Page:Larousse - Grand dictionnaire universel du XIXe siècle - Tome 10, part. 2, Lep-Lo.djvu/340

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

participer avec honneur aux premières et glorieuses victoires de la République, Valmy et Jemmapes. Il combattit encore avec intrépidité pendant la campagne de Hollande, aux sièges de Venloo, de Maastricht, et dans la déroute de Neervinden (mars 1793), où il reprit deux fois le village de ce nom. Il servait alors sous Dumouriez. Entraîné dans la trahison de ce général, qui passait pour conspirer en faveur de la famille d’Orléans, le jeune Égalité (c’était le nom qu’avait pris son père) passa à l’ennemi avec son chef. Cet acte était de sa part d’autant plus coupable et inconsidéré qu’il devait amener et amena, en effet, l’arrestation de son père, déjà menacé comme Bourbon.

D’ailleurs, il se conduisit avec dignité dans l’émigration, et jamais il ne consentit à porter les armes contre sa patrie. Son exil devait durer vingt et un ans. À la douleur d’être éloigné de la France vint bientôt s’ajouter pour lui celle de perdre son père, qui fut envoyé à l’échafaud.

Après sa fuite, le duc de Chartres s’était réfugié à Mons, au quartier général de l’armée autrichienne. Le prince de Saxe-Cobourg lui offrit un commandement dans les armées de l’empire ; mais il refusa avec fermeté, se dirigea sur Coblentz, puis sur Francfort, Bâle, Schaffhouse, Zurich, voyagea quelque temps dans les montagnes de la Suisse, et enfin, ses ressources étant complètement épuisées, il sollicita et il obtint un emploi de professeur au collège de Reichenau (Grisons), aux appointements de 1,400 francs par an. Il remplit pendant quinze mois, sous le nom de Chabaud-Latour, ces modestes et honorables fonctions, enseignant les langues, l’histoire, la géographie et les mathématiques. Au milieu de toutes ces épreuves, il dut apprécier les bienfaits de l’éducation philosophique qu’il avait reçue et qui lui donnait le courage de supporter avec une tranquille résignation toutes les vicissitudes de la fortune.

Les troubles politiques l’obligèrent à quitter ce canton. Il partit à pied, le sac sur l’épaule, sous le nom de Corby, séjourna quelque temps au camp du général Montesquiou, à Bremgarten, puis voyagea en Danemark, en Suède, en Norvège, en Laponie, s’avança vers le pôle nord à cinq degrés plus près que ne l’avait fait Maupertuis, et enfin partit en 1796 pour les États-Unis, sur l’invitation de sa mère, qui lui annonçait que son départ en Amérique était la condition que mettait le Directoire à la mise en liberté de ses frères. Il se fixa à Philadelphie, où ses frères, les ducs de Montpensier et de Beaujolais, vinrent le rejoindre. Pendant son séjour en Amérique, comme pour son départ d’Europe, il eut les plus grandes obligations à Gouverneur-Morris, ministre des États-Unis en France, qui l’aida généreusement de sa bourse et de son influence et lui rendit tous les services possibles. Après de longs voyages dans les États de l’Union, il revint en Europe en 1800 et alla s’établir à Londres. Un rapprochement s’opéra alors entre les deux branches de la maison de Bourbon. Le duc d’Orléans eut une entrevue avec le comte d’Artois et fit hommage de sa fidélité à Louis XVIII. Reconnu comme prince français par la Russie, il en reçut un subside, signa la protestation des princes de Bourbon contre l’élévation de Bonaparte au trône et protesta avec éclat contre l’assassinat du duc d’Enghien. Ses deux frères étant morts, il alla se fixer à Palermne, auprès du roi Ferdinand IV, chassé de Naples, dont il épousa la fille, Marie-Amélie, le 25 novembre 1809.

