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LOUV

Mamm. Femelle de loup : Lu louve, lorsqu’elle a des petits, devient intrépide. (Buff.) i— Fig, Femme très-débauchée : Cette femme est une vrbie "louve, insatiable de plaisirs honteux.

— Techn. Sorte de coin en fer qu’on introduit dans un trou pratiqué à dessein pour enlever une pierre:L’usage de la louve parait avoir été coiinu très-anciennement.

— Pêche. Baril défoncé qu’on place sur l’écoutillon d’un bâtiment pécheur, et qui sert de conduit pour jeter les morues dans la calé, après qu’on les a habillées. I ! Sorte de filet pour les eaux courantes, qui se tend verticalement sur trois perches.

— AllUS. hist. Louve do Rormilim, louve •

qui, d’après la légende, allaita Romulus et Rémus. Procas, roi d’Albe-la-Longue, et de la race d’Enée, avait deux fils, Numitor et Amulius. Le premier, comme étant l’aîné, devait hériter du royaume ; mais Amulius s’en empara, tua le fils de Numitor, plaça sa fille Sylvia parmi les vestales, et ne laissa à son frère qu’une partie des domaines, héritage de leur père. Or un jour, Sylvia étant allée puiser à la source du.bois sacré l’eau nécessaire au temple. Mars lui apparut et promit à la vierge effrayée de divins enfants. Devenue mère, Sylvia fut condamnée à mort selon la rigueur des lois du culte de Vesta, et ses deux fils jumeaux furent exposés sur le Tibre. Le fleuve était alors débordé; le berceau fut doucement porté par les eaux jusqu’au mont Palatin, où il s’arrêta au pied d’un figuier sauvage. Mars n’abandonna pas les deux enfants. Une louve, attirée par leurs cris, les nourrit de son lait. Plus tard, un épervier leur apporta des aliments plus forts, tandis que des oiseaux consacrés aux augures planaient au-dessus de leur berceau pour en écarter les insectes. Frappé de ces prodiges, Faustulus, berger des troupeaux du roi, prit les deux enfants et les donna à sa femme, Acca Laurentia, qui les appela Romulus et Rémus.

Des légendes de cette nature se retrouvent à l’origine de la plupart des peuples : Sémiramis a été élevée par des colombes, et, si l’on en croit Hérodote, le grand Cyrus aurait été nourri par une chienne, presque dans les mêmes circonstances que Romulus et Rémus.

La littérature s’est emparée de la louve de Romulus, et l’on y fait souvent allusion :

« Ces émigrations sont celles qui, au rvo et au vo siècle, ont renouvelé le monde. Après avoir quitté le Don, elles rentrent dans la vallée du Volga ; loin de l’antre de ta louve de Borne, elles vont se réfugier dans les lies de la Scandinavie, et épier derrière les glaces le moment d’agonie de la civilisation antique. Véritable épée deDamoclès suspendue sur le front de la société païenne, tout an^ nonce une race d’hommes qui, n’ayant point encore mesuré leurs forces, n’en connaissent par les limites. »

Edgar Quinht.

« Les Anglais ont beaucoup de cette énergie brutale avec laquelle les Romains tenaient jadis le monde sous leur joug, mais ils réunissent en eux, avec la rapacité des loups de Rome, l’astuce des serpents de Carthage. • Henri Heine.

LOUVE (lou-vé) part, passé du v. Louver : Pierre louvée.

LODVECIENNES, bourg de France (Séinoet-Oise). V. Luciennes.

