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ne prit-il aucune précaution, et se vit-il accuser de complicité après l’événement. Cependant sa bonne foi était trop évidente pour qu’on donnât suite à cette affaire. Au retour de Varennes il fut, par décret de l’Assemblée, chargé de la garde particulière de la famille royale, et, quelques jours après, appelé, avec Bailly, à réprimer par la force les pétitionnaires du Champ de Mars. V. massacres du champ de Mars.

Cette malheureuse affaire le classa définitivement comme l’un des chefs et comme l’épée du parti feuillant. Dans l’Assemblée, il avait voté généralement en ce sens, c’est-à-dire pour une partie des réformes, mais aussi pour les deux chambres, les lois répressives, le maintien de la royauté (après Varennes), etc. Ses fonctions de commandant général expiraient naturellement avec la période révolutionnaire ; après la mise en vigueur de la constitution, il remit ses pouvoirs entre les mains de la Commune, etfut désigné, en 1792, par le pouvoir exécutif, pour commander l’une des divisions de l’armée du Nord. Il prit part à quelques-unes des premières opérations ; mais bientôt, engagé comme il l’était, depuis quelque temps, dans la politique réactionnaire du parti constitutionnel, travaillé par les influences de classe et de famille, dépité de voir la Révolution grandir et dépasser les limites que lui-même s’était fixées, il s’associa aux déclamations contre les « jacobins », et commit l’imprudence d’écrire, de son camp de Maubeuge (16 juin), une lettre véhémente à l’Assemblée nationale, dans laquelle il dénonçait les « factieux », les ennemis du trône, etc. Il ne s’en tint pas là : quelques jours plus ; tard, il quitta brusquement son armée et se présenta à la barre de l’Assemblée législative pour demander la punition des auteurs du 20 juin, la répression des jacobins, etc., bref, tout le programme de la coterie feuillantine. Le caractère comminatoire que cette démarche empruntait à la position de son auteur, qui commandait une armée, excita une grande indignation. On savait qu’en outre La Fayette avait écrit au roi pour l’engager à persister dans son refus de sanctionner les décrets. À la suite de la séance, il se présenta aux Tuileries, mais fut reçu plus que froidement. Punition méritée ! Les constitutionnels s’offraient à la cour, reniaient la Révolution pour la monarchie, et la faction les repoussait avec mépris, ne voulant pas être sauvée par eux ! La Fayette était venu à Paris non-seulement pour parler, mais pour agir ; il paraît certain que le plan était de soulever la garde nationale, de fermer les Jacobins, d’exercer une pression sur l’Assemblée, enfin de pousser la contre-révolution aussi loin que l’eût permis l’événement. Mais ce vain projet de réaction constitutionnelle et bourgeoise ne put même avoir un commencement d’exécution, et le général quitta Paris, avec l’amer dépit de voir que son règne était passé et son influence à peu près éteinte. En partant, il lança une dernière menace à ses adversaires, sous la forme d’une nouvelle lettre à l’Assemblée. Les épithètes de César, de Cromwell lui furent appliquées au milieu des murmures d’indignation, et le soir on brûla son effigie au Palais-Royal.

Il entama alors une négociation pour décider le roi à se retirer à Compiègne, où il viendrait le couvrir avec son armée ; mais la reine fit rejeter cette ouverture avec mépris.

Dénoncé, attaqué de toutes parts, il fut enfin l’objet d’une demande de mise en accusation déposée par Collot d’Herbois ; un reste de prestige la fit écarter par l’Assemblée (8 août). Deux jours plus tard, le trône était renversé. Malgré le danger de la patrie, en présence de l’ennemi, qui commençait à déboucher vers la Moselle, La Fayette songea à la résistance ; il entraîna la municipalité de Sedan et quelques autres administrations, fit arrêter des commissaires de l’Assemblée, adressa à son armée une proclamation violente, et se disposa à marcher sur Paris. Destitué et frappé d’un décret d’accusation, en proie à de cruelles incertitudes, au moment de tourner ses armes contre la patrie, il finit par se déterminer à passer la frontière avec quelques-uns de ses aides de camp, tomba dans un avant-poste autrichien, et fut retenu comme prisonnier, ainsi que ses compagnons, Bureaux de Pusy, Latour-Maubourg, etc. Accablé de mauvais traitements, il fut d’abord emprisonné à Wesel, puis à Magdebourg, à Neiss, enfin dans la forteresse d’Olmutz, en Moravie (mai 1794).