S’écartant pour la première fois de la réserve qu’il avait montrée jusqu’alors, il avait tenté l’année précédente de pénétrer en Espagne pour y combattre les français, de concert avec Léopold, second fils de Ferdinand IV. Soupçonné d’aspirer à la régence de la péninsule, il vit ses projets traversés par les Anglais, qui l’empêchèrent d’entrer en Espagne. Appelé deux ans après par la junte de Séville, il ne fut pas plus heureux ; la même influence l’empêcha successivement de mettre le pied à Tarragone, puis à Séville. Dès lors, il vécut inactif à la cour de Palerme jusqu’aux événements de 1814, qui lui permirent de rentrer en France. Louis XVIII le remit en possession des biens de sa famille et le nomma colonel général des hussards, bien qu’il l’aimât peu et même se défiât de lui. Fils de régicide, ayant lui-même trempé dans la Révolution, sa situation était assez singulière à cette cour, et les royalistes ne pouvaient consentir à lui pardonner le rôle de son père et le sien ; d’autant plus qu’on lui supposait des vues ambitieuses assez ordinaires chez les branches collatérales. On n’ignorait pas que quelques hommes considérables songeaient à l’opposer à la branche aînée et aux ultra-royalistes, et l’on assure même qu’il y eut dès cette époque un complot ébauché en sa faveur.

Lors du retour de l’île d’Elbe, le duc d’Orléans fut adjoint au comte d’Artois et à Macdonald pour commander l’armée de Lyon, qui fut impuissante à arrêter la marche de Napoléon et dut même se retirer sans combattre. Il reçut ensuite le commandement des départements du Nord ; mais il n’eut aucune occasion d’agir, et il n’eut bientôt plus qu’à se démettre entre les mains du maréchal Mortier, et alla à Twickenham rejoindre sa famille, qu’il avait fait passer récemment en Angleterre, en prévision des événements.

On songea encore à lui après la chute définitive de Napoléon, et sa candidature au trône de France fut même un instant posée dans le congrès de Vienne par l’empereur Alexandre. Fouché et Talleyrand travaillaient en ce sens. Mais cette solution fut définitivement repoussée par les souverains coalisés.

À son retour d’Angleterre, il protesta d’ailleurs chaleureusement de sa fidélité à Louis XVIII ; et il est, en effet, probable qu’il n’eût pas voulu devoir la couronne à l’intervention de l’étranger ; il avait trop de sens et d’espoir pour ne pas sentir que c’eût été là une origine déplorable et un souvenir trop lourd à porter.

Cependant, son attitude libérale à la Chambre des pairs, sa modération naturelle, qui contrastait avec les fureurs de ces hommes qui, dans l’émigration, n’avaient rien oublié ni rien appris, semblaient le désigner aux espérances des libéraux constitutionnels. Cette situation lui créa quelques embarras, et il repartit pour l’Angleterre en octobre 1815, autant pour se soustraire aux attaques de ses ennemis que pour modérer les espérances prématurées de quelques-uns de ses partisans. Il se crut même obligé de repousser dans un manifeste public les imputations dont il était l’objet. Peut-être aussi son exil ne fut-il pas volontaire. Quoi qu’il en soit, il revint au commencement de 1817. Au milieu des réactions sanglantes de cette époque, il garda une réserve fort prudente, mais sans parvenir à effacer les préventions de Louis XVIII, qui flairait en lui un héritier de la branche aînée et qui ne voulut jamais lui rendre le titre d’Altesse royale (il l’obtint sous Charles X).

Le duc d’Orléans avait trop de circonspection pour prêter son appui à toutes les conspirations qui furent tramées contre les Bourbons, et c’est probablement bien à tort qu’on a formulé à cet égard des accusations contre lui, notamment à propos de la mystérieuse affaire de Didier, à Grenoble. Néanmoins, il n’en travaillait pas moins à se faire une popularité, désapprouvait les réactions, au moins par son silence et sa réserve, courtisait les chefs du parti libéral, faisait élever ses fils au collège Henri IV, sur les mêmes bancs que ceux des simples citoyens, affichait d’habiles préférences pour les classes bourgeoises, séduisait les écrivains de l’opposition en leur venant en aide dans les poursuites dont ils étaient l’objet, en les recueillant même chez lui, se faisait pour ainsi dire le point de ralliement des intérêts créés par la Révolution, attirait à lui les notabilités politiques, financières et industrielles, recevait dans sa somptueuse demeure du Palais-Royal les Paul-Louis Courier, les Benjamin Constant, les Casimir Périer, etc., encourageait les sciences et les arts, ne négligeait rien enfin de ce qui pouvait, sans compromettre sa haute position, lui gagner les cœurs et les esprits.

