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cence ; quanta Dieu.il n’avait pas l’habitude de s’en occupée beaucoup. On doit à cet exil et aux loisirs forcés qu’il lui procura la plupart des ouvrages qui ont immortalisé son nom. Il écrivit, en 1-515, le plus célèbre de tous* celui qu’une erreur singulière fait ap■ peler le Prince et qu’il avait intitulé Opus-, colo dei principati (Opuscule des gouvernements) ; la même année, bien probablement, il composa aussi son. Traité de l’art de la guerre, qui est antérieur aux. batailles de Marignan et de Pavie, car il ne dit pas un mot de ces deux grands faits d’armes qui cependant venaient à l’appui de ses thèses théoriques sur le maniement des armées. Les discours sur Tite-Live sont de 1516, et les J/istoires florentines de 1525.

Machiavel vécut ainsi dans la ^retraite à San-Casciano, près de Florence, jusqu’à la mort da Laurent de Médicis. À cette époque, Léon X, qui déjà l’avait fait comprendre duns l’amnistie promulguée à son avènement, le consulta sur diverses réformes administratives h appliquer à Florence, puis l’envoya en mission près des frères mineurs de Carpi, près de Guicciardini. dans les Romagnes, le chargea de faire refaire.les fortifications de Florence, enfin d’organiser l’armée de la ligue formée contre Charles-Quint. Ces occupations n’étaient qu’un faible aliment à cette activité dévorante, confinée dans le repos depuis de longues années. L’intervention de Machiavel n’empêcha pas le connétable de Bourbon de prendre et de saccager Rome. Il mourut dans le courant de la même année (1527), Selon Busini, il mourut de douleur, s’étant vu préférer pour i’oftice de secrétaire d’État, charge dans laquelle il allait rentrer, un obscur écrivain, Gianotti, indigne d’être comparé à Machiavel. Une autre version attribue sa mort au poison, et la lettre suivante fera voir que les fils du grand politique n’étaient pas éloignés d’y croire.’Voici ce que l’un d’eux écrivait à Francesco Nelli, professeur à Pise : « Je ne puis sans pleurer vous dire que, le 22 de ce mois, Nicolas notre père est inort de douleurs d’entrailles, causées par un médicament qu’il a pris le 20 de ce mois. Il s’est fait conl’esserses péchés par le frère Matthieu qui lui a tenu compagnie jusqu’à la mort. Notre père nous a laissés en grande pauvreté, comme vous savez. » Est - ce un accident ou fut-il empoisonné pour une cause qu’on ignore ? On ne sait.

Il avait épousé une fille de Lodovico Corsini, du nom deMarietta, dont il eut cinq’ enfants : Pierre, l’auteur de la lettre citée plus haut et qui fut chevalier de Saint-Jean de Jérusalem ; Gui, qui entra dans les ordres ; Bernard et Louis, dont on ne connaît pas la destinée ; puis une fille, Baceia, femme de Jean de Ricci. Machiavel était un homme de taille moyenne, au teint bistré et à l’air sec. Sa physionomie dure, mais d’une distinction rare, annonçait une énergie inflexible. Sa conversation, quoique empreinte d’une certaine gaieté, avait, dans ses relations privées, quelque chose de tranchant dont il savait toutefois se départir quand il s’agissait de traiter d’intérêts politiques. Il fut enterré à Santa-Croce, dans le tombeau de sa famille. Il n’avait été depuis doux siècles et demi l’objet d’aucun souvenir qui honorât sa mémoire à Florence, quand, en 1787, un grand seigneur anglais, lord Nassau - Clavering, comte Cowper, lui fit élever un monument avec cette inscription : Tantà nomini nullum par elogium : Nicolaus Machiavelli obiie A. P. V. MUXXVII.

Il lui a été depuis rendu des honneurs publics. Dès que I Italie a été libre et une, elle a pris à tâché de s’acquitter envers ce grand homme qui n’avait cessé de rêver son unité et sa liberté. Le centenaire de Machiavel a été célébré en grande pompe à Florence le 3 mai 1S09. Une plaque de marbre a été placée sur la maison où il vécut et où il est mort, la casa. AJachiavelli ; l’inscription en est concise et énergique : ■ À Machiavel, précurseur audacieux, inspiré, de l’unité nationale, à celui qui le premier apprit en maître à son pays à se servir d’armes qui lui fussent propres. ■

Jusqu à présent, le nom de Machiavel était resté écrasé sous le poids d’un injuste anathème ; pendant trois cents ans il a été synonyme de ruse, de duplicité, de cruauté froide et calculée. C’est surtout dans.son livre du Prince que sont exposées les doctrines de cette politique qu’on a nommée machiavélique, et qui est la négation de toute morale. Le. mensonge, la fraiide, la trahison, le parjure/ la cruauté, les actions les plus perverses, sont indiqués comme des moyens légitimes de succès.