Sa longue et cruelle captivité, qu’il supporta avec autant de constance que de dignité, n’a pas été inutile à sa mémoire ; tous les soupçons de trahison ont dû s’évanouir devant de pareilles souffrances et d’aussi odieuses persécutions, qui ont intéressé la France et l’Europe au sort de l’illustre victime et fait oublier aux patriotes quelques défaillances et quelques fautes politiques. Par le tableau des vengeances exercées par l’absolutisme sur le défenseur de la monarchie constitutionnelle (à laquelle il avait sacrifié jusqu’à sa popularité), on peut juger quelles effroyables réactions attendaient la France révolutionnaire si elle eût été vaincue.

Mme  de La Fayette, après d’actives démarches, avait obtenu, en 1795, l’autorisation de venir s’enfermer avec ses deux filles dans la forteresse d’Olmutz, auprès de son mari. Le sort des prisonniers excitait de vives sympathies dans le monde entier ; bien des voix s’élevèrent en leur faveur ; les consuls américains en Europe se multipliaient en efforts persévérants pour améliorer leur position ; Fox et d’autres hommes politiques de l’Angleterre firent entendre d’éloquentes protestations. Mais ce qui devait surtout hâter leur délivrance, c’étaient les victoires de la République sur les Autrichiens.

On a fait honneur à Bonaparte de cette libération. La vérité est que le général Hoche fut le premier qui la réclama dans ses rapports avec l’ennemi. Le Directoire et les conseils firent suivre des négociations à ce sujet, et, le 1er août 1797, Carnot, au nom du gouvernement, envoya des ordres très-pressants à Bonaparte, qui dut faire de la mise en liberté de La Fayette une des clauses du traité de Campo-Formio ; mais il dénatura ses instructions en spécifiant, par une note de sa main, que le général ne pourrait rentrer en France. (V. les Mémoires de La Fayette.)

Les prisonniers furent mis en liberté le 19 septembre 1797. La Fayette se fixa dans le Holstein, où il séjourna deux années. À la première nouvelle du 18 brumaire, il accourut en France ; Bonaparte apprit son arrivée à Paris avec un mécontentement qu’il ne prit pas la peine de dissimuler. Toutefois, il n’osa pas s’attaquer à cette renommée ; La Fayette ne fut pas inquiété. Il avait d’ailleurs une admiration réelle pour l’heureux général, et, avec sa facilité à se nourrir d’illusions, il le crut un moment disposé à établir la liberté en France. Jusqu’au consulat à vie, il entretint d’assez bons rapports avec lui ; mais il refusa le titre de sénateur et ne voulut accepter aucune fonction. Malgré ses inclinations personnelles pour le nouveau maître de la France, il ne pouvait lui pardonner le régime arbitraire qu’il faisait peser sur le pays. Retiré à La Grange (Seine-et-Marne), il s’occupa surtout d’exploitation agricole, sans cependant cesser de s’intéresser à la marche des affaires. Le sénatus-consulte du 4 août 1802, qui proclamait le consulat à vie et qui supprimait définitivement la liberté, consomma la rupture complète de La Fayette et de Napoléon. À partir de ce moment, en effet, aucune illusion n’était plus possible, c’était le despotisme pur qui se rétablissait chez nous.

En 1808, le grand patriote eut la douleur de perdre sa digne épouse, qui l’avait suivi dans les cachots d’Olmutz et soutenu dans toutes les phases de sa vie. Sa correspondance intime porte le témoignage de la souffrance dont il fut accablé. Désormais, il ne lui restait pour consolation, dans sa solitude, que l’espoir de voir renaître la liberté, espoir qui ne l’abandonna jamais, même dans les plus mauvais jours de l’Empire.

