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ses plaisirs, il viole la belle et chaste Lucrèce. La peinture des mœurs romaines, de Lucrèce dans son intérieur, distribuant la tâche à ses servantes, est fort belle ; la dépravation de Tullie, ses invectives contre son infidèle, font un heureux contraste avec le calme des scènes où la chaste matrone est mise en relief. La folie simulée de Brutus, qui redevient un homme d’un grand sens lorsqu’il parle à Lucrèce, est également d’un grand effet. La simplicité du plan et la sobriété des ressorts de cette tragédie ont un caractère vraiment antique, mais c’est de l’antique comme on commence à le comprendre seulement dans notre siècle, et nullement comme l’entendaient les classiques, même les plus illustres, et de beaux vers, d’une allure magistrale, sont malheureusement déparés par d’autres où se manifeste une versification pénible, laborieusement rimée sur un canevas de prose.

La Lucrèce de M. Ponsard marque une date mémorable de notre histoire littéraire, l’avènement de l’école qui s’est intitulée assez niaisement l’école du bon sens. Nous ne dirons pas, avec M. Alfred Michiels, que c’est une tragédie de collège ; elle a d’excellentes parties, mais il a fallu un parti pris bien accentué pour l’opposer aux Burgraves.


LUCRÈCE (Titus LUCRETIUS Carus), l’un des plus grands poètes latins, né l’an de Rome 658 (95 ans av. J.-C), mort vers l’an 700. La vie de ce profond penseur qui, le premier, a essayé de traduire en beaux vers les grands problèmes de la nature, et qui a revêtu de la plus admirable poésie les données abstraites de la métaphysique, est absolu mentobscure. Tout ce que l’on sait de lui, c’est qu’il appartenait à une illustre famille romaine, la famille Lucretia, celle de la fameuse Lucrèce, dont le viol par Sextus Tarquin amena la chute de la royauté. Sa vie s’écoula des commencements de Sylla au meurtre de Clodius, c’est-à-dire pendant une des périodes les plus troublées de Rome. Il vit Marius et Sylla, Rome déchirée par des luttes intestines, rougie du sang de ses enfants ; il vit les proscriptions en masse, les meilleurs citoyens égorgés ou bannis. Ce spectacle attristant influa-t-il sur sa philosophie, contribua-t-il à introduire dans son âme cet amer dégoût, cette immense tristesse que respire tout son poème ? Il est permis de le croire.

Suivant une opinion assez vraisemblable, Lucrèce alla en Grèce étudier la philosophie et fut le disciple de Zenon, disciple lui-même d’Épicure. Quelques biographes prétendent qu’il devint fou, et qu’il composa le poëme de la Nature des choses dans les intervalles lucides que lui laissait sa folie. Cette fable a été répandue par Eusèbe dans les premiers siècles du christianisme : la haute raison qui préside à toutes les parties de l’œuvre du poète proteste contre une semblable assertion. Il ne faut y voir qu’un argument désespéré produit par des adversaires pour lesquels toute arme était bonne et qui, considérant Lucrèce comme un athée, le combattirent à outrance. Lucrèce n’était athée qu’au regard des dieux du paganisme, dont il a fait justice à jamais, et, par une étrange inconséquence, les polémistes catholiques lui empruntèrent souvent des arguments. Le suicide du poète est malheureusement plus certain ; Lucrèce se tua vers l’âge de quarante ans. Ce fut, suivant une tradition, le jour même où Virgile prit la robe prétexte. Si l’on ajoute a ces quelques renseignements l’amitié profonde qui l’unit toute sa vie au descendant d’une des plus grandes familles de Rome, Memmius, à qui il dédia son poème, on connaîtra tout ce qu’il est possible de savoir sur la vie de Lucrèce, c’est-à-dire bien peu de chose. Mais le poème de la Nature est k lui seul une source autrement précieuse que la biographie la plus accidentée : la vie de ces grands génies est surtout dans leurs œuvres.

