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dissection, à recueillir des observations dans les cliniques et à les publier dans les journaux de médecine. Élève de l’École pratique en 1S25, externe des hôpitaux l’année suivante et élève du Yal-de-Grâce en 1828, Malgaigne commença à se faire connaître en 3829 par un intéressant mémoire sur les fonctions du larynx, mémoire qui remporta le prix proposé par la Société d’émulation. En 1831, il passa sa thèse de doctorat et quitta aussitôt la France pour aller au secours des Polonais, décimés par la guerre et par le choléra. À son retour,1 Malgaigne s’attaqua aux questions dé haute pratique. C’est ainsi qu’il reprit par ses basés toute la question des luxations de l’épaule au point de vue théorique et pratique, et que, pendant plusieurs années, il eut sur ce point une vive controverse avec le chirurgien militaire Sédillot. En 1835, il fut nommé agrégé de la Faculté. Malgaigne commença alors k l’École pratique des cours qui furent très-remarques,

Puis il devint successivement chirurgien de hôpital Saint-Louis (1845), membre de l’Académie de médecine (18JG), professeurde médecine opératoire (1850) et chirurgien de la Charité. En 1846, un arrondissement de Paris l’envoya siéger a la Chambre, des députés, où il prononça un discours sur le Suiiderbund, et appuya de ses votes l’aveuglé politique de M. Guizot. La Révolution de 1848 le rendit à la chirurgie, et depuis lors il renonça entièrement à, la politique. Le docteur Jules Guérin lui ayant intenté un procès au sujet de la ténotomie rachidienne, il voulut êtré son propre avocat, plaida sa cause en première instance et en cour d’appel, et la gagna devant les deux juridictions.

Travailleur infatigable, Malgaigne était en outre un professeur éloquent. Sa parole, claire, vive, accentuée, entraînante, était secondée par un geste, une-physionomie qui respiraient la vigueur et l’intelligence. Commepraticien, il n’eut pas le même prestige que comme professeur : on eût dit que les1 exercices de la main contrariaient en lui’i’essor de la pensée. Cependant il était entreprenant et toujours prêt à trouver un moyen nouveau. Le nombre de ses inventions et’ des perfectionnements qu’il a apportés aux divers appareils de chirurgie est considérable. Malguigne s’est attaché à faire prévaloir les statistiques bien faitesen chirurgie et a-démontrer que, pour connaître la valeur réelle des opérations chirurgicales, il ne suffit pas, comme on le faisait avant lui, de suivre l’opéré ou le blessé jusqu’à la cicatrisation des’ plaies, jusqu’à ce qu’on est convenu d’appeler la guérison ; qu’il fallait, en outre, savoir ce que devenaient dans l’avenir les malades, afin de^bien connaître les inconvénients, les difformités finales qui en sont les conséquences naturelles. On peut dire, à ce sujet, que la science a notablement changé de physionomie depuis Malgaigne, et que la pratique lui sera redevable, sous ce rapport, d’un véritable service. ’ •

Malgaigne a laissé plusieurs écrits, dont voici la liste : Nouvelle théorie de la voix humaine (1828) ; Manuel de médecine opératoire, (ondée sur l’anatomie normale et t’anatomie pathologique (Paris, 1831,1 vol. ini2 ; 7<= édit., 1852) ; Mémoire sur l’ulcération, l’inflammation et- la gangrène des os (1832) ; Coup d’œil sur là médecine en Pologne (1832) ; Des potypes iitérins’(S33) ; Observations sur les plaies des : artères (1834) ; Mémoire sur l’asphyxié par le charbon (1835) ; Traité d’anatomie chirurgicale et1 de chirurgie expérimentale (1838, 2 vol. in-8°) ; Iitchérches sur les appareils employés dans le traitement des fractures (1844, in-8°) ; Traité des fractures et des luxations (1847, 2 vol. in-8°) ; Parallèle des diverses espèces de taille (1850) : la Médecine d’Homère (1802) ; Leçons d’orthopédie (i’862, in-8"). Ou lui doit, en outre, une édition des Œuvres complètes d’Ambrôise Paré (1840, 3 vol. in-8»). Enfin il a publié de nombreux articles dans l&Journàl de chirurgie, la Revue médico-chirurgicale, les Annales d’oculistique, lé Bulletin de J’Académie de médecine, etc. Tous les écrits de Malgaigne sont d’un style facile, imagé, clair et’ entraînant ; ils sont empreints d’un rigorisme qui témoigne de toute son ardeur dans la recherche de la vérité.