Lors de l’invasion de 1814, il essaya, avec son fils Georges et son gendre Lasteyrie, de rallier des forces pour couvrir Paris, s’offrit pour commander un bataillon de la garde nationale, s’adressa aux fonctionnaires, aux maréchaux, etc., mais ne rencontra partout qu’inertie et découragement. Néanmoins, comme le vieux constitutionnel reparaissait toujours en lui, il accueillit les Bourbons avec quelque espoir, et parut aux audiences des Tuileries. Pendant les Cent-Jours, il fut nommé, par le département de Seine-et-Marne, membre de la Chambre des représentants, qui le choisit pour un de ses vice-présidents. Cette assemblée, calomniée par les écrivains impérialistes, contrasta avec les Corps législatifs de l’Empire, dont la servilité est restée tristement célèbre. Elle montra autant d’indépendance que de patriotisme, et résista à Napoléon, qui, après Waterloo, voulait ressaisir la dictature, quand il n’était que trop notoire que c’était sa longue et funeste dictature qui avait attiré tant de malheurs sur la patrie, et armé de nouveau le monde entier contre nous. On sait qu’elle imposa l’abdication et prit des mesures pour la défense nationale ; mais déjà il était trop tard, et d’ailleurs la trahison était partout, triste fruit d’un long régime de servitude et d’avilissement de la dignité humaine ! La Fayette, qui avait joué le rôle le plus actif dans cette courte législature, et qui demandait à grands cris la proclamation du danger de la patrie et la levée en masse, fut écarté par une intrigue du gouvernement provisoire, annihilé par Fouché, qui le fit comprendre dans la députation envoyée aux alliés pour tenter une négociation. Il lui arriva, enfin, ce qui arriva à Carnot et à quelques autres patriotes éminents, qui furent submergés par l’intrigue et la trahison.

La seconde Restauration fut une époque de lutte pour La Fayette. La sanglante réaction royaliste, les saturnales de la terreur blanche le rejetèrent indigné dans le parti de la Révolution. Nommé député de la Sarthe en 1818, le vieux constituant donna l’exemple aux générations nouvelles par ses combats incessants pour la revendication des libertés publiques. Sentant bien, d’ailleurs, qu’il s’agissait d’un combat à mort, il ne s’en tenait pas aux discours et à l’opposition parlementaire, et, pendant toute cette période, il encouragea, il soutint, parfois même il dirigea les généreux complots de la liberté. Toujours prêt à payer de sa personne, il était déjà en route pour l’Alsace, lorsque la conspiration qui devait éclater à Belfort fut découverte.

Lors de l’arrestation de Manuel, La Fayette fut au nombre des soixante-trois députés qui signèrent une protestation contre cette odieuse violation de l’inviolabilité parlementaire et qui s’abstinrent de siéger jusqu’à la fin de la session. Le gouvernement parvint à empêcher sa réélection en 1824. Ce fut alors que, pour répondre aux invitations réitérées des Américains, il s’embarqua (13 juillet) pour aller visiter les États-Unis, qu’il n’avait pas revus depuis quarante ans.

Il fut accueilli comme un des pères de la patrie, et son voyage ne fut qu’une suite d’ovations, une marche triomphale.

Dans les Lettres sur les mœurs et les institutions des États-Unis, publiées en 1828 par James Fenimore Cooper, et que les traducteurs ordinaires du grand romancier américain n’ont pas jugé à propos de traduire, on trouve le récit suivant de l’un des mille incidents de ce mémorable voyage, que Béranger a célébré dans une de ses chansons. C’est la description d’une fête de nuit et d’un bal donnés au général, à New-York, dans les vieilles batteries qui défendirent jadis l’approche de la ville.

Nos lecteurs nous pardonneront cette longue citation, en considération de son intérêt épisodique.

« Lorsque La Fayette fut de retour de son excursion à Boston, les citoyens de New-York résolurent de le fêter collectivement, ce qui avait déjà été fait par bien des corporations. Cette fois, le bal fut donné par souscription, et devait se composer d’un grand nombre de personnes de toutes les classes de la société. Le lieu choisi pour célébrer cette fête fut la forteresse abandonnée, où il avait débarqué en arrivant en Amérique, et qu’on nomme Castle-Garden. Vous l’avez vu et vous vous rappellerez que le fort est élevé sur une île artificielle, à quelques centaines de pas de la promenade qu’on appelle la Batterie. Le fort lui-même est construit d’une pierre d’un rouge brun ; il est presque circulaire, et je pense qu’il doit avoir environ 200 pieds de diamètre. La plus grande partie de cet espace est occupée par la cour du centre, le fort ne consistant qu’en une espèce de batterie couverte, laquelle, après des changements divers, se trouve divisée en un grand nombre de petites cellules ou compartiments. Cette partie est couronnée par une terrasse élevée, qui forme un belvédère. On éleva un mât dans le milieu de cette immense cour, qui fut recouverte d’une vaste tente formée par les voiles d’un vaisseau de guerre. Le faîte de cette tente fut couronné de drapeaux, de manière à donner un grand air d’élégance à cette voûte vue du dehors. L’intérieur était divisé en plusieurs parties : il y avait la grande salle, formée dans l’enceinte de la cour ; l’immense corridor circulaire et voûté, qui formait l’intérieur du fort ; ensuite les gradins, qui se trouvaient être un peu au-dessous du belvédère, supportés par des colonnes ; puis le belvédère lui-même ; le tout recouvert par la tente dont j’ai parlé.

