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piémontaise de 1821, La Tour, qui était gouverneur de Novare, se mit à la tête des troupes restées fidèles à la monarchie absolue, et mit en déroute la petite armée constitutionnelle sous les murs de Novare (23 mars 1821) ; mais il ne prit aucune part aux persécutions qui suivirent le rétablissement de l’autorité. Il fut, l’année suivante, envoyé au congrès de "Vérone en qualité de plénipotentiaire sarde, et fut ministre des affaires étrangères depuis cette époque jusqu’en 1835. Il fut nommé, cette dernière année, gouverneur de la ville de Turin, et élevé à la plus haute charge militaire du royaume de Sardaigne, celle de maréchal de Savoie. Dispensé de ces fonctions en 1848, il conserva jusqu’à sa mort le titre de maréchal, bien que cette charge ait été abolie en 1851.

LATOUR (Jean-Baptiste Tenant de), bibliographe français, né dans le Périgord en 1779, mort au Chalard (Haute-Vienne) en 1862. Il servit, à la Restauration, dans les gardes du corps, et devint plus tard chef du personnel de l’administration des postes et bibliothécaire du roi Louis-Philippe au château de Compiègne. Il a publié des éditions estimées de plusieurs eheis-d’œuvre de notre littérature au xvnic siècle, notamment des Poésies de Malherbe, avec un Commentaire inédit d’André Chénier (Paris, 1842) ; des Œuvres de Chapelle et de Backaumont (Paris, 1854), dans la Bibliothèque elzévirienne, de Janet, et des Œuvres de Ilacan (Paris, 1857), dans la même collection. On lui doit aussi des Lettres sur la bibliographie.

LATOUR (Louis-Antoine Tenant de), littérateur français, fils du précédent, né à Saint-"Yrieix en 1808. Entré, en 1826, à l’École normale, il devint trois ans plus tard agrégé des classes supérieures, et fut successivement professeur aux collèges Bourbon et Henri IV. En 1832, il renonça à l’enseignement universitaire pour diriger l’éducation du duc de Montpensier, dont il fut nommé, j en 1843, secrétaire des commandements, et : qu’il accompagna, en 1846, dans son voyage en Orient. Fidèle à son attachement pour ce ’ prince, il le suivit en Espagne après la révolution de février 1848, et ne l’a pas quitté depuis cette époque. M. de Latour débuta dans la littérature par une traduction des Prisons de Silvio Pellico (1833, in-so), qui popularisa en France le nom de l’auteur, tout an révélant chez le traducteur de rares qualités littéraires. Ses poésies, intitulées : la Vie intime (1833, in-8°), oui parurent à la même époque, attirèrent 1 attention par leur douce et vague mélancolie, qui tranchait vivement avec les conceptions échevelées de l’école romantique. Un nouveau recueil, publié en 1841 sous le titre de Poésies complètes, et quirenferme les pièces déjà parues, se recoin- i mande par le même charme de délicatesse et de naturel. M. de Latour s’est, en outre, occupé d’études historiques et littéraires, et il a fait paraître : Essai sur l’étude de l’histoire de France au xixe siècle (1835, in-8°) : Luther, étude historique (1835, in-12), travail qui fut fort remarqué et qui est devenu une rareté bibliographique, car il ne fut tiré qu’à cent exemplaires ; Petits chefs-d’œuvre historiques (1846, 2 vol.), recueil d’articles et de notices qui avaient paru primitivement dans la Revue des Deux-Mondes ; Études sur l’Espagne (1855-1657,3 vol. in-12) ; Don Miguel de Manara, sa vie, son discours sur la vérité, son testament, sa profession de foi (1857, in-12) ; la Baie de Cadix, nouvelles études sur l’Espagne (1S57, in-12). Il a en outre écrit, sous forme de lettres, la Relation du voyage en Orient de S. A. R. jl/gr le duc de Montpensier (1847, in-8°, avec album), et traduit de l’itaiien les Mémoires d’Alfieri (1840) ; le Théâtre et les Poésies de Manzoni (1842, in-12) ; la Colonne infâme, du même auteur (1843, in-12) ; les j Lettres de Silvio Pellico (1857, in-su), précédées d’une introduction dans laquelle le tra- j ducteur raconte la vie de Pellico depuis sa mise en liberté, M. de Latour est, depuis 1858, membre de l’Académie des belles-lettres de Séville, où il a lu, pour son discours de réception, une étude en espagnol sur les Imitations de Florian.

