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et des devises (Paris, 1687, in-12) ; trois tragédies latines sur Joseph ; Daniel, Damoclès, Abdotouyme, drames; Timandre, pastorale en l’honneur de Philippe V.

I.IUIÎAN (Guillaume), voyageur français, né vers 1818 à Piouêgat-Guerrand (Finistère), où il mourut en 1871. Fils d’honnêtes cultivateurs, il lit ses études au collège de Saint-Pol-de-Léon. D’abord secrétaire du conseil

de préfecture à Morlaix, puis collaborateur de Lamartine au Pays en 1848, il abandonna tout cela pour se livrer à son goût pour les voyages et les excursions lointaines. Chargé d’une mission de l’Institut, il alla visiter le Monténégro et la Turquie d’Europe. À la suite de ce voyage, il publia, dans un des cahiers supplémentaires des Miltheilunijen du docteur Petermann, une monographie des populations de laTurquie, travail accompagné d’une carte, qui est resté ce qu’il y a de plus complet sur cette question. Il s’embarqua ensuite pour l’Égypte, dans l’inteniion de remonter jusqu’aux sources du Nil. La maladie l’arrêta en route, et il ne put aller plus loin que Gondokoro. Mais, en véritable Breton, il ne voulut pas renoncer à son entreprise, et l’année 1862 le revit dans le bassin dfi Nil, chargé d’une mission diplomatique pour le fameux négus Théodoros. Il courut de grands dangers dans ce voyage. Un jour, entre autres, la foule furieuse en voulut à sa vie ; il avait déjà la tête posée sur une pierre plate, et il mesurait des yeux, la grosseur du rocher qui allait l’écraser, quand Théndoros arriva à temps pour le sauver ; pour témoigner sa reconnaissance envers ce prince, il lui donna ses pisudets, et c’est avec ces armes que le roi barbare se Ht sauter la cervelle après sa défaite, pour ne pas tomber entre les mains des Anglais. Poussé par son humeur vagabonde, il traversa une partie a*e l’Asie, et arriva jusque dans la vallée de Cachemire, dont la splendide beauté l’émerveilla. Mais la Turquie était toujours le principal objet de ses études ; chaque année, il y allait passer neuf mois au milieu de périls et de privations sans nombre qui titiirem par épuiser sa robuste constitution. Il succomba à tant de fatigues réitérées, au mois de lévrier 1871, dans un âge encore peu avancé. Les relations de ses voyages sa trouvent dans les Deux Nits (librairie Hachette, 1864) ; Voyage en Abyssinie (Paris, 1872, 1 vol. iu-40 de texte et 1 vol. in-fol. de pi.) ; divers articles de la Beouedes DeuxMondes et du Tour du monde ; et entiu un ouvrage posthume, ('Ethnographie de la péninsule turco-hetléuique, le travuil le plus complet de Lejean et qui lui assure une place distinguée parmi les voyageurs français.

LEJEUNE (Claude), musicien français du xvio siècle, Ue à Valenciennes vers 1540, mort entre 1598 et 1603. C’est lui qui, en collaboration avec Salinon et Beiuilieu, composa la musique pour les fêtes données au Louvre, en 1581, k l’occasion du mariage du duc de Joyeuse avec M’e de Vaudeinont, belle-sœur de Henri III. Ses chansons françaises se distinguent par une allure élégante et facile ; mais ses autres compositions pèchent sous le rapport de l’invention et de ta correction.

On cite de lui : Dodécacorde contenant douze psaumes de David à deux, trois, quatre, cinq, six et sept vuix (La Rochelle, 1598,0 vol. in-4o) ; le Printemps (Paris, 1603) ; Psaumes de Alurot et de Théodore de Bè : e (La Rochelle, in-4o) ; Octouaires de la vanité’ et inconstance du inonde (Paris, 1610, 4 vol.).

LEJEUNE (Paul), jésuite et missionnaire français, né en 1592, mort en 1664. Il habita dix-sept ans le Canada pour convertir les indigènes au catholicisme, mais il obtint peu de conversions. On lui doit : Briève relation du voyage de la Nouvelle-France (Paris, 1032, in-S») et lielaiion de ce qui s’est passé en la Nouvelle-France de 1634 à 1639 (Paris, 1G40, 7 vol. in-12). Ces deux ouvrages contiennent des détails fort intéressants sur les mœurs des sauvages.