« Cadwallader (le compagnon de l’auteur de la lettre) s’était procuré des billets pour lui et pour moi ; et, à dix heures, nous nous dirigeâmes vers le lieu du rendez-vous. Deux des principales rues de la ville viennent se réunir directement en face de Castle-Garden ; les voitures arrivaient par l’une sur la Batterie ou promenade publique et défilaient par l’autre. On avait élevé temporairement des palissades pour empêcher les cochers de s’écarter de leur direction. Je puis dire que je ne vis jamais une foule dirigée avec plus d’ordre et de facilité ; car il ne faut pas oublier que près de six mille personnes étaient invitées, nombre qu’on voit rarement surpassé dans aucune fête européenne. La tranquillité qui régnait prouve évidemment qu’une force armée n’est pas toujours nécessaire pour maintenir l’ordre. Il y avait bien quelques officiers de police présents ; mais il n’y avait point de gens armés, et pourtant personne n’entreprit de quitter la file. Là, pas de vaines distinctions ; personne ne croyait son honneur intéressé à prendre le pas sur d’autres. Aussi l’expérience me persuade de plus en plus que le moyen le plus simple de mettre fin aux tourments de l’amour-propre,c’est de détruire les usages qui tiennent à la distinction des rangs. Le cœur humain, je le sais, est à peu près le même partout, et l’envie n’est sans doute pas plus inconnue à ces républicains qu’à d’autres peuples ; mais au moins ils ne rendent pas le public confident de leurs prétentions diverses. Celui qui les étalerait apprendrait bientôt que ce n’est que par tolérance qu’on souffre ce qui ressemble à un privilège quelconque, et que, lorsque, par déférence ou tolérance, il vous est accordé, il faut en jouir avec calme et modestie, si l’on ne veut se le voir enlever. Ainsi des rivalités secrètes peuvent exister ; mais elles n’ont rien de choquant et ne paraissent même pas au grand jour. Il en est de même dans les salons (non officiels) de votre capitale (c’est à un Français que la lettre est écrite), où, malgré les titres et les décorations, tous les rangs sont confondus, tant la société est indépendante aujourd’hui des distinctions que le gouvernement établit entre les hommes.

« Nous descendîmes de voiture près du pont qui réunit l’île à la Batterie. Ce passage, qui n’avait été longtemps foulé que par des gens armés et par des roues gémissant sous le poids d’une lourde artillerie, était transformé en une charmante galerie décorée de fleurs, de tapis et de tentures. La lumière y était douce et tempérée, ce qui donnait à cette entrée quelque chose de mystérieux qui était d’un effet charmant. Çà et là on apercevait la mer, et le murmure sourd des vagues formait un contraste agréable avec la musique qu’on entendait au loin. Des bateaux à vapeur arrivaient de toutes parts, et l’on débarquait sur l’étroite terrasse qui entoure la forteresse. Une foule de femmes, élégamment vêtues, se glissaient dans l’ombre et se rendaient vers l’immense porte de la forteresse, d’où jaillissaient des flots de lumière, sorte de phare qui dirigeait nos pas. Vous pensez bien, mon cher Jules, qu’une telle vue devait produire son effet sur une tête aussi faiblement organisée que la mienne. Je m’étais arrêté quelque temps à jouir du charme particulier qu’offrait le premier abord de ce lieu de fête, puis je me plongeai dans le tourbillon. J’ai assisté, vous le savez, à bien des fêtes publiques en Europe ; mais il me semble que je n’en vis jamais une qui présentât un coup d’œil aussi imposant. Je ne sais si l’effet qu’il produisit sur moi était dû à l’heureux contraste du jour mystérieux de la galerie avec l’éclat des lumières de la salle du bal, ou aux dimensions de celle-ci, ou bien encore au démenti donné à mes préjugés européens ; mais il est de fait que je fus très-agréablement surpris. Tout en suivant la foule, j’avais été saisi de la crainte, très-naturelle, de ne trouver, après tout, qu’une cohue de bon ton, au milieu de laquelle il serait impossible de se voir, de s’entendre ou de danser ; enfin, je me préparais à étouffer, à m’ennuyer et à payer le tout par un mal de tête. Mais la foule, qui s’avançait comme un torrent se frayant une route par un étroit passage, n’était plus sentie du moment que l’on avait pénétré dans la salle de réunion. Il y avait peut-être là cinq mille personnes réunies, et, quelque nombreuse que fût cette assemblée, pourtant chacun y semblait à l’aise. Quarante ou cinquante quadrilles étaient formés, des centaines de personnes se promenaient autour des danseurs, tandis que, du haut des gradins du belvédère, des milliers d’autres individus contemplaient cette scène comme du sein des nuages.