LATOUR (Robert), médecin français, né à Bayonne en 1801. Il fut reçu docteur à Paris en 1824. Indépendamment d’une thèse qui contient des idées neuves Sur le véritable mode d’action des saignées dans tes phlegmasies (Paris, 1824), on lui doit : Qu’est-ce que la fièvre ? Qu’est-ce que l’inflammation ? (Paris, 1838, in-8°) ; Une visite à Mariemberg ou Examen philosophique et pratique de l hydrothérapie (1842, in-i") ;’ Expériences servant à démontrer que la pathologie des animaux d sang blanc est exempte de l’état morbide qui, chez les animaux à sang chaud, a reçu le nom d’inflammation (1844), mémoire couronné par l’Institut. Depuis cette époque, le docteur Latour a cessé tout travail scientifique, pour se livrer exclusivement aux soins de sa clientèle, qui, du reste, est très-étendue.

LATOUR (Jean-Raymond-Jacques-Amédée), médecin français, né à Toulouse en 1805. Reçu-docteur à Paris en 1834, il se lança, dès le début de sa carrière, dans la littérature médicale, collabora au Journal hebdomadaire de médecine, à la Presse médicale, à la Gazette des hôpitaux, et fonda la Gasette des médecins praticiens, puis l’Union médicale (1850), dont il est encore un des

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principaux rédacteurs. Les articles qu’il a publiés sous les pseudonymes de Jean Raymond et de Docteur Simpiîce ont été particulièrement remarqués, tant par la verve

satirique, spirituelle et mordante de l’écrivain, que par son esprit d’indépendance et d’impartialité comme critique. Un procès que lui intenta, en 1840, le docteur Gendrin, au sujet d’articles dans lesquels le médecin journaliste jugeait sévèrement ce dernier, eut un grand retentissement. L’attitude de M. Latour dans ce procès lui gagna l’estime de tous ses confrères, qui ouvrirent une souscription pour couvrir les dommages et intérêts, auxquels il avait été condamné. Il a été promu officier de la Légion d’honneur en 1868. Outre ses nombreux articles de journaux, M. Latour a publié plusieurs ouvrages de médecine, dont voici les titres : Cours de clinique interne de M. Andral (1836, 3 vol. in-8°), dont la rédaction lui appartient tout entière ; Du traitement préservatif et curatif de la phthisie pulmonaire (1840, l vol. in-S°) ; Notes sur quelques accidents nerveux non décrits, guéris par l’emploi de la poudre de valériane ; Mémoire sur la difficulté du diagnostic de quelques formes de fièvres érttptives et de la fièvre typhoïde ; De l’impuissance virile pour cause nerveuse ; Nouveau moyen de remplacer la percussion dans les cas où elle est impraticable. Ce moyen, c’est le diapason, dont les vibrations plus ou moins sonores indiquent avec précision le degré de perméabilité des poumons, les matières solides, liquides ou gazeuses contenues dans les cavités. Citons encore : De la foi en médecine (1857) ; Éloge de Rayer (1868, in-8°), et son spirituel Dictionnaire des termes de médecine.

LA TOUR (Gustave, comte bb), homme politique français, né en 1809. Appartenant à une famille fortement attachée à la dynastie des Bourbons de la branche aînée, il prit une part active à l’insurrection de la Vendée en 1832, et fut obligé de quitter la France à cette époque. Il entra dans l’armée autrichienne, servit en Hongrie, et parvint au grade de capitaine. Après le coup d’État du 2 décembre 1851, !e gouvernement le présenta comme son candidat aux électeurs de Lannion, qu’il a représentés, sans interruption, au Corps législatif, depuis cette époque jusqu’à la chute de l’Empire. Depuis lors, il a vécu dans la retraite. M. de La Tour a été rédacteur en chef du journal politique la Bretagne, qui se publie à Saint-Brieuc, et a, en outre, collaboré à la Revue contemporaine, ainsi qu’à d’autres journaux et recueils littéraires et politiques.

LATOUR [Cagniard de), physicien français. V. Cag.mard de Latour.

LATOUR (Denis-François Gastellier de), généalogiste français. V. Gastellier.

LA TOUR D’AUVERGNE (Théophile-Malo

CORRET DE), surnommé le Premier grenadier

de la République, illustre par son courage et ses vertus, né à Carhaix (Finistère) le 23 novembre 1743, tué au combat d’Oberbausen (Bavière) le 27 juin 1800.

