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MISE

A ; dîverses époques, oh a beaucoup recommahdë la greffe dés boutons ù fruit sur les arbres stériles. Voici comment s’opère ce procédé, perfectionné par M. Luiaet : à la lin d’août ou au commencement de septembre, lorsquo la sève permet encore àl’écorce de se déiacher facilement de l’aubier, on greffa en écoMson, sur la tige et les branches bien constituées de l’arbre soumis à l’opération, de pefits bourgeons portant un bouton a. fruit ; au printemps suivant, ces bourgeons épanouissent leurs fleurs et fructifient comme s’ils* n’eussent pas quitté l’arbre mère.

Nous signalerons encore le cassement des bourgeons, pratiqué au mois d’août, maismodérément ; ce procédé né s’applique avec

avantage qu’aux arbres à pépins ; il provoquerait l’écoulement de comme sur les arbres à noyau, qui d’ailleurs produisent toujours d’assez nombreux boutons à fruit. La torsion pratiquée à la partie inférieure des rameaux produit des-effets analogues à ceux du cassement | on opère dans la première quinzaine de juin, alors que les rameaux commencent à fprendréla consistance ligneuse ; mais il faut encore employer ce moyen avec beaucoup dédiscrétion.

Quand l’excès dé vigueur de l’arbre provient dii nombre et de la profondeur de ses racines, on peut, après avoir déchaussé l’arbre, ’retrancher une partie de celles-ci ; à en pousse de nouvelles plus près’ du sol, et la1 fructification s’en’ressent favorablement. Un moyen beaucoup plus énergique, et que l’on doit employer seulement à la dernière extrémité ? qst l’arrachage suivi de la replantation ; on diminue ainsi la production des boutons à bois, tandis qu’on augmente celle des boutons à fruit ; maison retarde pour plusieurs années le développement du sujet.

La taille pendant la sève, appliquée aux arbres rebelles ou trop vigoureux, a pour effet, en faisant épancher l’excès de la sève des racines, de diminuer lu production des feuilles, et, par suite, d’accroître celle des fleurs ; les^bourgeons, étant moins nombreux, sont-ainsi mieux alimentés. Cette taille tardive affaiblit l’arbre, retarde la végétation et provoque, le développement des fruits. Il en est de même du déchaussement partiel des racines, qui a pour résultat de rapprocher ces’ organes de la -surfaite du sol. D’autres fois encore ;, dans’ les terres très-profondes, ou met au fond du trou préparé pour la planta- ’ tioa une couche de pierres, qui empêche les racines de descendre trop bas.

Jusqu’ici, nous nous sommés occupés de la mise à fruit dès arbres qui pèchent par excès de vigueur ; parlons maintenant de ceux dont la stérilité provient de leur affaiblissement, de leur vieillesse, de l’épuisement ou de la mauvaise qualité du sol. Pour remédier a ces deux dernières causes, les m03’ens se présentent naturellement ; ils consistent à modifier le sol en y ajoutant de la terre neuve et substantielle, du des engrais actifs répandus sur la couche de terre qui recouvre les racines, ’de préférence en automne. Quand la stérilité d’un arbre provient de son grand âgé, de son affaiblisseiiient, on peut le rajeunir en m battant ses branches sur leurs premières bifurcations, ou bien encore en enlevant la partie externe, rugueuse et inerte de l’écorce, ce qui facilite l’accomplissement des fonctions de lu végétation. Enfin, l’infertilité peut être duéau climat, à l’exposition, au trop grand rapprochement des arbres, à des causes enfin qui concernent la culture générale, et auxquelles il est toujours facile d’apporter des remèdes judicieux.

Nous devons signaler en terminant un procédé des plus étranges, mais qui est très^-efflcacepôur la’ mise a fruit des arbres rebelles ; nous voulons parler de la bastonnade. Que nos lecteurs lie se hâtent pas de rire. Avëz-vous un arbre lent à fructifier ou peu fertile ? Armez-vous d’une trique et frappez à tour de bras sur les rameaux. Il en résulte de» plaies qui nuisent beaucoup a la végétation de l’arbre, niais qui, en gênant la circulation, de la’ sève ou en provoquant l’extravasatfyn d’e celle qui est en excès, produisent ainsi cette sorte d épuisement qui favorise le dévelbppement des fruits. Ce procédé était depuis longtemps appliqué au noyer, et Mirauld cite à ce sujet deux vers dont il donne cette traduction : ’

Noyer, aine, femme, ont de loy mesrae lien.

