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trer en possession d’une correspondance compromettante, s’empara d’un écrm de diamants

qui lui venait de sa mère, et le donna à Marie Cappelle pour qu’elle en fît de l’argent et en achetât le silence de l’amant congédié. Ce qui est certain, c’est que l’écrin disparut, et que les diamants furent retrouvés plus tard entre les mains de M™o Lafarge. Plainte avait été portée à la police par M. de Léotaud, qui, d’abord, avait soupçonné ses domestiques ; il la retira quand il vit, à n’en jas douter, qu’il fallait chercher le coupable soit dans Marie Cappelle, soit dans sa propre femme, et Mme de Léotaud, après une brouille de quolquer mois, n’en continua pas moins à correspondre avec son ancienne amie, ce qui serait inexplicable si’elle l’avait sue criminelle. Cette première affaire, qui pesa d’un grand poids lors de l’accusation d’empoisonnement, est tout aussi obscure que la seconde.

Vers le milieu de 1839, vint à Paris, pour y chercher femme, M. Pouch-Lafarge, déjà veuf à vingt-huit ans, et possesseur d’une forge au Glundier, dans la Corrèze. Il était assez mal dans ses affaires, réduit aux expédients, forcé de faire fabriquer des billets do complaisance, qui étaient de véritables faux, par un de ses domestiques, Denis Barbier ; il cherchait surtout une dot qui lui permit d’exploiter un brevet d’invention qu’il voulait solliciter. Il s’adressa à M. de Foy, le fameux négociateur en mariages. Mais on ne sait s’il rencontra Marie Cappelle dans les salons de cet industriel. Toujours est-il que l’affaire fut menée rondement ; cinq jours après la présentation, M. Lafarge faisait publier les bans. Il s’était donné comme possesseur d’un château magnifique, et avait estimé le rendement de ses forges à 80,000 francs par an. Le jour même du mariage, les nouveaux époux partirent pour le Glandier. En route, tomme ifs s’étaient arrêtés à Orléans, un premier nuage s’éleva, Mme Lafarge, qui était au bain, ayant "faitdéfendre sa porte par une femme de chambre qu’elle avait emmenée, M. Lafarge s’emporta et laissa percer une brutalité à laquelle s’attendait peu la jeune femme. L’arrivée au Glandier acheva la désillusion ; le château magnifique était une masure dans un désert. Quand cette jeune femme, élevée dans le luxe, se vit au fond de cette province, dans ce manoir délabré, qu’on lui eut montré sa chambre, une grande salle froide et nue, mal garnie de meubles hors d’âge, elle eut un véritable accès de désespoir. Elle voulait s’enfuir ou se tuer. Elle écrivit à son mari, qui ne l’était encore que de nom, paraît-il, que jamais elle né le subirait, qu’elle voulait partir pour l’Orient. Elle le suppliait de garder sa dot, mais de lui rendre sa liberté. Cette lettre, tout à fait folle et telle que pouvait seule la concevoir une imagination romanesque sous le coup du plus cruel désenchantement, amena, entre Mœe Lafarge et son mari, une scène décisive, suivie d’une réconciliation qui fut probablement franche de part et d’autre, et dans laquelle l’accusation n’a voulu voir, de la part de Mme Lafarge, qu’une dissimulation profonde. Sa correspondance avec ses amies de Paris semble dénoter pourtant une certaine franchise ; ses lettres, d’abord tristes, deviennent enjouées, semées de traits spirituels, de croquis de types provinciaux faits sur nature et où l’on distingue la touche fine d’une Parisienne. Elle avait reconnu à son mari, sous sa rudesse un peu grossière et malgré ses ongles « en deuil, « un cœur bon et affectueux pour elle ; ne pouvant défaire ce qui était fait, elle tâchait de s’y accommode*, et s’habituait peu à peu à cette vie pour laquelle elle avait montre d’abord tant de répugnance. Si c’était de la dissimulation, il tant avouer qu’elle était, en effet, profondément hypocrite. À cette époque, les deux époux, qui vivaient en d’excellentes relations, échangèrent des testaments en faveur l’un de l’autre ; l’accusation n’a pu établir si ce fut Mme Lafarge qui en suggéra l’idée. Elle l’a supposé et en a fait une des bases du procès, quoiqu’on ne voie guère ce que Mme Lafarge pouvait y gagner. Ce qui a été prouvé, c’est que sa helle-mère, qui vivait avec eux au Glandier, commit l’indélicatesse de briser le cachet du testament de sa bru pour en connaître les dispositions. À cette époque (fin de novembre 1839), Lafarge partit pour Paris, muni d’une procuration de sa femme pour opérer un emprunt ; il allait prendre un brevet d’invention pour une nouvelle fabrication du fer, et ses négociations financières, jointes aux démarches nécessaires pour l’obtention du brevet, le retinrent tout le moisi de décembre. Son factotum, Denis Barbier, n’était pas parti avec lui, mais avait quitté clandestinement le Glandier et se trouvait également -a Paris. On’sut plus tard que Lafarge lui avait fait fabriquer pour 30)000 francs d’effets, revêtus de signatures de complaisance, que cet habile agent excellait à se procurer, et qu’il les avait négociés. Le 18 décembre, il reçut une lettre de sa mère qui lui annonçait l’envoi d’une caisse de petits ’gâteaux, le priant de les manger à telle heure, en souvenir des hôtes du Glandier ; la’ caisse arriva un peu plus tard, contenant non des petits gâteaux, mais un seul gâteau très-gros. Il fut constaté plus tard que la caisse, fermée au Glandier avec des crochets, se trouvait clouée lorsqu’elle parvint à destination : une substitution évidente avait été faite. Lafarge man LAFA