Beaucoup ont pensé que Machiavel avait eu pour but de composer, à l’usage des rois, la manuel de la tyrannie ; d’autres ont cru, au contraire, que le Prince était une satire sanglante contre les tyrans, à peine voilée par l’apparente adhésion de l’auteur à leur abominable poliLique. Mais la critique moderne a montré que ces deux opinions sont également exsessives. Suivant elle, Machiavel était un ardent patriote, qui gémit dans’ tous ses ouvrages sur la décadence de l’Italie, et qui voulait la replacer au rang des nations, fût-ce même en constituant un puissant despotisme, assez fort pour écraser ou dominer toutes les tyrannies locales, et chasser les armées étrangères. Qu’un prince se lève, Laurent de Médicis ou tout autre, et il ie

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montre disposé à l’appuyer ; il lui permettra même d’employer tous les moyens que la morale réprouve, pourvu qu’il, se dévoue corps et âme à l’œuvre capitale : faire l’unité italienne et chasser l’étranger.

Telle est la dernière conclusion de la critique moderne. Que sur la fin de sa vie le patriote ait eu des défaillances, c’est possible. Une lettre de lui, adressée à Francesco Vittori et retrouvée dernièrement, le montre même sous un jour assez défavorable. « Machiavel, dit M. Ch. de Lacretelle, s’y montre froissé par l’indigence, rougissant de l’emploi de ses loisirs et des ignobles sociétés dans lesquelles il cherche un oubli momentané de ses malheurs. Il y parait dévoré de regrets et d’ambition, mais d’une ambition subalterne. On voit que, pour sortir de l’indigence et jouer encore quelque rôle dans sa patrie, il se résigne à devenir le flatteur de ces mêmes Médicis contre la domination desquels il s’est élevé pendant toute sa vie publique. Nulle élévation d’âme ne respire dans cette lettre de l’illustre exilé. Il est indifférent à tout, excepté à l’espoir de recouvrer sa fortune. C’est un Italien perverti, et qui se charge de l’emploi de pervertir les princes pour leur plaire. Il hésite à publier son nouveau livre : on voit qu’il en rougit et qu’il en a quelque remords ; mais il déclare à son ami que l’indigence l’y contraint. Jamais on ne put mieux dire : malesuada famés. À qui veut-il le dédier ? Au second Laurent de Médicis, peu digne de celui qui illustra ce nom par sa sagesse, son humanité, sa magnificence, et surtout par son ardent amour pour les lettres. C’est donc un tyran qu’il veut former pour sa patrie, car quel exemple lui propose-t-il ? Celui de César Borgia, si justement détesté pour ses crimes. Conçoit-on une manière plus infâme de rentrer en crédit ? •

Cette conclusion est exagérée et l’œuvre tout entier de Machiavel proteste contre elle. Nous donnons plus loin des fragments de cette lettre : on jugera. Certes, Machiavel admirait César Borgia et il serait inutile de le nier ; cette trempe d’homme énergique le séduisait et sans doute il l’eût voulu maître de l’Italie entière. Qu’on relise le tragique récit qu’il a fait d’une de ses missions près de ce prince, au cours de laquelle il fui fut donné d’assister, à Sinigaglia, au meurtre d’une demidouzaine de condottieri fameux, attirés par Borgia dans un piège. Rien de plus exact et de plus froid, pas un mot de pitié pour les victimes, pas un blâme pour le meurtrier ; on. dirait que l’historien approuve ; non, il regarde seulement et transcrit ce qu’il voit. D’ailleurs, quelle pitié pouvait-il avoir ? Ces condottieri étaient des bandits féroces, Vitelli surtout, le plus puissant d’entre eux, et Machiavel admira sans doute, à part soi, l’art suprême avec lequel Borgia s’en rendit maître, comme on admire un tueur de lions, de panthères. Il ne faut pas juger avec nos mœurs celles du xvit siècle et croire que le droit public n’a pas subi de variations depuis le moyen âge ; la loi du plus fort régnait, et ce n’était pas Machiavel qui l’avait faite. Dans tous Ses ouvrages il expose une politique qui n’est plus la notre, mais il ne l’invente pas ; il se borne à condenser en axiomes froids et cruels ce qui était de son temps la raison d’État. Il y expose ses théories sur l’art d’acquérir et de conserver la domination, avec la plus complète indifférence pour les notions du juste et de l’injuste, uniquement préoccupé du but, le succès. Il était tout aussi indifférent à l’égard des formes gouvernementales, aristocratie, démocratie, despotisme ; soucieux seulement de montrer par quel moyen l’une de ces formes, une fois choisie comme but, pouvait s’établir et se perpétuer. C’est ce que Proudhon expose admirablement dans cette page de son beau

livre De la justice dans la liévolution :

