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plus qu’il n’en était connu ; des faits accomplis qu’il fallait bien accepter, quoiqu’ils fussent en contradiction avec le principe en vertu duquel il reprenait possession du trône ; des prétentions contradictoires à satisfaire ; deux Frances à unir et qui s’excluaient mutuellement sans pouvoir s’absorber : celle de la Révolution, vivante encore sous son vernis d’impérialisme, celle de l’émigration, qui avait à venger vingt-cinq années d’humiliation ; des embarras matériels de toute nature ; une armée décimée et d’ailleurs sourdement hostile ; l’invasion sur les bras, appui devenu fardeau et dont les troupes dévoraient le pays ; et dans son palais même, autour de lui, deux cours, deux noblesses, qui se mesuraient des yeux et se disputaient déjà l’influence et les hautes charges : l’une au nom de sa prétendue fidélité pendant les jours d’épreuve, l’autre au nom de la prétendue sincérité de son adhésion.

Une telle situation eût exigé le génie d’un grand politique. Or Louis XVIII, dont les flatteries de cour avaient fait un profond homme d’État, était bien loin d’être un aigle. Cet épicurien, déjà presque impotent, était même un homme fort médiocre, ses amis et ses serviteurs ont pris soin de nous édifier à cet égard. (V. notamment Chateaubriand, Congrès de Vérone, Mémoires, etc., et Marmont, Mémoires). Il avait beaucoup de mémoire, une provision suffisants de littérature, ce qu’il en faut pour les citations de la malice plutôt que de l’esprit, des mots piquants et prémédités, comme il en vient aux gens disgraciés de la nature, et la manie des phrases à effet. Ajoutez peu d’énergie, peu d’application au travail, un dédain d’ancien régime pour les affaires. S’il aimait à figurer en roi (il jouait ce rôle imposant depuis tant d’années), il comprenait la royauté comme un « principe » et comme une chose d’apparat, non comme une action ; cela lui paraissait plus noble et plus « roi de France. » En outre, tout mouvement lui était pénible. Tout entier à ses citations latines, aux solennités majestueuses de sa table et à la recomposition de sa maison, il ne prenait part aux affaires que pour signer ce que ses ministres lui présentaient, et amusait ses loisirs par la composition de petits vers et d’articles pour les journaux (que polissait et signait M. de Jouy), et dans lesquels Sa Majesté livrait au ridicule les légions de royalistes non pourvus qui l’ennuyaient de leurs pétitions.

Chateaubriand raconte qu’au moment où cent mille Français envahissaient l’Espagne, étant venu avec les autres ministres apporter au roi une dépêche importante, ils le trouvèrent noyé dans ses petites paperasses ; il se mit à leur déclamer la cantate de Circé, puis les couplets grivois du Sabot perdu. Ils n’en purent tirer autre chose, malgré la gravité des circonstances, et, remettant respectueusement leur dépêche, ils se retirèrent en laissant, comme le dit Chateaubriand, « la frontière du Rhin sous la protection de Babet.’ »

Remarquez que les autres membres de cette famille étaient encore au-dessous de son chef, par l’intelligence comme par le caractère, et que le roi avait pour le guider des hommes d’État de la force de MM. de Blacas, le favori du maître, type de l’émigré fidèle, et le plus inepte des ministres qui aient jamais contresigné une ordonnance ; Beugnot, homme d’esprit sans convictions, plus propre à chercher des mots qu’à trouver des idées ; Vitrolles, l’homme du comte d’Artois, la mouche du coche royal ; le général Dupont, entamé, sinon flétri par l’affaire de Baylen, et parfaitement choisi pour dépopulariser un gouvernement ; de Montesquiou, charmant impertinent de salon, petit-collet de l’ancien régime, tranchant du métaphysicien politique ; Malouet, dont on ne dit rien ; Talleyrand, dont on aurait trop à dire, impudent Mascarille caché dans la peau d’un homme d’État, résumant en lui la corruption de tous les régimes, et qui se parait de son immoralité avec la grâce dédaigneuse d’une courtisane ; Dambray, parlementaire de l’autre siècle, et qui ignorait absolument les choses nouvelles qui s’étaient passées depuis 1789, etc., etc.

D’un autre côté, le pouvoir était assailli par les prétentions de ces émigrés qui n’avaient rien oublié ni rien appris, de nobles qui rêvaient follement le rétablissement de leurs privilèges, et de membres du clergé réclamant avec âpreté leurs prérogatives et leurs biens, et prescrivant l’observation des dimanches et fêtes.