gea une très-petite partie du gâteau et fut pris immédiatement de coliques terribles. 11 revint mourant au Glandier, quinze jours après (5 janvier 1810), et expira le U du même mois. À son retour, il avait déclaré qu’il rapportait dans sa valise 25,000 francs que lui avait prêtés un notaire de Dijon, sur la procuration de sa femme, et le prêt fut, dans la suite, reconnu véritable ; on ne put retrouver cet argent. D’un autre côté, peu de temps avant la mort de son mari, Mme Lafarge, ayant appris l’histoire des fausses traites, écrivit aux escompteurs pour en répondre sur sa fortune personnelle.

Cette mort rapide et les circonstances singulières qui l’avaient entourée éveillèrent les soupçons de la famille de M. Lafarge ; puis, sur ses dénonciations, ceux de la justice. Le premier médecin qui l’avait soigné n’avait élevé aucun doute, et il avait toujours cru avoir affaire à des coliques nerveuses, auxquelles le malade était sujet. Il n’en fut pas de même d’un second, qui examina un lait de poule confectionné par Mme Lafarge, et qui reconnut à sa surface des traces arsenicales. La mère de M. Lafarge, deux autres parentes qui vivaient au château et la servante déclarèrent avoir vu plusieurs fois Mme Lafarge mêler une poudré blanche aux potions du malade ; elle avait, à trois’reprises différentes, envoyé chercher des quantités considérables d’arsenic chez un pharmacien, pour détruire les rats qui infestaient le Glandier. Or, les restes de la mort aux rats qu’elle avait fait faire ayant été analysés, on n’y trouva pas d’arsenic ; après en avoir reçu un paquet du poids de 64 grammes, interrogée sur ce qu’elle en avait fait, ’elle répondit qu’elle l’avait donné à la servante. Celle-ci confessa que, au lieu de s’en servir, elle l’avait enfoui dans le jardin : on retrouva, en effet, au lieu désigné, le paquet enfoui, mais il contenait de la soude. Ces charges étaient accablantes, d’autant plus qu’en écrivant au pharmacien ou en lui envoyant le factotum de son mari, Denis Barbier, revenu de Paris quelques jours avant son maître, elle ne manquait pas de demander le secret. La famille réclama l’autopsie de M. Lafarge. Les premières expériences, il faut le dire, furent très-mal conduites ; les médecins- de Tulle, chargés de l’analyse, conclurent, dans leur rapport, à la* présence d’une masse considérable d’arsenic dans les intestins ; pour arriver a ce résultat, ils s’étaient contentés de faire bouillir quelques viscères et le tube digestif, et ils en avaient extrait un précipité jaune, floconneux, soluble dans l’ammoniaque, qu’ils avaient considéré comme de nature arsenicale. Consulté sur la valeur de cette analyse, Oriila répondit qu’elle était insuffisante, qu’il aurait fallu réduire en arsenic métallique le précipité obtenu, qui pouvait n’être qu’une matière animale très-commune dans la bile. Tout était à refaire, et la plus grande partie des viscères où l’on devait rencontrer le poison avait été gaspilléf» en pure perte.