L’histoire du héros républicain, qui est devenue pour ainsi dire une légende nationale, est cependant fort simple dans sa grandeur, et fondée sur les documents les plus clairs et les réalités les plus palpables.

Il était issu d’une branche bâtarde de la famille de Bouillon, à laquelle appartenait Turenne. Les renseignements relatifs à ses premières années nous font défaut ; nous savons seulement, par le témoignage de Carnot, qu’il fit ses études au collège de Quimper, et qu’il était plein d’érudition et parlait toutes les langues. A vingt-trois ans, il choisit la carrière des armes, et, le 3 avril 1767, il entra dans les mousquetaires noirs. Son origine, sa pauvreté, l’exemple de ses compatriotes, presque tous soldats ou marins, son besoin de voir et de savoir, tels furent sans doute les motifs qui lui firent embrasser l’état militaire. Il est certain, toutefois, qu’il n’aimait point la vie de garnison, donnant tous ses loisirs.à l’étude de nos origines, puis interrogeant les capitaines de l’antiquité sur les faits d’armes dont ils se sont faits les historiens. Passé au régiment d’Angoumois, avec le grade de souslieutenant, il était promu capitaine en 1779. Lors de la guerre de l’indépendance des États-Unis, il sollicita la faveur d’aller offrir son épée à Washington, mais ne put obtenir que de servir d’une façon indirecte la cause de l’Amérique, en se rendant, comme simple volontaire de l’armée espagnole, au siège de Muhon, pour combattre contre les Anglais. Son étonnante intrépidité se manifesta dès ses premières actions militaires. Il mit le feu à un navire anglais sous le feu même de la place, et on le vit un jour aller, sous une grêle de balles, chercher un de ses camarades tombé blessé sur un glacis, le charger sur ses épaules et le rapporter aux avant-postes. Le duc de Grillon lui offrit le commandement des volontaires ; mais il refusa cette offre ainsi qu’une pension de 3,000 francs qui lui était proposée par le roi d’Espagne, De retour en France après la paix de 1783, il reprit son service dans le régiment d’Angoumois, et se livra de nouveau à ses études sur les antiquités gauloises et les langues celtiques, de concert avec son ami, le savant Le Brigant. Nourri de l’antiquité et des philosophes, il adopta avec chaleur les principes de la Révolution, et refusa

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d’émigrer. Un matin, il reçut la visite de son, colonel, suivi de ses officiers, qui allaient re- ! joindre l’armée de Condé, et se flattaient de j l’emmener avec eux. Inaccessible à toute séduction, La Tour d’Auvergne répond à son

chef : « Je m’étonne que vous soyez assez hardi pour me faire une aussi infâme proposition. Prenez tel parti qu’il vous plaira, je ne me règle point sur les autres, et toute l’armée émigrerait, que je n’émigrerais pas. » Longtemps après, il disait à son ami le tribun Rouioux : « Si j’avais abandonné la France, je n’y serais jamais rentré, car on ne revient point dans le pays qu’on a trahi, sans être soupçonné de méditer une trahison nouvelle. » La Tour d’Auvergne eût pu servir son pays et la Révolution dans les assemblées politiques, car il était doué d’un sens politique très-net, et surtout d’un profond sentiment de la justice. Mais il comprit que sa vraie place était à la frontière, devant l’ennemi. Il fit la campagne de 1792 à l’armée des Alpes, entra le premier dans Chambéry, à la tête de sa compagnie, et fut envoyé, l’année suivante, à l’armée des Pyrénées-Occidentales, prête Centrer en Espagne ; armée dont il fut l’âme et le héros. Simple capitaine, ses chefs, que cette déférence honore, l’appelaient néanmoins dans leurs conseils ; et comme il refusait d’accepter un grade supérieur, on imagina de rassembler sous ses ordres toutes les compagnies de grenadiers, qui ne représentaient pas moins de 8,000 hommes. Par le fait, La Tour d’Auvergne était donc général ; mais il n’en voulut jamais accepter ni les émoluments, ni les honneurs, ni le titre. À la tête de ses grenadiers, il s’empare de la Bidassoa, enlève la fameuse Maison crénelée, prend le fort d’Irun, délivre le port de Sébaste, emporte vingt-sept redoutes en échelons, rend ses droits à la Biscaye ; et tandis que sa phalange reçoit des ennemis mêmes le nom célèbre et magique de Colonne infernale, lui, reste toujours doux, familier, humain. Il va s’asseoir avec les pâtres et étudier leur langue ; il demande l’hospitalité aux chefs des hameaux, il écoute les vieillards, fait parler les enfants, en un mot, se lait aimer des populations autant qu’il se faisait craindre des armées ennemies.

