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tement pour un espion de l’Autriche, et Louis XVI s’en défiait tellement, qu’il resta des années sans lui adresser la parole. Tout cela est avoué par Mme Campan.

Cet abbé de Vermond prit une grande influence sur Marie-Antoinette, précisément en lui laissant faire tout ce qui lui passait par la tête. L’ignorance dans laquelle il l’avait laissée le rendait indispensable, et plus tard c’était lui qui revoyait toutes les lettres qu’elle écrivait à Vienne, de même qu’il était l’intermédiaire avec le comte de Mercy, l’ambassadeur autrichien, avec qui il était en relation constante et dont il était l’instrument. Il donna son frère comme accoucheur à son élève. C’était un homme vulgaire, mais souple et servile. Fils d’un chirurgien de village, infatué de son importance, il le prenait de très haut avec tout le monde, quand son élève fut devenue dauphine et recevait des ministres et des évêques dans son bain. Ces détails ne sont pas indifférents, car la haine dissimulée dont ce faquin était l’objet à la cour de France rejaillissait un peu sur Marie-Antoinette.

L’impératrice, on le sait, formait ses filles pour en faire comme les lieutenants de la maison d’Autriche, les agents de sa politique. Marie-Caroline à Naples et Marie-Antoinette en France étaient destinées à ce rôle. Le mariage de cette dernière, habilement préparé, fut fait par Choiseul, partisan de l’alliance autrichienne, alliance qu’on regardait généralement comme contraire à la tradition, au sentiment et aux intérêts de la France. Elle fut conclue en 1770. Reçue avec le cérémonial consacré dans une île du Rhin, près de Strasbourg, amenée en grande pompe à Versailles, la jeune princesse, qui avait alors quatorze ans et demi, fut mariée le 10 mai au dauphin, qui lui-même n’en avait pas encore seize, étant né le 23 août 1754. Telles étaient les coutumes princières.

Le même soir, le lit nuptial de ces deux enfants, par une autre coutume assez choquante, fut bénit par l’archevêque de Reims. Le mariage n’en demeura pas moins stérile et ne fut même point consommé pendant sept années.

Ici nous touchons à un point délicat, à un sujet difficile et scabreux, mais que nous ne pouvons guère passer sous silence, puisque tous les historiens l’ont au moins effleuré avec plus ou moins d’exactitude. Il nous sera donc permis d’en dire un mot, en nous efforçant de ne pas choquer l’austérité de l’histoire. Ce n’est point notre faute, après tout, si les absurdités du système monarchique réduisent les peuples à voir leurs destinées asservies à des misères de cette espèce, si le sort et l’avenir d’une grande nation dépendent des infirmités physiques d’un individu.

M. Louis Combes, en ses Épisodes et curiosités révolutionnaires (1872, 1 vol.}, a analysé avec quelque détail ce problème, dont on ne saurait nier l’importance au point de vue dynastique (v. sa dissertation intitulée : le Cas physiologique de Louis XVI). C’est dans ce travail que nous puisons les éléments du petit résumé que nous donnons ici.

Louis XVI était né avec un vice de conformation, un obstacle analogue à celui que certains enfants ont au frein de la langue, et dont on les débarrasse par une petite incision. On parlait tout bas de cette circonstance tout à fait intime et mystérieuse, et c’était toute une affaire dans le monde de la cour ; car on supposait que cette singularité, dont on se chuchotait la confidence, était de nature à priver la famille royale d’héritiers directs. Mme Campan et autres familiers avaient déjà soulevé pour nous un coin du voile. La correspondance de Marie-Antoinette avec sa mère, longtemps conservée aux archives de la cour de Vienne, et qui a été publiée en 1805 par l’archiviste impérial, le chevalier d’Arneth, cette correspondance {bien que sans doute on n’ait pas tout publié) nous permet d’entrevoir à peu près toute la vérité. C’est un document incontestable et incontesté.

Marie-Thérèse revient constamment sur ce point capital pour elle, car elle voudrait un héritier pour mieux assurer l’influence de sa fille, c’est-à-dire de la politique autrichienne, et elle gourmande sans cesse Marie-Antoinette, qui se défend comme elle peut de l’accusation étonnante de ne pas s’en occuper assez, de ne pas prendre cela assez à cœur, etc. ; elle assure que la nonchalance n’est pas de son côté, mais qu’elle n’a pas perdu l’espérance, etc.