LIMEUSE (Jean), oratorien français, surnomme le Père l’aveugle, né à Poligny en 1592, mort en 1672. Il t>'adonna avec le plus grand succès à la prédication, s’attacha de préférence à donner ses enseignemonts aux pauvres, à détruire les vices plutôt qu’à traiter du dogme. Appelé à la cour, il prêcha sur les devoirs des grands et s’efforça de faire goûter des vérités usuelles et élémentaires, qu’on n’était guère accoutumé d’y entendre prêcher. Le P. Lejeune prêchait le carême à Rouen en 1653, lorsqu’il perdit la vue ; mais il n’en continua pas moins ses travaux apostoliques. Ses Serinons ont été réunis et publiés sous ce titre : le Missionnaire de l’Oratoire (1662 et suiv., 10 vol. in-8u). Ses sermons choisis ont été traduits eu latin et publiés k Mayence en 1667.

LE JEUNE (Charles), né à Villeneuve-de-Berg (Ardèche) dans la seconde moitié du xvne siècle. Lorsque les dragons deLouis XtV furent envoyés dans le midi de la France pour convertir, le sabre au poing, les protestants, Le Jeune fut signalé k leur attention, moins pour ses opinions religieuses qu’à cause de ses richesses, « On logea chez lui, k discrétion, plusieurs dragons, qui, experts déj* uu fait de tortures, commencèrent par le plonger, à plusieurs reprises, dans un puits. Ce moyen vulgaire n’ayant pas réussi, ils essayèrent du feu, et contraignirent le malheureux à tourner une broche dans laquelle était passé

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un mouton entier, devant un feu si violent, qu’il fut presque rôti lui-même. En voyant ses contorsions, le loustic de cette bande de démons s’écria, en riant, qu’il «allait lui donner un onguent pour la brûlure, » et il lui versa la graisse bouillante sur les jambes, qui furent rongées jusqu’aux os. » Conduit ensuite dans la citadelle de Montpellier, Le Jeune fut jeté dans un cachot par ordre de Bàville, qui ne voulut même pas qu’on pansât ses blessures. Comme les prisons regorgeaient, beaucoup de prisonniers étaient transportés aux Antilles ; Le Jeune fut de ce nombre. Echappé au naufrage du navire, il parvint k se réfugier à Londres, où il mourut des suites des traitements infâmes qu’il avait subis.

LEJEUNE (Jean-Nicolas), antiquaire français, né en 1750, mort à Metz en 1856. Nommé, vers 1806, ingénieur expert au cadastre, il a publié, dans les Mémoires des antiquaires de France, une Notice sur les voies romaines du département de.la Moselle (1826), et une Notice sur les antiquités du département de la Meurt/ie (1826).

LEJEUNE (Simon-P.), homme politique français, mort en Allemagne vers 1820. Député de l’Indre en 1792, à la Convention nationale, il y vota la mort de Louis XVI.

Envoyé en mission dans les départements de l’Oise, de l’Aisne et du Doubs, il déploya, dans ce dernier département surtout, une rigueur excessive. On prétend même que, à Besançon fl avait fait construire une petite guillotine avec laquelle il tranchait le cou des volailles destinées à sa table, et qu’il s’en servait pour couper ses fruits. Décrété d’accusation, il échappa à l’échafaud grâce à l’amnistie du 13 vendémiaire an IV, et on le nomma contrôleur principal des droits réunis k Murât (Cantal). Cette charge fut ensuite supprimée, et il se trouvait sans emploi quand survint la Restauration. La loi contre les régicides le contraignit à se réfugier en 1816 à Bruxelles, où il prit la rédaction du journal le Libéral. Obligé de quitter la Belgique, il se réfugia eu Allemagne, où il iiuit ses jours.

LEJEUNE (Louis-François, baron), général, et peintre français, né k Strasbourg en 1775, mort k Toulouse en 1848. Enrôlé volontaire k Paris en 1792, il passa en 1793 k l’École d’artillerie de La Fère, et fut nommé successivement aide de cainp du général Jacob, capitaine après Murengo, chef de bataillon après Austerlitz et colonel au siège de Saragosse. C’est Lejeune qui, après la bataille d’Essling (1809), alla dans une barque, au péril de sa vie, chercher Bonaparte, enfermé dans l’île de Lobau, puis porta aux maréchaux Bessières et Masséna les ordres qui décidèrent le gaiu de la bataille de Wagruin. Nommé général de brigade après la bataille de la Moskowa, il se distingua pendant la retraite de Russie et pendant la campagne de Saxe, notamment k Lutzen et k Bautzen, entra, sous la Restauration, dans le corps d’état- major, et, après la révolution de Juillet, se retira à Toulouse, où il devint directeur de l’École des beaux-arts et de l’École industrielle. Lujeune ne se lit pas remarquer seulement par. sa bravoure, il fut encore un peintre de mérite. Pendant les courts loisirs que lui laissait la vie des camps, il avait cultivé ses dispositions pour les arts, pris des leçons du peintre Valenciennes, et s’était mis à reproduire les épisodes militaires dont il avait été le témoin. La Bataille de Marengo, qu’il envoya au Salon de 1801, fut achetée par ordre du premier consul. Depuis cette époque, il exposa un assez grand nombre de toiles, parmi lesquelles nous citerons : Bataille terrestre d’Aboukir ; Bataille du mont Thabor (1802) ; Bataille de Lodi (1804) ; Baluille des Pyramides (1806) ; Bivouac en Moravie (1808) ; Bataille de SomoSierra (1810) ; Attaque d’un convoi près de Satinas (1819) ; Bataille de la Moskouia ; Bataille de la Chiclaua (1824) ; Scène du siège de Saragosse (1835). À partir de cette époque, Lejeune aborda les sujets de genre et exécuta, entre autres tableaux : Promenade au château de Crac ; la Cascade du lac d’Oo ; le Jardin du musée de Toulouse (1835) ; Vues de Turascon (1842) ; Méridu (1843) ; Vue de Carrare (IS43).