Lors de la naissance du duc de Bordeaux, une protestation contre la légitimité de l’enfant parut à Londres dans le Morning Chronicle (novembre 1820). Cette pièce, datée de Paris, du 30 septembre 1820, portait pour titre : Protestation du duc d’Orléans.

Aussitôt que celui-ci eut connaissance de cette publication, il accourut aux Tuileries pour la démentir et la désavouer. Il parait que Louis XVIII accueillit sa justification avec quelque méfiance.

On n’a jamais bien su, d’ailleurs, si cette pièce était ou non apocryphe.

Louis-Philippe, de mœurs simples et d’habitudes sévères, vivait surtout de la vie de famille et administrait avec une économie un peu sordide ses biens immenses, augmentés encore par le gain de divers procès et par une large part dans le milliard des émigrés. Convaincu que lui-même ou sa famille aurait son tour, suivant une expression de l’empereur Alexandre, prôné par un parti qui grandissait tous les jours, par des écrivains comme Courier, il suivait d’un œil attentif la marche de la Restauration, prévoyant bien l’inévitable dénoûment, mais sans rien faire pour le précipiter, sans se mêler activement aux agitations de la politique. Il sentait qu’il n’avait qu’à attendre, et que les événements viendraient pour ainsi dire le chercher. Assez bien en cour depuis l’avènement de Charles X, fort soucieux de ses intérêts privés, il caressait l’opposition, mais ne prenait d’engagement avec personne.

Quelque temps avant la révolution de Juillet, dont on sentait déjà l’approche, il donna au Palais-Royal une fête de nuit en l’honneur du roi de Naples, qui était venu visiter Paris. Charles X assistait à cette réception d’apparat, et il dut être fort choqué d’y rencontrer les membres les plus ardents du parti libéral. Mais l’invariable tactique du duc d’Orléans était, pour employer une expression familière, de nager entre deux eaux, de caresser à la fois le pour et le contre, enfin de ménager à la fois sa position présente et ses espérances d’avenir,

C’est pendant cette fête que M. de Salvandy, en complimentant l’amphitryon, lui dit le mot fameux : « Monseigneur, c’est une fête toute napolitaine : nous dansons sur un volcan. »

Deux mois plus tard, en effet, eut lieu l’explosion attendue et qui fut déterminée par le coup d’État des Ordonnances. Pendant le combat, Louis-Philippe resta absolument inactif, comme sa situation d’ailleurs le lui commandait. Il s’était retiré dans son palais de Neuilly avec sa famille et s’était même caché dans un petit pavillon du parc. Bientôt cette retraite ne lui parut pas assez sûre, et le 29 il partit déguisé pour le Raincy. Toujours prudent et réservé, peut-être un peu pusillanime, il voulait bien accepter la couronne, mais non la prendre. Naturellement, il n’eut pas un instant l’idée de défendre Charles X, qu’il avait si souvent accablé de ses protestations de dévouement.

Cependant la petite faction orléaniste travaillait vigoureusement l’opinion en faveur du prince, dont M. Thiers publia le panégyrique dans le National, pendant que des groupes de députés réunis chez Laffitte recommandaient sa candidature dans une proclamation. Des députations furent envoyées à Neuilly pour vaincre la résistance de Louis-Philippe (qui était toujours caché au Raincy). Enfin les députés présents à Paris se réunirent au Palais-Bourbon et décidèrent que le chef de la branche cadette serait supplié d’accepter les fonctions de lieutenant général du royaume. Quelques pairs réunis à la hâte donnèrent leur adhésion, ainsi que la commission de l’Hôtel de ville. Tous ces agissements eurent le caractère d’une scène de haute comédie préparée de longue main. Louis-Philippe se laissa convenablement prier, supplier par ses affidés, et finit par se sacrifier à la chose publique en acceptant le fardeau du pouvoir, mais l’âme pénétrée de douleur et tout en faisant parvenir l’expression de son dévouement à Charles X, retiré à Saint-Cloud. Puis il publia une proclamation dans laquelle il déclarait que la Charte serait désormais une vérité, et se rendit à l’Hôtel de ville comme pour faire consacrer sa nomination. On connaît cette scène mémorable. La Fayette, la grande popularité du jour, mit un drapeau tricolore entre les mains du prince, le présenta du haut d’une fenêtre au peuple qui remplissait la place et l’embrassa au milieu des acclamations. Le vieux général a nié plus tard qu’il eût présenté Louis-Philippe comme la meilleure des républiques (phrase qu’on a également attribuée à Odilon Barrot). Il paraît aussi qu’il ne fut pas question entre eux de ce fameux Programme de l’Hôtel de ville, série de formules politiques rédigées à la hâte, et qui ne fut pas présenté ; mais ils tombèrent d’accord sur la nécessité de fonder un trône populaire entouré d’institutions républicaines.