Tous les États’qui ont existé et qui existent, ; disait Machiavel, roulent dans ce cercle invariable ; monarchie, aristocratie, démocratie. Passons sur les mixtes. La nation débute par la royauté. Au prince, il recommande de tuer, en. une fois et sans faire traîner l’exécution, tous ses ennemis. L’aristocratie saisit le pouvoir ; il lui conseille d’exterminer la dynastie jusqu’au dernier rejeton. La démocratie vient a son tour ; il lui prescrit de tuer tous les nobles. Il eut dit k l’Église, si l’Église avait eu besoin de ses conseils, de brûler tous les hérétiques, tous les philosophes, tous les socialistes qui, de leur côté, ne devaient pas manquer de massacrer tous les prêtres, si jamais ils devenaient les maîtres. Du resté, Machiavel ne s’occupe ni de droit public ni de constitution ; il avait pour cela trop de génie, trop de bon sens et trop de franchise. Pour lui, le gouvernement n’est pas l’application de la justice aux choses de l’État, c’est l’art de s’établir au pouvoir, de l’exercer, de s’y maintenir, de s y étendre, d’après les lois des sphères, par tous tes moyens possibles, au besoin par la justice, et même par une constitution.

Mais, observez-vous, avec ce système de proscriptions iniques, le gouvernement se rend odieux et prépare sa ruine. — C’est vrai, répond Machiavel, mais le gouvernement ne peut exister à d’autres conditions, puisque son mandat est de maintenir l’iniquité de l’économie sociale. D’ailleurs, toutes choses devant avoir une fin, il ne s’agit plus ici de fonder, comme les prophètes le promettaient à David, pour l’éternité, niais de fournir une

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carrière suffisante et glorieuse. L’homme sage travaille -1 - il à se rendre immortel ? non, mais à vivre le mieux et le plus longtemps possible. Hors de là point de politique, point de gouvernement, point de société.

Bien entendu que, là où les moyens de droit sont de ’mise, 1 homme d’État ne doit point les négliger. « Il serait à souhaiter, dit > Machiavélique les choses pussent être toujours réglées par la justice ; mais comme la chose est impossible, ce serait niaiserie de s’y « astreindre. » Ainsi la théorie de Machiavel n’est pas double comme on l’a cru : appuyée sur le droit pur, s’il s’agit d’une république ; fondée sur la raison d’État, s’il s’agit d une monarchie. Dans tous ses ouvrages, Machiavel est semblable à lui-même ; c’est toujours la même politique, toujours la même déduction, basée sur la même hypothèse. Les économistes, Adam Smith, les physiocrates du

xvuic siècle et Rossi disent : autre chose est l’économie politique et autre chose la morale ; Machiavel dit : autre chose est la politique et autre chose la justice. »