« Je vous dirai (bien que des voyageurs accoutumés, comme nous, à de semblables scènes dussent peut-être rougir de l’avouer) que Cadwallader et moi nous fûmes tellement surpris à ce premier aspect, que nous restâmes pendant un temps immobiles, près de la porte d’entrée, à regarder autour de nous et au-dessus de nous. Au reste, nous eûmes la consolation de voir que chacun partageait notre surprise ; mille exclamations échappaient à des lèvres de rose, et, à chaque instant, la foule s’accroissait à l’endroit où nous avions fait une pause, frappée, comme nous, d’admiration et d’étonnement. Nous passâmes ensuite aux observations de détail, afin de nous rendre compte de ce qui servait à former un ensemble si imposant.

À une hauteur de 70 pieds au-dessus de l’enceinte flottaient des drapeaux de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel. L’énorme mât qui supportait ce dôme militaire soutenait aussi un magnifique lustre composé de milliers de candélabres. Là était le foyer de lumière, tandis qu’une quantité innombrable de lampes de couleur répandaient une lumière plus douce sur les parties de la scène qui devaient, d’après la loi des contrastes et du bon goût, être moins éclairées. Directement en face de la porte d’entrée était un escalier double conduisant au belvédère ; au-dessous de l’embranchement de cet escalier s’élevait une estrade de la grandeur d’une chambre moyenne, qui avait été préparée pour le héros de la fête. Elle était décorée de lustres, de sofas et d’une table pour le souper. Les rideaux qui l’entouraient, étaient écartés de manière que chacun pût voir l’intérieur. En face de cet endroit, et directement au-dessus de la porte d’entrée, était l’orchestre.

La Fayette arriva peu de temps après nous. Tout à coup, l’orchestre fit entendre un air national ; toutes les contredanses furent interrompues, et les groupes qui avaient rempli le milieu de la salle formèrent en un instant, comme par une impulsion magique, une haie d’individus dont tous les regards se dirigeaient vers le même objet. Le vieillard passa lentement à travers cette multitude, saluant et étant salué à chaque pas de la manière la plus affectueuse. On aurait cru voir le chef respectable d’une nombreuse famille, qui venait passer une heure au milieu d’elle, et participer à ses innocents divertissements.

Cette assemblée était composée de gens de toutes les classes. Cependant il était difficile de distinguer à quelle classe chacun appartenait, tant chacun semblait à sa place ; point de grossièreté ni de maladresse d’une part ; point de fierté ni d’arrogance de l’autre. Tout était simplicité, harmonie, et le plaisir était général.

Mon ami, qui semblait être connu de tout le monde, était salué à chaque pas par des hommes et des femmes qui me paraissaient appartenir aux classes les plus distinguées.

« Qui est cet homme qui vient de vous saluer ? lui demandai-je. — C’est mon chapelier, et un très-bon chapelier, en vérité. Cet homme, dans l’ordre habituel de la vie, n’a aucune prétention à me voir l’associer à mes amusements, pas plus que moi je n’ai celle d’être associé aux jeux d’enfant d’un fils de