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même au berceau. La régence fut confiée au duc d’Orléans, prince plus frivole et plus débauché qu’ambitieux, qu’on accusait cependant de s’être défait des autres descendants de Louis XIV par le poison et de chercher à s’emparer de la couronne par un dernier crime. Une sorte de fatalité accréditait ces sinistres rumeurs. Son pupille fut encore atteint d’une maladie grave peu avant sa majorité (1721) ; mais il se rétablit promptement, à la confusion des calomniateurs de Philippe.

La minorité de Louis XV fut marquée par une réaction contre le gouvernement et la politique de Louis XIV, par quelques essais de réformes, par des désastres financiers, l’alliance anglaise, l’établissement du système de Law, le honteux ministère de Dubois, la Triple Alliance, la conspiration de Cellamare, la guerre d’Espagne, les querelles de la bulle Unigenitus, etc. V. Dubois, régence, Orléans.

Le jeune roi avait eu pour précepteur Fleury, évêque de Fréjus (qu’il ne faut pas confondre avec l’abbé Fleury, le célèbre historien), et pour gouverneur le maréchal de Villeroy. Ce dernier, d’un caractère vantard et impérieux, s’adoucissait pour son élève jusqu’à la plus emphatique servilité. C’est lui qui, lui montrant la foule rassemblée sous les fenêtres du palais, lui dit bassement ces paroles restées fameuses : « Sire, tout ce peuple est à vous. » Fleury, d’une obséquiosité tout ecclésiastique, s’attachait silencieusement le prince par une molle indulgence, un excès de facilité, l’accoutumait à ne point penser par lui-même, endormait en lui toute énergie, écartant tout ce qui eût pu exalter son âme, exciter sa raison ou son imagination paresseuse. Louis XV n’était que trop bien disposé par sa nature à cette éducation toute mécanique. « Rien ne rappelait chez lui, dit M. Henri Martin, son père ni son bisaïeul ; par la vulgarité de ses goûts, il tenait plutôt de son aïeul le dauphin, fils de Louis XIV, mais il n’annonçait pas même l’espèce de bonté banale qu’avait eue le dauphin. Enfant, non pas sans intelligence, mais sans charme et sans tendresse, sans gaieté ni ouverture de cœur, il laissait percer, sous quelques apparences de sensibilité nerveuse, le fond d’une nature sèche, timide et dure à la fois. Il n’avait pour affections que des habitudes. »

Le 16 lévrier 1723, Louis, qui avait été sacré à Reims le 25 octobre précédent, fut déclaré majeur. Philippe déposa son titre de régent ; mais il conserva la réalité du pouvoir, avec l’indigne Dubois pour principal ministre. Tous deux, comme on le sait, moururent à peu de mois de distance dans le courant de la même année. Le vieux Fleury fit alors désigner pour premier ministre le duc de Bourbon, homme nul, qui se laissait gouverner par une femme intrigante, la marquise de Prie. Cette période fut comme une nouvelle régence, qui même eut son Law dans un ennemi de Law, le financier Pâris-Duverney, lequel, avec ses trois frères, renouvela en sens inverse les mesures violentes et aventureuses par lesquelles le créateur du fameux système avait bouleversé les intérêts économiques.

Cette administration fut cependant marquée par quelques mesures utiles : l’abolition de la coutume d’affermer les prisons ; la suppression de l’oligarchie municipale créée par Louis XIV et l’élection rendue aux villes (quelques années plus tard, Fleury rétablit les municipalités héréditaires) ; l’entreprise du canal de Saint-Quentin ; enfin l’interdiction de couper les futaies (précaution contre la dilapidation des forêts de l’État).

Mais les ordonnances draconiennes contre les mendiants, la peine de mort édictée contre le vol domestique, la remise en vigueur des lois impitoyables de Louis XIV contre les protestants, de mauvaises mesures sur les monnaies, l’établissement de nouveaux impôts, la disette, etc., portèrent au comble l’impopularité du premier ministre et de ses auxiliaires.