Ceci se passait le 31 juillet. Le lendemain, Charles X, qui s’était replié sur Rambouillet et qui peut-être s’aveuglait encore sur la situation, se donna le ridicule royal de reconnaître par ordonnance la nomination de son cousin comme lieutenant général du royaume. Le 2 août, il eut la naïveté, en lui envoyant son abdication, de le charger de la proclamation de Henri V comme roi de France.

À ce moment même, tout était déjà préparé pour l’embarquement de l’ex-roi et de sa famille à Cherbourg. Pour le déloger de Rambouillet, où il était encore entouré d’une douzaine de mille hommes, on répandit le bruit qu’il marchait sur Paris. Aussitôt toute la capitale fut sur pied et une armée improvisée se mit en route. On sait le reste ; Charles X, obsédé d’ailleurs par les commissaires envoyés par son heureux cousin, n’attendit pas l’armée parisienne.

Le 3, Louis-Philippe avait ouvert les Chambres. Sa popularité, habilement chauffée, surexcitée, augmentait d’heure en heure. Lui-même n’oubliait rien pour cela. Affable et caressant avec tout le monde, il prodiguait les promesses à tous les ambitieux, les protestations de libéralisme à tous les citoyens, avec ces fameuses poignées de main qui sont devenues proverbiales.

Enfin le 7 août, la Chambre des députés, à la majorité de 219 voix sur 252 votants, déclara le trône vacant et offrit la couronne au duc d’Orléans, à la condition d’accepter certaines modifications à la charte.

Évidemment il y avait dans cette décision une usurpation audacieuse de la souveraineté nationale ; car les 219, nommés sous Charles X, n’avaient nullement reçu la mission de distribuer des couronnes et de disposer de la France comme d’une propriété privée. En outre, le peuple ni même le petit corps électoral d’alors ne furent appelés à ratifier cet acte de souveraineté. Quelques acclamations de gardes nationaux, de députés et d’un certain nombre de combattants parurent une consécration suffisante comme expression de la volonté nationale. En réalité, l’intronisation de la branche cadette, cela ne peut être nié, fut le résultat d’un escamotage et d’une intrigue.

Louis-Philippe reçut ce magnifique présent d’une couronne, objet des convoitises constantes de sa famille, avec les formules banales et les grimaces usitées, en pareil cas : il était dépourvu de toute ambition, il eût préféré achever sa carrière dans l’obscurité de la vie de famille ; mais enfin il se rendait au vœu de la nation, il acceptait le fardeau par patriotisme et par dévouement, etc.

Il acheva la comédie en embrassant avec effusion La Fayette, Laffitte et tous ceux qui voulurent bien recevoir son accolade. Le 9, devant les Chambres assemblées, il prêta solennellement serment à la charte (légèrement remaniée en quelques jours par les députés), et il commença son règne de dix-huit ans sous le titre de Louis-Philippe 1er, roi des Français. Cette rupture de la chaîne des traditions monarchiques, ce changement de formules et de mots parut fort important aux subtils doctrinaires, dont les uns acceptaient le nouveau souverain parce que, les autres quoique Bourbon.

Le règne de Louis-Philippe est rempli d’événements importants. Toutefois, comme la plupart sont l’objet d’articles spéciaux dans les différentes parties du Grand Dictionnaire, indépendamment des biographies de tous les hommes ayant joué un rôle de quelque importance, nous n’en donnerons ici qu’un résumé rapide.

