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caractériser d’une manière générale le xviie et le xviiie siècle. Ces deux cycles de la pensée moderne s’expliquent l’un par l’autre. Dans le premier, c’est l’autorité souveraine, et en littérature, en philosophie, la. force contenue, le respect des croyances et des traditions. Dans le second, qui continue le précédent, sur plusieurs points, négation passionnée, en morale surtout, tiayle est l’ancêtre direct du xvimo siècle. Le mouvement de cette révolution intellectuelle se termine par une révolution sociale ; il commence par le doute méthodique. Fontenelle, Voltaire, Rousseau, Montesquieu, Buffon, Diderot, d’Alembert, tels sont les grands noms que le xvnie siècle peut opposer aux gloires intellectuelles du siècle de Louis XIV. M. Villemain étudie les causes, la portée de cette bataille tumultueuse, les systèmes, les œuvres, les mœurs, les hommes ; il passe tantôt en Angleterre, tantôt en Italie ; il compare le génie étranger au génie français ; il va des philosophes aux historiens, et des poëteS aux orateurs. Il s’arrête, avec Mirabeau, au seuil de la Révolution française, qui donne un dénoûment et un sens à l’histoire du xvuie siècle et à l’histoire de France. M. Villemain, qui constate les faits en historien et qui les juge en moraliste et en critique, formule une conclusion favorable sur l’œuvre et le rôle du siècle de Voltaire.

« Chacun, dans cette lecture, dit M. Sainte-Beuve, peut apprécier la marche du critique, le procédé savant des tableaux, la nouveauté expressive des figures, cette théorie éparse, dissimulée, qui est à la fois nulle part et partout, se retrouvant de préférence dans des faits vivants, dans des rapprochements inattendus, et comme en-action ; cette lumière enfin distribuée par une multitude d’aperçus et pénétrant tout ce qu’elle touche… L’originalité de M. Villemain dans sa critique pro—fessée, ce qui lui constitue une grande place inconnue avunt lui et impossible depuis a tout autre, c’est de n’avoir pas été un critique de détail, d’application textuelle de quatre ou cinq principes de goût à l’examen des chefsd’œuvre, un simple praticien éclairé, comme Laharpe l’a été à merveille dans les belles parties de son cours ; c’est de n’avoir pas été non plus un historien littéraire, à proprement parler, et dans ce vaste pays mal défriché, dont on ne connaissait bien alors que quelques grandes.capitales et leurs alentours, de ne s’être pas choisi un sujet circonscrit, tel ou tel siècle antérieur… M. Villemain, nourri de l’histoire, de l’antiquité et des littératures modernes, de plus en plus attentif à n’asseoir son jugement des œuvres que dans une étude approfondie de l’époque.et de la vie de l’auteur, et en cela si différent des critiques précédents qui s’en tiennent à un portrait général au plus, et à des jugements de goût et de diction, ne diffère pas inoins des autres appliqués et ingénieux savants ; sa manière est libre en effet, littéraire, oratoire, non asservie à l’investigation minutieuse et à la série des faits, plus à la merci de l’émotion et de l’éloquence. L’histoire, chez lui, prête sa lumière à l’imagination, le précepte se fond dans la peinture. »

Littérature française depuis ses origines jusqu’en 1389, par M. Géruzez (Paris, 1852, in-SÇ), C’est un des meilleurs livres de l’auteur. Un des grands mérites de cet ouvrage, c’est d’être complet et proportionné. Depuis les origines de la langue elle-même jusqu’au terme que l’historien s’est marqué, on trouverait difficilement, soit une grave lacune, soit un hors-d’œuvre. L’auteur s’est proposé d’éclairer successivement toutes les époques, de montrer l’origine de tous les genres, leurs phases, leurs progrès, de mettre en relief toutes les figures intéressantes et toutes les œuvres qui ont eu quelque influence. Il ne dédaigne pas les époques barbares, retrace le mouvement intellectuel du moyen âge, et rattache le développement de la poésie au mouvement social. Les temps modernes et le xvue siècle ont ses préférences, mais un grand esprit d’équité règne dans toute cette Mistoire de la littérature française.