Philippe d’Orléans avait fiancé le jeune roi à la fille de Philippe V, roi d’Espagne. Le duc de Bourbon fit renvoyer l’infante (qui d’ailleurs n’avait que six ans) sans un mot d’excuse, au risque d’allumer la guerre entre les deux cours. Il espérait faire agréer sa propre sœur, Mlle de Vermandois ; mais n’ayant pu y réussir, il choisit Marie Leczinska, fille de l’ex-roi de Pologne Stanislas (1725). Cette union consacrait les sympathies de la France pour un peuple généreux et infortuné, et, bien que l’on ne pût prévoir alors qu’elle nous donnerait la Lorraine, la nation l’accueillit avec faveur. La reine avait sept ans de plus que son époux, qui la traita pendant plusieurs années avec autant de sécheresse que d’humiliante indifférence.

Cependant, dès son entrée au pouvoir, le duc de Bourbon avait engagé une lutte sourde contre Fleury qui, maître de l’esprit du roi, avait en réalité plus de pouvoir que le premier ministre. En juin 1726, il fit chasser le duc, la de Prie et Duverney, et prit décidément la direction des affaires. Il avait alors 73 ans. Peu de temps après, il parvint à se faire donner le chapeau de cardinal, En plein dix-huitième siècle, suivant la remarque de M. Michelet, le clergé avait reconquis ce qu’il avait eu par deux lois au siècle précédent : la royauté du prêtre,

Fleury se hâta de donner satisfaction au clergé (qui avait été menacé précédemment de l’impôt du cinquantième), en faisant proclamer de nouveau la franchise absolue des biens ecclésiastiques, le droit sacré de l’Église à ne payer aucune espèce de taxe. Le nouveau ministre s’efforça d’ailleurs d’établir une économie rigoureuse dans l’administration du royaume ; mais par son ignorance des matières économiques et financières, par ses concessions énormes aux fermiers généraux, il contribua à fonder les puissantes dynasties financières qui ont dévoré la France pendant un demi-siècle. En somme, son administration peut être caractérisée ainsi : point de réformes, point d’innovations ; abandonner autant que possible les choses à leur libre cours ; et pour les affaires extérieures, apporter un soin attentif à éviter toute occasion de guerre. Les circonstances, d’ailleurs, le favorisèrent alors bien plus sûrement que ses combinaisons, à peu près nulles. Il se borna à s’enchaîner à la politique anglaise et aux tout-puissants Walpole, qui voulaient à ce moment la paix.

À l’intérieur, ce gouvernement de prêtres, doucereusement implacable, continuait la persécution contre les protestants et les jansénistes. Mais l’affranchissement se préparait. Voltaire grandissait en talent et en autorité, et au-dessus du despotisme de toutes les sectes il allait établir le grand principe humanitaire de la tolérance mutuelle, la liberté philosophique et religieuse.

Cependant le roi, qui a vingt ans, qui déjà est époux et père, est absolument nul dans le gouvernement de l’État. Espèce d’idole orientale, en apparence adoré, mais en réalité plus dominé, plus assujetti que le dernier de ses serviteurs, confiné dons l’ombre malsaine de ses appartements, il semble un de ces rois fainéants de la décadence mérovingienne, bien mieux, un de ces princes tondus des révolutions franques. D’ailleurs, c’est une des misères, une des originalités honteuses du règne, qu’on pourrait faire l’histoire du temps, pour ainsi dire, sans parler du roi, qui n’est qu’un brillant accessoire, un rouage de luxe dont le repos ou l’activité ne change rien au jeu de la machine monarchique.

Tristement sec et froid, dépravé dès l’enfance par des habitudes et des fréquentations suspectes, peut-être même par des vices infâmes, il n’avait d’ailleurs nul sentiment, nulle passion chaleureuse et sincère. Il s’était rapproché de la reine, mais sans lui témoigner aucune tendresse. D’Argenson dit librement dans ses mémoires : « Il lui fit sept enfants sans lui dire un mot. »

En 1732 commencèrent ses débordements publics, cette vie de minotaure qui, de plus en plus, donna à sa physionomie un caractère asiatique et purement animal. On lui acheta successivement quelques maîtresses obscures, en même temps qu’il s’accoutumait aux excès de table et de boisson. Enfin, il prit une maîtresse en titre, richement entretenue, Mme de Mailly, puis les sœurs de celle-ci, les demoiselles de Nesle, qui sans aucun scrupule partagèrent la couche du roi en exploitant ses vices.