Tel était l’état de la cause, lorsque s’ouvrirent, devant la cour d’assises de Tulle (8 septembre 1840), les débats de cette affairé, si bien faite pour surexciter la curiosité par ses obscurités mêmes et par la sympathie presque générale qui entourait l’accusée. Ces débats passionnèrent la France entière et curent du retentissement dans toute l’Europe-, la société se trouva partagée en deux camps, les lafargistes et les antilafargistes, aussi ardents les uns que les autres, et trouvant, soit pour accuser, soit pour défendre, des arguments d’égale valeur ; les intérêts politiques du moment furent mis de côté ; on ne lisait plus les journaux que pour savoir ce qui se passait à Tulle. Depuis-son incarcération, M°>e Lafarge n’avait cessé de protester de son innocence ; le parquet mit a la faire trouver coupable un acharnement inouï j on alla jusqu’à changer l’avocat général qui devait prendre la parole contre elle, comme suspect de sympathie pour l’accusée, et celui qui le remplaça, M. Decous, mit dans ses réquisitoires une ardeur passionnée, bien éloignée du calme que doit toujours montrer la justice.

Comme préface à l’accusation principale, on mit en avant l’affaire des diamants. M. de Léotaud, voyant Mme Lafarge sous le coup d’une accusation capitale, n’avait plus hésité à porter plainte, et alors d’autres révélations s :étaient fait jour. La disparition de quelques objets de prix chez M. Garât, le secrétaire général de la Banque, oncle de l’accusée, disparition jusqu’alors inexpliquée, fut rattachée à celle de l’écrin et parut avoir le même auteur. On ne put rien prouver de ce chef ; <iuant aux diamants, Mme Lafarge, après avoir persisté quelque temps dans un silence qui témoignait contre elle, écrivit à Mme de Léotaud, sur le.conseil de ses défenseurs, unto lettre suppliante, où elle l’exhortait à reconnaître qu’elle lui avait elle-mêmo confié l’écrin pour en disposer en faveur de M. Félix Clavé, l’Espagnol dont il a été question plus haut. La lettre fut portée à sa destinataire par Mo Lachaud, dont cette affaire fut le brillant début ; il s’était adjoint à M* Paille t et à M° Bac commé défenseur de l’accusée. M"16 de Léotaud nia énergiquement avoir donné l’écrin, et déclara que toute cette intrigue avec M. Félix Clavé était une fable imaginée par Mme Lafarge pour se tirer d’affaire ; tout au plus convenait-elle avoir échangé avec ce jeune homme, sur les con LAFA-

seils de sa pernicieuse amie, quelques lettres romanesques ; mais elle ne savait même pas ce qu’était devenu M. Clavé depuis 1836. Cependant, au bruit que firent ces débats, un M. Clavé, officier d’administration en Algérie, se souvint qu’en 1839 il avait reçu, par erreur, une petite boîte adressée à un homonyme ; qu’ayant fait chercher le véritable destinataire, il trouva M. Félix Clavé, alors en Algérie également, et lui remit la boite. Celui-ci lui aurait dit qu’il l’attendait, en effet, et qu’elle lui était adressée par la vicomtesse de Léotaud. Cette révélation était grave ; le parquet ne voulut pas en tenir compte, et ne fit appeler en témoignage ni M. Félix Clavé ni son homonyme. Mme Lafarge resta sous le poids de cette accusation.

Le point capital, pour le procès criminel, était la constatation de la présence de l’arsenic dans le corps du défunt. Les premières expertises étant annulées, d’autres chimistes furent commis pour faire de nouvelles analyses, et ils s’y livraient pendant que l’avocat général prononçait son réquisitoire. Cette t’ois, les expériences furent faites d’après la méthode indiquée par Oriila et à l’aide de l’appareil de Marsh ; le 5 septembre, les médecins présentèrent leur rapport : ils affirmaient n’avoir pas’trouvé une seule trace d’arsenic. L’accusation n’abandonna pas la partie ; l’avocat général déclara qu’il y avait une si énorme contradiction entre les deux expertises, qu’il, fallait les considérer toutes deux comme nulles, et il exigea une troisième analyse. On exhuma les restes du malheureux Lafarge, pour y trouver de nouvelles matières à expériences, et, après une attente de deux jours, le 9 septembre, M. Dupuytren fit connaître ses conclusions : clles’étaientégalement négatives, on ne trouvait d’arsenic nulle part. Cette fois, Mme Lafarge put se croire sauvée ; elle succombait sous le poids de son émotion, et ses défenseurs ne craignirent pas de laisser paraître leur joie. Ils se hâtaient trop de triompher ; la cour ordonna qu’Orfila serait en personne mandé à Tulle et procéderait à une expertise définitive. Mc Paillât put dire avec raison : « Si ces deux expertises avaient été défavorables à l’accusée, lui accorderiez-vous le bénéfice d’une troisième ? » L’issue, du procès était désormais entre les mains d’Orfila. On lui avait adjoint deux autres spécialistes, MM. Devergie et Chevalier ; il prit sur lui de n’amener’que son préparateur ordinaire, M.. Bussy. C’était une irrégularité regrettable. Il arriva le 13 à Tulle, et le lendemain tout était terminé ; l’auditoire était suspendu aux lèvres de l’illustre chimiste, qui laissa tomber ces mots d’une voix funèbre : « Je démontrerai qu’il existe de l’arsenic dans le corps de Lafarge ! » Soumettant trois assiettes de porcelaine aux vapeurs de l’appareil deMarsh, il avaitobtenu sur les deux premières des résultats complètement négatifs, et, sur la troisième, une quantité d arsenic métallique déclarée par lui-même impondérable. Il attribua l’erreur des experts qui l’avaient précédé aux difficultés de manipulation d’un appareil encore peu connu et au peu de matière sur lequel avait porté leur examen.