Ces trois, cessons les coups, iamais ne feront rien.

—t Teohn. Mise en farte. V. tissage.

~Mitfe au tombeau (la), titre sous lequel on désigne des tableaux et des bas-reliefs représentant Joseph d’Arimathie et Nicodème ensèVelissant Jésus et le déposant dans le sépulcre. Ce sujefa’&té "truite par une foule dfartistes, ’notamment par Raphaël (v. l’art, suivant), Frâ Bartolomrftèo, le Corrége, Mantegna, : Andréa del Sarto, le Oaravage, Schidone, Schiavone, Rubens, Rembrandt, Paul Delaroche, été. On trouvera, aux mots Christ

AU TOMBEAU (IV, p. 21Î et 213), DÉPOSITION DÉ CROIX (V^ p. *n et 485) et ENSEVELISSE-MENT du Christ(VII, p. 6î7), la nomenclature et J&j description des compositions les plus importantes : qui ont été faites sur ce sujet.

Mlie au tombeau (la), tableau de Raphaël ; ah palais Borghèse, à Rame. Cette magnifique peinture est la première excursion que le Sanzio ait faite dans le domaine de l’art dramatique, et, quelle que soit la valeur du

MISÉ

Spasimo du musée de Madrid, il est permis de penser que, par la force des expressions, le pathétique naturel des attitudes, l’impression de douleur répandue sur toute la scène, il n’a jamais surpassé de bel ouvra.ee. Ce tableau est daté de 1507. C’est Atalante Baglioni qui le lui avait commandé pour la cha* pelle de sa famille, à San-Francesco de Pè-. rouse. Il était composé de trois parties, dont une seule, denii-cintrée, représentant Dieu le Pore tenant les mains élevées, est restée dans l’église de Saint-François. Les trois figures de la Predella, la Foi, l’Espérance et la Charité, peintes en grisaille, se voient aujourd’hui au musée du Vatican. Ces trois

belles compositions ont été sculptées, sans doute du vivant de Raphaël et sous sa direction, par Fra Giovanni de Véroné ; elles se trouvent dans le chœur du couvent de Saint-Pierro, à Pérouse.

Quant au tableau principal, acheté par Paul V Borghèse en 1607, il est resté depuis dans la famille, et il doit à cette circonstance un état de conservation qui permet d’apprécier Combien Raphaël, guidé par ce sentiment de la beauté qui chez lui ne se démentit jamais, a su exprimer les sentiments les plus violents de l’âme sans détruire l’harmonie des lignes, la perfection des formes, et sans tomber dans ces exagérations discordantes qui déparent presque toutes les compositions pathétiques des maîtres primitifs. Le corps du Christ, quoique présentant quelques faiblesses, ou plutôt quelques maigreurs et quelques sécheresses de dessin, est d’une noblesse vraiment exquise. Dans les deux hommes qui le portent, dans celui surtout qui marche en reculant et qui succombe à la fois sous le fardeau et sous la douleur, les efforts et la fatigue se trahissent sans affaiblir l’impression de beauté que toute cette œuvre d’art doit produire, et le corps affaissé de la Vierge évanouie, les expressions déchirantes de Madeleine et de saint Jean n’altèrent pas l’ensemble harmonieux de cette belle composition. *

Une particularité bien remarquable du talent de Raphaël, c’est que son individualité, . déjà si accusée sous quelques rapports dans ses tableaux florentins, n’arriva que tard à son développement complet. Déjà maître, et maître consommé, par ce qui- tient au goût, au sentiment, aux expressions, au caractère des figures, il emprunte cependant très-souvent a d’autres le plan, l’ordonnance générale de ses compositions. La Mise au tombeau, par exemple, est la reproduction presque textuelle d’une gravure bien connue d’André Mantegna ; la Vierge au baldaquin et celle de la casa Tempi, au musée de Munich, rappellent de très-près deux compositions de Fra Bartolommeo, et on pourrait multiplier ces exemples. Nous relevons’cette critique d’après. M. Ch. Clément (MichelAnge, Léonard de Vinci, Raphaël, etc., Paris, 2ô édition, 1867).

mise-bas s. (-. Action d’une femelle qui met bas : La mise-bas d’une thienne.

