Page:Larousse - Grand dictionnaire universel du XIXe siècle - Tome 10, part. 1, L-Leo.djvu/84

Cette page n’a pas encore été corrigée

80

LAÎÏ)

Leurs feuilles blessent souvent la mainqui les manie sans précaution, et coupent même les chaussures des passants ; à plus forts raison produisent-elles le même effet sur le palais et la bouche des bestiaux ; de là le nom d’herbes coupantes, qu’elles portent dans beaucoup de localités. Les vaches, néanmoins, mangent volontiers la plupart des laiehes et en recherchent même quelques-unes ; mais les chevaux n’y touchent que lorsqu’on les y a habitués ou qu’ils sont pressés par la faim. Elles sont nuisibles pour les moutons. En général, à l’exception de quelques espèces dont la fane est plus Âne, elles fournissent un fourrage peu nourrissant, peu savoureux et très-dur, surtout quand elles ont passé fleur, et plus encore quand elles sont sèches ; on désigne souvent ces herbes sous le nom de bâche. Dans les marais et les lieux inondés, où elles dominent, on ne les coupe guère que pour en faire do la litière et grossir la masse des engrais ; quand, par hasard, elles envahissent les prairies basses, un cultivateur éclairé et soigneux doit les détruire en les arrachant, soit à la pioche, soit à la charrue.

Toutefois, sous d’autres rapports, les laiehes rendent quelques services à l’agriculture. Leurs racines traçantes, libreuses et entrelacées fixent les sables des dunes contre les vents, et les terres des rivières contre l’action des eaux. Elles sont un des puissants moyens que la nature emploie pour tonner la tourbe ; comme elles résistent longtemps, ainsi que les feuilles, à la décomposition, elles produisent ce qu’on nomme la tourbe fibreuse.Elles contribuent aussi à exhausser et à raffermir le sol des marais et à préparer sa mise en valeur par la culture. Les grandes espèces servent k confectionner des nattes ou des tissus grossiers. Les tiges et les rhizomes de quelques autres sont susceptibles de diverses applications médicinales ou économiques.

Jetons maintenant un coup d’œil sur les espèces les plus importantes. La laiche des sables croit dans les lieux sablonneux, au bord de la mer et dans l’intérieur des terres. C’est une de celles que l’on emploie avec le plus d’avantage pour fixer les terrains mouvants. Sa racine, ou plutôt son rhizome, qui est de la grosseur d’une plume à écrire, a une saveur et une odeur légèrement aromatiques, assez analogues à celles de la salsepareille, dont il possède les propriétés à un faible degré ; aussi a-t-on proposé do l’employer comme succédané de cette dernière, qu’il a même servi quelquefois à sophistiquer. On l’emploie encore comme sudoriûque. Ces propriétés se retrouvent, du reste, dans quelques espèces voisines.

La laiche jaunâtre ou queue-de-renard est une grande espèce qui croit abondamment dans les marais et le long des cours d’eau ; elle possède aussi à un très-haut degré la propriété d’élever et de fixer le sol. On mange ses jeunes pousses en salade, et les oiseaux se nourrissent de ses graines. Ses tiges servent à faire des liens. Elle est assez élégante, quand elle est en fleur ou en fruit, pour orner les bords des eaux dans les jardins paysagers. On la fauche pour en faire de la litière et la convertir en un engrais, excellent, comme celui de la plupart de se3 congénères, pour les terres argileuses et compactes.

La laiche vésicaire croit dans les lieux humides. Les Lapons fabriquent, avec ses feuilles séchées, des chaussures qui les préservent du froid et des engelures pendant l’hiver, et absorbent la sueur dans les grandes chaleurs de l’été. On les emploie aussi pour empailler les chaises et pour garnir les bouteilles de verre.

La laiche précoce croît dans les bois sablonneux et fleurit au premier printemps. Les bestiaux la recherchent beaucoup, et elle est pour eux une ressource à une époque où il y a peu d’herbes nouvelles. La laiche en gazon est également fort goûtée des vaches, surtout quand elle est jeune ; les autres animaux la mangent aussi ; elle croît dans les marais tourbeux. On peut en dire autant de la laiche panicée et surtout de la laiche faux souchet, une-des plus belles espèces, qui atteint la hauteur d un mètre et figure très - bien dans les jardins paysagers.