L’explosion de Juillet avait frappé les souverains de l’Europe d’inquiétude et de stupeur. Outre qu’ils redoutaient pour leurs propres pays la contagion de l’exemple, ils avaient les yeux fixés sur la France, attendant d’elle la paix ou la guerre. Mais les tendances pacifiques du nouveau roi n’étaient pas douteuses. De plus, il avait à se faire pardonner son origine révolutionnaire, et il n’était nullement disposé à se précipiter dans les aventures, soit pour venger Waterloo, soit pour anéantir les traités de 1815 et reprendre les frontières du Rhin, idées populaires que lui-même avait longtemps caressées par une tactique d’ambitieux. Il inaugura donc, par goût autant que par intérêt personnel, ce système de paix à tout prix qu’on lui a si souvent et si amèrement reproché. Sans le justifier entièrement sur ce point, nous devons reconnaître qu’à ce moment la France n’aurait eu aucun intérêt à prendre un rôle agressif, à provoquer une conflagration générale. Quoi qu’il en soit, Louis-Philippe mit dès ce moment tous ses soins à gagner la bienveillance des rois étrangers, dont quelques-uns le considéraient comme un usurpateur, et spécialement à se ménager l’alliance anglaise, qu’il rechercha comme point d’appui pendant tout son règne.

Son premier cabinet fut composé d’éléments hétérogènes, et l’on put voir dès lors que, s’il voulait paraître donner des gages au parti qui avait fait la révolution en subissant Dupont (de l’Eure), Laffitte (ce dernier sans portefeuille), il donnait aussi la majorité à l’élément plus spécialement conservateur, par le choix de MM. Guizot, Molé, de Broglie, le baron Louis, etc.

Les commencements du nouveau règne furent attristés par un événement tragique, le suicide du prince de Condé, qui avait choisi pour son héritier le duc d’Aumale, fils de Louis-Philippe. Cet épisode, resté assez mystérieux, donna lieu à des accusations terribles, mais probablement injustes, contre la famille d’Orléans. V. Condé.

Le procès des ministres de Charles X et les troubles qui éclatèrent à cette occasion obligèrent le gouvernement à sacrifier les ministres impopulaires, comme Guizot, Molé, Broglie, etc., et à constituer le ministère Laffitte (2 novembre), qui fut remplacé par le cabinet Casimir Périer (13 mars 1831). Dans l’intervalle, la marche rétrograde et contre-révolutionnaire s’était accentuée. On avait fait voter une loi qui supprimait le commandement général de la garde nationale. C’était une manœuvre pour obliger à la retraite La Fayette, dont on feignait de craindre le pouvoir, mais dont en réalité la popularité et les opinions étaient un obstacle pour les réacteurs. Le vieux général envoya, en effet, sa démission au roi, qui joua la misérable petite comédie de paraître désolé et surpris et de répondre : « Je reçois à l’instant (c’était la veille), mon cher général, votre lettre, qui m’a peiné autant que surpris par la décision que vous prenez. Je n’ai pas encore eu le temps de lire les journaux, etc. »

Or, il était notoire que la loi n’avait été préparée et faite qu’en vue de La Fayette. Ces faux-fuyants, ces manœuvres obliques, cette hypocrisie de langage, qui ne pouvaient tromper personne, n’étaient pas de nature à inspirer l’estime pour le caractère du roi, qui poussa la dissimulation jusqu’à adresser aux gardes nationales une proclamation dans laquelle il déplorait avec une effusion touchante la retraite du général.

La démission de Dupont (de l’Eure) suivit de près celle de La Fayette. Enfin le gouvernement, se sentant plus libre, fit de nouveaux pas dans la voie contre-révolutionnaire, notamment en frappant de dissolution l’artillerie de la garde nationale parisienne, recrutée en grande partie parmi les hommes les plus énergiques et les plus influents du parti républicain.

Ce parti, très-peu nombreux lors de la révolution de Juillet, n’avait pu que protester contre l’usurpation de la souveraineté nationale ; mais il grandissait tous les jours, et bientôt il allait livrer de terribles combats à la nouvelle monarchie.

Une nouvelle loi électorale (avril 1831), qui élargissait un peu les bases de la représentation nationale, mais qui était bien au-dessous de ce que réclamait l’opinion, livra les destinées du pays à une oligarchie de grands propriétaires, imperceptible minorité qui devint, dans le langage des hommes d’État, le pays légal. Le reste de la nation, dans l’opinion de M. Guizot et autres, n’était sans doute qu’un bétail : sous le règne de l’ancienne aristocratie, le peuple était taillable et corvéable à merci ; sous la haute bour-