Le premier acte du gouvernement fut de signer le traité de Paris (30 mai), qui réduisait la France aux limites de 1792. Louis XVIII rétablit l’étiquette et le train de l’ancienne cour, toutes les fonctions gothiques de l’ancien régime, jusqu’à des chevau-légers, des mousquetaires, etc. ; établit la censure pour les écrits de moins de vingt feuilles et rendit aux émigrés les biens nationaux qui n’avaient pas été vendus. Ces mesures de réaction, d’autres encore, les humiliations infligées à l’armée, les menaces contre les acquéreurs de biens nationaux et tous les hommes qui avaient trempé dans la Révolution, l’origine même de ce gouvernement, qui devait son triomphe aux malheurs de la patrie et aux armes de l’étranger, tout concourait à rendre les Bourbons de plus en plus impopulaires. Napoléon, qui épiait les mouvements de l’opinion, crut le moment favorable, quitta secrètement l’île d’Elbe et vint débarquer avec une poignée d’hommes sur la côte de Provence le 1er mars 1815. Pendant qu’il poursuivait sa marche victorieuse sur Paris, les ministres et les serviteurs de la monarchie, comme les moines de Byzance, usaient les dernières minutes qui leur restaient en disputes stériles, sans s’arrêter à aucun plan sérieux. On finit par proposer, comme résolution suprême, de fortifier les Tuileries et de s’y défendre contre l’usurpateur. Louis XVIII n’accueillit pas très-chaleureusement cette idée de mourir sur sa chaise curule, et il ferma la discussion en filant lestement vers la frontière, muni des diamants de la couronne et d’une douzaine de millions (20 mars), pendant que ses fonctionnaires et ses corps constitués retournaient jouer devant Napoléon la mascarade accoutumée et lui porter l’assurance d’une fidélité devenue disponible.

Pendant la période des Cent-Jours, il séjourna à Gand, attendant l’issue des événements. Après Waterloo, il rentra encore une fois derrière les étrangers. Cette deuxième restauration fut marquée par des réactions et par des vengeances contre ceux qui avaient fait défection pendant les Cent-Jours. Et d’abord les alliés exigèrent et obtinrent de nouveaux amoindrissements de la France (la Savoie, Marienbourg, Philippeville, Charlemont, Sarrebruck et Landau), ainsi qu’une contribution de guerre de 700 millions, le licenciement de l’armée de la Loire et l’obligation pour la France d’entretenir pendant cinq ans cent cinquante mille hommes des troupes coalisées, campés sur son territoire.

Les proscriptions furent organisées avec l’aide de Fouché, qui avait été nommé l’un des ministres. Ney, Labédoyère, Mouton-Duvernet, les frères Faucher, etc., furent condamnés à mort. La terreur blanche désola le Midi : Brune, Ramel, Lagarde et autres généraux ou patriotes furent massacrés par les verdets, sans que jamais leurs assassins, les Trestaillon, les Truphémy et autres misérables, aient été punis.

Bientôt se réunit la fameuse chambre introuvable (octobre 1815), composée des ultras les plus exaltés, et qui vota coup sur coup la suspension de la liberté individuelle, l’établissement des cours prévotales et autres mesures odieuses, telles que la fumeuse loi d’amnistie, qui n’était en réalité qu’une loi de proscription, et qui servit notamment à prononcer le bannissement des conventionnels qui avaient voté la mort du roi.

Nous n’avons pas à entrer ici dans le détail de tous les actes de cette époque ; on en trouvera le résumé à l’article Restauration. En ce qui concerne Louis XVIII, il faut lui rendre cette justice, qu’il était plus modéré, d’un royalisme moins exagéré que ses partisans. Aussi la frénésie de ceux-ci faisait-elle dire assez plaisamment qu’ils étaient plus royalistes que le roi. Fatigué des violences de la faction, et de concert avec le ministre Decazes, le monarque prononça la dissolution de la chambre (5 septembre 1816). Les élections donnèrent une assemblée moins réactionnaire, qui, se renouvelant annuellement par cinquième, en vertu d’une nouvelle loi électorale, compta bientôt dans son sein La Fayette, Benjamin Constant, Manuel et une vingtaine d’autres membres de la gauche. Mais cependant la faction des ultras, qui avait le comte d’Artois pour chef, luttait encore, même contre le roi, et menaçait à chaque instant de l’emporter. Le ministère Decazes, semi-modéré, était l’obstacle. L’assassinat du duc de Berry (1820) fut le prétexte pour le renverser et pour rentrer dans la réaction (modification de la loi électorale, nouvelle suspension de la liberté individuelle, etc.). Fatigué de tant de luttes, et d’ailleurs continuellement souffrant, le roi devint de plus en plus étranger au gouvernement. Bientôt, au ministère du duc de Richelieu succéda le cabinet Villèle, appuyé sur la droite. Pendant le cours de ces événements, un grand nombre de complots et de tentatives insurrectionnelles avaient été étouffés dans le sang, mais en témoignant de l’impopularité de la Restauration.