La laiche hérissée et la laiche dioïque croissent dans les prés humides et tourbeux ; elles fournissent un médiocre fourrage, auquel les bestiaux ne touchent pus volontiers, si ce n’est au printemps. La laiche limoneuse est une des meilleures pour convertir en prairies les marais tourbeux,

LAIC111NGEN, bourg du Wurtemberg, cercle du Danube, bailliage et à 15 kilom. N.-E. de Munsingen ; 2,040 hàb. Fabrication très-active et commerce de toiles.

LAÏCISME s. m. (la-i-si-sme — rad. laïc). Hist, relig. Doctrine de certains théologiens anglais du XVIe siècle, qui attribuaient aux laïques le gouvernement de l’Église.


LAÏCITÉ s. f. (la-i-si-té — rad. laïc). Caractère de ce qui est laïque, d’une personne laïque : La laïcité de l'enseignement. Il fut un temps où la laïcité était comme une note d’infamie.

LAÏCOCÉPHALE adj. (la-io-sê-fa-le — de laïque, et du gr. kephalè, tête). Se dit d’un système religieux dont le chef suprême est laïque : L Église laïcocéphale d’Angleterre. •i Peu usité.

laid, LAIDE adj. Ce, lè-de — du gerraa LAIÎ)

nique ladh, mal. tort, préjudice, offense, peine, chagrin, et, comme adjectif, odieux ; ancien haut allemand leid, tort, préjudice, offense, et, comme adjectif, fâcheux, désagréable, leidagon, faire du mal, porter tort, inquiéter, chagriner, leidasian, censurer, blâmer, condamner ; allemand leid, tort, mal, etc. ; ancien Scandinave leidhr. Peutêtre toutes ces formes se rattachent-elles au même radical que le latin l&dere, nuire. Dans le vieux français, laid s’employait comme substantif avec le sens de mal, tort, préjudice, offense, outrage, injure, affront, qu’il avait primitivement dans le germanique. Comme adjectif, laid, lait signifia d’abord, chez nos vieux auteurs, qui fait du mal, qui porte tort, préjudiciable, nuisible, pernicieux, détestable, désastreux, funeste, fatal, fâcheux, odieux, à qui on a fait du mal). Qui est ma) fait, désagréable k la vue : Homme laid. Femme laide. Une laide construction. Une laide tournure. Une i.awe ville. Une femme laide ajustée en parait encore plus laide. (St-Evrem.) Ouillerdgue disait hier que Petlisson abusait de la permission qu’ont les hommes d’être laids. (Mme (Je Sév.) Les femmes n’estiment guère que les femmes laides. (Mme C. Bachi.) Une jolie femme doit avoir de la vertu, une femme laide peut s’en passer. (A. d’Houdetot.) Un acteur fort laid jouait le rôle de Mithridate dans la pièce de ce nom ; au moment où Maxime lui dit.* « Seigneur, vous changez de visage, » un plaisant du parterre cria : « Laissez-le faire ! i

— Fig. Qui déplaît comme contraire au devoir, a la bienséance, aux bonnes mœurs : Il est bien laid de manquer à sa parole, à ses engagements. Ce que vous avez fait là est três-

LAID.

— Loc. fam. Laid à faire peur, Laid comme le péché, comme le péché mortel, Laid comme un démon, Laid comme une chenille, Extrêmementiaid. il Laidmagot, laide guenon, Homme, femme d’une laideur repoussante.

— Prov. Il n’y a poiut de laides amours, On trouve toujours belle la personne qu’on aime.

— Substantiv. Personne laide ■ Fit le laid. Fi ! la laide. (Acad.) Si une laide se fait aimer, ce ne peut être qu’éperdument. (LaBruy.) Une femme, quand elle est jolie, est mieux coiffée pour un écu qu’une laide pour mille pistoles. (Volt.) Une laide impérieuse et qui veut plaire est un pauvre qui commande qu on lui fasse la charité. (Chamfort.)

— S. m. Ce qui est laid : Le laid est un élément nouveau en littérature. La satiété du beau nous fait aimer et préférer le laid. (Acad.)

— Syn. Laid, affreux, difforme, btdoux, horrible. V. AFFREUX.