L’auteur que nous avons cité suit les principales péripéties de cette comédie de famille ; nous nous bornerons ici à en indiquer le dénoûment.

L’inactivité conjugale de Louis XVI dura sept années, comme nous l’avons dit. En 1777, l’empereur Joseph II, frère de la reine, vint en France, et bravement, à la hussarde, se chargea de la singulière mission d’attaquer le roi sur cet article, comme disent la mère et la fille en leur correspondance. Il reçut des confidences embarrassantes, donna certains conseils, amena enfin une solution à cette crise aussi curieuse que ridicule. Tout cela ne laisse pas d’être un peu choquant ; mais il y avait la question dynastique et, en outre, l’intérêt autrichien.

Une petite opération était nécessaire, dans le genre de celle qui est d’un usage religieux chez les juifs et quelques peuples orientaux. Sur les instances de Joseph II, Louis XVI consentit enfin à s’y soumettre. On raconte, d’après les manuscrits inédits du médecin Lassone, que l’opérateur (c’était lui-même), faisant allusion à tout le temps perdu, se serait écrié : « Et dire que M. le Dauphin aurait six ans ! »

On dressa solennellement procès-verbal de la chose, comme d’un événement capital, dont le souvenir était digne de rester dans les archives de l’humanité. Cette pièce et les autres notes de Lassone font aujourd’hui partie du cabinet d’un collectionneur célèbre, M. Feuillet de Conches.

Bref, l’union conjugale aurait été consommée dans le cours de cette année 1777, probablement dans le courant de juillet. C’est par erreur qu’un illustre historien, M. Michelet, dans son dernier volume de l’Histoire de France, place le mémorable événement vers juillet 1774. Bien que de semblables rectifications puissent sembler un peu puériles, à propos d’un sujet aussi grassement burlesque, nous ferons remarquer qu’il y eut quelqu’un qui, apparemment, savait mieux à quoi s’en tenir : c’est la reine. Or, sa correspondance avec sa mère ne laisse aucun doute à cet égard.

Reprenons maintenant le récit des faits.

Le mariage de l’archiduchesse et du dauphin fut célébré par des fêtes sans exemple, qui se prolongèrent pendant deux semaines, à Versailles et à Paris, et qui coûtèrent des sommes immenses. Le 30 mai, jour de la clôture de ces fêtes, une catastrophe épouvantable eut lieu sur la place Louis XV, où se tirait un feu d’artifice. Par suite d’une agglomération et d’une panique de la foule, des centaines de personnes furent écrasées et foulées aux pieds.

Accoutumée aux libertés dont elle jouissait à la cour de V-ienne, Marie-Antoinette, qui n’était encore qu’une enfant et une enfant gâtée par une éducation plus que médiocre, ne pouvait s’accoutumer à l’étiquette minutieuse de Versailles, qui depuis Louis XIV surtout était une véritable liturgie. Très-caustique de sa nature, elle s’en moquait ouvertement, surnommant sa dame d’honneur, la solennelle comtesse de Noailles, Mme l’Étiquette, et faisant de continuelles risées de ces usages qui l’obsédaient et dont elle s’affranchit trop lestement, vu les exigences de son rang et de sa position. Cela lui suscita des ennemis dans son entourage même, parmi ces grandes familles qui devaient à cette étiquette leurs charges et leur importance. On s’accoutuma à la considérer comme une personne légère et frivole, et sa conduite ne confirma que trop ces préventions. Sa vie, en effet, est pleine d’imprudences de conduite et de caprices d’enfant. De plus, son humeur railleuse lui aliéna bien des esprits. Quand la moquerie tombe de si haut, elle blesse bien plus profondément.

Une autre cause de prévention contre elle, c’était son origine ; c’est qu’elle appartenait à un pays, à une maison dont les anciennes prétentions à la monarchie universelle avaient été longtemps une menace et un danger pour l’Europe. De là ce surnom d’Autrichienne qui lui fut donné dès son arrivée en France, et dans la famille royale même, par Mme Adélaïde, tante du dauphin, l’une des filles de Louis XV, qui s’était montrée fort opposée au mariage de son neveu avec une princesse de la maison d’Autriche. Nous avons traité cette question plus amplement dans un article spécial. V. Autrichienne.