— Vieux habits que l’on met bas, que l’on renonce à porter : Donner sa mise-bas aux pauvres, à son domestique. Il Vieux mot ; Ou dirait aujourd’hui défroque.

— Typogr. Grève, cessation de travail dans les imprimeries, par suite d’un dissentiment entre les patrons et les ouvriers.

MISÉ, ÉE (mi-zé) part, passé du v. Miser : Somme miséb. i •

MISÉL1Ë s. f. (mi-zé-11 — du gr. misé, je hais ; êlios, le soleil). Entom. Genre de lépidoptères nocturnes, comprenant trois espèces, dont l’une habite toute l’Europe, la seconde, la France et l’Italie, et la troisième, la Hongrie.

MISEiSA, nom latin de Meissen.

MISENE, le Misenus des Romains, aujourd’hui Miseno, cap d’Italie, à 6 kilom. S.-S.-O. de Pouzzoles, entre les lies de Nisida et de Procida. Une ville de même nom a existé autrefois sur ce point. Virgile tire le nom du cap de celui d’un des compagnons d’Enée qui périt en cet endroit. Misène était la station des vaisseaux et des galères des Romains destinés à maintenir la sûreté des mers et des côtes, depuis le phare de Messine jusqu’aux colonnes d’Hercule. La beauté du site, la vue qui de là s’étendait au loin sur la mer et sur la terre avaient fait élever sur ce promontoire quantité de belles maisons de plaisance, parmi lesquelles on distinguait celle de Lucullus, qui appartint depuis à Tibère, et où cet empereur périt étouffé. Pline le naturaliste commandait la flotte de Misène lors de la fameuse éruption du Vésuve (79) qui caUSa sa mort.

MISENE (Misenus), fils d’Eole, un des compagnons d’Euée, dont la triste aventure forme un des plus curieux épisodes du VIe livre de YEnéide. Misène était le trompette de l’armée. Il s’était d’abord attaché au brave Hector, auquel il servait d’écuyer ; puis, après la mort du héros, il suivit Enée ;. il ne perdait pas au change, dit Virgile, non inferiora sacutus. L’orgueil perdit Misène. Il voulut défier les dieux eux-mêmes de sonner mieux que lui de la trompette, et un triton, jaloux sans doute de son talent, se vengea en précipitant l’artiste dans la mer.

La sibylle de Ûuraes apprend à Enée qu’il ne pourra descendre aux enfers avant aa MISE

voir rendu les derniers devoirs au corps de Misène, que les flots ont rejeté sur le rivage. Les Troyens, en retournant vers leurs vaisseaux, trouvent, en effet, leur infortuné compagnon étendu sur le sable. Les funérailles de Misène forment un des morceaux les plus célèbres du poème de Virgile. Pour contruire le bûcher du héros, les Troyens -détruisent une forêt entière. La description de ces préparatifs funéraires, empruntée à l’Iliade (XX1H, 109), a été imitée par Lucain (Pharsale, III, 339) et par le Tasse (Jérusalem délivrée, ch. III, st. 75). Virgile s est plu à donner les détails les plus minutieux de la cérémonie funèbre, et l’on a souvent recours à cet important morceau quand on veut connaître avec précision les sacrifices et les rites si variés des funérailles chez les anciens. Un bûcher gigantesque, entouré de cyprès, garni d’armes et d’insignes guerriers, s’élève au centre du tableau ; puis on voit le cadavre du héros qui vient d’être lavé et parfumé et que l’on apporte sur un brancard recouvert d’étoffes précieuses, soutenu par les compagnons du défunt. Le cortège défile en pleurant ; quelques-uns tiennent une torche, détournent les yeux, comme les parents aux funérailles de leurs fils. Enfin le bûcher s’allume, pendant-qu’on y verse l’encens et l’huile sacrée. On ramasse les cendres pour les enfermer dans une urne d’airain. Puis commence la cérémonie lustrale, et quand les dernières paroles, les novissima verba, sont prononcées, Enée élève à Misène un tombeau, surmonté de Son clairon et de sa banderole (souvenir du tombeau d’Elpénor dans Homère, Od., XII, v, 13), et le rivage garde à jamais le nom de l’infortuné Troyen.

miser v. a. ou tr. (mi-zé — rad. mise). Déposer, en parlant d’une mise, d’un enjeu : l’ant qu’il n’y a pas de remises au panier, chaque joueur mise une faible somme. (Balz.)