Souvent, il obtenait la victoire sans combat et par des prodiges d’audace. Un jour de cette année 1793, il s’agissait de prendre pied dans le val d’Arau. La Tour d’Auvergne surprend l’ennemi rangé sur la plate-forme d’une église, le fait coucher en joue, lui ordonne de mettra bas les armes, et est obéi par le seul effet de son prestige. Même stratagème pour chasser les Espagnols de la Maison crénelée, en deçà de la Bidassoa. Tandis que les grenadiers tenaient leurs fusils braqués vers les créneaux, il va frapper à la porte, à coups de pied et à coups de tête, en vrai Breton ; il menace l’ennemi de le brûler vif : le fort s’ouvre. Mais le voici devant Saint-Sébastien, autre fort situé au milieu de la mer. Comment le prendre ? Il se jette dans une barque et va sommer le commandant de rendre la place, s’il ne veut la voir bombardée. L’Espagnol est terrifié ; il demande seulement qu’on lui fasse l’honneur de tirer sur son fort avant qu’il le rende. La Tour d’Auvergne repart, fait tirer son seul canon de campagne, auquel on répond par cinquante canons de siège ; il retourne à la forteresse et en reçoit les clefs. Ces détails se trouvent consignés au Moniteur du 19 messidor an VIII.

Il serait impossible d’énumérer tant de traits éclatants, qui semblent appartenir à la poésie héroïque, et qui donnent au capitaine républicain la physionomie des héros légendaires de l’Arioste, toutefois avec plus de vraie grandeur, de modestie et de simplicité. Vingt fois son chapeau, qu’il avait 1 habitude de porter sous son bras pendant le combat, fut criblé par le feu de l’ennemi, sans que jamais il reçût la plus légère blessure. Les grenadiers croyaient naïvement qu’il avait le don de charmer les balles ; et quel enthousiasme pour ce chef héroïque qui ne voulait être que leur compagnon ! Voici un trait raconté dans le Moniteur, par l’ingénieur en chef Descolins : « Il se baignait souvent à la mer, à l’entrée du port de Souva. Deux de ses soldats se trouvent un jour entraînés par la marée. Il vole à leur secours ; il est entraîné lui-même. Un jeune tambour s’élance et le sauve ; les soldats sont sauvés par les marins ; mais l’épouvante a duré, parmi les spectateurs, des minutes qui leur ont paru bien longues. O brave jeune homme, tu sais comme tu fus porté en triomphe par tes camarades ! comme tu fus béni d’avoir sauvé

leur commandant, mais bien plus encore leur ami 1 » ’

Atteint par le décret qui excluait les nobles de l’armée, il ne fut cependant pas destitué : la-loi fléchit devant son patriotisme et sa gloire.

Un représentant en mission s’offrit même pour lui faire obtenir ce qu’il voudrait demander. « Êtes - vous bien puissant ? dit-il.

— Sans doute. — Eh bien, sollicitez pour moi... — Quoi ? un régiment ? — Non, une paire de souliers. »

Ce dénûment, cette bonhomie, cette belle humeur au milieu de toutes les privations et des plus grands périls, c’était d’ailleurs le trait saillant de ces jeunes armées plébéiennes que la Révolution venait de créer et qui déjà faisaient trembler l’Europe des rois.

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Après la paix de Bâle, à laquelle avait adhéré l’Espagne (1795), La Tour d’Auvergne vint se reposer à Bayonne, et consacra ses loisirs à l’achèvement de son ouvrage sur les Origines gauloises, travail remarquable, où, à côté d’inévitables erreurs, se révèlent le jugement sagace, le noble caractère de l’éminent citoyen. Ce n’est pas un celtomane comme Borel, dom Pezron ou Le Brigant ; et s’il aime sa langue bretonne, il se garde bien de vouloir, comme ses prédécesseurs, en faire dériver toutes les langues du monde. Ce qu’il dit notamment de l’idiome des Basques témoigne d’une science profonde de la linguistique.