LOUVEL (Louis-Pierre), meurtrier du duc de Berry, né à Versailles en 1783, exécuté à Paris le 7 juin 1820. Orphelin do bonne heure, il avait été élevé par une sœur aînée, Thérèse, qui l’avait fait entrer, vers l’âge de douze ans, à l’institution des Enfants de la patrie (la Pitié), à Versailles. Mis en apprentissage chez un sellier de Montfort-l’Amaury, puis repris par sa sœur, qu’inquiétait sa constitution débile, il l’aida jusqu’à seize ans dans son petit commerce de mercerie. Les plaisirs | de la petite famille se bornaient à chanter des hymnes, le décadi, dans le temple des théophilanthropes. Louvel, qui avait toujours été un enfant doux, sobre et rangé, se rendit à seize ans à Paris pour y continuer son apprentissage. Abandonné à lui-même, il exagéra en quelque sorte ses qualités. Il achetait à l’avance plusieurs pains de quatre livres, parce que, disait-il, on mange moins de pain quand il est dur ; il se montrait obligeant, mais il était peu liant et taciturne. À dix-huit ans, devenu un habile ouvrier, il commença son tour de France. Vers 1806, il entra dans un régiment du train d’artillerie de la garde impériale ; mais, au bout de six mois, la faiblesse extrême de sa constitution, compliquée d’une hernie très-douloureuse, lui fit obtenir son congé. En 1814, Louvel se trouvait à Metz. Les hontes de l’invasion lui firent verser des larmes de rage ; ce fut alors qu’il jura d’exterminer tous les Bourbons, ce sont ses propres paroles. Il voulut frapper Louis XVIII, et se rendit pour cela à pied à Calais. Il eut aussi la pensée d’assassiner le duc de Valmy, pour le punir d’avoir adhéré à la déchéance, puis le comte d’Artois.

De Calais il vint à Paris ; il y vit les Bourbons fêtés, l’étranger accueilli avec enthousiasme, les maisons pavoisées de blanc. Tout cela l’indigna, et il partit pour l’île d’Elbe, où le maître sellier des écuries impériales, Vincent, l’employa de septembre à novembre. Des réformes économiques dans la maison de Napoléon à l’île d’Elbe firent congédier Louvel, qui partit pour Livourne et de là pour Chambéry, où il se mit à travailler pour gagner la somme nécessaire à l’accomplissement de son projet ; car, désormais, 1’extermination des Bourbons était devenue chez lui une idée fixe. Il était à Chambéry depuis trois mois, travaillant chez un maître sellier, quand un matin, le 7 juin 1815, la femme de son patron apporta dans l’atelier un journal qui annonçait le débarquement de Napoléon au golfe de Juan. À cette nouvelle, l’ouvrier se lève, accroche, sans mot dire, à un clou son tablier de travail, et part, par une pluie battante, sans bagages et presque sans un sou. Arrivé à Lyon, Louvel rentra sous les ordres du maître sellier Vincent, et suivit le train des équipages de Paris à Waterloo. Il assista à la délaite suprême et revint à Paris, De là, il partit de son plein gré, sans autorisation, pour accompagner les équipages de Napoléon. Les voitures restèrent à La Rochelle ; là, Louvel fit fabriquer avec soin, par un coutelier, l’arme qui, dans sa pensée, devait débarrasser la France des derniers Bourbons. Revenu à Versailles vers la fin de 1815, il se montra plus sombre que jamais. Peu après, il entra dans les équipages de Louis XVIII, afin d’exécuter son dessein plus facilement. Après de longues réflexions, il choisit pour sa première victime le duc de Berry, second fils de Monsieur, depuis Charles X. Pendant quatre ans, il vécut ne fréquentant personne, ne lisant jamais les journaux, employant tous ses instants de loisir à parcourir les lieux où il espérait rencontrer ce prince. Le 13 février 1820, il trouva enfin l’occasion si longtemps attendue.

C’était un jour de carnaval, le mardi gras ; le duc de Berry sortait de l’Opéra par la petite porte, vers onze heures du soir. Le prince présentait la main à la duchesse sa femme pour monter en voiture, quand Louvel, se glissant entre le mur et un factionnaire qui présentait les armes, saisit le prince par 1’épaule gauche, le frappa au côté droit et s’enfuit. Le duc ne crut d abord qu’à une violente secousse ; mais il porta la main à son côté, sentit le manche de l’arme enfoncée dans la blessure, et s’écria : « Je suis mort, on m’a assassiné ; venez, ma femme. » Et il arracha l’arme. Un jet de sang s’échappa, et le prince tomba dans les bras du comte de Mesnard. En même temps, MM. de Choiseul et de Clermont, aides de camp du prince, et le garde royal de faction, Desbiez, couraient après le meurtrier, qui, dans sa fuite, renversa un garçon limonadier, Paulmier, avec son plateau chargé de glaces et de bavaroises. Paulmier, furieux, s’élança sur Louvel, qui fut enfin arrêté.

Le duc de Berry mourut dans la matinée, vers six heures, en demandant, parait-il, la grâce de son meurtrier.