Eloigné de l’admiration exclusive et hautaine de M. Nisard pour les grands génies, de son mépris affecté pour les oubliés, il étudie, comprend et fait, valoir les écrivains de deuxième ou de troisième ordre, et plus d’une fois trouve dans leurs écrits, sans craindre d’amoindrir Corneille, Molière ou Massillon, l’occasion de restituer ù des auteurs trop pauvres pour être ainsi volés des mots, des traita, des passages entiers que l’erreur populaire semblait avoir démarqués à tout jamais.

M. Géruzez a essayé de continuer son travail par une Histoire de la littérature pendant la Révolution (1859). L’entreprise était utile et éminemment intéressante ; mais nous ne croyons pas que le tempérament littéraire de M, Géruzez suffise à une pareille tâche. Pour juger des orateurs, des poêles, des publicistes comme Mirabeau, Barnave, Saint-Just, Chénier, Cam’lle Desmoulins, figures sévères dans lesquelles le côté littéraire n’est qu’un aspect secondaire du génie politique, il faudrait plus de souffle, plus de passion que n’en possède M. Géruzez. L’Histoire littéraire de la Révolution ne saurait être l’œuvre d’un érudit sage, correct et froid.

Littérature française de * » 8 » • ISf © (TA LITT

BLEAC HISTORIQUE DE L’ÉTAT ET DES PROGRÈS

de la), par Marie-Joseph Chénier (1810, in-8°). Ce travail avait été commandé par Napoléon à l’Académie française : Chénier en fut chargé par ses collègues, et il écrivit à cette occasion le plus remarquable de ses ouvrages.

Nul littérateur n’était mieux préparé par ses goûts de bibliophile, par ses vastes lectures et par la merveilleuse promptitude de sa mémoire, à remplir la tâche imposée. Nul aussi, en raison de ses inimitiés politiques et de ses ressentiments d’auteur et de poëte, outragé et calomnié jusqu’à l’infamie par ceux dont il devait se constituer le juge, ne pouvait entreprendre le travail demandé avec plus de répugnance. S’armant de courage et de générosité, Chénier imposa silence a ses rancunes et fit taire la haine. Son Tableau est un exposé méthodique ; il comprend les douze sections suivantes : Grammaire, Art de penser, Analyse de l’entendement : — Morale, Politique et Législation ; — Rhétorique et Critique littéraire ; — Art oratoire ; —Histoire ; — Romans ; — Poésie épique, traductions et imitations ; — Poésie didactique ;

— Poésie lyrique ; — Tragédie ; — Comédie ;

— Drame. Un appendice, qui est un rapport à part sur le meilleur ouvrage de littérature digne du grand prix, présente une critique judicieuse du Lycée, de Laharpe.

L’historien critique, prenant les choses de haut, trace un aperçu rapide des progrès faits jusqu’à lui en chaque genre, puis il passe & l’iippreciation, en général sommaire, des ouvrages classés dans ce groupe. Par littérature, Chénier entend toutes les productions écrites de la pensée, celles du moins que le goût et le style caractérisent. Pauvre en œuvres de premier ordre, la littérature de la Révolution et de l’Empire est extrêmement riche en œuvres estimables.

« L’auteur, dit M. Théry, pour éviter de trop longs développements, tomba quelquefois dans l’excès contraire, et fait passer sous nos yeux avec une extrême rapidité des tableaux qui laissent des impressions trop fugitives. Mais peut-être était-ce là une condition nécessaire du sujet qu’il avait choisi. Le nombre des ouvrages, souvent le genre de ces ouvrages même, qui, au défaut d’un examen Spécial et approfondi, ne voulaient qu’être indiqués, de peur qu’on ne prît la mesure de l’analyse pour la mesure de leur mérite, déterminèrent la marche qu’il crut devoir adopter. Il en résulte que, par un singulier contraste, le Tableau de la littérature paraît substantiel dans la forme, parce que Chénier y conserve toujours ce sérieux, cette énergie, et, pour le dire encore, cette solennité qu’il a portés dans ses poésies, tandis que le fond de l’ouvrage est assez superficiel. Un éloge qu’il faut s’empresser de donner à l’auteur, parce qu’il avait besoin pour le mériter de s’affranchir de. beaucoup de préjugés, et de contredire même beaucoup de jugements que lui avaient inspirés auparavant ses injustes dégoûts, c’est qu’il fait preuve, dans son examen des auteurs contemporains, d’une assez grande impartialité. »