Il est besoin de corriger cette apologie, peut-être excessive, par l’appréciation suivante de M. Ad. Franck : « On rencontrerait difficilement dans l’histoire de la philosophie et des lettres un nom tour à tour plus flétri et plus exalté, un génie plus diversement et plus mal compris, des écrits plus cités et moins lus, que le nom, le génie et les écrits de Machiavel. Les uns se représentent le célèbre Florentin comme le créateur et ie type d’une école de politique exécrable, qui, fondée sur le meurtre, le parjure, la trahison, la terreur, a pouf unique loi l’asservissement des peuples et la toute-puissance des rois. Les autres, au contraire, ont vu en lui un ami dissimulé de la liberté, qui, sous prétexte d’offrir des conseils au despotisme, ne songe qu’à dénoncer ses iniquités, qu’à livrer tous ses secretSj pour le rendre du même coup odieux et impuissant... Ces deux opinions opposées, comme il arrive presque toujours, sont également fausses... Malgré la réputation d’hypocrisie qu’on lui a faite pour le bien comme pour le mal, ce que Machiavel pense, il le dit avec beaucoup de netteté et de franchise, avec un rare bonheur et une singulière précision de style ; rien dé plus clair que ses écrits quand on se donne la peine de les lire. Etrange hypocrisie, en effet, qui, pour servir les tyrans, divulguerait toutes leurs trames, comme s’ils devaient être ses seuls lecteurs, et qui, pour être utile aux peuples, à une époque où les peuples ne savaient pas lire, enseignerait avec une merveilleuse sagacité l’art de les opprimer et de les avilir !... Cependant le nom de Machiavel a toujours été et restera probablement toujours un nom malheureux. Il sera, quoi qu’on fasse, difficile de le prononcer sans exciter dans les cœurs honnêtes un mouvement de réprobation... Pourquoi cela ? Parce que Machiavel est un homme sans principes ; parce qu’il ne croit pas, au moins dans l’ordre politique, à la distinction du bien et du mal, du juste et de l’injuste ; parce qu’il ne reconnaît à l’homme aucun droit inviolable, aucun devoir absolu ; parce qu’il soumet la morale à la politique, et. les. titres sacrés de l’humanité à la raison d’État... Machiavel n’est sans doute pas le seul qui ait mis la raison d’État au-dessus de tout ; mais il est le premier qui l’ait érigée en système, et il a professé ce système avec une franchise sans limite, avec une audace sans exemple. Voilà pourquoi il est responsable devant la postérité de tout le mal qui a été fait, de toutes les erreurs qu’on a enseignées au nom de sa doctrine. »

Ajoutons que les contemporains de Machiavel ne s’indignèrent nullement de ces doctrines qui s’accordaient avec le droit public du temps, et n’aperçurent point cette immoralité que l’on représenta plus tard comme effrayante, en la comparant aux grands principes de justice qui ont prévalu dans la société moderne. Il faut remarquer aussi que, dans les Discours sur Tite-Live, Machiavel se montre constamment le partisan de la démocratie, et qu’il la défend par des arguments qu’on n’a jamais réfutés. L auteur du Prince reste, quoi qu’on puisse dire, un des plus grands écrivains de l’Italie, un politique plein de pénétration et de sagacité, un commentateur inimitable des anciens, un historien puissant qui unit l’érudition, la profondeur et la gravité au charme et à l’intérêt des récits.

Outre le Prince et les Discours sur TUeLive, qui sont, en politique, ses œuvres capitales, Machiavel a cumposé les Histoires florentines, admirable ouvrage qui est devenu classique en Italie ; le 2’railë de la guerre, en sept livres (Florence, 1521). On l’accuse d’avoir travesti Végèce dans cet ouvrage. Il est supérieur à Végèce, à tous égards. L’objet principal de son livre est de mettre en relief les avantages militaires de l’infanterie, arme peu estimée au moyen âge, et mémo au xvto siècle, où la cavalerie décidait ordinairement du succès d’une bataille. Comme au sujet du la milice, il devançait son temps. Algarotti, dans ses études sur Palladio, estime que l’illustre architecte a appris l’art militaire duns Machiavel. Le livre eut de la vogue" en France, où dès 1553 on publiait un uuvrtigo intitulé : Instructions sur le fait de la guerre extraites de Polybe, Frontin, Végèce, Machiauello et plusieurs autres bons auteurs. On dnit encore à Machiavel : Traité des émi-

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grattons des peuples septentrionaux (1522), opuscule qui semble détaché des Mistoires florentines, dont les beaux-chapitres d’introduction retracent les invasions des Barbares J après avoir raconté les effets, Machiavel a recherché les causes ; les Légations, recueil de ses missions à l’étranger ; nous en avons rendu compte, ainsi que des Discours sur TileLive et de l’Histoire de Florence (v. légations, discours et Florence). Il a en outre publié quelques œuvres légères qu’on a peine a croire sorties de la même plume ; elles sont remarquables par l’allure spirituellé du style et quelquefois par le cynisme des idées. Ce sont : lAne d’orj conte imité d’Apulée ; Belphégor, autre conte imité par La Fontaine ; / Capitoli ; quelques poèmes lyriques très-estimés, qui témoignent de la flexibilité extraordinaire de son talent ; des comédies, parmi lesquelles ta Mandragore, traduite par J.-B. Rousseau, et imprimée à Londres (la traduction) en 1723 ; la Vie de Castruccio Castracani, sorte de roman historique, traduit en français par Guillot et Dreux du Radier.

La première édition collective des Œuvres de Machiavel est celle de Genève (1550, 2 vol. in-4o). On estime assez celle de Florence (1813, 8 vol. in-8o), éditée par Piatti.