La Bataille de la Moskowa et Y Attaque du convoi de Satinas sont considérées comme ses toiles les plus importantes. Ses compositions se distinguent par une grande vérité d’expression et un réalisme saisissant ; mais on leur reproche la sécheresse et la’monotonie, et, si les personnages sont bien rendus, le paysage manque d’accent et de vigueur.

LEJEUNE (Alexandre-Louis-Simon), botaniste belge, né k Verriers en 1779. Après avoir pris le grade de docteur en médecine, il s’adonna particulièrement à l’étude des sciences naturelles, se lia.en 1803 avec le botaniste De Candolle, qu’il aida dans ses travaux de 1806 k 1812, et devint membre de l’Académie royale de Belgique. Lejeune a publié : Flore de Spa (Liège, 1811-1816, 3 vol. in-S°), et Choix des plantes de Belgique (Liège, 1825-1830, 2 vol. in-4o), ouvrages fort estimés.

LEJEUNE-D1RIC1ILET (Pierre - Gustave), mathématicien allemand, né k Duren (Prusse rhénane) en 1805, mort à Gœtlingue en 1859. 11 vint en France en 1822 suivre les cours de mathématiques de Poisson et de Lacroix, et devint précepteur des enfauts ^du général

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Foy. En 1827 il retourna en Allemagne et se fixa à Breslau comme répétiteur attaché à l’université, puis il occupa une chaire de mathématiques k Berlin, et enfin remplaça l’illustre Gauss à l’université de Gœttingue. Membre de l’Académie des sciences de Berlin depuis 1832, il avait été en 1854 nommé associé étranger de l’Institut de France. M. Lejeune-Dirichlet s’est spécialement occupé de deux branches de mathématiques : la théorie des équations aux différences partielles, des séries périodiques et des intégrales définies, si importante pour la physique mathématique ; et la théorie des nombres, la partie la plus élevée et la plus abstraite des sciences exactes. Les nombreux mémoires renfermant ses précieuses découvertes mathématiques, presque tous écrits en français, ont été publiés dans les Mémoires de l’Académie des sciences de Berlin et dans le Journal de mathématiques de d’elle.

LE JOLLE (Pierre de), littérateur français qui vivait au xvno siècle. Il alla habiter la Hollande. On a de lui, en vers burlesques, une curieuse Description d’Amsterdum (i6CC), écrite dans le genre des poésies de Scarron. Ce petit livre est recherché des bibliophiles.

LEJUGE (G.), peintre et graveur français, qui vivait k Paris vers le milieu du xvue siècle, A en juger par son faire, il avait étudié dans l’atelier de Simon Vouet ou de quelque élève de ce peintre. Il a gravé k l’eau - forte plusieurs des compositions de Vouet, formant une suite de treize pièces, et la Dernière communion de saint Jérôme, d’après Augustin Carrache.