— Encycl. Esthét. Les traités d’esthétique se bornent ordinairement & donner le laid comme le contraire du beau ; Platon, Aristote, Baumgarten, le P. André et Diderot lui-même n’ont guère trouvé autre chose à dire. Ce n’est que de nos jours, après Hegel, qu’on a conçu la naturo comme un système logique, et que, distinguant des antinomies nécessaires, on a abordé le problème do l’art sous sa double face, le laid et le beau. Un disciple hégélien, M. Véra, a montré le rôle du laid dans une œuvre d’art, et il a analysé à ce point de vue les conceptions de Shakspeare. Ce que nous applaudissons surtout dans cette théorie, c’est qu’elle était destinée à réagir contre cet inepte aphorisme, émis par Boileau, que lo laid pouvait concourir, comme le beau, à la réalisation d’une œuvre d’art, mais qu’il fallait l’enjoliver, l’embellir :

11 n’est point da serpent ni de monstre odieux Qui par l’art embelli ne puisse plaire aux yeux.

Le laid n’a de valeur propre que corame le second terme d’un dualisme qui se rencontre à chaque pas dans la nature ; si vous le transformez, vous lui enlevez sa raison d’être dans l’art, puisque des deux termes vous n’en faites plus qu’un.

L’art religieux, en Grèce, réagissant contre les laideurs ambiantes, a voulu imposer le beau comme un dogme ; cet art prophétique croyait avoir trouvé raccord immuable de l’idée et de la forme et réalisé la perfection. Mais l’fnde, l’Égypte, l’Assyrie donnèrent une place, dans leurs conceptions monstrueuses, aux- deux termes de ce dualisme qu’ils apercevaient, sans s’en rendre compte esthétiquement, et placèrent le laid en face du beau, le difforme en face du parfait, pour obéir à cette loi mystérieuse qui fait que l’homme reproduit ce qu’il voit et ce qu’il sent. Il est probable que Shakspeare, quoique doué d’un esprit éminemment analytique, a obéi à la même loi, comme les statuaires du moyen âge, qui aimaient mieux sculpter ces monstrueuses gargouilles, ces têtes horribles de chimères, ces grotesques grimaçants des vieilles cathédrales, que reproduire à l’infini des types convenus. L’art moderne, dans la poésie comme dans la peinture, a fait l’esthétique du laid et l’a admis de parti pris dans ses œuvres, comme ces grands génies inconnus lui avaient fait place d’une façon inconsciente. C’était un retour savant aux idées primitives et naïves ; c’est là le côté contestable de la théorie dans son application ; car on est toujours poussé à exagérer un principe longtemps méconnu, que l’on veut faire prévaloir. De là les notes discordantes jetées

Laid

parfois par V. Hugo dans ses œuvres les plus admirables, par Vacquérie dans son Tragaldabas, par Courbet dans son Enterrement d’Ornans, ses Baigneuses, son Casseur de pierres et son Mendiant. Mais Courbet avait déjà des ancêtres dans deniers, dans Rembrandt, comme Hugo et, Vacquérie dans

Shakspeare ; ils n’ont fait que forcer le ton. Eu face du beau do Raphaël, le grand peintre hollandais, qui a soulevé, de son temps, de si vives colères, s’était épris de toutes les laideurs grouillantes du quartier des Juifs d’Amsterdam, et, de ce point de départ, il en était arrivé à concentrer ses efforts sur deux points : le jeu do la lumière et de l’ombre, l’antagonisme de la laideur et de la beauté.

La théorie du laid, pressentie par les artistes inconnus de l’Égypte et de l’Inde, par Shakspeare et par Rembrandt, énoncée par Hegel, mise en pratique par V. Hugo et Courbet, apparaît donc maintenant revêtue d’un caractère scientifique indiscutable. Le point de départ est le fait, qui, en art, s’appelle réalité ; le but, c’est de faire comprendre le beau par réaction, en prenant l’occasion dans le réel. Mais un génie puissant, doublé d’un esprit philosophique, aura seul la perception de ce qui est laid, par les complications et les banalités qui n’ont que l’apparence de la laideur.

Laid (esthétique du), par Charles Rosenkranz, professeur à Kœnigsberg, l’un des plus célèbres disciples de Hegel (1S53). Dans cette étude, le spirituel philosophe a fort habilement distingué le laid comme un élément esthétique très-fréquent dans l’art comme dans la littérature. Il le signale dans une série de silhouettes littéraires très-finement découpées, et à la tête desquelles nous trouvons le fantastique prosateur Hoffmann à côté de Victor Hugo et d’Eugène Sue. Le grand mérite de M. Rosenkranz, c’est d’éviter, dans ses œuvres philosophiques, les sécheresses de l’abstraction pure, pour prendre part au mouvement littéraire général et se tenir toujours au courant des nouvelles manifestations, de la pensée. C’est ce qui ressort de son fameux livre sur l’Esthétique du laid, où il a tout particulièrement caractérisé les libertés d’imagination de l’école romantique.