S’il manque à l’ouvrage de Chénier la largeur de vues de l’esthétique allemande, on ne peut du moins lui contester la justesse des aperçus, un goût sûr, de vastes connaissances, la maturité du talent. ■ C’est la plume d’un mourant, dit Ch. Labitte, qui a tracé ! e Tableau : cette plume pourtant ne tremble point, elle n’est, devant la mort, que plus terme et plus sûre d’elle-même… Ici, Chénier atteint du premier coup dans la prose ces mêmes qualités élégantes et fermes qu’il avait laborieusement conquises dans ses vers. » Le Tableau de la littérature, qui assure à Chénier un rang distingué parmi les critiques et les prosateurs, fut désavoué par l’Académie française en 1816, comme n exprimant que les idées de l’auteur 1

Littérature française sous Im Restauration

(histoire de la), par M. Alfred Nettement (Paris, 1852). L’auteur a parfaitement compris son sujet ; de plus, les qualités d’écrivain ne lui font pas défaut. Il semblerait donc que, dans des conditions si favorables, il a dû produire une œuvre excellente ; en bien, non, tant s’en faut, et en voici la raison. M. Nettement ne s’est pas contenté d’introduire la politique dans la littérature, comme son sujet le comportait, il a eu le tort de la prendre exclusivement pour guide dans ses appréciations. Une histoire littéraire doit être impartiale ; M. Nettement a fait de la sienne une œuvre de passion et de parti, et par conséquent une œuvre souverainement injuste. S’il ne dit pas ouvertement :

Nul n’aura de l’esprit hors nous et nos amis, on voit trop qu’il n’est pas éloigné de le penser. En présence des deux courants d’opinion agissant en sens inverse, l’un remontant impétueusement vers un passé lointain, l’autre pressé de se précipiter vers l’avenir comme vers une terre promise, M. Nettement a cédé docilement à l’impulsion du premier. Le beau mouvement ne curiosité savante, de critique et da poésie, qui ranima l’esprit français, cause presque de la peine à M. Nettement, parce qu’il y découvre de nombreuses traces d’esprit révolutionnaire et de progrès démocratique. Aussi se montret-il injuste envers les chefs de ce mouvement, Courier, Béranger, Victor Hugo, Benjamin Constant, Mérimée, Jouffroy, Rétnusat, Vitet, Sainte-Beuve, Duvergier de Hauranne,

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Ampère, Damiron et Dubois, dont il restreint la gloire ou même qu’il passe sous silence. La seule excuse qu’on puisse invoquer en sa faveur, c’est qu’aveuglé par l’esprit de système et de parti il est de bonne foi dans les erreurs qu’il commet.

M. Nettement, deux ans après, fit paraître une Histoire de la littérature française sous la royauté de Juillet. Conçue dans le même esprit que l’ouvrage précédent, elle est susceptible de3 mêmes appréciations.

Littérature française contemporaine (Paris, 1839-1855, 8 vol. in-8<>), ouvrage commencé par Quérard, continué parMM.Maury, Louandre et Bourquelot (Paris, 1839-181-4). Au second volume, Quérard, s’étant vu dans l’impossiblité de remplir les engagements contractés avec son éditeur, fut dépossédé de son entreprise et, de plus, condamné à des dommages-intérêts.

11 faut bien reconnaître que l’ouvrage de Quérard a de graves et nombreux délauts, notamment la poursuite exagérée des détails oiseux, des anecdotes qui n’ont que le mérite stérile d’être piquantes, et même pas toujours. Il n’en est pas moins vrai que dans l’ouvrage de Quérard les renseignements utiles se trouvent, bien que noyés dans trop de fadaises. L’érudition de l’auteur ne saurait être contestée ; son goût et sa critique seulement laissent à désirer. Le travail de ses continuateurs est, à cet égard, plus sage et plus mesuré. Quérard, il est vrai, n’était pas tenu de reconnaître la supériorité de ses rivaux ; mais il devait se dispenser d’écrire contre eux un pamphlet de mauvais goût, intitulé Omissions et bévues, etc. (1848, in-8°). La justesse de certaines critiques ne saurait en justifier l’amertume, surtout si le lecteur peut les attribuer au dépit d’un amour-propre froissé.