Malgré son désir d’éviter la guerre, Fleury fut cependant entraîné à soutenir les prétentions de Stanislas sur la Pologne (1733-1735). Mais il n’accorda à ce prince que des secours insuffisants. Toutefois, s’il refusa d’aventurer nos armées dans une expédition lointaine pour replacer le beau-père du roi sur le trône, il lui fit donner du moins la souveraineté viagère de la Lorraine, à la suite d’une courte campagne sur le Rhin et en Italie, terminée par le traité de Vienne (3 octobre 1735). Ce traité stipulait le retour de la Lorraine à la France, à la mort de Stanislas ; mais cet avantage fut dû surtout à l’énergique persistance de notre ministre des affaires étrangères, Chauvelin. Fleury (on le sait par les pièces récemment publiées) n’eût rien exigé et même eût tout sacrifié pour obtenir la paix. Il nous donna la Lorraine malgré lui, car pendant les négociations il entravait ses propres agents par les trames de sa diplomatie secrète, et se montrait disposé à faire les plus lâches concessions à l’empire, comme l’occupation de la Lorraine par une armée impériale.

En 1741, il se trouva engagé dans la guerre de la succession d’Autriche, guerre folle et injuste. Au mépris de la foi jurée, une armée française pénétra en Bohême pour disputer à Marie-Thérèse la possession de son héritage et soutenir les prétentions de l’électeur de Bavière à la couronne impériale. Les débuts de la campagne furent heureux ; mais l’Autriche s’étant renforcée de l’Angleterre et nous ayant, du même coup, isolés de la Prusse, notre alliée, en lui cédant la Silésie, le maréchal de Belle-Isle dut évacuer Prague et se replier en toute hâte (décembre 1742). Le cardinal de Fleury mourut au milieu de ces revers, .dus en partie à ses incertitudes ; n’ayant pas le courage de résister à l’humeur belliqueuse de la cour, il compromettait le succès des entreprises en marchandant sur les moyens.

Après la mort du cardinal, le roi réitéra la déclaration de gouverner par lui-même, qu’il avait déjà faite à l’avènement même de Fleury. Ces déclarations étaient sans conséquence. Toutefois, il n’y eut plus de premier ministre en titre. Mais Louis XV étant absolument incapable de gouverner, même de régner, il en résulta une sorte d’anarchie gouvernementale, chacun des ministres étant à peu près souverain dans son département et inspirant à l’automate couronné des résolutions contradictoires. C’est ainsi qu’en 1743 Maurepas lui dicta le traité avec Philippe V, connu sous le nom de pacte de famille, et par lequel les Bourbons de France et d’Espagne s’engageaient à une indissoluble union. D’un autre côté, sous l’influence de Noailles, d’autres négociations furent entamées avec divers princes protestants allemands, pendant qu’à l’instigation de l’indigne cardinal de Tencin une expédition était dirigée contre l’Angleterre pour y rétablir le prétendant et le parti papiste. Pour augmenter la confusion, il faut ajouter que dans le même temps on traitait avec l’empire et Frédéric II, menant ainsi presque de front un plan protestant, l’alliance avec la Prusse, et un plan catholique, la restauration des Stuarts. L’expédition d’Angleterre, aussi follement dirigée qu’elle était mal conçue, échoua misérablement.

Poussé, dit-on, par une de ses maîtresses, la duchesse de Châteauroux, le roi se mit à la tête de l’armée destinée à continuer dans les Pays-Bas la lutte contre l’Autriche (1744). Cette expédition fut une promenade rapide et brillante au travers des villes ouvertes ou peu défendues ; conquête facile, car, sous la menace d’une descente française dans leur île, les Anglais avaient précédemment détaché leurs troupes de l’armée des Pays-Bas.

Une guerre plus sérieuse se présentait sur le Rhin. Mal couverte par Coigny, cette frontière était envahie, et bientôt les Autrichiens s’avançaient en Alsace et en Lorraine. Stanislas en danger s’enfuit de Lunéville. Louis XV se porta de ce côté avec l’armée de Flandre. Mais arrivé à Metz avec ses maîtresses, Mme de Châteauroux et sa sœur de Lauraguais, il tomba gravement malade à la suite d’excès de table, aggravés, dit-on, d’un coup de soleil (août 1744). Une fièvre putride se déclara. La France, à cette nouvelle, devint comme éperdue de douleur ; la vieille idolâtrie monarchique se réveilla, avivée surtout par la terreur de l’invasion. Il y eut alors une réaction contre les maîtresses, qui reçurent l’ordre de se retirer à cinquante lieues de la Cour. Louis se rétablit pourtant, sauvé par un remède violent que lui administra un empirique. La joie du peuple fut aussi violente que l’avait été sa douleur. Un poète de carrefour, Vadé, le chantre des poissardes, s’avisa de surnommer le roi Louis le Bien-Aimé. Le public adopta ce surnom sans trop s’inquiéter de l’origine, qui d’ailleurs était bien digne du sujet.