L’arrêt de Mme Lafarge était prononcé ; le jury, composé de gens qui lui étaient ostensiblement hostiles, admit la culpabililé, modérée par dés circonstances atténuantes. Elle fut condamnée aux travaux forcés à perpétuité, avec exposition sur la place publique de Tulle ; on lui fit grâce de cette partie de la peine. Le jour où fut fait le rapport d’Orfila, ses cheveux avaient blanchi ; pour qu’elle assistât aux plaidoiries éloquentes, mais inutiles de ses défenseurs, on fut obligé de l’apporter dans un fauteuil. Au dernier moment, elle avait fait appeler Raspail, pour combattre le.rapport, présumé délavorable, d’Orfila ; Raspail arriva trop tard, l’arrêt était rendu. Il voulut, du moins, se rendre compte de la manière dont les expériences avaient été.faites ; il obtint de voir les assiettes préparées par Oriila, et déclara que la quantité d arsenic retrouvé ne pouvait être évaluée à plus d’un centième de milligramme ; il se faisait fort, disàit-il, d’en retrouver le double dans n’importe quoi, dans les pieds du fauteuil du président. Il demanda à contrôler les réactifs dont s’était servi Orfila et que le célèbre chimiste avait apportes de Paris. Une préparation défectueuse pouvait, en effet, y avoir introduit cette minime quantité d’arsenic ; on lui refusa ce contrôle. Sans entrer dans la polémique ardente soulevée à ce sujet par Raspail, il semble que la justice, qui faisait condamner l’accusée, après tant d’expériences contradictoires, sur une évaluation aussi faible de poison, n’aurait rien dû refuser à la dCfense. Bien plus, les témoignages de toute la famille Lafarge et do tous les gens du Glandier avaient été accablants pour Taccusée ; la cour ne permit pas de les suspecter. Elle ne voulut regarder ni dans les affaires embarrassées de Lafarge, ni dans les expédients indélicats mis en œuvre par lui pour se procurer de l’argent^ ni s’enquérir de ce qu’étaient devenus les 25,000 francs que lui avait versés le notaire de Dijon, notaire de la famille Cappelle, et qui disparurent. Denis Barbier, le domestique de confiance, l’homme aux billets, était une physionomie excessivement louche ; ses voyages* clandestins, divers propos qui lui étaient échappés, son acharnement contre sa maltresse dès-qu’elle fut sous la main du parquet

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pouvaien prêter aux soupçons j sa déposition l’ut empreinte d’une animosité pleine de fiel. La défense voulut le faire revenir à la barre pour expliquer certains faits ; il avait disparu, on ne put le retrouver. Dans aucune autre cause, peut-être, la justice n’a montré tant de passion pour prouver le crime, et tant de négligence ou d’hostilité pour ce qui pouvait atténuer ou détruire l’accusation. Il n’y a donc pas lieu de s’étonner des sympathies qui restèrent acquises à Mme Lafarge, même après sa condamnation. Malgré ce qu’il y avait d’inexpliqué dans son affaire, elle paraissait plus estimable que ce mari besoigneux et indélicat, cette famille cupide qui décachetait les testaments, profitait du troubla pour mettre la main dans le sac, et, à l’audience même, poussait l’audace jusqu’à laisser voir qu’elle n’attendait que la condamnation pour palper le reste de la fortune de l’accusée. Même encore aujourd’hui, et malgré tout le respect que l’on doit a la chose jugée, il est permis de dire que les magistrats de la cour de Tulle ont employé, pour arriver au résultat désiré, plus de violence et plus de ténacité qu’il n’en aurait fallu pour perdre dix innocents. Ils ne peuvent’ s’en prendre qu’à eux-mêmes si, après le verdict, deux jurisconsultes allemands, "MM. Teinme et Tœrner, conseillers de cour royale, examinant l’affaire avec soin, ont conclu que les soupçons auraient plus légitimemént atteint le domestique, Denis Barbier, que Mme Lafarge. « Il avait aidé, ont-ils dit, Lafarge à commettre ses fourberies, peut-être même l’y avait-il excité ; si celui-ci était découvert, Denis partageait son sort. Il était arrivé à Paris quelques jours avant l’arrivée du gâteau, et il y était en secret. Au Glandier même, on ne savait pas qu’il fût à Paris ; Lafarge même n’osait pas le dire. Ses manœuvres ne couraient donc aucun risque