Néanmoins, et malgré des inimitiés qui se dissimulaient encore, la jeune dauphine fut l’objet d’un véritable engouement à la cour, autant pour sa grâce, sa jeunesse et sa beauté que pour son amour des fêtes et des plaisirs. Il est présumable cependant que cette beauté proverbiale a été surfaite par la flatterie. L’effrontée Du Barry, qui d’ailleurs n’aimait pas Marie-Antoinette, craignant qu’elle ne prît influence sur le vieux roi, l’appelait avec mépris la petite rousse. Les courtisans parvinrent à la voir d’une nuance spéciale, le fameux blond de la reine.

Quant aux portraits des peintres officiels, il ne faudrait guère s’y fier. Le pinceau de ces familiers de la puissance a des flatteries non moins mensongères que la plume des historiographes en titre. Ils savent bien que la ressemblance, que la vérité peinte serait souvent regardée comme une injure, aussi bien que la vérité écrite.

On doit plutôt, sur ce détail, s’en rapporter à sa mère, qui, malgré sa partialité bien naturelle, laisse souvent échapper des aveux peu favorables à la beauté de sa fille. Nous nous bornerons à citer ce passage d’une lettre où Marie-Thérèse indique à Marie-Antoinette le moyen de gagner l’affection de ceux qui l’entourent : « Ce n’est ni votre beauté, qui effectivement ne l’est pas telle, ni vos talents, ni votre savoir (vous savez bien que tout cela n’existe pas), c’est votre bonté de cœur, cette franchise, ces attentions, etc. » Cette lettre est du 8 mai 1771, alors que Marie-Antoinette était dans tout l’éclat de sa jeunesse.

Pendant l’Exposition universelle de 1867, il y eut à Trianon une petite exposition d’objets ayant appartenu à Marie-Antoinette, et notamment un portrait d’elle prêté par le roi de Suède et peint par Rossline, peintre suédois qui habitait la France et qui fut de l’Académie.

Dans cette œuvre naïve et non sans mérite, marquée d’un cachet frappant de vérité, mais où la nature est probablement encore sensiblement idéalisée, comme il arrive dans toutes les peintures, surtout quand il s’agit de hauts personnages (et combien plus quand ces personnages sont des femmes et des princesses !), dans ce morceau, Marie-Antoinette est représentée debout dans un jardin et tenant son fils par la main ; elle est haute en couleur, dure de visage, tout à fait vulgaire et peu attrayante. D’après l’âge apparent du petit dauphin, cette peinture paraît être de 1787 environ.

Ce sujet est vraiment un peu futile et ne vaut guère une discussion critique. Quoi qu’il en soit de cette beauté sans aucun doute beaucoup trop vantée, la dauphine, entraînée dans un tourbillon de fêtes et de plaisirs, entourée de flatteurs et de la société la plus frivole, négligée par son époux, s’abandonnait aux plaisirs avec toute l’effervescence de son âge. Elle jouait la comédie avec les comtes d’Artois et de Provence, faisait mille parties avec ces princes et leurs femmes, donnait des bals dans ses appartements, etc, La cour de Louis XV était, comme on le sait, une des plus corrompues de l’Europe ; cependant, par tradition, on y aimait la haute étiquette et le décorum, et Marie-Antoinette passait sa vie à les choquer. Ses étourderies de conduite exercèrent de bonne heure cette cruelle médisance de la haute société, qui n’en est que plus meurtrière sous le masque de la servilité. Elle avait son cercle, mais au delà elle était environnée d’ennemis. Les courtisans ménageaient en elle la reine de demain, avec la prévoyante sagacité de l’ambition ; mais ils se vengeaient de leurs bassesses officielles par des perfidies secrètes. La disgrâce et l’exil de Choiseul avaient redonné la domination au parti antiautrichien, qui rêvait, dit-on, à la possibilité d’un divorce.

Le Dauphin lui-même partageait une partie de ces préventions, et pendant longtemps il témoigna plus que de la froideur à sa jeune femme. Nous en avons dit plus haut le principal motif. Mais il est certain aussi qu’il ne vit d’abord en elle qu’une sorte d’agent de l’Autriche et comme un lieutenant de Marie-Thérèse. On en découvrit plus tard la preuve dans l’Armoire de fer, en lisant ses papiers.