Après son rétablissement, Louis passa en Alsace. La cour de Vienne avait rappelé son armée pour résister à Frédéric, qui préparait en notre faveur une puissante diversion en Bohême. Noailles et Coigny, très-supérieurs en forces, eussent pu changer cette retraite en désastre ; mais ils laissèrent passer l’ennemi, que le roi commit ensuite la faute de ne pas suivre en Allemagne pour le mettre entre Français et Prussiens et chercher ainsi à terminer la guerre par un coup décisif. Sans s’inquiéter de son allié Frédéric, que Marie-Thérèse put accabler, Louis s’en tint à une petite affaire, la prise de Fribourg. Puis il revint, et, libre désormais des terreurs de la mort, il rappela la Châteauroux, qui lui imposa l’exil de ceux qui l’avaient éloignée, mais ne jouit pas longtemps de son triomphe et mourut presque aussitôt. Il restait une cinquième sœur de Nesle, que le duc de Richelieu tenta de pousser comme les autres dans l’alcôve royale, mais qui refusa. Beaucoup de dames de la cour se mirent sur les rangs pour le honteux service ; mais ce fut une petite bourgeoise qui triompha, Jeanne Poisson, mariée au neveu d’un fermier général, Lenormant d’Etioles. Après les intrigues les plus laborieuses, elle parvint à se jeter dans les bras du roi. Plutôt gracieuse que belle, elle avait vingt-trois ans, quatre ans de mariage, deux enfants, et fit d’abord peu d’impression. Cette édifiante mère de famille conquit son influence à force d’art, comme elle avait conquis la faveur de se prostituer. Peu de temps après, reconnue officiellement comme maîtresse (c’était comme une fonction d’État), l’habile grisette avait un train somptueux et était créée marquise de Pompadour (mai 1645).

Bientôt c’est elle qui va gouverner ; l’ère des ministres femelles va s’ouvrir.

Cependant la guerre de la succession d’Autriche continuait. Louis partit pour la Flandre, quand, de l’avis des plus judicieux, il eût fallu agir en Allemagne. Mais la guerre était ainsi plus commode, plus à portée de Versailles et promettait des succès plus faciles. Le maréchal de Saxe, qui avait reçu le commandement en chef, quoique hydropique et fort souffrant, livra la bataille de Fontenoy, qui fut gagnée malgré les fautes commises (11 mai 1745). Le roi, à qui revint officiellement l’honneur de la journée, était placé hors du danger, dans un moulin, couvert par les 6,000 hommes de sa maison, par une nombreuse artillerie, avec un pont sur l’Escaut pour se retirer en cas d’échec. Il ne prit aucune part à l’action, et même il paraît qu’il en fut très-fâcheusement impressionné. Les combattants l’appelaient ironiquement entre eux Louis du Moulin. Au moment le plus critique, il fallut toute une négociation fort délicate pour en obtenir qu’il se dessaisit de ses canons et des 6,000 hommes qui gardaient sa personne sacrée.

Pendant qu’il revenait triompher à Paris, Maurice complétait sa victoire par la prise de Gand, de Bruges, d’Oudenarde et d’autres villes. Ces succès se rattachaient si peu utilement à l’ensemble de la guerre et servaient si peu Frédéric, qu’il dit : « Autant vaudraient des batailles au bord du Scamandre ou bien la prise de Pékin. »

Cotte guerre de la succession d’Autriche, mêlée de succès et de revers, finit par le traité déplorable d’Aix-la-Chapelle, par lequel nous cédions nos conquêtes dans les Pays-Bas pour le douteux avantage de la cession de Parme et de Plaisance à un Bourbon, l’infant don Philippe d’Espagne (18 octobre 1745).