Littérature française depuis ses origines jusqu’en « 830 (HISTOIRE DE LA), par M. Demoyeot (Paris, 1853). « Pour bien comprendre l’histoire de la nation française, dit Heeren, il est essentiel de la considérer comme issue de la race celtique. C’est ainsi seulement qu’on peut s’expliquer son caractère si différent de celui des Allemands, caractère qui, malgré les divers mélanges qu’eut à subir la nation celtique, est demeuré tel encore chez les Français que nous le trouvons dessiné dans César. • M. Demogeot applique cette remarque à l’histoire de notre littérature et ? établit-directement sa filiation à partir des Celtes qui, d’après Diodore de Sicile, aiment une chose presque autant que bien combattre, c’est finement parler. « Entre la société antique qui se meurt avec l’empire romain, dit-il, et le monde moderne qui se constitue au moyen âge, il y a six siècles de laborieuse préparation, pendant lesquels toutes les forces vivantes qui doivent produire une civilisation nouvelle s’agitent en désordre et comme dans un vaste chaos. Cette époque, stérile en apparence, n’en renferme pas moins les germes féconds de l’avenir. Nous devons donc reconnaître et saisir dans leur manifestation littéraire ces influences diverses dont la combinaison nous a faits ce que nous sommes. Les principales sont les traditions de la Grèce et de Rome, les enseignements du christianisme et les mœurs apportées par l’invasion germanique. Mais sous cas courants étrangers, qui s’uniront bientôt en un grand fleuve, est le sol même qui se creuse pour les.contenir, je veux dire la race primitive, antérieure à la double conquête romaine et germanique, à la double civilisation hellénique et chrétienne et dont le caractère persévérera sous tant de modifications diverses. » Parti de ce point de vue, il est facile de prévoir que M. Demogeot soignera le côté de l’érudition de préférence au côté critique. Les premiers siècles de notre littérature sont, en effet, pour lui une mine de découvertes inépuisable et, ce riche filon rencontré, on comprend qu’il n’en abandonnera l’exploitation que lorsqu’il pensera qu’il ne reste plus rien de bon à extraire. De là un énorme défaut dans la composition de son ouvrage, le manque de proportion. Le moyen âge en remplit plus de la moitié, et lorsque nous avons parcouru quatre cents pages pour arriver au siècle de Louis XIV, nous avons droit d’être surpris de passer en deux cent soixante pages seulement lu revue des écrivains français de Corneille à Alexandre Dumas. Nous aurions préféré moins de détails sur le Cycle français du xifl siècle et les poésies carlovingiennes et des appréciations plus solides sur l’époque contemporaine. On serait tenté de croire que » M. Demogeot avait d’abord commencé une étude sur les premiers temps de notre littérature jusqu’au xvi » siècle, puis que, son travail à peu près terminé, il lui a pris fantaisie de le pousser jusqu’à nos jours. Le plan de l’édifice étant changé, les pièces de raccord ne sont plus en rapport avec les fondements et le premier étage ; à l’architecture massive ont succédé de légères colonnades. Ce vice de construction est d’autant plus fâcheux que c’est la partie la plus intéressante qui a été sacrifiée, et que, si l’ouvrage de M. Demogeot peut faire le charme des érudits, il ne remplit pas son but et ne saurait passer pour un cours de littérature à l’usage du public. Néanmoins, disons-le vite pour ne pas être injuste, c’est le mérite de la première partie de son livre qui nous autorise à être sévère envers la seconde ; c’est le voisinage qui

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écrase cette dernière ; si elle eût paru seule, peut-être ne lui aurions-nous distribué que des éloges. Elle se recommande, en effet, par de grandes qualités, de la conscience, de la justice et de la justesse, une grande indépendance de jugement et une sorte de libéralisme littéraire assez rare dans un membre de l’Université. Le style même se rapprocherait assez de la grande écoli’. si M. Demogeot n’avait trop souvent essayé de fondre aveu les siens les jugement* de ses devanciers les plus autorisés, ce qui ôte l’unité il sa diction et fait de certains passages une sorte de mosaïque plutôt qu’une œuvre personnelle. Nous l’en blâmons d’autant plus que, là où il est entièrement lui-même, il se produit avec bien plus d’avantage. Ainsi nous aimons à le voir ne pas sacrifier le xix<= siècle au xvnc, comme il est de tradition classique de le faire, et reconnaître que c’est une époque littéraire remarquable que celle qui a produit les Victor Hugo, les Lamartine, les Musset et les Béranger pour la poésie ; les Michelet, les Quinet, les Mignet, les Augustin Thierry et les Thiers pour l’histoire, sans parler de bon nombre d’illustrations non moins distinguées dans tous les genres, dans les sciences, par exemple les Cuvier et les Arago.