, MALGRACIEUSEMENT adv. (mal-gra-sieu-ze-man— rad. malgracieux). (D’une façon malgrao.ieuse : Saluer malgracieusement. llépondre malgràcieusement.

. MALGRACIEUX, EUSE adj. (mal-gra-si-eu, eu-ze — ?. de mal adv. et de gracieux). Disgracieux, dépourvu de.bonne grâce, rude, incivil : Une réponse^ MALGRAcrEUSE. Votre père, le plus malgracieux des homvies, m’a chassé dehors malgré moi. (Mol.)

MAMiKANGÉ, hameau de France, départ, de Meurthe-et-Moselle, a 3 kilom. S. de Nancy ; 45 hab. C’est dans cette petite localité qué se trouvent les ruines de l’ancien château de Malgrange, qui appartenait aux ducs de Lorraine. Ces ducs possédaient depuis fort longtemps à Malgrange un petit château servant de maison de plaisance, lorsque, en 1711, le duc Léopold le fit démolir et ordonna à son architecte Boifrand de le remplacer’par fin véritable palais. Le duc Stanislas lit continuer les travaux interrompus en 1715 et l’édifice fut rapidement terminé. (Jette somptueuse demeure, dont le corps de logis principal, d’ordre dorique, avait quinze fenêtres de face, était richement décorée. La

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façade du corps de logis et de ses pavillons était revêtue de carreaux de faïence de Hollande, bleue et blanche, de différents dessins, ce qui le faisait vulgairement appeler le Château de faïence. Dans la seule aile du château qui soit encore debout se trouvaient, outre les logements des’gens de service et les appartements des étrangers, la salle des gardes du corps, le logement du confesseur du roi, devenu aujourd’hui l’appartement de l’évêque de Nancy, le logement du primat, celui du grand maréchal et celui du grand écuyer. L ensemble de la grande façade regardant l’avenue avait 116toisesde longueur. Stanislas passa à Malgrange une partie de son exil : il en sortit pour la dernière fois la veille de l’accident où’il trouva la mort. En 1766, le château de Malgrange devint la résidence du ’ commandant général de la province de Lorraine. À l’époque de la Révolution, le château, déjà fort démembré, fut tout à fait condamné. Tout fut détruit, à l’exception d’une partie du bâtiment de la Reine et dé l’aile des communs du côté de l’entrée du château. Ces débris devinrent plus tard la propriété du maréchal Ney, qui y résida souvent, et dont le père, le vieux tonnelier de Sarrelouis, y mourut en 1826. Une maison de santé s’y installa ensuite, et une partie sert aujourd hui de siège à une institution. L’ancien logement du confesseur du roi de Pologne, que possède aujourd’hui l’évêque de Nancy, est un des restes les plus intéressants de cette grande ruine du passé.

MALGRÉ prép ; (mal-gré — de mal adj. et de gré). Contre le gré ou la volonté de : Il faut qu’un Honnête homme ait l’estime publique sans y avoir pensé, et, pour, ainsi dire, malgré lui. (Chamfort.) On aime malgré soi le visage gui s’est fané en même temps que nos propres traits. (Chateaub.) On ne sauve pas malgré lui un pouvoir gui s’aveugle. (E. de Gir.) Ce n’est jamuis que malgré lui, et parce qu’il ne peut faire autrement, que l’homme s’associe. (Proudh.) Souvent notre bon sens malgré nous s’dvapore.

R.EGNARD.

Il Nonobstant, avec un nom de chose : Il est parti malgré la pluie. MALGRÉ la fragilité de l’espèce humaine, notre état naturel est d’être raisonnable. (M, ne de Genlis.) Rien de plus infidèle, et malgré tact cela. Dans le monde on fait.tout pour ces animaux-là.

Moliéeb.

Malgré le vermillon, les pompons et le fard, La nature à le droit de triompher de l’art.

Delills.

Il Au mépris de : Il est parti malgré mes ordres. Lorsqu’une chose nécessaire ne peut s’.opérer par la constitution, elle s’opère malgré la constitution. (B. Gonst.)

Malgré ses dents, En dépit de ses efforts : Je l’aurai, malgré ses dents. Il V. À l’encycl. l’explication de cette locution.

Malgré tout, Quoi qu’il arrive, quoi qu’on fasse : Malgré tout, le vrai finit par avoir raison.

— Loc. conj. Malgré que, usité seulement dans la locution Malgré que j’en aie, Malgré que tu en aies, qu’il en ait, Quoique j’en aie, que tu en aies, qu’il en aie malgré, mauvais gré ; en dépit de moi, de toi, de lui : Ils me tirèrent dé ce lieu, malgré que j’en eusse.