LAIDASSE s. f. (lè-da-se — rad.’ laid). Fam. Femme très-laide : Une grosse laidasse.

LAIDE s. f. (lè-de). Ane. coût. Droit levé sur les marchandises vendues dans les marchés, dans les foires.

LAIDEMENT adv. (lè-de-man — rad. laid). D’une manière laide, déshonnête : Il a battu laidement sa femme.

LAIDERON s. f. (lè-de-ron — rad. laid). Jeune fille, jeune femme laide : Je vous avertis que iW’o Corneille est une laideron extrêmement piquante. (Volt.) || S’emploie quelquefois au masculin : Un laideron, il On trouve également laidron.

LAIDET (Joseph-Guillaume-Fortuné de), général et député français, né à Sisteron en 1780, mort en 1854. Il partit comme volontaire en 1802, fit les campagnes de l’Empire, devint colonel en 1823, député des Basses-Alpes en 1827, et vota avec l’opposition. Nommé maréchal de camp après la révolu^ tion de juillet 1830, il se signala dans l’enlèvement des barricades du cloître Saint-Merri (juin 1832). Deux ans plus tard, il fut réélu député, et il siégea depuis ce moment sur les bancs de la gauche. Il devint questeur de la Chambre en 183B, lieutenant général en 1S40, et fut mis à la retraite en 1815. Après les événements de 1848, les électeurs des Basses-Alpes l’envoyèrent siéger à l’Assemblée constituante et à l’Assemblée législative. Laidet se prononça avec vigueur contre lo gouvernement présidentiel, et fut un des représentants proscrits le 2 décembre 1851.

Rentré six mois après, il vécut depuis dans la retraite.

LAIDEUR s. f. (lè-deur — rad. laid). Défaut de ce qui est laid  : Il y a des laideurs qui ne sont pas désagréables. (Acad.) La laideur et la beauté dépendent du caprice et de l’ijpag’ination des hommes. (Nicole.) La prudence ne cache ni l’âge ni la laideur. (La Bruy.) La laipeur est la meilleure gardienne d’une jeune fille, après sa vertu. (Mm<s de Genlis.) La laideur est une douleur qu’une femme conserve toute sa vie. (Balz.) L’or, même à la laideur, donne un teint de beauté ; Mais tout devient affreux avec la pauvreté.

Boileau.

L’attention, la goût, les soins, la propreté Donnent a la laideur les droits de la beauté.

Voltaibb.

La grâce, la beauté ne sont que d’un printemps ; La laideur est solide et croit avec le temps !

E. Auoieb.

— Fig. Défaut de ce qui déplaît comme contraire à l’honnêteté, aux bonnes mœurs : La laideur d’une action. La laidiîur de l’âme nait souvent des conséquences de la laideur du visage. (E. Sue.) L’indigence ajoute également à la laideur du vice et à la beauté de la vertu. (Petit-Senn.)

— Encycl. Un des personnages de la comédie de Phi liberté, d’Emile Augier, demande :

Qu’entend-on par laideur ? Qu’entend-on par beauté î

LAÎD

Et son interlocuteur lui répond !

Je ne me pique pas d’être Un dictionnaire,

Et j’entends ces deux mots dans leur sons ordinaire.

Leur sens ordinaire 1 C’est sortir d’embarras facilement. Mais nous, qui sommes un dictionnaire, force nous est bien de répondre d’une façon plus précise. Dire que, étant donnée la beauté, la laideur est le contraire, c’est absolument ne rien dire, car il resterait toujours à définir cette chose indéfinissable, la beauté. L’irrégularité des traits, le manque d’expression, la difformité des membres constituent des éléments de laideur chez les êtres animés ; mais l’ensemble d’une physionomie peut être affreusement laid sans qu’il, soit possible de déterminer quelle est la partie défectueuse. C’est m cela que la laideur peut, jusqu’à un certain point, être affaire de convention ; l’obésité, qui, pour nous, est difforme, est recherchée comme une grâce par les Orientaux. Contentons-nous donc, sans trop approfondir ce sujet, de montrer ce qu’est la laideur dans ses manifestations, puisque nous ne pouvons guère décider quelle est son essence. Ici, la tache devient moins ardue, car le laid, le commun et lo trivial c’est ce que nous voyons tous les jours ; la beauté, même imparfaite, n’est qu une rare exception, et le beau idéal n’existe que dans les rêves des artistes.