Littérature française (HISTOIRE DE LA.), par

M.’D. Nisard (Paris, 1844, 4 vol. in-8<>). A proprement parler, le livre de M. Nisard n’est pas une histoire, c’est une suite d’études critiques sur les œuvres principales de notre littérature.

M. Nisard oublie volontairement toutes les œuvres de second ordre ; il s’arrête de parti pris au siècle de Pascal, de Boileau, de Bossuet ; ou s’il entre dans le siècle de Voltaire, de Montesquieu, de Rousseau, il dissimule mal son dédain pour cette littérature dégénérée. Nous n’avons pas besoin de dire combien nous trouvons outré ce mépris des écrivains du dernier siècle. La poésie classique était morte alors, mais la prose française n’a guère connu de plus beau temps.

De plus, M. Nisard semble n’avoir point connu, ou du moins a négligé d’indiquer les sources de notre littérature. Après l’influence latine et l’influence grecque, nous avons subi tour à tour l’influence italienne, l’influence espagnole, l’influence anglaise ; aujourd’hui, on ressent l’influence allemande, et quelque peu l’influence orientale. Ces fait3 n’ont pas frappé M. Nisard.

Enfin, autre défaut non moins sérieux, M. Nisard ne reconnaît que les talents qui ont reçu une sorte de consécration officielle. Nous n’ignorons pas ce qu’il y a d’outré dans la manie qui sévit en ce moment de refaire les réputations ; d’exhumer les écrivains justement oubliés ; de ressusciter les morts qui sont fort bien dans la fosse ; mais le parti pris de M. Nisard est plus nangereux encore. Défenseur assermenté dô la tradition, il ne donne une place qu’aux-hommes de gènje et n’enregistre ques les œuvres durables, c’est-à-dire consacrées par une admiration légendaire.

Il fait de la critique conservatrice, comme il l’appelle lui-même. C’est une très-grave erreur : la littérature vit de liberté, et non de règles et de traditions, et si le mot n’était trop fort, nous trouverions M. Nisard outrecuidant d’avoir voulu soumettre la république des lettres à la dictature du sabre.

Cela dit, il ne nous eu coûte rien do reconnaître que M. Nisard est un juge fort

compétent quand il s’enferme dans le cercle d’études qu’il a voulu se tracer à lui-même. Il comprend bien, cela n’est pas douteux, ses auteurs favoris. Son étude d’Athalie est un modèle d’interprétation esthétique. Et puis, par une contradiction heureuse, l’auteur, en arrivant au terme de sa carrière, so croit obligé de rendre justice à quelques-uns de ses contemporains. Ses jugements elogieux contredisent toutes les doctrines du livre. Les principes sont méconnus par lo législateur, mais en paraissent d’autant plus sincères. Nous le remercions d’avoir afnché sans honte son admiration pour A. de Musset et George Sand, et nous louons sincèrement l’effort que l’auteur a dû faire pour ouvrir à ces profanes le saint des saints.

Littérature indépendante (la), par M. Victor Fournel (1862, in-18). L’auteur range dans la littérature indépendante les écrivains qui se sont dérobés au grand courant clnssique du XVil° siècle, ceux qui n’ont pas subi l’influence officielle et triomphante, la discipline, la correction, l’unité imposées par Malherbe et Bojleau d’un côté, de l’autre par Richelieu et Louis XIV. Le terme ainsi entendu s’applique donc non-seulement ù des auteurs d un ordre secondaire, comme Saint-Amant, Cyrano de Bergerac, Scarron, Dassoucy, mais même à des talents de premier ordre comme Saint-Simon.

Le chapitre le plus intéressant et— le plus curieux est consacré à la bohème littéraire du xvno siècle. On y voit un trio de figures littéraires aussi semblables dans leur diversité que diverses dans leur ressemblance. C’est d’abord Théophile de Viau, le poète libertin, le philosophe de cabaret ; Saint-Amant, le boute-en-train des rouyes trognes et des francs buveurs, l’Homère du melon, du petit-salé et de la crevaillei enfin l’épicurien Chapelle, bon fainéant du Alarais.

On voit que M. V. Fournel a repris la plupart des noms qui figurent dans la galerie de