Mme de Pompadour, dont nous n’avons pas à retracer ici la vie, au milieu de l’éclat de sa fortune, vit baisser par degrés son ascendant comme maîtresse du roi ; mais elle assura sa domination par les ressources de son esprit, par l’art avec lequel elle savait distraire le plus ennuyé des hommes, par ses fêtes, ses spectacles, etc. Elle se transforma en amie nécessaire, en conseillère de tous les instants, eu premier ministre de fait. Mais elle affermit bien mieux encore son empire en se faisant la pourvoyeuse des débauches de Louis, dont la dépravation croissante ne s’accordait que trop bien avec les vues de la favorite. Dans l’abjection où il était tombé, il appartenait à qui donnait satisfaction à ses vices. Les débauches ordinaires ne suffisaient plus à ses sens blasés, s’il ne flétrissait l’innocence. Son valet de chambre, le fameux-Lebel, alimentait également sa lubricité en achetant, en faisant enlever même des jeunes filles et jusqu’à des enfants, de pauvres créatures de douze ans. Les preuves de ces faits sont partout, jusque dans Mme Campan, qui raconte notamment l’histoire d’une demoiselle de Romans, dont le père était chevalier de Saint-Louis, et que ses indignes parents vendirent à douze ou treize ans. Elle devint mère d’un enfant, qui fut l’abbé de Bourbon. Les grands seigneurs, les princes, les fermiers généraux imitaient le roi dans ses viles séductions et ses lâches violences, ’ assurés de l’impunité, pourvu qu’ils recrutassent leurs victimes dans les familles pauvres et sans appui. Ces horreurs ne pouvaient rester longtemps secrètes ; le cri des mères les dénonçait assez. Dans les razzias de petits vagabonds qu’on faisait pour le Mississipi, opération déjà si arbitraire et si cruelle, les policiers et les sergents enlevaient pèle-mêle des enfants de bourgeois et d’artisans. C’était devenu un commerce très-lucratif. L’imagination populaire s’exalta et reprit les vieilles histoires de lèpre guérie par des bains de sang, etc. Le Bien-Aimé était devenu un objet d’horreur pour Je peuple. Il y eut de violentes émeutes à Paris en 1750, à propos d’enlèvement d’enfants. Des archers furent assommés, des gens du peuple tués, d’autres pendus. Dans un de ces mouvements, la foule parla d’aller brûler Versailles. La cour tremblait, quoique entourée de forces considérables. On mit des gardes au pont de Sèvres et au défilé de Meudon. Le roi évita désormais de traverser Paris quand il allait à Compiègne ; rasant la ville, il passait par la route qu’on a nommée depuis chemin de la Révolte.

Louis avait d’abord logé ses obscures maîtresses et ses victimes dans les combles de Versailles, ou dans l’ermitage de Mme de Pompadour. Plus tard on chercha un lieu plus discret. Les petites maisons étaient à la mode ; tous les grands et les riches avaient la leur dans les faubourgs et banlieues ; c’étaient de& lieux de rendez-vous et de débauche. Le roi en eut une dans l’avenue de Saint-Cloud. Plus tard (1756), il fit acheter dans un coin obscur du quartier du Parc-aux-Cerfs de Versailles (aujourd’hui quartier Saint-Louis, rue Saint-Médéric) une maison fort retirée pour y loger ce qu’un historien appelle sa ménagerie féminine. Ce fut ce fameux Parc-aux-Cerfs qui devint un immense sérail dans l’imagination populaire. En réalité, les victimes de la lubricité royale n’y purent jamais être en bien grand nombre, mais elles se renouvelaient, elles se succédaient. Louis XV, au milieu de ce troupeau, mêlait aux abjections du libertinage les pratiques de la bigoterie, enseignant à ses instruments de débauche les prières du matin et du soir, les catéchisant, les moralisant, et faisant alterner les instructions religieuses et le chapelet avec les pratiques de sa dégoûtante lubricité. Ce trait ne rappelle-t-il pas les momeries de Henri III ?

Parfois, aux nuits d’hiver, on lui amenait ce pauvre bétail humain dans son palais de Versailles ; une fois, entre autres, une malheureuse petite fille qui n’était pas suffisamment endoctrinée et qui faillit mourir d’horreur et d’effroi (février 1756). « Le roi, dit M. Michelet en esquissant cette scène odieuse, le roi avait 47 ans. Ses excès de vin, de mangeaille, lui avaient fait un teint de plomb. La bouche crapuleuse dénonçait plus que le vice, le goût du vil. L’argot des petites canailles, qu’il aimait à parler, il le portait chez ses filles, si fières, leur donnant en cette langue des sobriquets étranges (Loque ou petit chiffon, Coche, etc.). On peut juger par là des égards qu’il avait pour des enfants vendus. Il n’était pas cruel, mais mortellement