Aussi bien Lucrèce a été assez étudié de notre temps, assez aimé pour qu’il nous soit facile de le comprendre. Il semble, en effet, que c’est de nos jours seulement que le grand poëte est estimé à son juste prix. Presque inconnu à Rome, goûté, mais goûté en secret par Virgile, qui l’imite souvent et surtout s’inspire de lui, loué par le seul Ovide, il traverse les siècles en trouvant peut-être des gens qui l’admirent, mais sans rencontrer personne qui le loue. Sa doctrine faisait sans doute tort à sa poésie. Naturellement le moyen âge l’ignore ; au xviie siècle, Molière en imite un passage ; au xviiie siècle, il est assez goûté ; mais ce que l’on fait valoir surtout en lui, ce sont ses doctrines philosophiques ; sa poésie n’est pas remarquée. C’est donc de nos jours une nouveauté, presque une révélation que cette poésie de Lucrèce. Aussi bien ne nous en plaignons pas : il semble que ce parfum de poésie, qui jusqu’alors avait été à peine respiré, nous arrive avec toute sa fraîcheur ; il nous a été laissé jeune et pur. Sentons-le ; sentons-le longuement, et pénétrons-en notre esprit et notre cœur.

Lucrèce est philosophe et poète. Philosophe, il est épicurien. L’exposé de sa doctrine nous entraînerait trop loin ; on la trouvera dans l’analyse du poëme de la Nature des choses, Il nous suffira de dire ici que son système philosophique est si puissant qu’après deux mille ans c’est encore dans son livre que les rationalistes vont chercher leurs arguments, comme les spiritualistes trouvent encore les leurs dans Platon. Bien des hypothèses de Lucrèce ont été contredites par la science moderne, mais le fond reste, et ces grands problèmes de la nature, sans doute insolubles pour l’homme, ont trouvé dans son poème, sinon leur solution impossible, du moins une exposition digne de leur majesté. Ce qui domine dans cette poésie lumineuse de Lucrèce, c’est le sens intime de la grandeur et de l’infirmité de l’homme ; nul autre n’a peint en vers plus énergiques et plus poignants nos aspirations infinies et notre néant : l’homme, par la force de sa pensée, s’élevant jusqu’aux sphères inaccessibles, et, par l’infirmité des éléments qui le composent, bientôt absorbé dans le néant. Aussi Lucrèce trouve-t-il les accents les plus vrais pour parler du repos éternel, qui suit l’agitation de la vie. C’est peut-être en s’inspirant de lui qu’un poète contemporain s’est écrié en parlant des morts :

Ah ! dans vos lits profonds quand je pourrai descendre,
Comme un forçat vieilli qui voit briser ses fers,
Que j’aimerai sentir, libre des maux soufferts,
Ce qui fut moi rentrer dans la communs cendre !

Rentrer dans la commune cendre, voilà en effet ce que désirait Lucrèce ; il y trouvait la paix rêvée, infinie, éternelle. C’était pour posséder cette paix qu’il avait banni la crainte des dieux et de la mort. Il la désirait avec autant d’ardeur que Pascal :

Pacata posse, omnia mente tueri,

« Pouvoir contempler toutes choses d’une âme pacifiée, dit-il quelque part. » Mais Pascal trouve la paix dans la croyance à une autre vie, tandis que Lucrèce la trouve dans le néant. Pour lui, il aime l’anéantissement ; la paix éternelle de la mort, voilà à quoi aboutit Lucrèce.

Cette paix de l’âme tant désirée, Lucrèce la connut-il pendant sa vie ? On peut affirmer que non. Il y a en lui, on le sent, une blessure intérieure qui saigne toujours, et c’est pour cela, c’est pour cette âme souffrante que nous l’aimons. Il a réfléchi sur les choses, il en a vu la vanité, et il en a souffert. De ces souffrances, nous entendons l’écho en nous-mêmes ; et voilà pourquoi quiconque a lu Lucrèce ne peut se détacher de lui. Ajoutons que, plus que personne, il a aimé la nature d’un amour profond et tendre, qu’il s’est perdu en elle. Avec quelle tendresse il parle de cette bienfaisante nature, de qui tout vient, et les arbres et les fleurs, et la verte espérance des enfants ! Mais il faut lire cela et l’admirer silencieusement. Si l’on ajoute à ces souffrances intérieures, à cet amour profond de la nature, que Lucrèce a eu en lui un esprit indépendant, qu’est-il besoin de dire de plus pour faire comprendre pourquoi il est tant aimé de nos jours, et pourquoi il est un des plus grands poètes qu’il y ait eu ?