Cet homme si diversement jugé, d’un esprit si ardent en théorie politique, si froid et si ferme dans la conduite des affaires, aimait néanmoins la vie calme, ou s’y résignait sans trop d’amertume. Une lettre de lui, découverte en 1810 et publiée à Milan, raconte ainsi les détails de son existence en exil, à San-Casciano ; elle est datée d’octobre 1513 : « Depuis mes derniers événements, dit-il, je n’ai pas été, en les cousant tous ensemble, vingt jours à Florence. Jusqu’ici j’ai chassé aux grives de ma propre main... Je me lève avant le soleil et je m en vais duns un bois à moi que je fais couper ; j’y passe deux heures à revoir l’ouvrage du jour précédent et à couler mon temps avec les bûcherons... Sorti du bois, je m’en vais à une fontaine, et de là à mon paretaio (appareil pour attirer des oiseaux), un livre sous le bras, ou Dante, ou Pétrarque, ou l’un des poètes moins célèbres, c’est-à-dire Tibulle, Ovide ou autres semblables. Je lis leurs amours et leurs tendresses passionnées. Je me rappelle les miennes, et je me complais quelque temps dans cette pensée. Je me rends ensuite sur le chemin, à l’hôtellerie ; je cause avec ceux qui passent ; je leur demande des nouvelles de leur pays. J’entends différentes choses ; je remarque différents goûts et diverses imaginations des hommes. Cependant arrive l’heure du dtner ; je mange les aliments que ma pauvre campagne et mon chétif patrimoine me fournissent. Chacun payant son écot, au dîner, l’autre jour, la dépense monta à 14 sous par personne. Moi, n’en ayant que 10 sur moi, je restai en devoir 4 à l’ami Tomaso, et chaque jour il me lus demande. Et même hier nous eûmes une dispute sur le pont Vieux, Après avoir mangé, je retourne à l’hôtellerie. Là, pour l’ordinaire, je trouve l’aubergiste, un boucher, un meunier et deux chaufourniers ; avec eux, je m’encanaille tout le jour à cricca, à tric-trac, et puis naissent mille disputes, mille dépits accompagnés de paroles injurieuses, et ie plus souvent c’est pour un quattrino, et néanmoins on nous entend crier de San-Casciano. Vautré dans cette vilenie, j’empêche mon cerveau de se moisir : je développe la malignité de ma fortune, satisfait quelle me foule aux pieds de cette manière pour voir si elle n’en aura pas de honte. Le soir venu, je retourne à la maison ; j’entre dans mon cabinet : à la porte, je me dépouille de cet habit de paysan, plein de boue et de saleté, je me revêts d’habillements propres, et ainsi décemment vêtu j’entre dans les anciennes cours des hommes antiques. Accueilli par eux avec amour, je me remplis de cette nourriture, la seule qui me convienne et pour laquelle je suis né : je ne crains pas de m’entreienir avec eux et de leur demander raison de leurs actions. Ceux-là pleins d’humanité me répondent. Je n’éprouve pendant quatre heures aucun ennnui ; j’oublie toute peine ; je ne redoute pas la pauvreté, et la mort ne m’épouvante plus ; je me transporte tout entier en eux ; et comme Dante dit qu’il n’y aura pas de science si ou n’a retenuce qu’on a entendu, j’ai noté ce qui m’a frappé dans leur conversation et j’ai composé un ouvrage des principautés, où je m’enfonce le plus que je peux pour la profonde connaissance de ce sujet. J’examine ce que c’est qu’une principauté, combien il y en a d’espèces ; comment on tes acquiert, comment on les garde, comment on les perd, et si jamais quelqu’un de mes caprices vous a plu, celui-là lie devrait pas vous déplaire : il devrait être agréable à un prince, et surtout à un prince nouveau.•

Ce ton dégagé et quelque peu railleur accuse une force d’ùme peu commune et la plus complète indifférence de l’opinion. Ainsi cet homme qui avait été quinze ans secrétaire d’État, qui avait été quatre fois ambassadeur à la cour de France, qui avait rempli vingt-deux légations, manquait de pain chez lui et n’avait pas H sous pour payer soiwliner I n La diplomatie n’enrichissait guère alors, dit à ce propos M. Erdan ; tout, est bien changé depuis que les sots s’y sont mis. »

Malgré tout, le nom de Machiavel est resté en littérature et en histoire le synonyme d’homme Jiolitiaue sans principes dont l’as-