Ces méfiances étaient parfaitement justifiées en ce sens que les confidents, les conseillers de Marie-Antoinette furent toujours les hommes de l’Autriche ; Choiseul, Vermond, Breteuil, ancien ambassadeur à Vienne, La Marck, sujet autrichien, l’entremetteur de la corruption de Mirabeau, enfin Mercy d’Argenteau, son mentor et le guide absolu de tous ses actes, ambassadeur d’Autriche en France, puis représentant de l’empereur en Belgique.

Ce sont là les premiers éléments du futur comité autrichien, dont quelques écrivains complaisants ont trop facilement fait une fiction de l’esprit de parti.

En ce qui touche les mœurs de Marie-Antoinette, sujet si souvent controversé, on comprend que nous y mettions quelque réserve. Nous n’irons donc pas cruellement rechercher dans sa vie les preuves multipliées de ces écarts de conduite et de ces défaillances morales qu’on a voulu nier avec tant d’aveuglement naïf ou de systématique effronterie. Ces aventures, vraies ou supposées, ont été l’objet d’une myriade de chansons et de pamphlets qui formeraient toute une bibliothèque. Ces écrits meurtriers, diffamatoires, souvent obscènes, émanaient du monde de la cour, et, chose remarquable, c’est la haute société officielle, l’aristocratie du palais qui dénonça dans toute l’Europe les mœurs de la dauphine et de la reine. En sorte que, s’il y eut calomnie, on n’en saurait accuser les hommes du parti populaire et de la Révolution, car plus de quinze ans avant 1789 le travail de diffamation et d’avilissement avait été commencé et poursuivi par les coteries de cour et avait consacré la déplorable réputation de Marie-Antoinette. Les préventions, sous ce rapport, étaient universelles, et le cynique Frédéric II, roi de Prusse, ne scandalisait personne quand il faisait placer à Potsdam (où elle est probablement encore) une statue de cette princesse entièrement nue, avec le nom en toutes lettres.

On peut consulter sur ce sujet : les Mémoires secrets de Bachaumont, la Chronique secrète de l’abbé Baudeau, le Portefeuille d’un talon rouge, enfin tous les mémoires du temps qu’il serait oiseux de citer.

D’un autre côté, qu’on se souvienne des doutes outrageants exprimés tout haut par le comte de Provence et le duc d’Orléans à l’occasion des accouchements de Marie-Antoinette. Sans doute ces personnages avaient naturellement la partialité malveillante et consacrée des collatéraux ; mais encore fallait-il que leurs assertions parussent vraisemblables aux contemporains et aux familiers ; et sous ce rapport l’opinion était si solidement établie, que les réhabilitations modernes ressemblent beaucoup trop à des paradoxes pour entraîner la conviction.

Au reste, l’imprudente princesse ne donnait elle-même que trop prise aux attaques par des inconséquences qui mériteraient un autre nom. D’abord on ne pourrait citer d’elle et l’on ne trouve pas dans ses lettres un seul mot qui témoigne d’un attachement de cœur pour son époux. On sait quelle pauvre opinion les courtisans avaient de celui-ci. Marie-Antoinette était la première à le berner, jusqu’à avancer de sa main une pendule pour l’envoyer coucher plus tôt, un soir qu’elle voulait aller à quelque divertissement. Ses continuelles parties, souvent nocturnes, aux théâtres de Versailles et de Paris, aux bals, etc., ses intimités vraiment trop étroites avec d’Artois et autres jolis fats de son entourage, mille faits journaliers et notoires n’étaient pas de nature à lui attirer la considération. Les panégyristes mettent tout cela sur le compte d’une innocente légèreté, d’une étourderie sans conséquence ; c’est montrer une tolérance bien large et se moquer un peu trop de ses lecteurs ; quelle femme honnête et digne, dans quelque classe que ce soit, pourrait se permettre de telles frasques sans se déconsidérer à jamais et sans provoquer, sur sa conduite, les plus légitimes soupçons ?