Quant à Louvel, conduit, les menottes aux mains, au ministère de l’intérieur, il fut interrogé pendant toute la journée du lendemain, puis écroué à la Conciergerie, où un officier de police le garda à vue. On l’avait revêtu de la camisole de force, afin qu’il n’attentât point à ses jours. La police croyant voir en Louvel l’instrument de partis puissants, de ténébreuses intrigues, on le tourmenta de toutes façons pour lui faire dénoncer des complices. Le 15 février, vers midi, dit une relation, on vint chercher Louvel à la Conciergerie pour le conduire au Louvre. Là, dans une salle basse tendue de noir, était un lit entouré d’évêques et de grands officiers de la couronne. On amena la meurtrier devant ce lit, dont on tira brusquement le drap ; ce drap recouvrait le cadavre du prince, encore revêtu de la chemise sanglante, pâle et la plaie béante au côté. « Reconnaissez-vous, lui dit-on, cette blessure et le poignard qui l’a faite ? — Oui, répondit Louvel impassible. — Avez-vous des complices ? — Aucun. » Le calme de Louvel frappa, paraît-il, les assistants d’une sorte de terreur. Un évêque, hors de lui, crut le reconnaître pour un homme qui avait voulu l’assassiner quelques années auparavant. Louvel le regarda avec tranquillité et ne lui répondit même pas.

Enfin, une ordonnance royale constitua la Chambre des pairs en cour de justice, pour procéder au jugement du coupable. Le 23 mars, Louvel fut interrogé par les commissaires de la Chambre, MM. Bastard de l’Étang et Séguier. Il s’était préparé avec soin pour cet interrogatoire, voulant faire bien comprendre au public et à ses juges la nature et le but de son acte. L’instruction, en effet, s’égarait à la recherche de complices imaginaires, et les arrestations inutiles se multipliaient. « Ces messieurs veulent faire mon affaire plus grande qu’elle n’est, » disait Louvel, voyant qu’on soupçonnait l’Angleterre, l’Autriche, 1’Espagne ou le parti bonapartiste. Il paraissait pressé d’en finir, très-poli, du reste, dans toutes ses réponses, patient, et d’une fermeté qui ne se démentit pas une seule fois pendant toute sa captivité.

Le 5 juin, le procès s’ouvrit sous la présidence du chancelier Dambray. La cour avait d’office donné pour défenseurs à Louvel les avocats Archambault et Bonnet.

Le meurtrier continua à montrer le plus imperturbable sang-froid. Il déclara qu’il ne fallait voir en lui qu’un Français qui s’était sacrifié. « Sans doute, dit-il, c est une chose horrible que d’aller derrière un homme pour le poignarder ; c’est un crime ! Mais je n’avais pas le choix des moyens pour punir ceux qui ont trahi la nation. » Interrogé sur ce qu’il aurait fait s’il s’était sauvé, il répondit qu’il aurait tué le duc d’Angoulême, puis successivement tous les princes de la famille royale, car il les regardait tous comme des traîtres envers la patrie. Il affirma plusieurs fois avec force n’avoir jamais fait part de son projet à personne.

Le lendemain 6 juin, le procureur général prononça un très-court réquisitoire ; Me Bonnet plaida la démence, le seul moyen possible de salut. Puis Louvel tira quelques feuillets écrits de sa main, et lut un petit discours très-simple, qui résumait de nouveau ce qu’il avait déjà dit au cours du procès : « Tout Français qui a porté les armes contre sa patrie perd à jamais sa qualité de citoyen français ; les Bourbons n’ont pas le droit de rentrer en France, et surtout d’y vouloir régner. Louis XVI a été exécuté légalement et justement, de l’aveu de la nation entière ; la nation serait déshonorée si elle se laissait gouverner par cette race de traîtres. » La peine de mort fut prononcée.

Louvel entendit cet arrêt avec son calme ordinaire. Il reçut la visite d’un prêtre, l’abbé Montès, l’accueillit avec politesse, mais refusa de se confesser. « J’aurais pourtant presque envie d’aller en paradis, dit-il ironiquement, car j’y retrouverais peut-être le prince de Condé, qui, lui aussi, a porté les armes contre la France ! » Il fut conduit le lendemain au supplice, et monta les degrés de l’échafaud avec une tranquillité exempte de forfanterie. Au pied de l’échafaud, l’abbé Montès ayant voulu tenter un dernier effort : « J’en suis fâché, dit plaisamment Louvel, mais on m’attend là-haut. »

L’attentat de Louvel fut exploité par les ultra-royalistes. Le ministère Decazes tomba ; des lois d’exception furent présentées aux Chambres et votées ; la censure fut établie, la loi des élections changée, et le gouvernement manifesta franchement ses tendances rétrogrades. Louvel venait de préparer la révolution de juillet 1830.

