de ce renvoi, Paris éclata. Cet événement fournit en quelque sorte à la grande cité l’occasion de se reconquérir, de s’affranchir de Versailles, de se refaire de haute lutte la capitale de la France, en un mot de prendre sa revanche sur Louis XIV et sur la vieille monarchie.

En résumant pour un moment ses colères et ses espérances en un seul individu, en acclamant avec ivresse un nom d’homme, devenu un drapeau de combat, le peuple cédait moins qu’on ne l’a cru à un sentiment idolâtrique.

Outre que la mode était aux compatriotes de Rousseau, aux Genevois (il y en eut tout une tribu : Panchaud, Necker, Dumont, Clavière, Marat, etc.), on sentait bien que Necker, dont on s’exagérait d’ailleurs la valeur propre, avait été et était encore, dans une certaine mesure, l’homme utile, sinon nécessaire.

Sa religion, sa nationalité républicaine, son origine bourgeoise, ses écrits, ses tentatives de reformes, sa réputation d’administrateur, ses habitudes d’ordre, l’idée qu’il avait eue de faire servir les besoins du gouvernement, la pénurie financière, à l’émancipation politique de la nation, enfin son honnêteté comme homme d’État et comme citoyen, tout cela lui avait donné une popularité éclatante et universelle, qui bientôt, hélas ! s’évanouira, crèvera comme une bulle de savon.

En effet, tandis que la faction de la cour le détestait pour avoir, suivant elle, déchaîné la Révolution, le parti du mouvement allait bientôt le rejeter pour la vouloir contenir.

Il y avait certainement beaucoup de vrai dans ces deux appréciations.

Mais, en conseillant l’appel à la nation pour tirer la monarchie d’embarras, Necker était loin de prévoir le résultat final de ce dangereux expédient ; et c’est en quoi il fut fort utile, car sa naïve imprévoyance lui laissa la sécurité de conscience et d’esprit nécessaire pour insister fortement dans le conseil et pour pousser la vieille monarchie vers l’abîme, tout en croyant la sauver.

D’un autre côté, quand la désillusion vint, quand il voulut retourner en arrière, il n’entendait point rétablir l’absolutisme pur.

Esprit moyen, médiocre même, d’opinions tempérées, avide en outre de popularité, il n’avait point le tempérament des solutions violentes et préférait ruser avec le monstre plutôt que de l’attaquer de front.

En d’autres termes, il songeait plutôt à escamoter les questions qu’à les trancher par la force ouverte. Cette modération, cette timidité, ces scrupules de forme étaient au moins des obstacles aux coups d’État.

À l’abri de ce paravent (si cette expression nous est permise), la Révolution, qu’il n’était pas absolument impossible d’écraser à sa naissance, grandissait, se développait, devenait de jour en jour plus invincible.

Après la prise de la Bastille, la cour dut se résigner à rappeler Necker. Il traversa la France pour ainsi dire en triomphateur, et revint à Paris, où il fut reçu avec ivresse, comme le ministre nécessaire et le martyr de la cause publique. Mais, en reprenant possession de son ministère, il touchait au terme de sa popularité, et bientôt il s’apercevra combien il était déjà dépassé. Dans l’ère éclatante qui s’ouvrait, cette idole d’hier n’apparaîtra bientôt plus que comme une antiquité, un souvenir de l’ancien régime.

Comparé aux hommes des derniers temps de la monarchie, il paraissait supérieur et capable. Mis en présence de circonstances imprévues et de grands événements, il perdit pied et flotta dès lors à l’aventure, emporté par tous les courants. Impuissant à diriger comme à enrayer cette grande Révolution qu’il ne comprenait plus, qu’il n’avait jamais bien comprise, il se débattit au milieu d’embarras toujours croissants ; ses emprunts, sa grande ressource, manquèrent misérablement ; tous ses petits plans de finances n’étaient plus accueillis que par le dédain et ils étaient justement jugés comme insuffisants en présence d’une crise qui appelait des réformes radicales, dépassant de beaucoup la mesure de ses idées et de ses conceptions.

Non content d’avoir combattu avec opiniâtreté la grande mesure des assignats, il eut aussi la faiblesse de s’opposer seul dans le conseil à la sanction du décret qui supprimait la noblesse, et l’on vit avec étonnement un écrivain philosophe, né plébéien lui-même, citoyen d’une république libre, écrire contre les principes de l’égalité et se donner le ridicule de prendre le titre de baron de Coppet, une de ses terres en Suisse.