Quand on prononce les mots de laideur et de beauté, on éveille aussitôt l’idée de la laideur et de la beauté chez la femme. La femme a, en effet, été créée pour plaire, et on ne peut lui faire une plus cruelle injure qu’en lui disant qu’elle est laido. On vint rapporter un jour au duc de Roquelaure que deux dames de la cour avaient pris querelle et s’étaient accablées d’injures. « Se sont-elles appelées laides ? dit le duc. — Non, monseigneur.

— Eh bien, je me charge de les réconcilier. »

Et d’abord, y a-t-il des femmes laides ? On pourrait presque répondre que non. Il n’y a de laide que la femme qui ne sait pas plaire, et le nombre en est bien petit. « Il n’y a pas de belles prisons ni de laides amours, » dit un vieux proverbe français, et, comme le fait remarquer Eliante, dans le misanthrope : L’amour, pour l’ordinaire, est peu fait a ces lois, Et l’on voit les amants vanter toujours leur choix ; Jamais leur passion n’y voit rien de blâmable, Et, dans l’objet aimé, tout leur devient aimable. Ils comptent les défauts pour des perfections Et savent y donner de favorables noms. La pâle est au jasmin en blancheur comparable ; La noire à faire peur, une brune adorable ; La maigre a de la taille et de la liberté ; La grasse est dans son port pleine do majesté ; La malpropre, sur soi de peu d’attraits chargée, Est mise sous le nom de beauté négligée ; La géante paraît une déesse aux yeux ; La naine, un abrégé des merveilles des cieux. Cet artifice des amants n’est pas nouveau, et les vers suivants. ; de l’anthologie semblent avoir inspiré ceux de Molière : « Ma maîtresse est noire, mais le charbon aussi est noir, et quand il est enflammé il a la couleur de la rose ; elle est maigre, je sentirai mon cœur plus près du sien. » Il y a même plus, c’est que ce sont les femmes laides qui savent le mieux plaire et qui souvent excitent les plus fortes passions, parce qu’elles s’en donnent la peine. Une belle femme se laisse adorer, et rebute souvent, par ses caprices, l’amant lo plus tendre et le plus patient. Au contraire, il n’est pas de peines qu une femme vieille ou laide ne se donne pour faire naître l’amour et pour le conserver une fois acquis. D’ailleurs, l’expression étant la première condition de la beauté, une figure, quelque tourmentée qu’elle soit, ne paraîtra jamais laide si elle exprime soit l’esprit, soit la bonté.

En Chine, en Turquie, dans tout l’Orient en général, la laideur féminine a moins d’importance que chez nous. Dans ces pays, les mariages se traitent par intermédiaire, et le mari lève pour la première fois le voile qui couvre le visage de sa future lorsque la cérémonie est terminée et que tout est devenu irrémédiable. S’il tombe sur une femme par trop laide, il en est quitte pour en prendre une autre, ou pour divorcer avec celle-là en payant sa dot, si ses moyens le lui permettent. D’ailleurs, il y a une compensation qu’il ne fautpas oublier : personne autre que lui ne verra sa femme, personne ne saura qu’elle est laide, et son amour-propre est intact. Voici une anecdote arabe que nos galants vieux et laids, qui cherchent de jeunes et jolies femmes, feraient bien de méditer. Un cheik âgé, laid et à barbe blanche, rencontra un jour uno femme dont la tournure et la démarche, bien qu’elle fût entièrement voilée, attirèrent son attention. ■ Qui que tu sois, lui dit-il ; si tu n’es pas mariée, je t’épouse en te donnant la dot que tu voudras, et si tu es mariée, que Dieu bénisse ta famille et ton mari à cause de toi. — Je ne suis pas mariée, lui dit-elle ; mais je suis laide, mes cheveux sont tout blancs, et je pense que cela ne vous conviendra pas. — Assurément, » reprit le vieil Arabe sans balancer. Et il la quitta d’un pas pressé. Quand il fut un peu plus loin, la femme ainsi abandonnée le rappela et lui dit à l’oreille : « Je n’ai pas encore vingt ans, mes traits sont beaux et mes cheveux noirs comme l’aile du corbeau ; mais j’ai voulu vous montrer ainsi <jue je n’aimais pas non plus ce que voua n auuoz pas vous-même. »