Sous le titre : Physiologie criminelle, M. Barthélemy-Saint-Hilaire a publié sur Louvel une très-curieuse étude dans le tome VI de la Revue des Deux-Mondes.

LOUVELLE s. f. (lou-vè-Ie). Mar. Disposition des bordages, placés carrément les uns à côté des autres : Border en louvelle.

LOUVEMONT (François de), graveur français, né en 164S, mort vers 1690. Les renseignements biographiques font défaut sur son existence ; nous savons seulement qu’il séjourna à Paris et à Naples. Parmi ses meilleures productions, on cite : la Vierge et l’Enfant Jésus, d’après Annibal Carrache ; Jésus présenté au temple, d’après Carlo Maratti ; les Apôtres et les Evangèhstes, d’après Lanfranc ; enfin, les planches do la Piscatoria e nautica (Naples, 16S6, in-8 « ),

LOUVElNCOURT (Marie de), femme poëte, née à Paris en 1680, morte en 1712. À une charmante figure, elle joignait beaucoup de talent et de grâce, un aimable caractère, et sa conversation était pleine de charme et d’agrément. Enfin elle chantait avec goût et jouait parfaitement du théorbe. Rien n’était plus ravissant que de voir cette jeune et belle personne chanter, en s’accompagnant, les jolis vers qu’elle avait faits. Pour surcroît d’attrait, loin de s’enorgueillir de ses talents multiples, elle était simple "et modeste. Aussi était-elle extrêmement recherchée dans les salons. MHc de Scudéry, au sujet de laquelle elle a écrit, avec un enthousiasme exagéré, ces deux vers:

Le ciel dut Arîstote au siècle d’Alexandre;

Mais il ne dut Sapho qu’au siècle de Louis, Mlle de Scudéry voua à la jeune fille une vive amitié, et publia plusieurs de ses pièces dans le recueil de la Nouvelle Pandore et dans les Entretiens de morale. M110 de Louvencourt avait à peine trente-deux ans lorsque la mort vint la frapper. La majeure partie de ses productions poétiques se compose de cantates, qui furent mises en musique par les meilleurs compositeurs du temps, notamment par Bourgeois et par Clérambault, dont J.-J. Rousseau parle dans ses Confessions. Nous donnons la liste de ces cantates : Ariane, Zéphire et Flore, Céphale et l’Aurore, VAmour, Médée, Alphée et Aréthuse, Léandre et Héro, Pyrame et l’hisbé, Pygmalion.


LOUVER v. a. ou tr. (lou-vé — rad. louve). Techn. Soulever avec la louve : Louver une pierre.


LOUVERTURE (Toussaint, dit), homme politique et général nègre, né à Saint-Domingue en 1743, mort au château de Joux, près de Besançon, le 27 avril 1803. Appartenant à la famille du comte de Noé, Toussaint, lorsqu’il fut en âge de travailler, fut d’abord préposé à la garde des bestiaux ; mais son intelligence précoce ne tarda pas à le faire remarquer de ses maîtres, auxquels, d’ailleurs, il montrait le plus grand attachement. On en fit un cocher, puis il devint surveillant des autres noirs de l’exploitation. Il demeura étranger aux premiers mouvements insurrectionnels, et ne prit part dans la suite à la révolte que pour la défense de l’autorité du roi. Il fut dès lors en relation directe avec Jean-François et Biassou, les chefs des nègres insurgés contre les blancs partisans de la Révolution. Après quelques querelles avec Jean-François, qui l’avait fait jeter en prison, il s’entendit avec lui pour se débarrasser de Biassou, que ses atrocités rendaient odieux. Toussaint devint alors aide de camp de Jean-François, passa avec lui dans le parti des Espagnols, qu’il servit jusqu’en 1794. Mais à cette époque, ayant connu le décret de la Convention qui proclamait la suppression de l’esclavage, il ouvrit des négociations secrètes avec le gouverneur français, qui lui promit le grade de général de brigade. Toussaint, à la tête de ses troupes, vint se mettre aux ordres du général Laveaux, et, par sa défection, détermina la soumission de plusieurs places importantes. C’est à cette époque que Toussaint adopta le nom de Louverture, parce que quelqu’un, voyant l’effet produit par sa trahison, s’était écrié que cet homme-là faisait ouverture partout. Toussaint ne tarda pas à trouver l’occasion de rendre à ses nouveaux alliés les services les plus signalés. À la tête de 10, 000 hommes, il s’empara de la ville du Cap, et mit en liberté le général Laveaux, qu’une faction de mulâtres tenait prisonnier. Cet heureux coup de main fit le plus grand honneur à Toussaint et lui valut le grade de général de division (1795). La paix signée à cette époque avec l’Espagne permit aux Français et à leurs alliés de tourner tous leurs efforts contre les Anglais, que Toussaint tint bientôt étroitement enserrés dans le môle Saint-Nicolas.