Son rôle s’amoindrit de plus en plus ; dédaigné de la cour, dépopularisé dans la nation, qui avait pu juger de la valeur réelle de sa réputation financière, sans influence sur l’Assemblée, rejeté par le flot de l’opinion, comme une sorte d’épave de l’ancien régime, aigri, découragé, il vit bien, à des signes certains, que son rôle était fini et se résigna douloureusement à donner sa démission. Il quitta Paris le 8 septembre 1790 pour se retirer à Coppet, où il devait achever ses jours, oublié au milieu des grands événements dont l’Europe était le théâtre, puérilement occupé à gémir, à récriminer sur « l’ingratitude » des peuples.

Il laissait l’administration des finances dans le plus triste état, et cette situation, connue de lui, eût bien dû l’éclairer sur son impuissance à supporter le fardeau de ce pouvoir, dont sa vanité blessée regrettait avec tant d’amertume les privilèges et l’éclat.

Quant à ses idées et à ses plans sur les matières de finances, il ne serait d’aucun intérêt d’en faire aujourd’hui l’aride appréciation. Seulement, nous croyons que, toutes réserves faites de sa sincérité et de ses excellentes intentions, ainsi que de l’influence heureuse que son nom eut un moment sur le crédit, il ne fut, il n’aurait jamais été que l’homme des expédients et des demi-mesures.

On connaît le mot de Rivarol sur lui : « Il eut toujours le malheur d’être insuffisant dans un système qui ne suffisait pas. »

Cette fois, le pamphlétaire royaliste nous paraît avoir touché juste. En tout, les conceptions de Necker étaient insuffisantes et ne répondaient ni aux aspirations, ni aux circonstances, ni aux nécessités du temps.

Et dans la pratique des affaires, il resta bien au-dessous de ses propres conceptions, quand il n’agit pas en sens contraire, par timidité comme par impuissance.

Outre les ouvrages cités plus haut, on a encore de Necker un certain nombre d’écrits sur les matières de finances, sur la politique, etc. Nous citerons : De l’administration de M. Necker, par lui-même (1791) ; Réflexions offertes à la nation française (plaidoyer en faveur de Louis XVI) ; De la Révolution française (1796) : Cours de morale religieuse (1800), etc. Ses Œuvres complètes ont été publiées à Paris en 1822, 17 vol. in-8o.

On sait que la célèbre Mme de Staël était sa fille.

Sainte-Beuve a porté sur Necker le jugement suivant : « Chez M. Necker, le premier, le mieux intentionné et le plus innocent de tous les doctrinaires, l’intrépidité de conscience et la certitude d’impeccabilité s’alliaient avec un coin de bonhomie. Beaucoup de gens ont parlé après lui de l’accord parfait de la morale et de la politique ; il n’en parlait pas seulement, il y croyait et s’y astreignait aussi scrupuleusement que possible en toute circonstance ; mais il entendait cette morale au sens strict et particulier de l’homme de bien agissant dans la sphère privée… Il était fait, dans l’ordre habituel et régulier d’un régime représentatif, pour figurer avec honneur dans les discussions, et peut-être de temps en temps dans les ministères, pour faire surtout ce rôle d’honnête homme en titre et d’Ariste qu’il faut que quelqu’un remplisse dans cette grande distribution des emplois, pour intervenir dans les grands cas au nom de la morale et de la vertu solennelle, pour ignorer les intrigues de ses amis, pour les servir peut-être, et à son insu toujours. Nous avons vu, depuis, des hommes de bien et de talent remplir de tels rôles ; mais aucun n’y était plus naturellement, plus hautement préparé et voué, en quelque sorte, que M. Necker. En tout, d’ailleurs, c’était le contraire d’un pilote dans une tempête… Comme écrivain, il s’était beaucoup formé par l’usage, et il était arrivé à se faire un style : style singulier, fin, abstrait, qui se grave peu dans la mémoire et ne se peint jamais dans l’imagination, mais qui atteint pourtant à l’expression rare de quelques hautes vérités. On y trouve des aperçus déliés en masse. Ce style de M. Necker a prévalu depuis lui dans une école politique et littéraire ; on le reconnaîtrait à l’origine des principaux écrivains doctrinaires de ce temps-ci, et jusque dans bien des parties de la langue imposante et forte de M. Royer-Collard. »