Sur ces entrefaites, atteint du mal du pays, La Tour d’Auvergne s’embarque à Bayonne sur un navire marchand, et fait voile vers la Bretagne ; mais, au moment d’y arriver, il est capturé avec le navire par un corsaire anglais. On le jette à fond de cale ; pourtant, on l’appelle encore Monsieur le chevalier. «Appelez-moi citoyen, dit-il ; je suis plus fier de l’être depuis que je me trouve parmi vous. » Il arrive en Angleterre ; on l’emprisonne. Il trouve là des soldats français endurant mille privations ; il relève leur courage, leur chante des’ hymnes républicains. Tout le temps qu’il resta confiné dans le comté de Cornouailles, il étudia les mœurs et les dialectes des Gallois et des Irlandais, en qui il salua des frères celtiques. Quant aux Anglais, ce sont des Saxons. « Us ont usurpé, dit-il, le titre de Bretons. » Leurs traitements envers les prisonniers ne pouvaient, certes, les lui faire aimer. On raconte que des soldats anglais ayant tenté d’enlever leur cocarde aux républicains, il enfila la sienne à son épée et menaça de résister jusqu’à la mort. Les Anglais hésitèrent, et les nôtres furent ainsi préservés d’une humiliation qui leur eût été plus cruelle que tous les mauvais traitements. Délivré par un échange de prisonniers, en 1797, La Tour d’Auvergne revit la France, et, comme il avait alors plus de trente uns de service, il prit sa retraite. Le ministre de la guerre lui fit offrir 400 écus pour les arrérages de sa solde ; bien que très-pauvre, il ne voulut prendre que 120 francs, disant qu’il reviendrait quand il aurait de nouveaux besoins. Vers cette époque, son parent, l’exduc de Bouillon, qui lui devait la conservation de ses liens, et peut-être la vie, voulut, par reconnaissance, lui faire accepter la belle terre de Beaumont-sur-Eure, qui rapportait 10,000 francs de rente. » Je vous remercie, citoyen, » dit-il au prince, en refusant avec simplicité. Aucune instance ne put lui faire changer de détermination.

Il retourna ensuite dans sa chère solitude, continuer ses études au sein d’une médiocrité de vie qui convenait à son extrême modestie, à ses goûts studieux et à son désintéressement, et que le poëte Brizeux, son compatriote, a caractérisée par ces deux vers :

Au combat, glaive d’aciur,

Livre d’or à mon foyer.

Il vécut dès lors et de science et d’affection, auprès de son ami Le Brigant, avocat, savant minéralogiste, celtomane bien connu par des travaux systématiques, mais ingénieux. Noble patriote, ce dernier avait déjà donné quatre fils au pays. Une légende lui en attribue un plus grand nombre^ morts sur les champs do bataille. C’est une erreur propagée par les dictionnaires historiques. La réquisition allait lui enlever son cinquième, unique soutien, dernière consolation de ses vieux jours. La Tour d’Auvergne n’hésite pas, malgré son âge, et il s’offre à remplacer le jeune homme, parvient à faire accepter son sacrifice à son ami, et accourt à Paris, où cette substitution est sans peine acceptée, et va rejoindre en Suisse l’armée de Masséna. Replacé à la tête des grenadiers, toujours avec le grade de capitaine, La Tour d’Auvergne assiste à la bataille de Zurich, et fait prisonnier un régiment moscovite. Après cette glorieuse campagne d Helvétie, à revient à Paris ; il parle avec enthousiasme du courage français, mais en s’oubliant lui-même. Pourtant, on commençait, à rougir de l’oubli où l’on avait laissé un tel héros, et le Sénat le désigna pour occuper un siège au corps législatif. Mais il répondit, avec sa simplicité habituelle : « Où servirais-je la République plus utilement qu’à l’armée ?" Et il alla rejoindre ses grenadier ? à l’armée du Rhin. C’est là qu’il reçut de Carnot, ministre de la guerre, la lettre admirable par laquelle ce grand citoyen lui annonçait que, sur sa proposition, le premier consul l’avait nommé, par brevet, premier grenadier des années de la République, et lui avait décerné un sabre d’honneur (5 floréal an VIII). Il accepta le sabre d’honneur, mais ne voulut jamais le porter que dans la bataille ; quant au titre de premier grenadier de la République, que la postérité lui conserve, il le refusa. « Supérieur aux craintes comme aux espérances, écrivit-il, tout me fait un devoir de m’excuser d’accepter un titre qui, à mes yeux, ne paraît applicable à aucun soldat, et surtout à un soldat attaché à un corps où l’on ne connut jamais ni premier ni dernier. Je suis trop jaloux de conserver des droits à l’estime des valeureux guerriers et à leur amitié, pour consentir à aliéner de moi leur cœur, en blessant leur délicatesse. »

Le héros républicain est tout entier dans cette mâle et simple réponse.