Signalons l’affaire des frères Lallemand et de Lefèvre-Desnouettes (1814) ; la conspiration de Didier, à Grenoble (1816) ; celle dite des patriotes, à Paris, dans la même année ; le complot de Lyon (1817) ; celui de 1820, à Paris ; les affaires de Colmar et de Belfort (1822) ; des sergents de La Rochelle, de Saumur, etc., etc.

La plupart de ces conspirations étaient l’œuvre du carbonarisme et n’eurent d’ailleurs d’autre résultat que de coûter beaucoup de sang au parti patriote et libéral. Cependant, elles remuaient profondément l’opinion, qui se prononçait de plus en plus ouvertement contre le gouvernement des Bourbons.

La guerre d’Espagne, en faveur de l’absolutisme, fut le dernier événement important du règne, guerre impopulaire autant que inique, mais dont le succès imposa pour un moment silence à l’opposition. L’expulsion de Manuel de la Chambre, de nouvelles élections défavorables à la gauche, une indemnité de 1 milliard accordée aux émigrés, enfin la prise de possession du pays par la Congrégation, c’est-à-dire par les jésuites, marquèrent les derniers moments de Louis XVIII. Ce monarque était devenu d’une obésité extraordinaire, à ce point qu’il ne pouvait plus marcher ; il avait d’ailleurs des plaies très-douloureuses aux jambes, et, au moment de sa mort, la chair de ses pieds tombait en lambeaux. Une femme spirituelle, la comtesse Zoé du Cayla, le consolait au milieu de ses souffrances et de son inactivité. Elle était favorite en titre, autant du moins qu’il était possible de l’être avec le pauvre roi.

M. Guizot apprécie ainsi Louis XVIII, en le comparant à son frère : « Louis XVIII était un modéré de l’ancien régime et un libre penseur du XVIIIe siècle ; Charles X était un émigré fidèle et un dévot soumis. La sagesse de Louis XVIII était à la fois pleine d’égoïsme et de scepticisme, mais sérieuse et vraie. Quand Charles X se conduisait en roi sage, c’était par probité, par bienveillance imprévoyante, par entraînement du moment, par désir de plaire, non par conviction et par goût. À travers tous les cabinets de son règne, l’abbé de Montesquiou, M. de Talleyrand, le duc de Richelieu, M. Decazes, M. de Villèle, le gouvernement de Louis XVIII fut un gouvernement conséquent et toujours semblable à lui-même. »

Lamartine a porté sur ce prince le jugement suivant :

« Louis XVIII, dans les antécédents de son règne, dans son nom de Bourbon, dans son malheur de succéder à Napoléon, qui avait à la fois tant agrandi et tant rapetissé la France ; dans l’invasion qui lui faisait brèche pour rentrer dans son pays, dans l’occupation étrangère qui foulait le sol de la France sous son règne, dans son parti naturel, dans une partie de sa famille surtout, avait des occasions et presque des nécessités de fautes qu’il serait injuste de lui imputer à lui-même… Comme souverain, il eut beaucoup de ressemblance avec Henri IV, qu’il se complaisait tant à citer parmi les ancêtres de sa couronne. La nature, le temps et les circonstances lui déniaient la gloire des armes. Mais il n’eut ni l’héroïsme, ni l’éclat, ni la poésie de Henri IV ; il n’eut aussi ni la légèreté de cœur, ni les apostasies de foi, ni les ingratitudes de parti de son aïeul. Conquérir les esprits rebelles et pacifier les opinions divisées d’un peuple, après la Révolution française, après les conquêtes de l’Empire et les revers de l’invasion, était peut-être aussi difficile pour Louis XVIII que de conquérir et de subjuguer le sol après la Ligue pour le roi de Navarre. Vaincre avec un parti et régner pour un autre fut la destinée de tous les deux. Mais Louis XVIII ne trompa pas le sien et ne l’asservit pas, comme Henri IV, au parti contraire. Il s’appliqua seulement à le modérer pour le nationaliser avec lui. L’un de ces princes fut soldat, l’autre législateur de son royaume ; les guerriers sont des conquérants de territoires, les législateurs sont des conquérants de siècles : Henri IV ne fondait qu’une dynastie, Louis XVIII fondait des libertés. C’est là son titre, la France le lui maintiendra ; et si elle ne le place pas au rang de ses plus grands hommes, elle le placera au rang des plus habiles et des plus sages de ses rois. »