NECKER (Suzanne Curchod, dame), femme de lettres et moraliste, épouse du précédent, née à Crassier, dans le pays de Vaud, en 1739, morte aux environs de Lausanne en 1794. Elle est la mère de Mme de Staël. Son père était pasteur protestant. Gibbon, étant venu à Lausanne en 1757, la vit et faillit l’épouser. « Son père, dit Gibbon, dans la solitude d’un village isolé, s’appliqua à donner une éducation libérale et même savante à sa fille unique. Elle surpassa ses espérances par ses progrès dans les sciences et les langues ; et, dans les courtes visites qu’elle fit à quelques-uns de ses parents à Lausanne, l’esprit, la beauté et l’érudition de Mlle Curchod furent le sujet des applaudissements universels. Les récits d’un tel prodige éveillèrent ma curiosité : je vis et j’aimai. Je la trouvai savante sans pédanterie, animée dans la conversation, pure dans les sentiments et élégante dans les manières ; et cette première émotion soudaine ne fit que se fortifier par l’habitude et l’observation d’une connaissance plus familière. Elle me permit de lui faire deux ou trois visites chez son père. Je passai là quelques jours heureux dans les montagnes de Franche-Comté, et ses parents encourageaient honorablement la liaison… » Le père de Gibbon s’opposa à ce mariage. Les deux amoureux se revirent en 1765, à Paris, mais alors Suzanne Curchod était devenue Mme Necker. Le mariage eut lieu en 1764. L’étonnement de la jeune femme est bien caractérisé dans la correspondance de Mme Necker avec Mme de Brenles, recueillie par M. Gelowkin (Lettres diverses recueillies en Suisse, Genève, 1821, in-8o). Elle se plaît même à dire qu’elle a été obligée de refaire son esprit tout à neuf pour les caractères, pour les circonstances, pour la conversation, et s’écrie un jour « Quel pays stérile en amitié ! » Mme Necker compta pourtant beaucoup d’amis dans ce pays stérile en amitié, et, parmi les plus illustres : Buffon, Marmontel, l’abbé Raynal, Morellet, Diderot, Thomas ; elle eut un salon rival de ceux de Mme Geoffrin et de Mme du Deffant. Diderot écrivait d’elle, en 1765, à Mlle Voland : « Il y a ici une madame Necker, jolie femme et bel esprit, qui raffole de moi ; c’est une persécution pour m’avoir chez elle. Suard lui fait sa cour… » Dans cette atmosphère littéraire, son esprit cultivé ne tarda pas à s’éprendre du goût le plus vif pour les lettres. Elle écrivit de petits ouvrages qui eurent leur heure de vogue : Des inhumations précipitées (1790, in-8o) ; Mémoires sur l’établissement des hospices (in-8°) ; Réflexions sur le divorce (1795, in-8o) ; Mélanges extraits des manuscrits de Mme Necker, publiés, après la mort de l’auteur, par son mari (1798, 8 vol. in-8o). Le meilleur de ces ouvrages est celui qui a pour titre Réflexions sur le divorce, et qu’elle écrivait en 1790 à Coppet, où elle s’était réfugiée.

Au milieu du relâchement général des mœurs, Mme Necker, forte de son attachement, on pourrait dire de son culte pour son mari, et de l’amour de son mari pour elle, sut rester pure, attachée à ses devoirs ; ce qui serait à peine remarqué à une autre époque est un grand sujet d’éloge et presque une énormité pour ce temps-là. Elle était, de plus, très-bienfaisante, s’indignant de ce qu’on trouvait de l’argent pour les royales orgies quand le Trésor était à sec pour secourir les malheureux, de ce que les sofas de Luciennes avaient des clous d’or tandis qu’un grabat d’hôpital servait à deux et même à quatre malades. Un jour qu’elle visitait ces horribles asiles de la misère et de la souffrance, elle se sentit émue ; cette étrange promiscuité des malades la révolta ; de là son Mémoire sur l’établissement des hospices ; de là aussi, ce qui valait encore mieux, l’hôpital fondé par elle « pour montrer la possibilité de soigner les malades seuls dans un lit avec toutes les attentions de la plus tendre