Louis XVI lui-même en était choqué ; gauche et peu capable de franche énergie, il agissait et protestait en dessous. On sait que par son ordre, en plein théâtre de la cour, les comédiens parodièrent les manières excentriques et les coiffures extravagantes de celle qui était déjà reine de France. Un soir que celle-ci était à une partie de nuit avec d’Artois, il donna la consigne que, passé onze heures, on ne laissât entrer dans la grande cour du château aucune voiture sans exception. Vers deux heures du matin, la reine, rentrant avec son beau-frère, ne put passer et fut obligée de rentrer par des passages de service ; tout cela devant la garde et la domesticité. On connaît aussi cette histoire de Marie-Antoinette allant en fiacre au bal de l’Opéra (sa voiture s’était brisée en route), et cent autres anecdotes de cette nature et comme on en rencontre dans la vie des grisettes.

Elle reçut à ce sujet des reproches fort vifs de sa famille, soigneusement informée par ses agents de ce qui se passait à la cour de France. Son frère, l’empereur Joseph II, lui fait, dans ses lettres, de continuelles remontrances sur sa conduite, sur sa légèreté, les mauvaises sociétés qu’elle fréquente, son jeu, ses dépenses excessives, etc. À propos de ces bals de l’Opéra, il lui écrit : « … Croyez-vous que le lendemain l’on ne le sait pas ? Et vous-même avez grand soin de raconter les aventures du bal. Le lieu par lui-même est en très-mauvaise réputation… Pourquoi donc des aventures, des polissonneries ? vous mêler parmi le tas de libertins, de filles, d’étrangers, entendre ces propos, en tenir peut-être qui leur ressemblent ? Quelle indécence ! Je dois vous avouer que c’est le point sur lequel j’ai vu le plus se scandaliser tous ceux qui vous aiment et qui pensent honnêtement. Le roi abandonné toute une nuit à Versailles, et vous mêlée en société et confondue avec toute la canaille de Paris !… »

Ailleurs, il lui reproche de n’avoir pas une tenue convenable à l’église ; il lui recommande d’éviter la lecture des mauvais livres, d’oublier les obscénités, les saloperies dont elle s’est « rempli l’imagination par ses lectures. »

On pourrait multiplier ces citations. Mais, nous le répétons, nous ne jugeons pas utile d’entrer dans cette enquête ; la dignité de l’histoire souffre quand on la fait descendre aux détails de la chronique galante et aux anecdotes graveleuses.

Ce qui seul est important pour nous, c’est le personnage historique, c’est le rôle qu’il a joué au milieu des événements.

D’ailleurs, nous n’apprendrions rien à personne en rappelant que, non-seulement dans le public et dans le monde de la cour, mais dans la famille royale même, Marie-Antoinette était peu considérée, surtout de la part de Mme Adélaïde, l’une des filles de Louis XV ; enfin, qu’on lui prête, à tort ou à raison, beaucoup d’amants, notamment d’Artois, de Vaudreuil, Coigny, le Suédois Fersen, Lauzun et tant d’autres dont l’énumération serait sans intérêt. Mais c’est un sujet que nous nous hâtons d’abandonner. Cependant nous devons dire que la connaissance des faits et des documents ne laisse aucune illusion sur les mœurs de cette princesse.

Louis XVI était monté sur la trône le 10 mai 1774. Sa jeune épouse n’en eut guère plus d’influence sur lui, et ce ne fut que beaucoup plus tard qu’elle put avoir action sur les affaires publiques, il ne fut même pas en son pouvoir d’empêcher la formation du ministère Maurepas et de faire rappeler Choiseul aux affaires. Le nouveau roi était alors tout entier au parti antiautrichien et suivait docilement l’impulsion de sa tante, Mme Adélaïde, qui l’entretenait dans ses préventions et incriminait avec sévérité la vie de la reine, ses légèretés, ses imprudences, ses promenades nocturnes et toutes ses folles équipées. Le comte de Provence n’était pas moins hostile à Marie-Antoinette sous des dehors obséquieux, et la sœur du roi, Mme Élisabeth, la traita pendant longtemps très-froidement. Tous ces personnages d’ailleurs, d’un caractère également dominateur, se disputaient l’influença auprès de Louis XVI. De plus, le comte de Provence, pédantasse et prétentieux, voulant régenter tout le monde avec un ton de dédaigneuse supériorité, avait en outre des espérances dynastiques et ne pouvait que ressentir au moins une antipathie