d’être découvertes. La supposition d’un crime pourrait être fort naturelle, quand il s’agit d’un pareil homme. N’avait-il pas intérêt à tuer Lafarge, le seul qui fût au fait de toutes ses manœuvres ? N’a-t-il pas pu apporter le poison au moment même de 1 envoi du gâteau ? Lorsque Lafarge est rentré, la caisso avait déjà été ouverte. Que l’on ajoute à cela l’exclamation de Denis, rapportée par des témoins : « Maintenant, je serai le maître 1 » Ce même Denis était retourné au Glandier trois jours avant Lafarge ; il y était pendant tout le temps de l’empoisonnement ; il a eu du poison en sa possession dans les circonstances les plus suspectes, et il s’est embarrassé à ce sujet dans des mensonges palpables. 11 a remis à l’accusée un paquet qui s’est trouvé plus tard ne point contenir de poison. Il a eu. continuellement un libre accès autour du malade. Il dirigeait, par des discours pleins de méchanceté, le soupçon de l’empoisonnement sur l’accusée, et cherchait sans aucun motif à se justifier, disant, lorsqu’on ne le lui demandait pas, qu’il n’était point l’empoisonneur. Nous ne voulons pas accuser Denis ; mais nous disons que nous aurions trouvé, de la part de l’avocat général, une accusation beaucoup plus fondée contre lui que contre Mme Lafarge. » Nous avons cité cette curieuse page pour montrer à quels reproches et à quels soupçons s’exposent les magistrats lorsqu’ils refusent de recourir à tous les moyens d’investigation et opposent à. l’accusé, en quelque sorte, des dénis de justice ; lorsque celui qui est chargé de porter la parole au nom de la loi et de la société remplace l’impartialité par la passion, et s’occupe moins de taire la lumière que de gagner, sa cause, n’importe comment.

Mme Lafarge avait eu quelque espoir dans son pourvoi en cassation ; il tut rejeté. Elîo écrivit, dans l’intervalle, ses Mémoires, imprimés l’année suivante (1841, in-8°), plaidoyer plein de verve, d’ironie et d’originalité, dans lequel elle s’inscrivait en faux contre le jugement qui la frappait. Elle remercia chaleureusement Raspail du concours, malheureusement trop tardif, qu’il avait apporté à sa défense, et fit don à Mo Paillet de fa croix d’honneur de son père ; le bruit courut au palais que, si elle avait été acquittée, un autre de ses défenseurs, M» Bac, voulait lui demander sa main. Transférée à la maison centrale de Montpellier, elle obtint quelques adoucissements à sa captivité, et, pendant ses longs loisirs, composa les Meures de prison, petit volume empreint d’une mélancolique et touchante résignation. Il ne fut publié qu’après sa mort (1853, in-16). Elle avait déplus écrit uri drame resté manuscrit, Une femme perdue. Toujours souffrante et espérant une commutation de peine, elle fut graciée après douze uns de captivité (1852) ; on la transporta mourante aux bains d’Ussat, où elle expira peu ’de mois après. Durant sa détention’, les parents de M’n> Lafarge ayant aperçu rôder, autour de la maison centrale dé Montpellier, Denis Barbier, ce sinistre et mystérieux personnage, voulurent lo faire arrêter et poursuivre comme faux témoin ; lo parquet refusa. Quant à Félix Clavè, qui, seul peut-être, aurait pu éclaircir l’obscure affaire des diamants, il mourut fou dans l’hospice des aliénés de Pau (1S53). ’.

LAFAHGUE (Étienne de), écrivain français, né à Dax en 1728, mort en 1795. D’abord avocat au parlement de Paris, il devint ensuite exempt de la capitainerie royale des chasses de Vincennea et reeeveurdes taxes