Mais alors l’ambition du général nègre ne connut plus de bornes. L’autorité de Laveaux commençait à le gêner ; pour s’en débarrasser, il s’avisa d’un moyen ingénieux:il le fit nommer à l’Assemblée législative. Devenu, après le départ de Laveaux, général en chef des armées de la colonie, Toussaint se sentit encore gêné par la présence de Sonthonax, le commissaire de la République à qui il devait son élévation. Il était alors assez puissant pour ne garder aucun ménagement; il embarqua le commissaire et l’expédia pour la France, en même temps que, par une lettre adressée au Directoire, il essayait d’expliquer sa conduite par des motifs d’intérêt public. Ne pouvant faire mieux, le Directoire approuva les actes du général, mais envoya en même temps un nouveau commissaire, Hédouville. Toussaint n’eut pas de peine, grâce à son immense autorité sur les noirs, à annuler complètement l’autorité du délégué du Directoire, et traita sans lui avec les Anglais, qui consentirent à évacuer leurs dernières positions.

L’autorité de Toussaint devint alors véritablement absolue. À sa voix, les nègres qu’il avait armés consentirent à déposer les armes et à reprendre, sous leurs anciens maîtres, que Toussaint avait remis en possession de leurs propriétés, une situation qui ne différait pas beaucoup de l’esclavage. Quant à Hédouville, il sut le rendre suspect à tout le monde, aux blancs comme aux noirs, et le força à s’embarquer.

Une guerre épouvantable éclata bientôt entre les noirs, commandés par Louverture, et les mulâtres, sous les ordres de Rigaud. Après des alternatives de revers et de succès, Toussaint finit par triompher de son adversaire (1799), qui fut contraint de s’embarquer pour la France. Napoléon, devenu premier consul, voulut avoir raison de ce singulier gouverneur, qui s’insurgeait constamment, au nom de la France, contre les autorités françaises. Louverture feignit de se soumettre et n’en garda pas moins une autorité absolue. Les Espagnols refusant, malgré les traités, de céder la partie de l’île qu’ils occupaient encore, il les y contraignit en s’emparant de Santo-Domingo (1801). Devenu ainsi seul maître de l’île entière, il fit rédiger une constitution qui le nommait président à vie et lui conférait le droit de se choisir un successeur. Une admirable prospérité commença alors pour la colonie, sous l’administration de ce chef intelligent. Toussaint savait attirer les blancs par une sage protection et contenir les noirs par la crainte, frappant au besoin, avec une sévérité exemplaire, les membres même de sa famille, et envoyant à la mort, sur un signe, les rebelles, qui n’osaient même murmurer.

Toutefois, un orage terrible s’amassait contre la domination de Toussaint. Malgré ses avances à Bonaparte, à qui il écrivait : Le premier des noirs au premier des blancs, il n’avait pu réussir qu’à irriter cet orgueil immense, qui ne comprenait que l’obéissance absolue. Une autre raison décida Bonaparte à réduire Saint-Domingue, « le besoin de se débarrasser » des 130, 000 hommes de l’armée de Moreau !  L’expédition partit, conduite par le général Leclerc. Les noirs se défendirent avec l’énergie du désespoir. Obligé de se replier dans les mornes, Louverture livra aux flammes la ville du Cap. Mais enfin, battu, trahi par ses généraux et même par un de ses fils, Toussaint, après avoir tué 11, 000 hommes à l’ennemi, se vit contraint de faire sa soumission à des conditions honorables pour lui. Mais, par une infâme trahison, que l’histoire ne saurait flétrir comme elle le mérite, le malheureux fut attiré dans un traquenard, arrêté, embarqué avec sa famille et expédié en France. À son arri-