. (La Fout.) Malgré qu’on en ait, nous voulons être comptés dans l’univers et y être un objet important. (Montesq.) On aime toujours sa pa-

. trie, malgré qu’on en ait ; on parle toujours de l’infidèle avec plaisir. (Vol.) La cause de

’ mes sensations m’est étrangère , puisqu’elles m’affectent malgré que j’en aie. (J.-J. Kouss.)

— Gramm. La locution adverbiale bon gré, { mal gré s’écrit en quatre mots ; ce serait une ’ faute d’écrire bongré, malgré.

— Syn. Malgré, nonobstant. La principale différence qui existe entre ces deux mots, c’est que le second vieillit et n’est plus guère employé qu’en style de palais. Mais on peut dire encore que malgré peut seul être employé devant les noms de personnes ; on ne dirait pas : Je ferai Cela NONOBSTANT vous, mais bien malgré vous ; et même lorsqu’il est suivi d’un nom de chose, il annonce un obstacle plus effectif, une résistance plus-active, comme si la chose avait réellement la volonté de résister.

— Enôycl. Philol. Génin signale comme un solécisme et un non-sens consacré par l’usage l’emploi de ces formules : malgré moi, malgré lui, malgré nous. Mal est l’adjectif latin malus, mauvais. Ces locutions reviennent donc exactement à mauvais gré moi, mauvais grélui, mauvais gré nous. On voit tout de suite que- le pronom possessif y devrait être substitué au pronom personnel eu cette forme : mauvais gré mien, sien, notre, leur, etc., et c’est ainsi en effet qu’on s’exprimait dans l’origine :

O Rogier que maugré sien glennent Trente et six chevaliers y prennent.

Guill. GUIAB.T.

« Avec Roger qu’ils ramassent (qu’ils glanent) malgré lui, ils y prennent trente-six chevaliers. »

À cette façon de parler régulière, comment a-t-on pu substituer une locution dépourvue de sens ? Voici l’explication que donne Génin. Moi et toi, qui ne sont plus aujourd’hui que des pronoms personnels, ont été jadis

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des adjectifs possessifs traduisant meus, tuus :

Je ta ferai deus espées bailler : Li une en sera moie, et li altre Renier.

GÉRAK.D DE VlANE.

Mal gré moi a donc pu se dire pour mal gré mien, et puis, grâce à l’équivoque, on a passé dé malgré moi à malgré nous. Cette équivoque s’est fortifiée encore de celle qui est contenue dans ces formules du xve siècle : Bon gré saint Pierre de Borne ; mal gré saint Georges, où saint Pierre et saint Georges sont réellement au génitif par opposition, comme Dieu, Aymon, Molière, dans la Fête-Dieu, les Quatre fils Aymon, une Fontaine - Molière. Malgré nous a paru construit comme mal gré saint Pierre.

C’est au xive siècle que l’on a commencé à se servir du mot malgré ; on disait alors malgré vos dents ou plutôt malgré vos dents devant (les dents de devant sont les premières qui happent le gibier). Au tournoi de Valenciènnes, Baudoin se voit attaqué par cinq adversaires conjurés, mais

Amours de ses vertus si bien le pouvéait Qu’il li estoit avis se cent y en avoit Maugré levr$ dens devant bien lor escaperoit.

Baudoin de Sebouhg.

Cette locution est donc une métaphore tirée de la chasse.

MALGCE (la), hameau’de France (Var), comm., cant. et arrond. de Toulon ; 216 hab. Le coteau de La M algue" produit, suivant M. Rendu, un vin d’une qualité supérieure au vin des autres crus de 1 arrondissement et qui se rappproche du vin de Saint-Georges par le corps et la saveur. Le fort de La Malgue sert de prison aux détenus politiques et aux militaires destinés aux compagnies de discipline. Ses casernes peuvent contenir 1,500 hommes de garnison et ses casemates 500 à 600 hommes. Il a été construit en 1764, d’après les plans de Vauban. La côte de la Méditerranée prend, à partir du fort La Malgue, les aspects les plus pittoresques.

MALHABILE adj. (ma-la-bi-le —de mal et de habile). Qui manque d’habileté, de savoirfaire, de capacité : Négociateur malhabile. Il faut être bien maXHABILK pour offenser les gens gratuitement.

Malhabile à, Impropre, inapte à : Je suis malhabile à me faire aimer. (G. Sajid.)