LUCRÈCE BORGIA, fille d’Alexandre VI et de Julie Vanezza, sœur de César Borgia, célèbre par sa beauté, et surtout par le dérèglement de ses mœurs. Suivant Guichardin et d’autres écrivains contemporains, elle passait généralement pour entretenir des relations incestueuses avec ses deux frères, François, duc de Gandie, et le fameux César, et même avec son propre père. Encore enfant, elle avait été fiancée à un gentilhomme espagnol ; mais Alexandre, étant monté sur le trône pontifical, rompit cet engagement pour faire contracter à sa fille une alliance plus brillante. En juin 1493, elle épousa Jean Sforce, seigneur de Pesaro, et vécut avec lui jusqu’en 1497 ; la dissolution de son mariage fut alors prononcée par le pape, « qui ne pouvait souffrir même un époux pour rival, et qui fit déposer par des témoins subornés que Jean était impuissant. » (Guichardin.) Cependant, l’année suivante, Lucrèce contracta un nouveau mariage et épousa Alphonse, duc de Bisaglia et fils naturel du roi de Naples Alphonse II. Il naquit de cette union un fils, auquel Alexandre donna son nom de Roderic et qu’il fit élever avec le plus grand soin. Le malheureux Alphonse ne survécut pas longtemps à la naissance de cet enfant. En juin 1500, il fut assailli devant l’église Saint-Pierre par des assassins, transporté au palais pontifical, où, après avoir langui deux mois, il fut étranglé dans son lit, suivant le récit de Burchard, dignitaire à la cour papale, qui a laissé sur les événements de son temps un journal d’un haut intérêt. Ce meurtre fut généralement attribué à César Borgia. Un fait extrêmement curieux, et que nous trouvons dans Muratori, c’est que Lucrèce, quand le pape était absent de Rome, restait chargée de la direction des affaires publiques, ouvrait toutes les dépêches, s’occupait de tous les détails de gouvernement, faisait acte enfin de souveraineté temporelle et spirituelle, remplissait les fonctions d’une régente. Dans les cas difficiles, elle consultait quelques cardinaux de confiance.

Ces choses n’étonnaient personne alors à la cour pontificale, pas plus que les scènes inouïes que nous raconte Burchard, témoin oculaire : ces orgies journalières, ces représentations infâmes que donnaient cinquante courtisanes entièrement nues devant le pape et ses enfants, qui distribuaient eux-mêmes des prix aux plus impudiques. De tels faits, qui sont incontestables, sont bien de nature, on en conviendra, à donner quelque poids aux accusations d’inceste que quelques historiens ont essayé de révoquer en doute, entre autres Will. Roscoë.

À la fin de 1501, Lucrèce épousa Alphonse d’Este, fils du duc de Ferrare. Elle vécut dès lors à cette cour, protégeant les littérateurs et les poètes, pensionnant l’Arioste et Bembo, qui naturellement l’ont célébrée dans leurs écrits. C’est sur ces adulations intéressées que sont fondées les réhabilitations paradoxales de cette Messaline du moyen âge ; mais le témoignage de la plupart des écrivains contemporains ne permet guère d’accepter ces métaphores de poëte pour l’expression de la vérité historique.

Lucrèce survécut à toute sa famille. La connaissance qu’elle avait acquise des affaires italiennes lui permit, dit-on, de rendre quelques services à son époux dans le gouvernement du duché. D’ailleurs, à la cour de Ferrure et dans la dernière partie de sa vie, sa conduite semble avoir été plus régulière. Cependant ses amours avec Bembo étaient publiques. On ignore l’époque précise de sa mort.

Lucrèce Borgia, drame en trois actes et en prose, de Victor Hugo (théâtre de la Porte-Saint-Martin, 2 février 1833). Ce drame est un des plus habilement charpentés de toute l’œuvre théâtrale du grand poëte, mais en cela même il se rapproche plus du mélodrame et n’a pas la valeur littéraire d’Hernani ou de Buy Blas. Ce qu’il a de remarquable, c’est une mise en scène absolument conforme aux traditions historiques ; il nous donne, idéalisée et portée à sa dernière puissance, la Lucrèce Borgia de la légende, légende assez dramatique, du reste, pour prêter aux développements les plus émouvants.