On pourrait citer d’autres appréciations moins bienveillantes ; mais, pour ne pas enfler cet article, nous nous bornons à renvoyer le lecteur aux ouvrages suivants, outre ceux que nous avons déjà cités : Histoires de la Restauration, par Vaulabelle, Nettement, Lamartine, de Viel-Castel, etc. ; Vie privée, politique et littéraire de Louis XVIII (1824, in-18) ; Règne de Louis XVIII, par Barbet du Bertrand (1825, 2 vol. in-8o) ; la Vie de Louis XVIII, pur A. de Beauchamp, ne manque pas d’intérêt, mais ce n’est qu’un panégyrique ; les Mémoires de Louis XVIII (1832, 2 vol. in-18), ne sont qu’une compilation apocryphe.

Ce prince, comme nous l’avons dit, était lettré ; il se plaisait à faire des citations d’Horace, son auteur favori, et d’autres classiques latins. On lui attribuait aussi beaucoup de mots, entre autres celui-ci : « L’exactitude est la politesse des rois. » On a retenu quelques-uns de ses vers, notamment ce madrigal qu’il adressa à la reine Marie-Antoinette, en lui faisant présent d’un éventail :

      Au milieu des chaleurs extrêmes,
            Heureux d’amuser vos loisirs,
J’aurai soin près de vous d’amener les zéphyrs :
            Les amours y viendront d’eux-mêmes.

On lui attribuait aussi d’autres, œuvres littéraires, ainsi que quelques écrits satiriques publiés avant la Révolution sans nom d’auteur, tels que : Description historique d’un monstre symbolique, etc. (contre le ministre Galonne). Enfin, on a publié de lui plusieurs recueils de correspondance.

Terminons cet article par l’anecdote suivante, que Volney se plaisait à raconter à ses amis. Ayant demandé un jour une audience à Louis XVIII, le roi lui fit dire qu’il était occupé, qu’il le priait d’attendre un peu. « On me fit faire antichambre une heure de temps, disait Volney. Enfin on m’introduisit. Savez-vous quelle était l’occupation du monarque ? Je le trouvai en manches de chemise, en faction derrière la porte de sa chambre à coucher, armé d’un manche à balai. Il me dit que depuis une heure il attendait là pour éreinter le chat de Mme de …… (j’ai oublié le nom…… de Mme de Maupas, je crois), qui se permettait de venir chaque nuit manger son encas de nuit. »


LOUIS-PHILIPPE Ier, né à Paris, au Palais-Royal, le 6 octobre 1773, mort à Claremont (Angleterre) le 26 août 1850. Il était fils de Louis-Philippe-Joseph, duc d’Orléans, fameux dans la Révolution sous le nom d’Égalité, et qui descendait de Monsieur, frère de Louis XIV. Sa mère, Louise-Marie-Adélaïde de Bourbon, descendait elle-même, par son père le duc de Penthièvre, du comte de Toulouse, fils légitimé de Louis XIV et de Mme de Montespan.

Il porta successivement les titres de duc de Valois, de Chartres, puis d’Orléans. Confié aux soins de Mme de Genlis, ainsi que sa sœur Adélaïde et plus tard ses frères de Montpensier et de Beaujolais, il fut élevé par elle suivant le système exposé par Jean-Jacques, dans l’Émile. Son éducation, trop encyclopédique pour ne pas être artificielle, lui donna néanmoins une grande variété de connaissances. En outre, il fut exercé, comme ses frères et sa sœur, à cultiver un petit carré de jardin et à différents petits arts manuels, comme de fabriquer des portefeuilles, de la gaze, du cartonnage, des fleurs artificielles, des paniers, des grillages, des ouvrages de menuiserie, etc. Il faut ajouter les visites fréquentes aux manufactures, aux usines, aux collections, etc., les exercices du corps, les longues marches à pied, des habitudes de sobriété et de rudesse, comme d’endurer le froid et le chaud, la soif et la faim, de coucher sur une simple natte, etc.