LÉ JUSTE (Jean et Just), éminenls sculpteurs de la Renaissance, nés à Tours vers 1490. On en est réduit aux conjectures sur lu biographie de Ces deux artistes, dont les œuvres tiennent un rang honorable dans la sculpture française. Le Tombeau des enfants de Charles VI'11, une des merveilles de la cathédrale de Tours, est un morceau de premierordre ; c’est le premier que l’on connaisse des frères Le Juste, et sans doute ils étaient déjà célèbres lorsqu’on leur confia ce travail important. Le style est sévère et grandiose ; les quatre anges agenouillés qui protègent le sommeil des deux enfants couchés côte k côte ont quelque chose de naïf et de jeune qui émeut doucement. Les arabesques capricieuses qui courent au sommet du sarcophage sont pleines de délicatesse. En 1527, François Ier chargea les frères Le Juste de l’exécution du Mausolée de Louis XII et d’Anne de Bretagne, destiné k l’abbaye de Saint-Denis ; ils y travaillèrent conjointement avec Paul-Ponce Trebait ; on croit généralement que cet artiste sculpta les figures et que les frères Le Juste accomplirent le reste de l’œuvre, c’est-k-dire qu’ils conçurent l’ensemble de ce beau-monument, si harmonieux de formes, et en exécutèrent toute l’ornementation. On connaît encore de ces deux éminents artistes lo Mausolée de Louis Poncher, qui était originairement dans une des chapelles de Saint-Germain-l’Auserrois, et un Christ au tombeau, groupe en terre cuite, dans l’église Saint-Florentin d’Amboise. Cette œuvre, d’une belle exécution, a ceci de remarquable, k un autre point de vue, qu’elle nous offre les effigies de toute la dynastie des Babou de La Bourdaisière, famille qui eut le privilège de servir de sérail k François l<=r. Ce prince est figuré en saint Jean ; Babou de La Bourdaisière est le Christ ; les saintes femmes qui entourent le tombeau ne sont autres que Marie Gaudin, épouse du sieur Babou, maîtresse de François Ier, et ses trois filles, qui lui succédèrent dans le lit du roi.

LEKA1N (Henri-Louis CaiN, dit), célèbre tragédien français, né à Paris en 1729, mort le 8 février 1778. Il était fils d’un orfèvre, abandonna l’atelier de son père et s’essaya d’abord dans quelques sociétés théâtrales, entre autres à l’hôtel. Jaback, rue Saint-Merry, où fonctionnait une petite troupe composée déjeunes acteurs très-inexpérimentés. Eu 1750 il créait un rôle dans une comédie d’Arnaud -Baculard, le Mauvais riche. L’auteur, qui assistait k la représentation, dit k Voltaire que, parmi d« détestables comédiens de société, il avait.remarqué un homme fait pour s’illustrer sur la scène française. Voltaire alla voir jouer le jeune homme, fut charmé de son talent naissant et le fit inviter k venir chez lui.

« Le plaisir que me causa cette invitation, dit Lekaiu dans ses Mémoires, fut encore plus grand que ma surprise ; mais ce que je ne pourrai jamais peindre, c’est ce qui se passa dans mon aine k la vue de cet homme dont les yeux étincelaient de feu, d’esprit et d’imagination. En lui adressant la parole, je me semis pénétré de respect, d’enthousiasme et de crainte. J’éprouvais k la fois toutes ces sensations, lorsque M. de Voltaire eut la bonté de mettre fin a mon embarras, en m’ouvrant ses deux bras paternels, et en remerciant Dieu d’avoir créé un être qui l’avait ému et attendri en proférant d’assez mauvais vers. Il me fit ensuite plusieurs questions sur mon état, sur celui de mon père, sur la manière dont j’avais été élevé et sur mes idées de fortune. Après l’avoir satisfait sur tous ces points, et après avoir pris ma part d’une douzaine de tasses de chocolat, mélangées avec du café, je lui répondis, avec une fermeté intrépide, que je ne connaissais d’autre bon LEKA

heur sur la terre que celui de jouer la comédie -, qu’un hasard cruel et douloureux me laissant maître de mes actions, et jouissant d’un petit patrimoine de 750 livres de rente, j’avais lieu d’espérer qu’en abandonnant le commerce et le talent de mon père, je ne perdrais rien au change, si je pouvais être un jour admis dans la troupe des comédiens du roi. «Ah ! mon ami, s’écria M. de Voltaire, « ne prenez jamais ce parti-lkl Croyez - moi, jouez la comédie pour votre plaisir, mais n’en faites jamais votre état. C’est le plus beau, le plus rare et le plus difficile des talents ; mais il est avili, par des barbares et proscrit par des hypocrites. Un jour avenir la France estimera votre art ; mais alors il n’y aura plus de Baron, plus de Lecouvreur, . plus de Dangeville. Si vous voulez renoncer à votre projet, je vous prêterai 10,000 francs « pour commencer votre établissement, et vous me les rendrez quand vous pourrez. Allez, mon ami, revenez me voir a la fin u de la semaine ; faites bien vos reflexions, et a donnez-moi une réponse positive. » Etourdi, confus et pénétré jusqu’aux larmes des bontés et des offres généreuses de ce grand homme, que l’on disait avare, dur et sans pitié, je voulus m’épancher en renierchneiits. Je commençai quatre phrases sans en pouvoir terminer une seule-, enfin, je pris le parti de lui faire ma révérence en balbutiant, et j’allais me retirer, lorsqu’il.me rappela pour me prier de lui réciter quelques lambeaux des rôles que j’avais déjà joués. Sans trop examiner la question, je lui proposai assez maladroitement de lui déclamer le grand couplet de Gustave, nu second acte. d’oint, point de Piron, me dil-il avec une voix tonliante et terrible, je n’aime pas les mauvais vers ; dites-moi tout ce que vous savez de Racine. » Lekain, dont nous abrégeons le récit, lui déclama quelques scènes à’Athalie. Voltaire s’extasia et sur les vers de Racine et sur le talent du jeune artiste. « Adieu, mon enfant, ajouta-t-il en l’embrassant ; c’est moi qui vous prédis que vous aurez la voix déchirante, que vous fere2 un jour tous les