Voici la fable imaginée par le poëte pour mettre en relief les caractères que l’histoire lui offrait. Des ambassadeurs florentins, envoyés en mission à Venise, assistent à un bal masqué où se trouve Lucrèce Borgia. Ce sont tous des jeunes gens ; ils ont avec eux un compagnon d’armes, Gennaro, capitaine d’aventure, qui ne connaît rien de sa filiation légitime ou bâtarde. Sa mère seulement lui a autrefois écrit, sans jamais faire connaître qui elle était. Pendant qu’ils se racontent, par plaisir, des histoires lugubres de meurtre et d’enlèvement concernant les Borgia, Gennaro s’endort fort à propos pour ne pas les entendre, car il aurait pu puiser dans leur entretien des renseignements personnels très-importants ; il est réveillé en sursaut par un baiser que lui applique sur le front une femme. C’est Lucrèce Borgia, sa mère, qui n’a pu résister au plaisir de l’embrasser ; surprise dans ce tête-à-tête tout maternel, elle remet son masque, mais elle a été reconnue, et les jeunes amis de Gennaro se font un devoir de lui dévoiler celle qu’ils prennent pour son amoureuse ; ils ne se contentent pas de lui dire son nom, ils le lui crachent au visage, comme dit Lucrèce Borgia elle-même. Ainsi Lucrèce, qui allait peut-être trahir le secret de sa maternité, se retient et, du moment qu’on a si bien raconté ses faits et gestes à son fils, ne peut plus que garder le silence. Les jeunes étourdis n’en acceptent pas moins de faire une visite à Lucrèce dans sa bonne ville de Ferrare, et c’est là que le poëte nous transporte, au deuxième acte. Là, les événements se pressent. Le duc de Ferrare, Alphonse d’Este, le mari de Lucrèce, flaire un rival dans Gennaro, autour duquel il voit perpétuellement rôder sa femme ; il l’avait fait suivre à Venise, et ses soupçons acquièrent plus de consistance encore à Ferrare, où il profite d’une peccadille du jeune homme pour le faire arrêter.

Dans une scène capitale, il force Lucrèce à lui demander la mort de celui qui l’a insultée en faisant sauter, au fronton du palais ducal, la première lettre de l’écusson des Borgia ; le duc lui promet solennellement de la venger et fait alors introduire le coupable, Gennaro. La duchesse alors ne veut voir qu’une étourderie dans ce qu’elle croyait être un crime ; mais le duc la contraint de verser elle-même à celui qu’il croit son amant le breuvage empoisonné ; puis il les laisse tous les deux en tête-à-tête. Lucrèce, haletante, se hâte de faire prendre un contre-poison à son fils ; le jeune homme hésite, car il croit Lucrèce plus capable de meurtre qu’Alphonse, et le poëte a su trouver des accents déchirants pour peindre la situation désespérée de la mère, empoisonneuse par force de son propre fils. Enfin Gennaro, plus par insouciance que par conviction, boit le contrepoison, et il est sauvé.

Lucrèce n’a pas oublié sa vengeance ; il faut que les jeunes étourdis qui lui ont si brutalement dit son nom à Venise soient châtiés. Elle les fait inviter à souper chez une de ses amies, et, au plus beau moment de l’orgie, des chants funèbres éclatent dans la coulisse. Une longue file de moines paraissent ; derrière eux sont rangés des cercueils. Ils croient d’abord à une plaisanterie, mais Lucrèce paraît ; ils sont tous empoisonnés, ils vont mourir. Par malheur, Gennaro est avec eux, il s’est fait inviter, il a bu comme les autres, et… il demande son cercueil. Lucrèce éperdue veut encore le sauver ; Gennaro reste inflexible, et, se dressant devant cette femme néfaste qui lui assassine ses meilleurs amis, tire son poignard ; à peine l’a-t-il frappée que Lucrèce laisse enfin échapper l’aveu : « Je suis ta mère ! »

De rares beautés de détail et de mise en scène ont fait la vogue de ce drame très-puissant dans son agencement général, mais dont les péripéties sont trop sombres. On a, non sans raison, reproché à l’auteur d’avoir dramatisé des sensations plutôt qu’étudié des caractères, et d’avoir poussé jusqu’au cauchemar la terreur tragique. Les qualités vigoureuses du style sont telles pourtant, que ce drame a été repris à diverses époques avec un grand succès.