MALHABILEMENT adv. (ma-la-bi-le-man

— rad. malhabile). D’une façon malhabile ; S’y prendre malhabilement.

MALHABILETÉ s. f. (ma-la-bi-le-té — rad. malhabile). Défaut d’habileté, d’adresse, de savoir-faire : Dans le monde, la malhabileté est plus fâcheuse que la malhonnêteté.

— Syn. MulbuUiletc, gaucherie, iuil>éritlcyete. V. gaucherie.

MALHERBE s. f. (ma-lèr-be — de mal adj. et de herbe). Bot. Nom vulgaire de la den telaireet du garou.

MALHERBE (François db), célèbre poëte français, né à Caen en 1555, mort à Paris en 1628. Sa famille possédait depuis longtemps les premières magistratures de la ville ; son père, François de Malherbe, sieur de Digny, était conseiller du roi au siège présidial de Caen ; sa mère se nommait Louise Le Vallois et était fille de Henri, sieur d’Ifs, sur la mort duquel Malherbe a fait une épigramme assez peu respectueuse. Le poëte fut l’aîné de neuf enfants, dont six seulement vécurent, trois garçons et trois filles. La moitié de la vie de Malherbe se consuma en procès avec son frère cadet Eléazar.

Grâce aux renseignements abondants et précis réunis par MM. Ludovic Lalanne et Ad. Régnier pour leur belle édition des œuvres complètes de Malherbe dans la collection des Grands écrivains de la France (Hachette, 1862-1869, 5 vol. in-8°), la biographie du poëte n’est plus à faire ; ils ont remplacé par des faits, des dates et des concordances les anecdotes plus ou moins vraies que l’on a toujours données jusqu’ici pour la vie de Malherbe. Nous les prendrons pour guides, et c’est vraiment un bonheur pour le Diographe que de trouver ainsi tous les documents rassemblés d’une façon aussi claire et aussi méthodique.

Malherbe fît ses études partie à Caen, partie à Paris, et les acheva en voyageant à l’étranger, 4 Bàle et à Heidelberg, sous la direction d’un calviniste, Richard Dinoth. 11 se sépara de sa famille vers l’âge de vingt et un ans et ne la revit que dix ans plus tard. On avait cru jusqu’ici, d’après Racan, que l’on pouvait supposer bien informé, que la mésintelligence avait éclaté entre le père et le fils parce que le vieux Malherbe aurait embrassé, sur la fin de ses jours, la religion réformée. Le père du poëte était calviniste dès 1566 ; il donna un calviniste pour précepteur à son fils, et la vérité est que Malherbe se soucia toujours fort peu des choses de religion. Il se brouilla probablement avec son père en refusant d’entrer dans la magistrature, k laquelle sa famille s’était toujours honorée d’appartenir et pour laquelle il ne manifestait que du dédain. Son père, mécontent, favorisa alors outre mesure le frère cadet, Eléazar, et le pourvut de sa charge de conseiller, qui valait fort cher, et qui fut la pre- ■ mière cause d’un interminable procès. Malherbe trouva tout de suite un protecteur et se fit attacher, en qualité de secrétaire, au

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grand prieur de France, Henri, duc d’Angoulême, bâtard de Henri II, qui séjournaitalors à Aix. C’est à peine s’il faisait déjà quelques vers ; cependant nous voyons qu’on le prenait pour juge en fait de poésie, ce qui montre qu’il avait déjà manifesté son goût sévère. « Un jour, dit Tallemant des Réaux, M. le grand prieur, qui avait l’honneur de faire de méchants vers, dit à Dupérier : « Voilà un sonnet ; si je dis à Malherbe que c’est moi.qui l’ai fait, il dira qu’il ne vaut rien. Je vous prie, dites-lui qu’il est do votre façon. » Dupérier montre le sonnet à Malherbe en présence du grand veneur : « Ce sonnet, lui dit Malherbe est tout comme « si c’était M.’ le grand prieur qui l’eût fait. » De 1575 à 1586 on n’a de lui que quelques pièces insignifiantes : un quatrain pour le portrait d’Esfienne Pasquier, des stances à une Provençale et le poëme des Larmes de saint Pierre, imité en partie de Tansillo. M. Ad. Régnier ne croit pas que le Bouquet de fleurs de Sénèque (1590, in-4"), recueil de pièces épiques attribuées à la jeunesse de Malherbe, soit de lui.