— Absol. Fournir une mise : Miser pour une poule. Et si je gagne ce soir cinq à six mille francs au lansquenet, qu’est-.ce que soixante et dix francs de perte pour avoir de quoi miser ? (Balz.)

— Enchérir : Personne ne misa et le meuble fut adjugé.


MISÉRABILITÉ s. f. (mi-zé-ra-bi-li-té - rad. misérable). Néol. Caractère de ce qui est misérable, sans valeur : Il est assez singulier que le jour même où j’ai été convaincu de la misérabilité de mes compositions, j’ai eu le courage de faire un andante. (Champfleury.)


MISÉRABLE adj. (mi-zé-ra-ble — rad. misère). Malheureux, infortuné, digne de pitié : On est d’autant plus misérable qu’on est tombé de plus haut. (Pasc.) Qui ne veut rienp révoir est surpris ; qui prévoit tout est misérable. (St-Evrem.) Le plus heureux est celui qui souffre le moins de peines ; le plus misérable est celui qui sent le moins de plaisirs. (J.J. Rouss.)

Plaignez, n’outragez pas le mortel misérable
Qu’un oubli d’un moment a pu rendre coupable.

                   Voltaire.

N’évitez point celui que le chagrin accable :
S’il voit qu’il intéresse, il est moins misérable.

                    MOREL-VINDÉ.

... je tiens tout homme misérable,
Qui ne quitte jamais sa mine redoutable,
Et qu’au faite des cieux on voit toujours guindé.

                    MOLIERE.

|| Pauvre, manquant des ressources de la vie : La nécessité donne de l’industrie, et souvent les inventions les plus utiles ont été dues aux hommes les plus misérables. (B. de St-P.) L’homme de France le plus méritant, le plus misérable, le plus oublié, c’est le maître d’école. (Michelet.)

On voit dans les salons des gens fort honorables,
Qui seraient en prison, étant nés misérables,

                 Ponsard.

|| Qui est de nature à exciter la pitié, qui offre le spectacle de l’infortune : Si la servitude est misérable, la royauté ne l’est pas moins, puisqu’elle est une servitude déguisée. (Fén.) La plupart des hommes emploient la moitié de leur vie à rendre l’autre misérable. (La Bruy.) Pour être amoureux, il ne me semble pas nécessaire de pâlir, de maigrir, de veiller et, en un mot, de se rendre la vie misérable. (X. Marmier.) La misère d’un jeune homme n’est jamais misérable..(V, Hugo.) La vie humaine, si misérable et si mortelle qu’elle soit, est un rayonnement de la vie éternelle de Dieu. (L.Jourdan.) || Déplorable, vivement regrettable : Faire une fin, une mort misérable.

— Par ext. Qui est propre aux personnes misérables : Des vêtements mIsérables. Une nourriture misérable. Un misérablk logement. || Qui a peu de prix : Se brouiller pour un misérable louis. Gagner un misérable salaire. Acheter un misérable coin de terre. || Qui a très-peu de mérite, en parlant d'une personne : Un misérable poète. Un misérable peintre. || Qui a très-peu de mérite, de valeur, en parlant des choses : Un misérable sonnet. Je ne barbouille que de misérables narrations. (Mme de Sév.) || Qui a peu d’importance : De misérables questions d’intérêt. Par un honneur qu’on se fait d’être constant, on entretient plusieurs années les misérables restes d’une passion usée. (St-Evrem.) || Qui a peu de solidité, de fondement : De misérables raisons. De misérables excuses. De misérables prétentions.

— Vil, méprisable : Le règne de Louis XV est l’époque la plus misérable de notre histoire. (Chateaub.) || Méchant, indigne, coupable : Faut-il être misérable pour s’enrichir du bien des pauvres !

Misérable ! et je vis ! et je soutiens la vue
De ce sacré soleil dont je suis descendue !

                              Racine-

— Substantiv. Personne misérable, malheureuse, infortunée, digne de pitié : Il vaut mieux s’exposer à l’ingratitude que de manquer aux misérables. (La Bruy.) Le luxe corrompt tout, et le riche qui en jouit, et le misérable qui le convoite. (J.-J. Rouss.) Oh ! que les misérables sont heureux ! ils sont sûrs de l’affection qu’ils inspirent. (F. Souliè.) La population des misérables croît avec leur misère. (Ledru-Rollin.)

 Il ne se faut jamais moquer des misérables.
Car qui peut s’assurer d’être toujours heureux ?