plaisirs de Paris, mais, pour Dieu 1 ne montez jamais sur un théâtre public. » « Voilà, continue Lekain, le précis le plus vrai de ma première entrevue avec M. de Voltaire. La Seconde fut plus décisive, puisqu’il consentit, après les plus vives instances de ma part, k me recueillir chez lui comme son pensionnaire, et k l’aire bâtir au-dessus de son logement un petit théâtre où il eut la boulé ne ine faire jouer avec ses nièces et toute sa société. 11 ne voyait qu’avec un déplaisir horrible qu’il nous avait coûté jusqu’alors beaucoup d’argent pour divertir le public et nos amis. La dépense que cet établissement momentané occasionna k M. de Voltaire et l’offre désin^ téressée qu’il m’avait faite quelques jours auparavant me prouvèrent d’une manière bien sensible qu’il était aussi généreux et aussi noble dans ses procédés que ses ennemis éiaient injustes en lui prêtant le vice d’une sordide économie. »

Voltaire ne s’en tint pas là ; il fit jouer Lekain à Sceaux, devant la duchesse du Maine (1750), dans Borne sauvée, et, quelques jours après, il obtenait pour lui une lettre de début k la Comédie - Française. Lekain parut dans le rôle de Titus, du Brutus de Voltaire (14 août). Un peu avant de partir pour Potsdam, celui-ci écrivait a d’Argentul : «Je conseille k Mm» Denis de lui faire réciter Hérode, Titus et Zamore, de le faire crier k tuetête dans les endroits de débit, où sa voix est toujours, jusqu’à présent, faible et sourde. C’est peut-être le seul défaut qu’il ait, mais c’est le défaut le plus essentiel et le plus difficile à corriger. Je voudrais bien qu’il jouât un jour Cicéron.» Voltaire ne vit plus Lekain à partir de cette époque ; toujours éloigné de Paris, il ne lui fut plus donné d’assister aux triomphes d’un tragédien qu’il avait deviné et qui fit le plus grand succès de son théâtre.

La popularité de Lekaiu fut, du reste, tardive ; il lui fallut longtemps habituer le public, et surtout les femmes, à son physique disgracieux. Sa taille était épaisse et courte, son visage rouge et comme tanné, sa bouche énorme ; ses yeux seuls avaient de la vivacité. Sou plus grand charme était dans sa voix, lorsqu’il fut parvenu à l’assouplir : il avait l’accent tragique et pénétrant. Admis comme pensionnaire le 24 février 1752, après une longue série de débuts, entravés.par ses rivaux Graudval et Bellecour, il finit par vaincre toutes les appréhensions, dompter ce qu’il y avait encore de dur et de rebelle dans sa voix, dans son geste heurté, et jouit dès lors d’une supériorité incontestable. C’est dans le répertoire de Voltaire qu’il aimait surtout k se montrer ; on lui reprocha même très-aigrement cette partialité. « Uniquement voué, tut un de ses contemporains, aux productions de M. de Voltaire, il avait fait le vœu secret d’étoutlèr tout ce qui ne venait pas de Ferney. Je l’ai vu effrontément "se dire malade lorsqu’il avait joué sept ou huit fois dans un hiver ; il abandonnait la capitale, montait en chaise de poste, et allait essayer s’il ne se. porterait pas mieux en province, en représentant deux fois par jour : alors il bravait les plus grandes chaleurs de l’été. • Voici la liste des principaux rôles créés ou repris par lui ; Vendôme, A’Adélaïde Duguesclin ; Mahomet ; Zamore, d’AUire ; Tancrède ; Œdipe ; Oreste, A’Iphigénie en Tauride ; Anténor, de Zelmire ; Warwick ; Guiscard, de Blanche et