En 1581, il s’était marié, à Aix, avec la fille d’un président au parlement de Provence, Madeleine de Corriolis. Le grand prieur ayant été assassiné (juin 1586), Malherbe, qui était alors en Normandie, ne voulut plus retourner en Provence ; il appela d’abord sa femme près de lui, puis la lit retourner à Aix chez ses parents. Quant à lui, il séjourna tantôt à Caen, tantôt en Provence, assez mal dans ses affaires, et en quête de quelque nouvelle fonction comme d un nouveau protecteur. Il fît imprimer les Larmes de saint Pierre (Paris, 1587, in-4<>) et dédia le poëine à Henri III, qui lui fit tenir 500 écus, mais borna là sa générosité. Dans l’Instruction à son fils, rédigée un peu plus tard, et où il établit minutieusement ses comptes par doit et avoir, on voit qu’à cette époque il vécut surtout d’emprunts, opérés à droite et à gauche ; que sa famille, ce dont il se plaint grandement, ne lui donnait pas un liard et que son père lui fit seulement cadeau d’un tonneau de cidre. Force lui fut de se tirer d’affaire tout seul. Deux premiers enfants qu’il eut de son mariage moururent, et, à propos de la mort de l’un d’eux, une fille appelée Jordaine, Malherbe, que l’on croit si sec de cœur, écrivit à sa femme une lettre navrante, découverte depuis peu et que nous citerons, parce qu’elle le l’ait voir sous un jour nouveau :

« J’ai bien de la peina à vous écrire cette lettre, mon cher cœur, et je m’assure que vous n’en aurez pas moins k la lire. Imaginez-vous, mon âme, la plus triste et la plus pitoyable nouvelle que je saurois vous mander : vous l’apprendrez par cette lettre. Ma chère fille.et la vôtre, notre belle Jordaine, n’est plus au monde. Je fonds en larmes’en vous écrivant ces paroles, mais il faut que je les écrive, et il faut, mon cœur, que vous ayez l’amertume de les lire. Je possédois cette fille avec une perpétuelle crainte, et m’étoit avis, si j’étois une heure sans la voir, qu’il y avoit un siècle que je ne l’a vois vue. Je suis, mon cœur, hors de cette appréhension, mais j’en Suis sorti d’une façon cruelle et digne de regrets, s’il en fut jamais une bien cruelle et bien regrettable. Je m’étois proposé de vous consoler ; mais comme le ferois-je, étant désolé comme je suis ? Recevez cet office d’un autre, mon cœur, car de moi, je ne puis si peu me représenter cet objet et me ressouvenir que je n’ai plus ma très chère fille, que je ne perde toutes les considérations qui me devraient donner quelque patience et ne haïsse tout ce qui me peut diminuer ma douleur. J’ai aimé uniquement ma fille, j’en veux aimer le regret uniquement. Le mal qui me l’a ôtée ne m ôtera pas le contentenieut que j’ai de m’en affliger. Mais que fais-je, ma chère âme ? Je nie devrois contenter de ne m’en consoler point sans vous donner par ces discours si tristes et si mélancoliques sujet de vous attrister davantage. À la nouveauté de cet accident, un de mes plus profonds ennuis, et qui donnoit a. mon âme des atteintes plus vives et plus sensibles, c’étoit que vous n’étiez avec moi pour m’aider à pleurer à mon aise, sachant bien que vous seule, qui m’égalez en intérêt, pouviez m’égaler en affliction. Plût k Dieu, mon cher cœur, que cela eût été ; je serois relevé de cette peine de vous écrire de si déplorables nouvelles et vous hors de ce premier étonnement qu’il faut que les âmes les plus roides et les plus dures sentent au premier assaut que leur donne cette douleur. »

Cette lettre est datée de 1599. Elle a été découverte par M. B. Hauréau et publiée en 1850. On croit que la fameuse ode à Dupérier, intitulée ; Consolation sur la mort de sa fille, est à peu près de la même époque ; on y sent la même inspiration tendre, un peu voilée par le style sévère que Malherbe croyait être le seul propre à la poésie. Malherbe était donc déjà un grand poëte ; il y a loin des Larmes de saint Pierre à cette ode d’une facture si large et qui n’a point vieilli. Il était, arrivé à la pleine possession de son style eî k la maturité de son talent, sans que des œuvres intermédiaires nous initient k son labeur, car, de 1580 à 1599, deux ou trois odes, dont une entre autres fort belle, adressée à Henri IV, et des stances sur le mariage du duc de Montpensier, sont tout ce qu’il a laissé au public.

Dès lors Malherbe visait à être poète de