                       La Fontaine.

— Personne de basse condition : Les grands commettent presque autant de lâchetés que les misérables. (Balz.)

Ces misërablis-là font du bonheur de tout.

                         C. Delavigne.

— Personne vile, méprisable : C’est un misérable qui n’est pas digne que vous le regardiez. Le misérable s’est enfui au premier coup de fusil. || Personne de mœurs basses ou corrompues : Cette misérable a vendu son honneur. || Personne méchante, coupable de quelque action coupable : Le misérable a osé lever la main sur vous ! || Le même sens s’emploie avec le sens d’une injure vague dont la vraie intention ne peut être déterminée que par le contexte : Attends, attends, petit misérable !

Ce misérable-là veut me faire damner.

                            C. Delavigne.

— Allus. llttér. Selon que vous serez puissant ou misérable, Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir, Vers de La Fontaine dans la fable les Animaux malades de la peste. V. animal.

Misérables (les), roman de Victor Hugo (1862, 10 vol. in-8°), une des œuvres les plus puissantes du maître et de toute la littérature contemporaine ; elle a rappelé, par ses magnificences et son ampleur, les plus beaux jours de l’effervescence romantique. Victor Hugo en a dégagé la pensée sociale dans ces quelques lignes de la préface : « Tant qu’il existera, par le fait des lois et des mœurs, une damnation sociale créant artificiellement, en pleine civilisation, des enfers, et compliquant d’une fatalité humaine la fatalité, qui est divine ; tant que les trois problèmes du siècle : la dégradation de l’homme par le prolétariat, la déchéance de la femme par la faim, l’atrophie de l’enfant par la nuit, ne seront pas résolus ; tant que, dans certaines régions, l’asphyxie sociale sera possible ; en d’autres termes, et à un point de vue plus étendu encore, tant qu’il y aura ignorance et misère, des livres de la nature de celui-ci ne seront pas inutiles. »

Conformément à cette donnée, le héros des Misérables, est Jean Valjean, l’émondeur de Faverolles, condamné au bagne pour un pain volé, un jour que les enfants de sa sœur avaient faim, et dont toute l’existence se débat sous la réprobation dont sont frappés les galériens libérés. Autour de lui gravitent tous les innombrables épisodes du roman ; chacune des cinq parties qui composent l’ouvrage : Fantine, Cosette, Marius, l'Idylle rue Plumet, Jean Valjean, a son cadre distinct et forme presque un tout complet ; la puissante personnalité du galérien les relie entre elles et domine tous les autres acteurs du drame. Avant de le faire entrer en scène, Victor Hugo nous présente un respectable évêque, Mgr Myriel (Bienvenu Miollis), dans lequel il a incarné toutes les vertus du catholicisme primitif, du temps où les évêques étaient d’or et les crosses de bois ; les pages de cette introduction sont exquises et le simple intérieur du prélat est décrit, son âme candide est analysée avec une rare perfection. Comme contraste à ces pages si calmes, voici le terrible chapitre intitulé : le Soir d’un jour de marche. Un pauvre diable déguenillé, hâve, souillé de boue et de poussière, harassé de fatigue, vient demander l’hospitalité à l’évêque ; on l’a repoussé de partout dès qu’il a fait voir son passe-port jaune, les chiens mêmes lui montrent leurs crocs ; une bonne femme lui a enseigné cette porte ouverte à tous, et il est entré, sans savoir où il est. L’évêque l’accueille, le fait manger, le couche. Au petit jour, l’homme déguerpit, emportant quelques couverts d’argent laissés sur la table. C’est Jean Valjean. Saisi par les gendarmes, qui l’ont vu s’enfuir, il est ramené chez le prélat pour la constatation du vol, mais le digne homme, lui montrant les deux flambeaux d’argent de sa cheminée, lui reproche doucement de ne pas les avoir emportés, puisqu’il les lui avait donnés comme les couverts. Écrasé par cette générosité qui le sauve, le galérien prend les flambeaux et se jure d’être honnête homme. Il ne se tient pourtant pas parole, car il vole encore une pièce de 2 francs à un petit Savoyard qu’il rencontré sur la route ; ce vol est mesquin, et il est probable qu’un Jean Valjean de chair et d’os ne l’eût pas commis, mais Victor Hugo en avait besoin pour replacer l’homme sous le coup de la loi, si dure aux récidivistes. Cette présentation faite, il