Lucrèce Borgia (Lucrezia Borgia), opéra italien en trois actes, livret de Felice Romani, musique de Donizetti, représenté pour la première fois sur le théâtre de la Scala, à Milan, dans la saison du carnaval de 1834, Cet ouvrage fut d’abord froidement accueilli, quoique exécuté par Mme Lalande, Mlle Brambilla et Pedruzzi. La canzone chantée par la Brambilla, au second acte, obtint immédiatement un grand succès. Quand on donna cet opéra au Théâtre-Italien de Paris, le 27 octobre 1840, M. Victor Hugo revendiqua son droit de propriété littéraire devant les tribunaux, et gagna son procès. Pour continuer à jouer la pièce, on dut changer le lieu de la scène, les costumes et l’époque. Lucrezia devint la Rinegata, et les Italiens de la cour de Borgia furent transformés en Turcs. On reprit ainsi cet opéra sous le titre de la Rinegata, le 14 janvier 1845. Plus tard, les auteurs français se montrèrent plus traitables, et, moyennant une indemnité convenue, on put jouer sous leur véritable titre : Ernani, Lucrezia, Linda di Chamouni, la Gazza ladra, etc. L’action de l’opéra de Lucrèce Borgia est exactement la même que celle du drame ; nous ne croyons pas que la musique soit propre à exprimer une telle succession de faits tragiques. Loin de reprocher à Donizetti son impuissance, on serait tenté de le remercier d’avoir comme dissimulé sous les voiles de sa mélodie, sous d’harmonieuses cantilènes, des situations qui eussent été intolérables sans cet adoucissement. L’ancienne école italienne, dont Donizetti a été le dernier représentant, savait idéaliser les scènes les plus réellement violentes et atteindre ainsi le but suprême de l’art. Qu’on se rappelle les scènes terribles de Sémiramis. Quelle force et quelle grâce dans ce chef-d’œuvre de Rossini ! Bornons-nous à signaler dans Lucrezia Borgia, qui n’est après tout qu’un opéra de second ordre dans l’œuvre générale de Donizetti, les parties les plus saillantes. Parmi les morceaux scéniques, nous rappellerons le chœur d’introduction : Bella Venezia, dont la strette est pleine de verve et entraînante ; le finale du premier acte ; au troisième acte, la dispute de l’orgie et un chœur intéressant. Les romances et les cavatines sont nombreuses : celles qui produisent le plus d’effet sont la cavatine de Lucrèce : Com è bello ! la cavatine du duc de Ferrare : Vieni la mia vendetta ; le trio de l’empoisonnement : Della duchessa, avec son magnifique adagio ; et la ballade : Il segreto, appelée communément le Brindisi. Le rôle de Gennaro a servi au second début de Mario sur la scène italienne, à Paris, en 1840. Il o chanté dans cet ouvrage avec Tamburini, Lablache et Mlle Grisi.


LUCRETIA (famille), maison patricienne de l’ancienne Rome. Les branches les plus connues de cette famille sont celles de Tricipitimus et de Vespillo. Cette dernière fut ainsi nommée parce que l’édile Cl. Lucretius avait fait jeter dans le Tibre le corps de Tiberius Gracchus : on nommait vespillo celui qui enterrait les morts.


Lucretia ou les Enfants de la nuit, roman de sir Henri Bulwer (1847). Les couleurs sombres de cette composition, pour laquelle on a fait d’assez nombreux emprunts à Fréd. Soulié, Eug. Sue, Balzac, ont généralement déplu aux Anglais, de même que le réalisme de certaines peintures brutales. Sir Bulwer ne montre guère, dans ce roman, son goût d’ordinaire fin et délicat. Ses héros représentent toutes les variétés de la dépravation humaine. Sir Miles Saint-John fait élever deux orphelines, Lucretia Clavering et Suzan Mivers. Il a confié l’éducation de Lucretia à un émigré français, Dalibard, qui a introduit dans le château Gabriel Varney, fruit de ses amours avec une danseuse. Celle-ci l’a trahi et il s’est vengé d’elle en la faisant guillotiner en 1793 sous les yeux de son fils, âgé de huit ans, pour apprendre à l’enfant « comment mouraient ceux qui l’offensaient. » Amoureux de son élève et de l’héritage qui l’attend, Dalibard tente inutilement de la séduire ; elle lui résiste, non par vertu, mais par calcul. D’ailleurs elle aime Mainwaring, un caractère faible qui s’est laissé fasciner par elle, bien qu’épris de sa cousine Suzan. Lucretia attend pour l’épouser la mort de son tuteur. Elle ne songe pas à la hâter, mais elle scrute avec une impatience farouche les progrès du mal qui doit la délivrer de sir Miles. La nuit, cette jeune fille, dont une science précoce a desséché l’âme, quitte furtivement son lit pour chercher dans des livres de médecine des espérances sinistres. Dalibard n’a rien perdu de ce drame intime. Gabriel surveille pour lui les rapports de Mainwaring et de Lucretia, d’autant moins suspect à cette dernière qu’il s’est fait également pour elle l’espion de Dalibard. Une lettre de Lucretia à Mainwaring, où l’amante laisse voir cyniquement ses espéran-