Excellent système d’éducation, pour le dire en passant, mais qui n’est guère à la portée que des riches. Appliqué aux princes, il leur donne l’énergie, la patience, le ressort, arme leur ambition de mille qualités fortes, et en définitive ne les rend que plus redoutables pour les peuples, plus aptes à se saisir du pouvoir et à le conserver, à tout emplir de leur personnalité. Qu’on ne prenne pas ceci pour une boutade de misanthropie. N’admettant guère les princes dans l’organisation politique et sociale que nous rêvons, nous sommes naturellement porté à désirer que ceux que nous subissons provisoirement aient, sous tous les rapports, le moins de qualités possible.

Dans les voyages que Mme de Genlis faisait faire à ses élèves, elle les conduisit une fois au Mont-Saint-Michel ; on sait que le futur roi des Français, rempli d’indignation contre les pratiques du despotisme, voulut porter les premiers coups pour démolir la fameuse cage où depuis Louis XIV on avait enfermé divers prisonniers, et qui même servait parfois encore comme lieu de punition temporaire.

Cet acte d’humanité ne doit pas faire oublier que précisément au même lieu, sous le règne de Louis-Philippe, on enferma les prisonniers républicains, non dans une cage, sans doute, mais isolément dans des cellules, où ils subirent un régime et les traitements les plus odieux.

En 1785, lorsque son père devint duc d’Orléans, le jeune prince, suivant l’usage de sa famille, reçut à son tour le titre de duc de Chartres et fut nommé colonel de dragons. Il avait douze ans. Ces promotions ridicules étaient, comme on le sait, consacrées dans l’ancien régime. Dès le début de la Révolution, Louis-Philippe, encore adolescent, suivit l’exemple de son père en se prononçant avec éclat pour les idées nouvelles, tactique ordinaire des branches collatérales pour conquérir la popularité. Il entra dans la garde nationale, prit pour seul titre celui de citoyen de Paris, assista régulièrement aux séances de l’Assemblée constituante, se fit recevoir membre de la Société des jacobins, et adressa même, dit-on, quelques articles anonymes à la feuille de Marat.

Lors de sa réception aux Jacobins (1er novembre 1790), il prononça un discours qui fut chaleureusement applaudi et reproduit par les feuilles patriotiques. À cette époque, il commença la rédaction d’un journal de ses actions et de ses pensées, qui est un peu plus intéressant que l’inepte carnet de Louis XVI. Ce sont des notes jetées à la hâte sur le papier ; mais, outre qu’elles sont une relation assez vivante de quelques-uns des épisodes dramatiques de ce temps prodigieux, l’homme s’y peint naïvement tel qu’il était alors. On voit la physionomie singulièrement originale de ce jeune prince, poussé sans doute par l’ambition héréditaire, mais entraîné aussi par l’enthousiasme de la jeunesse et par ses tendances philosophiques en pleine agitation révolutionnaire, et savourant comme un fruit nouveau les doctrines et la pratique de l’égalité.

Ayant pris le commandement effectif de ses dragons, il alla tenir garnison à Vendôme, en vertu du décret qui obligeait tous les colonels propriétaires de régiment à rejoindre leur corps (juin 1791). La modération qu’il montra dans les troubles qui éclatèrent après la fuite de Louis XVI augmenta sa popularité. Ce fut dans cette ville aussi qu’il eut le bonheur de sauver un homme qui se noyait. À cette occasion, la municipalité récompensa son courage en lui décernant solennellement une couronne civique. En août de cette même année, il alla prendre le commandement de la place de Valenciennes. En avril 1792, il prit part, sous les ordres de Biron, aux opérations sur la frontière de Belgique, et se distingua d’une manière brillante aux affaires de Quiêvrain, de Boussu, de Mons, etc. Nommé maréchal de camp, il passa sous les ordres de Luckner, contribua à la prise de Courtrai, reçut le grade de lieutenant général (11 septembre) et fut assez heureux pour